Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires économiques,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La crise agricole que nous vivons marque la fin de trente ans d'histoire agricole française et européenne. Elle marque un tournant majeur pour notre agriculture.
Nous tous ici, Parlementaires ou membre du Gouvernement, notre responsabilité est de défendre un secteur stratégique pour notre Nation. Je veux dire ici, au moment où nous commençons l'examen d'une loi qui sera décisive pour ce secteur, que je crois dans les forces et dans les atouts de l'agriculture française.
Agriculture ne veut pas dire seulement tradition et passé.
Agriculture veut dire aussi innovation, recherche, compétitivité et développement durable.
Agriculture en France veut tout simplement dire avenir.
Encore faut-il que nous soyons lucides sur la nouvelle donne agricole mondiale qui est en train de se dessiner.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c'est une volatilité des prix insupportable pour la grande majorité des agriculteurs. En un an, le prix du blé peut passer de près de 300 euros la tonne, à 100 euros à peine. En un an, le prix du lait peut passer de plus de 400 euros la tonne, à moins de 230 euros. En un an, le prix des matières premières peut varier de 50 à 80 %.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, ce sont aussi de nouveaux acteurs, comme l'Inde, la Chine, le Brésil et la Russie.
Hier, nous avions peu ou pas de concurrents quand nous exportions du blé à destination de l'Egypte, du Maroc, de l'Algérie ou d'autres pays africains. Aujourd'hui, nous devons compter avec tous les pays du bassin de la Mer Noire.
Hier, nous n'avions pas à nous soucier de la production de beurre et de poudre dans des pays éloignés comme la Nouvelle Zélande. Aujourd'hui, nous savons qu'une production excédentaire dans ce pays peut déstabiliser tout le marché mondial.
Hier, nous étions seuls à maîtriser certaines techniques de production agricole. Nous savons aujourd'hui que le Brésil, la Chine ou l'Inde sont sur le point de les maîtriser aussi bien que nous, certains les maîtrisent déjà, d'autres sont parfois capables d'aller plus loin.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c'est aussi une politique agricole commune en cours de redéfinition.
En 1957, notre seul objectif était de produire le plus possible pour nourrir chacun. Le seul moyen était une gestion administrée de l'offre.
Demain, nous devrons répondre à la demande. Demain, nous devrons nous adapter toujours plus aux exigences du consommateur.
A monde nouveau, agriculture nouvelle.
Il est temps de donner les moyens à notre agriculture de relever les défis immenses auxquels elle doit faire face : le défi de la volatilité pour stabiliser les revenus des agriculteurs ; le défi de la compétitivité pour redonner de la puissance à notre agriculture face à la concurrence de nouveaux acteurs ; le défi de l'environnement et de la sécurité sanitaire enfin, pour répondre aux attentes des consommateurs et pour prendre en compte les impératifs de développement durable et de sécurité sanitaire.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui est soumise à votre examen, vient donc à un moment décisif pour notre agriculture. Elle donnera aux agriculteurs les instruments nécessaires pour faire face à cette nouvelle donne agricole mondiale.
Notre agriculture a d'abord besoin d'un cap politique. Ce cap, c'est l'alimentation.
C'est une évidence, la fonction première de l'agriculture est de nourrir. La légitimité de notre agriculture tient donc à la qualité de l'alimentation que nous apportons à tous les Français. C'est pour cela que le Gouvernement a tenu à ce que le Titre 1er de la loi mette en place une politique publique de l'alimentation. Cette politique publique doit garantir une alimentation saine à tous les Français en rassemblant des instruments d'intervention jusque-là dispersés.
Elle reposera sur des objectifs nutritionnels contraignants et contrôlés pour la restauration collective en particulier scolaire et universitaire. Personne ne peut se résigner à l'augmentation de l'obésité en France, même si elle est mieux contenue que dans d'autres pays développés. Personne ne peut se résigner à ce que ce problème de santé publique se concentre sur les personnes aux revenus les plus faibles.
La question de l'alimentation est avant tout une question sociale.
Cette politique publique de l'alimentation défendra aussi un nouveau modèle de commercialisation des produits pour mettre fin aux aberrations que nous constatons tous : il n'est pas raisonnable que des produits agricoles parcourent en moyenne 2000 km avant de se retrouver sur la table du consommateur.
