Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur la crise irakienne et l'opposition du PS à la guerre, le soutien apporté aux choix du gouvernement dans la gestion de la crise, le constat de la division de l'Europe, la dénonciation du régime dictatorial de Saddam Hussein, à Paris le 26 février 2003

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Circonstance : Débat sur la question de l'Irak à l'Assemblée nationale le 26 février 2003

Texte intégral

M. François Hollande - La guerre peut-elle être évitée ? Face à la détermination américaine de recourir à bref délai à la force, face à l'inconstante volonté de désarmer manifestée par l'Irak, il est vrai que les chances de la paix peuvent apparaître faibles. A moins que l'on ne pense, comme beaucoup ici, que la primauté du droit, les Nations unies et les opinions publiques peuvent encore l'emporter sur le déchaînement irréfléchi des armes...
Une guerre, surtout lorsqu'elle procède de la communauté internationale, est un acte grave. Elle ne peut être justifiée que par des motifs impérieux : un danger majeur pour la sécurité du monde, des violations caractérisées du droit international. Ce furent ces raisons qui, en 1991, nous conduisirent à approuver une intervention militaire, en Irak, après l'invasion du Koweït ; ce furent ces raisons qui nous convainquirent de participer aux opérations du Kosovo, puis qui, après les abominables attentats du 11 septembre, justifièrent l'intervention des Nations unies pour renverser le régime des talibans, dès lors que les liens de celui-ci avec Al Qaïda étaient non seulement démontrés, mais encore proclamés.
Nous sommes pour la paix : c'est notre tradition, notre volonté, notre aspiration. Mais nous avons toujours su prendre nos responsabilités en acceptant le conflit, avec ses risques, chaque fois qu'il pouvait permettre de préserver la stabilité et la primauté du droit. Aujourd'hui, cependant, rien ne justifie une guerre. Tout, même, commande de la prévenir, de l'empêcher.
Les motifs impérieux - nous sommes unanimes sur ce point - font défaut : il n'a pas été prouvé que l'Irak aurait encore des armes de destruction massive avec la capacité de les utiliser. Les inspections ont pu reprendre et ont produit plus de résultats que l'intervention militaire de 1991. Les inspecteurs doivent disposer du temps nécessaire à leur travail, temps évalué aujourd'hui même à plusieurs mois par Hans Blix. En dépit de ce qu'affirment les Etats-Unis, aucun lien n'a pu être établi entre le régime irakien et Al Qaïda. Dès lors, pourquoi faire la guerre ? Le désarmement par la paix progresse et les voisins de l'Irak ne sont pas directement menacés.
Et comment faire comprendre aux opinions arabes notamment que le désarmement devrait, en Irak, être imposé par la force alors qu'il est entravé en Corée du Nord ou simplement ignoré au Pakistan, deux pays dotés, eux, de l'arme nucléaire ? Comment faire admettre qu'une guerre serait nécessaire pour chasser un dictateur lorsqu'on en tolère, encourage, voire utilise tant d'autres, notamment dans cette même région du monde ? Comment faire partager l'idée d'une intervention militaire au prétexte que les résolutions des Nations unies seraient insuffisamment respectées, lorsque la seule puissance capable de se faire entendre dans la région reste indifférente à bien d'autres manquements tout aussi graves ? Pourquoi deux poids et deux mesures, comme le demandait déjà François Mitterrand en 1991 ?
Nous devons donc continuer dans la voie du désarmement par la paix. La France a pris en ce sens des initiatives que les Nations unies ont approuvées. Il faut soutenir jusqu'au bout ce refus de la guerre.
Celle-ci aurait bien évidemment des conséquences graves pour la population irakienne, Saddam Hussein étant habile à susciter une sorte de solidarité sordide en pleine tragédie humaine. Le pays serait déstabilisé, menacé d'éclatement. La Turquie pourrait être tentée d'intervenir au Kurdistan, l'Iran de voler au secours des chiites. Au lieu de prévenir la menace terroriste, on l'aggraverait. Enfin, cette intervention consacrerait l'unilatéralisme américain, les Etats-Unis décidant désormais seuls du sort du monde, en fonction de leurs propres critères ou intérêts.
Ce qui est en cause, c'est donc bien plus que le désarmement - nécessaire - de l'Irak ou le renversement - souhaitable - de Saddam Hussein : ce sont une conception du monde, une forme de régulation des conflits internationaux, le rôle des Nations unies, la primauté du droit. Il faut par conséquent engager la bataille pour la paix et le droit, en croyant en notre capacité de la gagner. Nous pouvons et nous devons l'emporter, comme l'affirmait avant-hier le chancelier Schröder.
