Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la chanson française et la création artistique, Paris le 21 juin 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Remise du 1er prix "Barbara" à Paris le 21 juin 2010

Texte intégral

Il est toujours un peu délicat de remettre à un jeune artiste un prix qui porte le nom d'une grande gloire de son art. Parce que, d'un côté, bien sûr, il s'agit toujours d'un grand honneur, celui d'être placé dans la lignée des meilleurs. Mais, d'un autre côté, il y a évidemment un risque de se sentir assigné, défini trop tôt, trop vite, surtout pour une jeune chanteuse qui, par définition, n'a pas encore eu le temps d'explorer toutes les pistes d'une créativité qui démarre sur les chapeaux de roue.
Et pourtant, sans m'arrêter au risque d'attenter à la magie fragile d'un artiste naissant en l'enfermant trop tôt dans une tradition, j'ai tenu à créer ce « Prix Barbara » à l'occasion de cette édition 2010 d'une Fête de la musique « au féminin ». Je l'ai souhaité pour deux raisons.
D'abord, parce que je tenais absolument à rendre hommage à l'immense chanteuse qui aurait eu aujourd'hui 80 ans, presque jour pour, et dont les mélodies, les textes et la voix inoubliable nous accompagnent depuis des années, tous les jours, qui appartient à notre univers familier à chacun, qui est devenue une partie de nous-mêmes et de nos émotions. Créer un Prix à son nom, à elle qui a disparu il y a déjà 13 années, c'était presque la moindre des choses pour rendre plus visible encore cette présence sensible qui ne nous a jamais quittés.
En même temps, ce prix, je ne souhaitais pas qu'il soit simplement une célébration tournée vers le passé, si éternel soit-il. Je souhaitais qu'en récompensant une jeune interprète, auteure ou compositrice pour son premier album, il constitue une manière de faire le lien entre toutes les générations du talent. Une manière aussi de tordre le cou à certaines CASSANDRE qui voudraient nous faire croire à un prétendu « déclin » de notre culture, de notre chanson française et de cette chanson à texte qui a porté, partout dans le monde, les couleurs de notre musique populaire.
Chaque année, désormais, ce prix célébrera donc, en somme, deux artistes : BARBARA, « telle qu'en elle-même enfin l'éternité la change », et un ou une jeune artiste française qui, par son talent, peut lui être affiliée. Chaque année, ce jeune artiste sera comme éclairé par le « soleil noir » de cette grande écorchée vive qui a marqué à jamais notre sensibilité. Et en même temps, à chaque fois je l'espère, c'est BARBARA aussi qui réapparaîtra un peu, rajeunie au miroir de ces voix nouvelles. Nous sentirons ainsi, à chaque fois, le mouvement et la continuité de la chanson française.
Bien sûr, je ne pouvais remettre ce « prix BARBARA » et vouloir perpétuer sa mémoire vivante dans ses descendances électives, sans rassembler la grande famille de la chanteuse. Je pense à son fidèle pianiste Gérard DAGUERRE, à Liane FOLY, à Marie-Paule BELLE qui lui consacre son dernier spectacle, à son complice de toujours Richard GALLIANO, je pense à Gérard DEPARDIEU, l'inoubliable DAVID de « LILY PASSION », mais aussi à chacun des membres du jury qui a su tisser, au plus près, ou de façon plus indirecte mais tout aussi intense, un lien indéfectible avec BARBARA...
J'imagine qu'entre toutes ces éclosions et ces explosions de jeunes talents, le choix du jury n'a pas été bien facile... Et finalement il s'est porté sur une jeune artiste qui a été la grande révélation de l'année 2009, Carmen Maria VEGA.
« Carmen Maria VEGA » : peut-on imaginer un nom mieux prédestiné à une grande carrière de chanteuse ? « Carmen », à la fois le chant et le charme... un charme forcément hispanique - pour vous qui êtes née au Guatemala -, un charme tonique et acidulé où la gouaille vient salutairement chahuter ce que le charme pourrait avoir de trop facile ou de trop lisse.