Nous développerons donc les circuits courts en modifiant le code des marchés publics et en préservant les terres agricoles à proximité des grandes agglomérations.
Au-delà de ces mesures, c'est un modèle alimentaire que nous voulons défendre : contre l'uniformisation des produits, nous défendons la diversité du goût. Contre la confusion de l'origine et des labels, nous défendons la transparence et l'identification des produits.
Mais il n'y aura pas d'alimentation sans agriculteurs et pas d'agriculteurs sans un revenu stable et décent pour chacun d'entre eux. Le premier objectif de la loi que le Gouvernement vous présente aujourd'hui, c'est donc de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail.
Il n'est pas acceptable que des milliers de producteurs en France vendent leurs produits en dessous de leur coût de production. Il n'est pas acceptable que des biens agricoles qui ont demandé de la patience, du temps et de l'énergie soient produits à perte.
Pour atteindre cet objectif, nous devons changer de modèle économique. Trop de producteurs investissent des sommes considérables pour moderniser leurs exploitations, pour se doter d'équipements performants, sans savoir ce qu'ils vont toucher à la fin du mois. Nous devons leur donner de la visibilité sur leurs revenus. La mise en place de contrats écrits obligatoires avec un prix, avec un volume, avec une durée, leur donnera cette visibilité.
Je connais bien entendu les inquiétudes des producteurs par rapport aux contrats. Je veux leur dire que nous avons entouré ces contrats de toutes les garanties nécessaires.
Première garantie : ce sont les interprofessions qui négocieront en première instance les contrats pour respecter les particularités de chaque filière.
Deuxième garantie : les pouvoirs publics garderont une capacité d'examen sur la mise en oeuvre de ces contrats.
Troisième garantie : les interprofessions pourront fixer des indicateurs de tendance de marché qui serviront à la conclusion des contrats.
Ce modèle de contrat, j'en suis convaincu, ne se limitera pas à la France. Il deviendra une référence en Europe. Il a déjà fait déjà l'objet d'une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne.
Je veux être clair aussi sur un point : les contrats seuls ne feront pas tout. Ils devront s'appuyer aussi sur une régulation des marchés à l'échelle européenne, pour stabiliser les prix et pour nous permettre de réagir en cas de crise. Un observatoire des volumes, de nouveaux outils de gestion de marchés, des instruments d'intervention plus flexibles et plus efficaces à l'échelle européenne me paraissent donc indispensables. Nous avons engagé ce combat pour la régulation des marchés à l'échelle de l'Union européenne, nous le mènerons jusqu'au bout.
Face à la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires, nous devons aussi offrir des garanties plus solides aux producteurs.
Les dérèglements climatiques, l'intensification des échanges, la spéculation sur les marchés de matières premières ont conduit depuis quelques années à des phénomènes de sécheresse ou d'inondation de plus en plus fréquents, à des crises sanitaires multiples et à l'accroissement de la volatilité des prix. Il ne s'agit pas de nier cette réalité, mais de donner aux agriculteurs les moyens d'y faire face.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les dispositifs assurantiels.
Pour la première fois dans l'histoire de notre agriculture, nous allons donc mettre en place des dispositifs assurantiels pour l'ensemble des filières agricoles sans exception. Le Gouvernement étudiera un dispositif de réassurance publique qui avait été écarté jusqu'à présent. Avec l'aide de l'Europe, le Gouvernement maintiendra également un niveau élevé de subvention des dispositifs assurantiels, à hauteur de 65%, de façon à inciter le plus grand nombre d'agriculteurs à s'engager dans cette voie.
Engagement de l'Etat, cela veut dire que l'assurance sera de la responsabilité de tous. L'assurance ne veut pas dire le désengagement de l'Etat. L'assurance, cela veut dire une meilleure répartition des responsabilités entre les producteurs et la puissance publique.
Ces garanties plus solides passent aussi par une refondation du fonds national de garantie des calamités agricoles qui continuera à indemniser les dégâts climatiques, mais qui sera élargi aux risques sanitaires et aux risques environnementaux. Ce fonds ne dispensera pas les agriculteurs de mettre en place des fonds de mutualisation, qui seront soutenus par l'Etat.