De nombreux pays, en effet, s'opposent au recours à la force, et il est des circonstances où seul compte l'essentiel : les valeurs, les principes, le respect du droit, la République et la paix. Et, sur ce qui nous paraît nécessaire, juste et utile, il convient de nous rassembler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
M. François Bayrou - Très bien !
M. François Hollande - Nous avons, Monsieur le Premier ministre, suffisamment de critiques à adresser à votre politique économique et sociale pour joindre aujourd'hui tous nos efforts aux vôtres, s'agissant d'une question aussi cruciale que la paix et la guerre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains)
La France est forte chaque fois qu'elle est unie sur une ligne claire. Puisque nous pouvons aujourd'hui défendre les mêmes positions avec l'appui d'une majorité de Français, ne nous privons pas de cette chance. Des foules considérables se sont mobilisées ces dernières semaines, en particulier dans les pays dont les gouvernements étaient plutôt enclins à suivre les Etats-Unis, mais aussi aux Etats-Unis mêmes. Cette mobilisation, cette prise de conscience citoyenne est un atout décisif !
Le choix est entre une deuxième résolution, à l'initiative des Etats-Unis, et le renforcement des inspections. Tout doit être fait pour éviter une deuxième résolution ou, si elle était déposée, pour constituer une majorité afin de la repousser. Mais, dans ce dernier cas, nous devons savoir que les pressions vont s'intensifier sur les pays récalcitrants, que les Etats-Unis vont essayer d'assimiler le refus de ce texte à un soutien, ne serait-ce qu'implicite, à Saddam Hussein. Le succès dépend donc de notre détermination. La France doit aller, le cas échéant, jusqu'au bout : jusqu'à user de son droit de veto, pour éviter l'aventure, la fuite en avant et le déchaînement des passions et des armes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).
Le veto, ce n'est pas seulement une arme de dissuasion, une menace, un chantage ou une agression. C'est le fait de dire non à la guerre préventive (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains). C'est le moyen de refuser une couverture légale à une intervention illégitime, de ne pas couvrir du drapeau des Nations unies une cause qui n'est que celle de l'administration Bush ! (Mêmes mouvements) Y recourir serait dans la logique de la position adoptée par la France, qui considère sincèrement cette guerre comme inutile et dangereuse.
Nous n'en sommes certes pas encore là, mais le moment décisif approche. C'est pourquoi, au nom des socialistes, je demande qu'un autre débat soit prévu ici, cette fois avec vote, avant que la France n'ait à faire connaître sa décision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains).
Exclure, dès à présent, a priori le veto, comme certains le font, serait affaiblir notre position dans la négociation diplomatique qui s'engage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP). On nous objectera que notre opposition entraînerait une rupture irréversible avec les Etats-Unis. Mais ce ne serait pas la première de notre histoire récente : souvenons-nous de notre départ de l'organisation militaire en 1966 ou de notre contentieux à l'époque de la guerre du Vietnam.
Chaque fois, nous avons réussi à surmonter ces conflits parce que nos deux pays sont liés par leur histoire, par des dettes respectives, et partagent, heureusement, sur les libertés, les mêmes valeurs. Mais il ne s'agit pas là d'un conflit d'intérêts, ni d'un défaut de solidarité d'un allié à un maître. Nous avons dit notre horreur face aux attentats du 11 septembre. Il s'agit, entre les Américains et les Français - et je l'espère, les Européens -, d'une divergence sur la conception du monde et l'utilisation de la force. Celle des Etats-Unis est dominatrice et déstabilisatrice. La crise irakienne est à cet égard décisive. Si elle se dénoue par la force, le processus ne s'arrêtera pas. De nouvelles crises surgiront, et il ne sera plus possible d'arrêter la stratégie américaine à l'échelle de la planète. Si en revanche, elle se dénoue par la négociation au sein de l'ONU, la communauté internationale en sortira renforcée.
Certes, le rejet par le Conseil de sécurité de la résolution américaine peut ne pas décourager George Bush d'intervenir unilatéralement. Mais il sait aussi combien ce choix serait périlleux. Lors de l'ouverture du conflit, mais plus encore dans l'après-guerre. Comment gérer celle-ci dans la région sans la caution de l'ONU, sans la participation de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Nous détenons là un moyen de dissuasion essentiel, pour faire prévaloir le droit au Conseil.
