Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France-Inter le 24 février 2009, sur la réforme du statut d'enseignant chercheur et l'autonomie universitaire.

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Média : France Inter

Texte intégral


N. Demorand - La tension reste vive, c'est peu de le dire, avec les chercheurs et les étudiants. Pourquoi ne déclarez-vous pas clairement ce matin que le décret modifiant le statut des enseignants chercheurs est caduc, mort et enterré ?
Mais parce que je crois que, sur cette question du statut des enseignants-chercheurs, le statu quo est impossible. Et d'ailleurs la situation actuelle est dénoncée par tous, par tous les membres de la communauté universitaire. Ils considèrent que ce décret, qui date d'il y a 25 ans, est un décret rigide, inadapté, pour tenir compte de toutes les activités qu'exercent un enseignant chercheur aujourd'hui puisqu'il ne parlent que de la présence devant les étudiants et de l'activité de recherche, mais il exclut toute la pédagogie, il exclut absolument toutes les activités de formation continue, d'enseignement par Internet...
Mais ils refusent le décret que vous leur proposez...
Mais je crois que la seule issue sur cette question du statut, c'est le dialogue, et c'est pour cela que je recevrai, et j'ai invité vendredi prochain toutes les organisations syndicales représentatives à venir au ministère. J'ai invité aussi évidemment les présidents d'universités, et nous travaillerons autour de la médiatrice pour nous mettre d'accord sur des orientations, les grandes orientations du futur statut.
Et les collectifs "Sauvons la recherche", "Sauvons l'université", sont invités également à cette table ronde ou pas ?
Ma porte est toujours ouverte. Tous ceux qui souhaitent me rencontrer viennent me voir librement, et je reçois absolument tout le monde, et y...
Mais pas à cette table ronde ?
...et y compris les collectifs. Mais s'agissant de discuter des dispositions d'un décret statutaire, vous comprendrez bien que le dialogue social doit s'exercer en priorité avec les organisations représentatives, légitimes, élues, de la communauté universitaire. C'est d'abord à elles que la médiatrice doit rendre compte de son travail, et doit rendre compte des grandes orientations du texte. Sachant qu'on s'appuie sur des principes qui ont été réaffirmé par le président de la République : l'autonomie des universités, l'évaluation des enseignants chercheurs, et en même temps plus de souplesse et plus de transparence, plus d'équité.
Prenons les choses point par point : "sauvons la recherche", "sauvons l'université", ne sont pas représentatives pour vous aujourd'hui dans le climat actuel ?
Non, ce que je dis c'est que ce ne sont pas des organisations syndicales représentatives, c'est-à-dire qu'elles ne présentent pas de listes aux élections des enseignants chercheurs, elles ne sont pas élues par des enseignants chercheurs. Elles expriment des préoccupations de la communauté, ces préoccupations elles sont tout à fait légitime à venir les exprimer auprès de moi, ma porte est grande ouverte, et ils le savent puisque je les ai déjà reçus.
Le décret tant décrié ne sera pas présenté au Conseil d'Etat.
Le projet de décret sur lequel travaille la médiatrice sera celui qui sera examiné en temps et heure par le Conseil d'Etat. Mais le Conseil d'Etat...
Mais celui qui a semé la zizanie, de fait, ne sera pas présenté au Conseil d'Etat ?
Mais attendez, ça veut dire quoi "présenté au Conseil d'Etat" ? Le Conseil d'Etat est un organe de consultation juridique qui vérifie que les textes qui vont être publiés par le Gouvernement sont conformes à la loi et à la Constitution. Il se prononce en droit, c'est une instance de préparation des textes du Gouvernement. Il ne s'agit pas d'une présentation en Conseil des ministres, il s'agit du travail gouvernemental.
Oui, bien entendu...
C'est un acte préparatoire du travail gouvernemental. Bien entendu...
On est d'accord, mais au stade de la préparation où on est aujourd'hui, le décret, celui qui a semé la zizanie et qui n'est pas encore réécrit, n'est pas, ne sera pas présenté au Conseil d'Etat ?
Alors, je le redis autrement...
C'est une citation du député UMP, D. Fasquelle, qui dit qu'"il faut lever l'ambiguïté à un moment sur le sujet"...