Plus de responsabilités pour chacun, voilà aussi l'avenir de l'agriculture.
Les aléas touchent aussi la forêt de manière plus fréquente. Nous l'avons vu, la tempête de 1999, qui devait être « la tempête du siècle », est revenue 10 ans après avec la tempête Klaus. Nous développerons donc les assurances tempête en forêt pour que les forestiers disposent des mêmes instruments que les autres agriculteurs.
Avec ces nouveaux instruments économiques, nous pourrons engager une profonde rénovation des circuits de commercialisation des produits agricoles.
Les producteurs doivent d'abord se regrouper en organisation de producteurs et au sein d'interprofessions : plus les producteurs sont dispersés, plus ils sont en position de faiblesse pour négocier les prix avec l'aval de la filière. Plus les producteurs seront unis et organisés, plus ils seront forts. La loi nous permettra donc de dresser le bilan de l'organisation économique des producteurs, pour en tirer toutes les conséquences et nous continuerons les négociations avec la Commission de l'Union européenne pour obtenir les aménagements nécessaires au droit de la concurrence et permettre aux producteurs de mieux se regrouper face aux industriels et aux distributeurs.
Nous voulons aussi rééquilibrer le partage de la valeur au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes.
Nous supprimerons totalement les pratiques de remises, rabais et ristournes.
Nous encadrerons le prix après vente : plus aucun fruit ou légume qui n'aura pas été commandé ne pourra se retrouver sur un marché. Plus aucun fruit ou légume ne pourra quitter une exploitation sans que les modalités de fixation de son prix n'aient fait l'objet d'un contrat écrit.
La grande distribution appliquera enfin une baisse automatique de ses marges en période de crise, sur la base de l'accord du 17 mai signé hier sous l'égide du Président de la République. Cet accord sera applicable dès cet été.
Pour nous assurer que ces instruments donnent des résultats, nous renforcerons l'observatoire des prix et des marges. Il étudiera tous les produits agricoles sans exception et analysera aussi les coûts de production. Il rendra un rapport au Parlement et son Président aura la responsabilité d'analyser les données et d'en faire les interprétations nécessaires.
Toutes ces décisions marquent une nouvelle organisation des filières agricoles. Elles expriment une solidarité nouvelle et indispensable entre les différents acteurs de la filière : distributeurs, industriels et producteurs. Car nous devons tous en avoir conscience. Ce n'est pas en opposant les uns aux autres que nous trouverons des solutions aux difficultés actuelles. C'est au contraire en travaillant ensemble, en répartissant les efforts de manière équitable, en améliorant notre organisation économique, et en rééquilibrant les rapports de force au profit des producteurs, que nous trouverons les voies d'avenir.
La France est la première puissance agricole européenne. Elle ne le restera que si elle préserve ses terres agricoles.
Dans la loi, nous mettrons en place un observatoire national pour étudier la consommation des terres agricoles, identifier les zones de plus grande perte et proposer des moyens pour l'éviter. Nous ne pouvons pas continuer à perdre 200 ha de terres agricoles par jour, l'équivalent d'un département de terres agricoles tous les 10 ans.
Nous créerons des commissions départementales, composées de professionnels et d'élus des collectivités, pour donner un avis sur les déclassements de terres agricoles.
Nous proposerons enfin une taxe sur la spéculation des terres agricoles dont je souhaite que le produit soit affecté en priorité à l'installation des jeunes agriculteurs.
Pour que la France reste la première puissance agricole européenne, elle doit conserver ses terres agricoles mais elle doit aussi poursuivre ses efforts d'innovation. L'innovation a fait la force de notre agriculture. L'innovation nous permettra de conserver une agriculture performante et durable.
Pour cela, nous accompagnerons les exploitations, par exemple en encourageant le développement de la méthanisation. La méthanisation permettra aux exploitations d'utiliser les effluents d'élevage et de les traiter. Elle leur permettra de produire de l'énergie et d'améliorer leur autonomie énergétique. Les agriculteurs pourront également revendre cette énergie, gaz ou électricité, et en tirer un revenu complémentaire comme le font toutes les grandes puissances agricoles européennes, en particulier l'Allemagne et les Pays-Bas.