Reste la question de Saddam Hussein. Vouloir la paix ne signifie pas tolérer son régime. C'est un dictateur de la pire espèce qui a tué des opposants et détourné les produits financiers du " pétrole contre nourriture ". Il faut donc continuer la pression, l'obliger à détruire les armes, soutenir l'opposition démocratique et s'efforcer de détacher son peuple de ce dictateur. Sans doute le mieux serait-il qu'il parte, et même qu'il soit jugé par la Cour pénale internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), cette CPI que, paradoxalement, les Etats-Unis ne reconnaissent pas ! Comment proclamer l'ingérence pour chasser un dictateur quand on ne reconnaît pas la justice internationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)
Pour nous, la paix n'est pas l'impunité, comme la guerre n'est pas la justice. Mais la crise que nous traversons nous oblige, quelle que soit l'issue, à repenser le rôle des Nations unies et l'avenir de l'Europe.
Les institutions internationales doivent être renforcées, c'est la condition indispensable pour la paix, mais aussi pour le développement, la stabilité financière et la préservation de la planète. Cela exige de compléter les traités, d'amplifier les moyens et de démocratiser le fonctionnement des institutions internationales.
Face à la stratégie américaine, qui n'est rien d'autre que le retour de l'impérialisme et de l'unilatéralisme, avec en outre un élément personnel, presque religieux, apporté par George Bush, il convient de mettre en place un monde multipolaire fondé sur le droit, seule protection du faible contre le fort.
La France doit promouvoir le droit international, mais aussi les institutions internationales et leur capacité d'agir. La lutte pour une autre mondialisation est inséparable de la lutte pour la paix. C'est le même combat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
De même, nous ne pouvons rester silencieux sur la question du Proche-Orient. Aucune initiative n'y a été prise ces derniers mois. Aucune pression n'a été exercée, notamment sur le gouvernement israélien. Là encore la France doit jouer son rôle, sans se borner à dire aux uns et aux autres ce qu'ils ont envie d'entendre.
L'Europe, enfin, sort affaiblie de l'épreuve de ces dernières semaines. L'unanimisme de façade n'a pas résisté et la solidarité atlantique a prévalu sur la solidarité européenne. Un grand débat doit s'ouvrir sur le projet européen. Voulons-nous une Europe réduite au marché, ou une Europe solidaire ? Voulons-nous une Europe dotée d'un projet de développement, ou une Europe qui se protège ?
La discussion doit s'ouvrir aussi sur les institutions, et pas seulement sur la présidence européenne. Nous devons aller jusqu'au bout du débat sur la défense européenne et sur l'élargissement. Les travaux de la Convention devront être prolongés autant qu'il le faudra, car la question est capitale. Et dans ce grand débat, sachons respecter les positions de chacun, en évitant entre Européens la condescendance que nous reprochons aux Américains à notre endroit (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Sachons comprendre l'histoire et la géographie de nos principaux partenaires pour ne pas les traiter comme des enfants. Mais le pire serait d'esquiver le débat, de nier nos divergences. Faisons vivre le couple franco-allemand, mais sans oublier de parler et d'agir avec tous. Il faut refonder une dynamique européenne à vingt-cinq, mais aussi commencer à travailler avec l'avant-garde européenne qui peut permettre de faire un saut vers une Europe plus forte et plus solidaire.
Nous vivons un moment important de l'histoire du monde qui va au-delà de la seule question irakienne. Il ne s'agit pas seulement d'éviter une guerre, mais une série de conflits suscités au nom d'un ordre du monde décidé unilatéralement, par une seule puissance.
Il ne s'agit pas seulement d'empêcher les Etats-Unis d'intervenir en Irak, mais de régler par la paix un problème posé à l'ensemble de la communauté internationale, celui du désarmement. Il ne s'agit pas uniquement d'arrêter une crise, mais de préserver la stabilité du monde. L'ONU joue là son avenir dans la période de l'après-guerre froide. L'Europe est l'instrument d'un monde multipolaire, elle ne peut être une simple union d'intérêts marchands. De la capacité de l'Europe à intervenir dépend aussi la stabilité du monde. Enfin, la France doit porter son message universel, celui de la paix, du droit, et de la justice internationale contre la force. Nous, socialistes, voulons que cette position soit tenue jusqu'au bout, sans relâche, ni faiblesse. Notre engagement ne variera pas. Ce sera toujours " Non à la guerre ! ", et je souhaite que ce soit aussi celui de la France (Les députés socialistes se lèvent et applaudissent longuement).
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 28 février 2003)