Alors, je lève toute ambiguïté. La médiatrice est en charge de retravailler ce texte pour trouver des voies de passage, selon les principes fondateurs que je viens de rappeler - autonomie, évaluation et souplesse, transparence. Et le nouveau texte qu'elle présentera sera celui qui traversera toutes les procédures, et donc sera soumis au Conseil d'Etat...
Le nouveau texte ?
Le nouveau texte.
La coordination nationale étudiante demande maintenant l'abrogation de la loi LRU. Que répondez-vous à cette coordination ?
Mais je crois que, on sent bien aujourd'hui qu'il y a dans la rue un certain nombre d'acteurs qui aimeraient rejouer le match, pour ou contre l'autonomie des universités. Mais je crois que cette loi sur l'autonomie, d'abord, elle a été votée, et je crois que le débat sur l'autonomie - est-ce une bonne chose, est-ce une mauvaise chose ? -, il est finalement derrière nous. Parce que, on a aujourd'hui 20 universités autonomes qui jouissent de ces nouvelles libertés et de ces nouvelles responsabilités, et je crois que il n'y a pas de retour en arrière possible dans la mesure où cette marche vers l'autonomie de toutes les universités de monde, c'est la marche de toutes les universités européennes. Pendant la présidence française, il y a eu un vote d'une résolution au niveau européen pour dire que l'autonomie des universités était...parce que ça donne davantage de liberté, ça permet toutes les initiatives, ça permet d'être un acteur scientifique à part entière, donc c'est important d'être autonomes. Et en même temps, ça donne de la responsabilité, et pour les étudiants c'est important.
Et donc, pas de retour en arrière sur ce point, on vous a bien entendue...
Je crois surtout que c'est fait. Il devait y avoir une université autonome, allez leur dire aujourd'hui que vous leur retirez leur nouvelle liberté !
Confirmez-vous, c'est l'un des points aussi très durs, dans les mobilisations de chercheurs, la suppression de ces fameux 900 postes ?
Sur les questions des emplois, il faut que, vraiment, on soit clairs. En 2008, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a été totalement préservé en matière d'emploi, il n'y a eu aucun...enfin on a été exonérés de cette règle, qui s'applique à tous les ministères, du non remplacement d'un départ sur deux en retraite, en 2008. Je vais même aller plus loin, en 2008, pour les jeunes doctorants, j'ai crée 2.100 supports de monitorats, c'est-à-dire 700 emplois en équivalent temps plein. Donc, à la rentrée 2008, il y a eu 700 emplois équivalents temps plein supplémentaires dans l'Enseignement supérieur. Ça, c'est la première chose. En 2009, là encore, comme l'Enseignement supérieur est une priorité du Gouvernement, nous ne sommes pas soumis à la règle du 1 sur 2 mais à la règle du 1 sur 6, et donc, ça veut dire...
Mais pourquoi 1 sur 6, il y a un sureffectif dans l'Enseignement supérieur pour supprimer des postes ?
Non, il s'agit... Je me suis toujours battue pour que l'Enseignement supérieur et la Recherche soient reconnus comme une priorité, et je continuerai à me battre pour que ce soit une priorité. Mais c'est une décision...
Mais vous avez perdu sur ce point ou pas ?
...mais c'est une décision qui est interministérielle, c'est une politique gouvernementale, et le ministère ne pouvait pas se mettre complètement en dehors de l'idée de la bonne gestion des emplois publics. Mais vous savez...
Mais est-ce qu'il y a sureffectif, parce que si on supprimes des postes ou qu'on ne les renouvelle pas, c'est parce que il y en a trop ? Donc, est-ce qu'il y a sureffectif à l'université ? Et si non, pourquoi est-ce qu'on supprime des postes ?
Il y a une question de bonne gestion des ressources humaines derrière. Je vais vous donner un exemple : aujourd'hui, dans ces questions de non renouvellement de départs en retraite, je n'ai pas demandé, je n'ai demandé à ce qu'on ne me rende aucun emploi d'enseignants chercheurs. En revanche, aujourd'hui nous avons des pyramides de gestion du personnel dans l'université qui sont très déséquilibrées. Nous avons beaucoup trop d'agents de catégorie C, dont un certain nombre...