Une agriculture durable est dans l'intérêt de tous, dans l'intérêt des citoyens, qui sont de plus en plus attentifs à la qualité de leur environnement, mais aussi dans l'intérêt des agriculteurs eux-mêmes, qui ont fait des efforts considérables d'adaptation au cours de ces dernières années et qui doivent réduire leur dépendance à l'égard des énergies fossiles. Agriculture et développement durable vont de pair, pourvu que nous respections le rythme d'adaptation des exploitants et pourvu que nous respections la nécessaire harmonisation des règles européennes.
Le Gouvernement a souhaité que cette loi de modernisation concerne aussi la pêche. La réforme de la politique commune des pêches précédera en effet en 2012 la réforme de la PAC et il est indispensable de doter ce secteur, qui a déjà fait d'énormes efforts de restructuration, d'outils performants avant la réforme.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation où 80 % des produits de la mer sont importés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation où nous produisons pour 1,5 milliards d'euros de produits de la mer et nous en importons pour 4 milliards alors que la France a la deuxième zone de pêche au monde.
Nous allons donc réformer la gouvernance des pêches et de la conchyliculture en clarifiant les rôles des différentes organisations et en leur confiant de nouvelles responsabilités.
Nous allons également améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en mettant en place un comité de liaison scientifique et technique. Nous leur permettrons de travailler ensemble à l'évaluation des ressources, afin que les décisions de gestion des stocks soient acceptées par tous.
Enfin, nous allons développer la pisciculture marine en France, car malgré notre formidable potentiel de côtes maritimes, cette dernière ne couvre que 15 hectares. Nous faciliterons l'accès aux espaces maritimes dans le respect des règles environnementales.
Pour que cette loi soit complète le Gouvernement a souhaité que l'Outre-mer fasse l'objet d'un titre à part entière. Les Etats généraux de l'Outre-mer, lancés par le Président de la République en 2009, ont fait ressortir très clairement la nécessité de favoriser la diversification agricole dans ces territoires.
Comment accepter que le chômage soit supérieur à 20 % dans ces territoires alors que l'emploi agricole représente un gisement d'activités si important ? Comment accepter que seulement 17 % de la viande de boeuf consommée en Guyane soit produite localement ou qu'en Martinique, la part de lait local ne représente que 5 % de la consommation ? Les marges de progrès existent, le dynamisme de la filière banane en est la preuve.
Le projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd'hui prévoira donc les mesures nécessaires au renforcement des chambres d'agriculture, à la préservation du foncier agricole et au développement de la pêche et de l'aquaculture. Il y a urgence car si rien n'est fait, il n'y aura plus de terres agricoles aux Antilles dans 30 ans.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'agriculture est un secteur d'avenir, pas un reliquat du passé. L'agriculture est un pilier, et non pas une composante accessoire de notre économie. L'agriculture est une activité stratégique pour la Nation au même titre que l'énergie, l'industrie ou la défense.
Ce projet de loi s'inscrit donc dans une stratégie globale du Gouvernement pour construire une nouvelle donne agricole.
Le plan de soutien exceptionnel à l'agriculture doté de 1,8 milliards d'euros, et décidé par le Président de la République, a permis aux exploitations de surmonter leurs difficultés conjoncturelles.
Les plans de développement filière par filière, que j'annoncerai dans les prochains mois, permettront de redonner immédiatement la compétitivité indispensable à nos entreprises agricoles.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont nous commençons l'examen aujourd'hui, permettra à nos producteurs et à nos pêcheurs de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et de dégager un revenu décent pour prix de leur travail.
Au niveau européen, nous continuerons à défendre un modèle de régulation des marchés agricoles et le maintien d'une politique agricole commune forte.
Au niveau international, nous porterons également l'idée d'une régulation des marchés agricoles, notamment à l'occasion de la Présidence française du G20.
Grâce à vous, grâce au travail remarquable qui a été effectué en commission, sous la présidence de Jean-Paul EMORINE, et avec le concours des rapporteurs Gérard CESAR et Charles REVET, qui ont permis d'améliorer le texte du Gouvernement, vous donnerez à la France les moyens de rester la première puissance agricole européenne et un acteur agricole majeur dans le monde de demain.