Chère Carmen, Valéry ZEITOUN du Label AZ ne s'y est pas trompée, car vous renouvelez la tradition de la chanson française de bien des manières, et d'abord sans doute par vos partis pris rythmiques et le recours au jazz manouche - à l'honneur, d'ailleurs, cette année, où nous fêtons le centenaire de la naissance de Django REINHARDT. Ce « swing » donne une nouvelle jeunesse à l'avatar de la chanson réaliste que vous nous offrez. Je pense non seulement à la rapidité du tempo, mais aussi aux changements de rythme qui épousent les inflexions de vos fables du quotidien. Ils nous communiquent une vigueur qui fait du bien, une vraie jouvence pour les oreilles et pour le corps, vivifiante comme l'air frais, corrosive et caustique juste ce qu'il faut. C'est votre côté « pile électrique » qui est, je dois dire, parfaitement conducteur... Ces accélérations qui vous entraînent dans une volubilité jubilatoire, un peu comme dans le scat : pas besoin d' « Antidépresseurs », assurément, quand on a le bonheur de vous écouter, tant vous nous distribuez d'énergie à la volée et à pleine voix... !
Vous nous montrez que, loin de s'effacer dans l'Autre, la chanson française revient enrichie et ravigotée de ses détours par le jazz, par le rock ou par le punk...
Et comme vous mariez les influences, vous unissez les sensibilités autour de vous. « Carmen Maria Vega », ces trois noms évoquent, bien sûr, un collectif, une rencontre, un vrai groupe, qu'on appelle souvent, d'ailleurs, « Les Carmen ». Chacun est indispensable déjà au spectacle. Il suffit de les voir paraître sur scène, ces grands échalas autour de leur petite soeur, cette petite boule de nerfs qui est aussi une comédienne née, pour être captivé, amusé, fasciné.
Chacun est indispensable à tous les ingrédients de votre succès. Je pense à Max LAVEGIE, votre guitariste et votre « plume », l'auteur de ces textes taillés sur mesure pour révéler votre présence et déployer toutes les possibilités de cette jeune femme d'aujourd'hui, multiple et attachante, que vous incarnez si bien. Il y a aussi Alain ARNAUDET et sa contrebasse ébouriffante, ainsi que la batterie à la fois souple et impulsive de Thomas MILTEAU. J'y ajoute Vincent CARPENTIER, Fred JAILLARD et Xavier BUSSY les trois réalisateurs de votre album, dont je salue le travail.
Avec vos musiciens, chère Carmen, dans une sorte d'alchimie effervescente, c'est un peu comme un « boeuf » perpétuel pris sur le vif, dans sa spontanéité volontiers rebelle qui dérange sans brutaliser, qui secoue nos habitudes et fait bouger les lignes mélodiques et musicales. Ce sont à chaque fois aussi un peu comme des « stand-up » développant, en musique, des saynètes improvisées, riches en satires fugaces et en rebondissements hilarants. De la fable du cuisto qui se fait damer le pion par le « nouveau » auprès de la serveuse au récit de la craintive qui ne veut pas sortir le soir par peur de l'insécurité et qui finit dans les bras de son ambulancier, le public aime ces récits déjantés que vous lui offrez dans des tournées marathon généreuses. Il en redemande, de ce mélange étonnant et détonnant de charme et d'énergie, de ce personnage métissé au profil d'« Andalouse » idéale et à l'insolence « franchouillarde » savamment distanciée...
Mais vous explorez aussi d'autres tonalités. Vous retrouvez ainsi, dans les moments plus calmes et plus sentimentaux, les accents des grandes chansons d'amour, comme dans « En attendant », qui est un peu déjà votre « Ne me quitte pas » ou, pour revenir à BARBARA, votre « Dis quand reviendras-tu ? » à vous.
Votre sens viscéral de la scène ne vous empêche pas de recourir aux technologies de pointe, comme dans le clip de « La Menteuse », particulièrement réussi, dans sa manière de juxtaposer le monde réel et le monde imaginaire, avec vous au milieu, telle une démiurge de ses propres délires communicatifs... Vous y faites d'ailleurs la révélation que vous étiez « la fille de MITTERRAND », je ne savais pas duquel vous vouliez parler, mais en tout cas, pour moi, c'est clair, je vous adopte ! Et même si vous refusiez, ce n'est pas grave, vous pourrez toujours continuer à dire fièrement : « j'connais des gens au ministère »...
Voilà. C'est pour votre humour, votre talent, parce que vous savez faire vivre la chanson française de manière trépidante et originale, à la fois dans la lignée de BARBARA et selon vos propres lignes mouvantes et émouvantes à vous, que je suis particulièrement heureux, chère Carmen Maria VEGA, de vous remettre aujourd'hui, à l'occasion d'un Fête de la Musique placée sous le signe des Femmes, ce premier « Prix Barbara » de la chanson.
Je vous remercie.

Source http://www.culture.gouv.fr, le 22 juin 2010