La base de la fonction pyramide, donc.
Voilà, la base de la pyramide, dont un certain nombre ont des fonctions qui sont assez éloignées du coeur de la mission de service public de l'Enseignement supérieur. Je pense aux fonctions de gardiennage, aux fonctions de standardistes, aux fonctions d'entretien. Ces fonctions-là peuvent être externalisées. En revanche, de quoi a besoin l'université aujourd'hui ? Elle a besoin de personnels d'encadrement, et elle a besoin de plus de cadres de catégorie B, administratifs, pour aider les enseignants-chercheurs dans leur mission. Donc, ce que nous faisons, excusez-moi, c'est du jargon, mais nous faisons une politique de hausse des qualifications dans l'université. Et ce que je propose aux universités cette année, c'est de me rendre deux postes de catégorie C pour créer un poste de catégorie A, un directeur des ressources humaines, un directeur du contrôle de gestion, un spécialiste de l'insertion professionnelle. Nous avons besoin de plus de cadres dans des universités autonomes.
Autre point, et ce point-là est plutôt sur le bureau de X. Darcos, la question de la réforme des concours, de la masterisation. Là aussi, ce sont des sujets complexes mais qu'on entend très fortement dans cette mobilisation des chercheurs et des étudiants. Que pouvez-vous faire là-dessus, vous êtes comptable de quelque chose qui vous échappe, non ?
D'abord, il faut rappeler l'objectif, qui est de recruter désormais, au XXIème siècle, tous les maîtres, professeurs des écoles et professeurs du second degré, à bac + 5. Pourquoi ? Mais parce que, tout simplement, le niveau des connaissances s'élève, tout simplement, parce qu'il nous faut des maîtres mieux formés devant nos enfants. Et cette réforme de la masterisation, donc avoir un diplôme de master pour devenir professeur des écoles ou enseignant du second degré c'est une bonne réforme. C'est une bonne réforme pour les élèves, et c'est une bonne réforme pour nos futurs étudiants qui vont devenir professeurs et qui auront une meilleure formation. Donc, d'abord, c'est une bonne réforme, et tout le monde le dit. Simplement...
Sauf ceux qui sont dans la rue !
Non, mais après, il y a comment on le fait ? Et là, les universités ont une responsabilité [inaud], leur ministre aussi, par construction, c'est que les universités sont désormais le lieu naturel de la formation des maîtres. Les instituts universitaires de formation des maîtres ont été intégrés dans l'université. C'est une réforme très profonde, et pour eux c'est une chance, parce que ils deviennent vraiment, à part entière, des composantes de l'université, ils vont pouvoir faire de la recherche, ils vont pouvoir s'impliquer davantage. Donc, je crois qu'il y a toute une réforme profonde de cette formation des maîtres, et mon engagement c'est que la formation des maîtres au XXIème siècle soit une formation à la fois académique, de grande qualité, et en même temps professionnalisante. Et c'est là que nous gérons le dossier en commun avec X. Darcos, c'est que lui doit proposer des stages, il doit proposer des bourses pour que les étudiants plus défavorisés puissent assumer cette année supplémentaire d'études, et il doit proposer une vraie formation en alternance dans le cadre des masters. Je fais confiance aux universités pour assumer leurs responsabilités, parce qu'elles savent que c'est un enjeu majeur pour elles, la formation des professeurs.
Dernière question, vous pensez pouvoir emporter ce train de réformes contre les personnels auxquels la réforme s'adresse ?
Je crois que la seule issue dans ce débat, dans cette réforme, c'est le dialogue. Je veux continuer à faire avancer la réforme. Je pense que, au fond, toute la communauté universitaire sait que c'est la bonne direction l'autonomie, qu'il faut l'accompagner, qu'il faut que l'Etat soit présent. L'autonomie ce n'est pas le désengagement de l'Etat. Et quand on met sur la table, excusez-moi, un budget qui augmente de 9 %, en crédits budgétaires - je ne parle pas du crédit impôt recherche -, 9 %, dans une année où il n'y a que 1,5 % d'inflation, et qui a 0 % de croissance, ça veut dire qu'on fait de l'enseignement supérieur et de la recherche une priorité nationale.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2009