Je vous remercie.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 21 mai 2010
Monsieur le Président de la Commission des Affaires économiques,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La crise agricole que nous vivons marque la fin de trente ans d'histoire agricole française et européenne. Elle marque un tournant majeur pour notre agriculture.
Nous tous ici, Parlementaires ou membre du Gouvernement, notre responsabilité est de défendre un secteur stratégique pour notre Nation. Je veux dire ici, au moment où nous commençons l'examen d'une loi qui sera décisive pour ce secteur, que je crois dans les forces et dans les atouts de l'agriculture française.
Agriculture ne veut pas dire seulement tradition et passé.
Agriculture veut dire aussi innovation, recherche, compétitivité et développement durable.
Agriculture en France veut tout simplement dire avenir.
Encore faut-il que nous soyons lucides sur la nouvelle donne agricole mondiale qui est en train de se dessiner.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c'est une volatilité des prix insupportable pour la grande majorité des agriculteurs. En un an, le prix du blé peut passer de près de 300 euros la tonne, à 100 euros à peine. En un an, le prix du lait peut passer de plus de 400 euros la tonne, à moins de 230 euros. En un an, le prix des matières premières peut varier de 50 à 80 %.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, ce sont aussi de nouveaux acteurs, comme l'Inde, la Chine, le Brésil et la Russie.
Hier, nous avions peu ou pas de concurrents quand nous exportions du blé à destination de l'Egypte, du Maroc, de l'Algérie ou d'autres pays africains. Aujourd'hui, nous devons compter avec tous les pays du bassin de la Mer Noire.
Hier, nous n'avions pas à nous soucier de la production de beurre et de poudre dans des pays éloignés comme la Nouvelle Zélande. Aujourd'hui, nous savons qu'une production excédentaire dans ce pays peut déstabiliser tout le marché mondial.
Hier, nous étions seuls à maîtriser certaines techniques de production agricole. Nous savons aujourd'hui que le Brésil, la Chine ou l'Inde sont sur le point de les maîtriser aussi bien que nous, certains les maîtrisent déjà, d'autres sont parfois capables d'aller plus loin.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c'est aussi une politique agricole commune en cours de redéfinition.
En 1957, notre seul objectif était de produire le plus possible pour nourrir chacun. Le seul moyen était une gestion administrée de l'offre.
Demain, nous devrons répondre à la demande. Demain, nous devrons nous adapter toujours plus aux exigences du consommateur.
A monde nouveau, agriculture nouvelle.
Il est temps de donner les moyens à notre agriculture de relever les défis immenses auxquels elle doit faire face : le défi de la volatilité pour stabiliser les revenus des agriculteurs ; le défi de la compétitivité pour redonner de la puissance à notre agriculture face à la concurrence de nouveaux acteurs ; le défi de l'environnement et de la sécurité sanitaire enfin, pour répondre aux attentes des consommateurs et pour prendre en compte les impératifs de développement durable et de sécurité sanitaire.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui est soumise à votre examen, vient donc à un moment décisif pour notre agriculture. Elle donnera aux agriculteurs les instruments nécessaires pour faire face à cette nouvelle donne agricole mondiale.
Notre agriculture a d'abord besoin d'un cap politique. Ce cap, c'est l'alimentation.
C'est une évidence, la fonction première de l'agriculture est de nourrir. La légitimité de notre agriculture tient donc à la qualité de l'alimentation que nous apportons à tous les Français. C'est pour cela que le Gouvernement a tenu à ce que le Titre 1er de la loi mette en place une politique publique de l'alimentation. Cette politique publique doit garantir une alimentation saine à tous les Français en rassemblant des instruments d'intervention jusque-là dispersés.
Elle reposera sur des objectifs nutritionnels contraignants et contrôlés pour la restauration collective en particulier scolaire et universitaire. Personne ne peut se résigner à l'augmentation de l'obésité en France, même si elle est mieux contenue que dans d'autres pays développés. Personne ne peut se résigner à ce que ce problème de santé publique se concentre sur les personnes aux revenus les plus faibles.
La question de l'alimentation est avant tout une question sociale.
Cette politique publique de l'alimentation défendra aussi un nouveau modèle de commercialisation des produits pour mettre fin aux aberrations que nous constatons tous : il n'est pas raisonnable que des produits agricoles parcourent en moyenne 2000 km avant de se retrouver sur la table du consommateur.
Nous développerons donc les circuits courts en modifiant le code des marchés publics et en préservant les terres agricoles à proximité des grandes agglomérations.
Au-delà de ces mesures, c'est un modèle alimentaire que nous voulons défendre : contre l'uniformisation des produits, nous défendons la diversité du goût. Contre la confusion de l'origine et des labels, nous défendons la transparence et l'identification des produits.
Mais il n'y aura pas d'alimentation sans agriculteurs et pas d'agriculteurs sans un revenu stable et décent pour chacun d'entre eux. Le premier objectif de la loi que le Gouvernement vous présente aujourd'hui, c'est donc de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail.
Il n'est pas acceptable que des milliers de producteurs en France vendent leurs produits en dessous de leur coût de production. Il n'est pas acceptable que des biens agricoles qui ont demandé de la patience, du temps et de l'énergie soient produits à perte.
Pour atteindre cet objectif, nous devons changer de modèle économique. Trop de producteurs investissent des sommes considérables pour moderniser leurs exploitations, pour se doter d'équipements performants, sans savoir ce qu'ils vont toucher à la fin du mois. Nous devons leur donner de la visibilité sur leurs revenus. La mise en place de contrats écrits obligatoires avec un prix, avec un volume, avec une durée, leur donnera cette visibilité.
Je connais bien entendu les inquiétudes des producteurs par rapport aux contrats. Je veux leur dire que nous avons entouré ces contrats de toutes les garanties nécessaires.
Première garantie : ce sont les interprofessions qui négocieront en première instance les contrats pour respecter les particularités de chaque filière.
Deuxième garantie : les pouvoirs publics garderont une capacité d'examen sur la mise en oeuvre de ces contrats.
Troisième garantie : les interprofessions pourront fixer des indicateurs de tendance de marché qui serviront à la conclusion des contrats.
Ce modèle de contrat, j'en suis convaincu, ne se limitera pas à la France. Il deviendra une référence en Europe. Il a déjà fait déjà l'objet d'une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne.
Je veux être clair aussi sur un point : les contrats seuls ne feront pas tout. Ils devront s'appuyer aussi sur une régulation des marchés à l'échelle européenne, pour stabiliser les prix et pour nous permettre de réagir en cas de crise. Un observatoire des volumes, de nouveaux outils de gestion de marchés, des instruments d'intervention plus flexibles et plus efficaces à l'échelle européenne me paraissent donc indispensables. Nous avons engagé ce combat pour la régulation des marchés à l'échelle de l'Union européenne, nous le mènerons jusqu'au bout.
Face à la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires, nous devons aussi offrir des garanties plus solides aux producteurs.
Les dérèglements climatiques, l'intensification des échanges, la spéculation sur les marchés de matières premières ont conduit depuis quelques années à des phénomènes de sécheresse ou d'inondation de plus en plus fréquents, à des crises sanitaires multiples et à l'accroissement de la volatilité des prix. Il ne s'agit pas de nier cette réalité, mais de donner aux agriculteurs les moyens d'y faire face.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les dispositifs assurantiels.
Pour la première fois dans l'histoire de notre agriculture, nous allons donc mettre en place des dispositifs assurantiels pour l'ensemble des filières agricoles sans exception. Le Gouvernement étudiera un dispositif de réassurance publique qui avait été écarté jusqu'à présent. Avec l'aide de l'Europe, le Gouvernement maintiendra également un niveau élevé de subvention des dispositifs assurantiels, à hauteur de 65%, de façon à inciter le plus grand nombre d'agriculteurs à s'engager dans cette voie.
Engagement de l'Etat, cela veut dire que l'assurance sera de la responsabilité de tous. L'assurance ne veut pas dire le désengagement de l'Etat. L'assurance, cela veut dire une meilleure répartition des responsabilités entre les producteurs et la puissance publique.
Ces garanties plus solides passent aussi par une refondation du fonds national de garantie des calamités agricoles qui continuera à indemniser les dégâts climatiques, mais qui sera élargi aux risques sanitaires et aux risques environnementaux. Ce fonds ne dispensera pas les agriculteurs de mettre en place des fonds de mutualisation, qui seront soutenus par l'Etat.
Plus de responsabilités pour chacun, voilà aussi l'avenir de l'agriculture.
Les aléas touchent aussi la forêt de manière plus fréquente. Nous l'avons vu, la tempête de 1999, qui devait être « la tempête du siècle », est revenue 10 ans après avec la tempête Klaus. Nous développerons donc les assurances tempête en forêt pour que les forestiers disposent des mêmes instruments que les autres agriculteurs.
Avec ces nouveaux instruments économiques, nous pourrons engager une profonde rénovation des circuits de commercialisation des produits agricoles.
Les producteurs doivent d'abord se regrouper en organisation de producteurs et au sein d'interprofessions : plus les producteurs sont dispersés, plus ils sont en position de faiblesse pour négocier les prix avec l'aval de la filière. Plus les producteurs seront unis et organisés, plus ils seront forts. La loi nous permettra donc de dresser le bilan de l'organisation économique des producteurs, pour en tirer toutes les conséquences et nous continuerons les négociations avec la Commission de l'Union européenne pour obtenir les aménagements nécessaires au droit de la concurrence et permettre aux producteurs de mieux se regrouper face aux industriels et aux distributeurs.
Nous voulons aussi rééquilibrer le partage de la valeur au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes.
Nous supprimerons totalement les pratiques de remises, rabais et ristournes.
Nous encadrerons le prix après vente : plus aucun fruit ou légume qui n'aura pas été commandé ne pourra se retrouver sur un marché. Plus aucun fruit ou légume ne pourra quitter une exploitation sans que les modalités de fixation de son prix n'aient fait l'objet d'un contrat écrit.
La grande distribution appliquera enfin une baisse automatique de ses marges en période de crise, sur la base de l'accord du 17 mai signé hier sous l'égide du Président de la République. Cet accord sera applicable dès cet été.
Pour nous assurer que ces instruments donnent des résultats, nous renforcerons l'observatoire des prix et des marges. Il étudiera tous les produits agricoles sans exception et analysera aussi les coûts de production. Il rendra un rapport au Parlement et son Président aura la responsabilité d'analyser les données et d'en faire les interprétations nécessaires.
Toutes ces décisions marquent une nouvelle organisation des filières agricoles. Elles expriment une solidarité nouvelle et indispensable entre les différents acteurs de la filière : distributeurs, industriels et producteurs. Car nous devons tous en avoir conscience. Ce n'est pas en opposant les uns aux autres que nous trouverons des solutions aux difficultés actuelles. C'est au contraire en travaillant ensemble, en répartissant les efforts de manière équitable, en améliorant notre organisation économique, et en rééquilibrant les rapports de force au profit des producteurs, que nous trouverons les voies d'avenir.
La France est la première puissance agricole européenne. Elle ne le restera que si elle préserve ses terres agricoles.
Dans la loi, nous mettrons en place un observatoire national pour étudier la consommation des terres agricoles, identifier les zones de plus grande perte et proposer des moyens pour l'éviter. Nous ne pouvons pas continuer à perdre 200 ha de terres agricoles par jour, l'équivalent d'un département de terres agricoles tous les 10 ans.
Nous créerons des commissions départementales, composées de professionnels et d'élus des collectivités, pour donner un avis sur les déclassements de terres agricoles.
Nous proposerons enfin une taxe sur la spéculation des terres agricoles dont je souhaite que le produit soit affecté en priorité à l'installation des jeunes agriculteurs.
Pour que la France reste la première puissance agricole européenne, elle doit conserver ses terres agricoles mais elle doit aussi poursuivre ses efforts d'innovation. L'innovation a fait la force de notre agriculture. L'innovation nous permettra de conserver une agriculture performante et durable.
Pour cela, nous accompagnerons les exploitations, par exemple en encourageant le développement de la méthanisation. La méthanisation permettra aux exploitations d'utiliser les effluents d'élevage et de les traiter. Elle leur permettra de produire de l'énergie et d'améliorer leur autonomie énergétique. Les agriculteurs pourront également revendre cette énergie, gaz ou électricité, et en tirer un revenu complémentaire comme le font toutes les grandes puissances agricoles européennes, en particulier l'Allemagne et les Pays-Bas.
Une agriculture durable est dans l'intérêt de tous, dans l'intérêt des citoyens, qui sont de plus en plus attentifs à la qualité de leur environnement, mais aussi dans l'intérêt des agriculteurs eux-mêmes, qui ont fait des efforts considérables d'adaptation au cours de ces dernières années et qui doivent réduire leur dépendance à l'égard des énergies fossiles. Agriculture et développement durable vont de pair, pourvu que nous respections le rythme d'adaptation des exploitants et pourvu que nous respections la nécessaire harmonisation des règles européennes.
Le Gouvernement a souhaité que cette loi de modernisation concerne aussi la pêche. La réforme de la politique commune des pêches précédera en effet en 2012 la réforme de la PAC et il est indispensable de doter ce secteur, qui a déjà fait d'énormes efforts de restructuration, d'outils performants avant la réforme.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation où 80 % des produits de la mer sont importés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation où nous produisons pour 1,5 milliards d'euros de produits de la mer et nous en importons pour 4 milliards alors que la France a la deuxième zone de pêche au monde.
Nous allons donc réformer la gouvernance des pêches et de la conchyliculture en clarifiant les rôles des différentes organisations et en leur confiant de nouvelles responsabilités.
Nous allons également améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en mettant en place un comité de liaison scientifique et technique. Nous leur permettrons de travailler ensemble à l'évaluation des ressources, afin que les décisions de gestion des stocks soient acceptées par tous.
Enfin, nous allons développer la pisciculture marine en France, car malgré notre formidable potentiel de côtes maritimes, cette dernière ne couvre que 15 hectares. Nous faciliterons l'accès aux espaces maritimes dans le respect des règles environnementales.
Pour que cette loi soit complète le Gouvernement a souhaité que l'Outre-mer fasse l'objet d'un titre à part entière. Les Etats généraux de l'Outre-mer, lancés par le Président de la République en 2009, ont fait ressortir très clairement la nécessité de favoriser la diversification agricole dans ces territoires.
Comment accepter que le chômage soit supérieur à 20 % dans ces territoires alors que l'emploi agricole représente un gisement d'activités si important ? Comment accepter que seulement 17 % de la viande de boeuf consommée en Guyane soit produite localement ou qu'en Martinique, la part de lait local ne représente que 5 % de la consommation ? Les marges de progrès existent, le dynamisme de la filière banane en est la preuve.
Le projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd'hui prévoira donc les mesures nécessaires au renforcement des chambres d'agriculture, à la préservation du foncier agricole et au développement de la pêche et de l'aquaculture. Il y a urgence car si rien n'est fait, il n'y aura plus de terres agricoles aux Antilles dans 30 ans.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'agriculture est un secteur d'avenir, pas un reliquat du passé. L'agriculture est un pilier, et non pas une composante accessoire de notre économie. L'agriculture est une activité stratégique pour la Nation au même titre que l'énergie, l'industrie ou la défense.
Ce projet de loi s'inscrit donc dans une stratégie globale du Gouvernement pour construire une nouvelle donne agricole.
Le plan de soutien exceptionnel à l'agriculture doté de 1,8 milliards d'euros, et décidé par le Président de la République, a permis aux exploitations de surmonter leurs difficultés conjoncturelles.
Les plans de développement filière par filière, que j'annoncerai dans les prochains mois, permettront de redonner immédiatement la compétitivité indispensable à nos entreprises agricoles.
La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont nous commençons l'examen aujourd'hui, permettra à nos producteurs et à nos pêcheurs de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et de dégager un revenu décent pour prix de leur travail.
Au niveau européen, nous continuerons à défendre un modèle de régulation des marchés agricoles et le maintien d'une politique agricole commune forte.
Au niveau international, nous porterons également l'idée d'une régulation des marchés agricoles, notamment à l'occasion de la Présidence française du G20.
Grâce à vous, grâce au travail remarquable qui a été effectué en commission, sous la présidence de Jean-Paul EMORINE, et avec le concours des rapporteurs Gérard CESAR et Charles REVET, qui ont permis d'améliorer le texte du Gouvernement, vous donnerez à la France les moyens de rester la première puissance agricole européenne et un acteur agricole majeur dans le monde de demain.
Je vous remercie.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 21 mai 2010