Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, dans "Jeune Afrique" du 1er août 2011, sur les relations entre la France et l'Afrique, notamment la Côte d'Ivoire.

Prononcé le 1er août 2011

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Média : Jeune Afrique

Texte intégral

Q - La résidence privée du président guinéen, Alpha Condé, a été attaquée le 19 juillet. Est-ce le signe d’une fragilité de ce nouveau pouvoir ?
R - Nous condamnons fermement cette attaque. Alpha Condé a été démocratiquement élu et doit être respecté. Des militaires ont été arrêtés... On peut imaginer que la nécessaire réorganisation de l’armée suscite des mécontentements.
Q - La «méthode Condé» n’est-elle pas en cause ? Certains parlent de pouvoir solitaire...
R - Ce sont en effet des commentaires que l’on entend. Si certains considèrent que les méthodes du président guinéen sont un peu vives, et si tel est le cas, c’est à lui de prendre les mesures qui s’imposent. Alpha Condé doit tenir ses engagements : la démocratie, c’est le rassemblement du plus grand nombre. Même s’il n’y a toujours qu’un seul président de la République, et que chacun exerce le pouvoir selon son tempérament.
Q - Concernant le port de Conakry, dont la concession a été retirée à Necotrans au profit du groupe Bolloré, la méthode n’a-t-elle pas été expéditive ?
R - Sur le plan pratique, elle a été rapide. Est-elle légale ? La justice tranchera.
Q - Paris n’a pas de préférence ?
R - Là comme ailleurs, Paris n’a pas de préférence et n’est pas caché derrière le rideau.
Q - En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, vainqueur dans les urnes, a été installé au pouvoir par les armes et avec le soutien français. N’est-ce pas un handicap de passer pour l’homme de la France ?
R - Le président Ouattara a été installé au pouvoir par la majorité des électeurs ivoiriens. Il ne faut pas inverser la situation : c’est Laurent Gbagbo qui n’a pas voulu reconnaître les résultats de la présidentielle. La communauté internationale a fait respecter le verdict des urnes.
Q - Avec un sérieux coup de main de l’armée française...
R - Licorne avait une double mission : protéger les 14.000 ressortissants français et apporter son concours à des actions engagées par la communauté internationale à la demande expresse du Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.
Q - Le président Ouattara n’est-il pas redevable ?
R - Non. Il est totalement libre. Le respect du droit n’appelle aucun retour.
Q - Pourtant, lors de sa visite, les 14 et 15 juillet à Abidjan, le Premier ministre, François Fillon, était accompagné par beaucoup de patrons...
R - Je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas. À l’occasion de son investiture à Yamoussoukro, le président ivoirien a demandé à Nicolas Sarkozy que les entreprises françaises puissent reprendre rapidement leurs activités et que d’autres participent à la reconstruction du pays.
Q - En versant à Abidjan 350 millions d’euros d’aide budgétaire directe pour notamment payer les fonctionnaires, la France ne revient-elle pas à des pratiques des années 1960-1970 ?
R - Nous souhaitons aider de manière spécifique les pays qui accèdent à la démocratie : la Côte d’Ivoire, le Niger et la Guinée. C’est clair, net et précis. C’est une prime à la démocratie.
Q - Où en sont les discussions sur l’accord de défense entre la France et la Côte d’Ivoire ?
R - Lors de sa visite à Abidjan, en juin dernier, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a remis aux autorités ivoiriennes les documents de travail servant de base à la discussion. Nous attendons qu’Abidjan fasse connaître sa réponse.
Q - La Côte d’Ivoire souhaite le maintien de la clause prévoyant une riposte graduée de la France en cas d’agression extérieure, Paris n’en veut plus...
R - L’accord sera très proche de ce que souhaite la République française. Les temps ont changé.
Q - La révision éventuelle de l’article 37 de la Constitution burkinabé pour permettre à Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat en 2015 suscite une vive controverse. Quelle est votre opinion?
R - Si nous avons un message à adresser, tout en sachant que les autorités du Burkina sont libres, c’est de dire que les périodes de tension ne sont pas les plus propices pour procéder à des changements de Constitution.
Q - Blaise Compaoré est au pouvoir depuis 1987, soit 23 ans. C’est suffisant ?
R - Encore une fois, les temps ont changé. L’évolution du monde a un impact sur la durée des mandats, quels qu’ils soient. En France, par exemple, on a bien limité à deux le nombre de mandats présidentiels, soit 10 ans.
Q - Il y a plus d’un mois, le chef de l’État sénégalais a voulu instaurer un ticket président-vice-président, qui lui aurait permis de l’emporter avec 25 % des voix au premier tour de la prochaine élection. Il a dû y renoncer. C’était une erreur ?
R - Abdoulaye Wade a dû considérer que le moment était inopportun, puisque le projet a été retiré. Il y a une certaine fébrilité au Sénégal avant la présidentielle. Tous ceux qui approchent le président Wade essaient de discuter avec lui pour ouvrir le jeu.
Q - Abdoulaye Wade aura 86 ans en 2012. Peut-il être candidat pour un 3e mandat?
R - C’est aux Sénégalais de répondre. Je souligne que le président Wade a été élu pour la première fois en 2000 ; ce n’est donc pas une question de longévité au pouvoir. Mais au Sénégal comme ailleurs, la France appelle au respect des règles. Une démocratie, ce sont des élections libres, crédibles et transparentes.
Q - Lors des violentes manifestations contre les délestages électriques à Dakar, le 27 juin, est-il vrai que Karim Wade a appelé à l’aide Robert Bourgi, conseiller Afrique officieux de Nicolas Sarkozy, pour obtenir une intervention de l’armée française ?
R - Je n’en sais rien. Je n’étais pas dans le bureau de Karim Wade, ni dans celui de Robert Bourgi. Mais cela me paraît surréaliste et, par définition, voué à l’échec. Vous imaginez, en 2011, la France mener une opération de police dans les rues de Dakar... Si c’est vrai, Karim Wade s’est trompé d’époque.
Q - Si cette hypothèse suscite autant de commentaires, c’est bien parce que Robert Bourgi occupe une place particulière dans la «galaxie françafricaine»...
R - Je pense que l’on accorde aux propos de maître Bourgi beaucoup de résonance... En ce qui me concerne, je ne l’ai vu qu’une seule fois. Il est venu me rendre visite juste après ma nomination, en novembre 2010.
Q - Au Cameroun, on se dirige vers une nouvelle candidature de Paul Biya à l’élection présidentielle prévue en octobre. Il est au pouvoir depuis 1982...
R - Ce sont les électeurs qui choisissent. La France n’a pas de candidat au Cameroun.
Q - Il va être difficile de tenir ce même discours si Paul Biya effectue un voyage officiel à Paris. Cette visite est-elle prévue ?
R - Le président Biya aura probablement l’occasion de rencontrer prochainement Nicolas Sarkozy, à Paris. Mais pensez vous que le fait d’aller serrer la main du président français puisse être perçu comme un soutien direct et apporter des voix ? Je n’y crois pas. Ce temps là est fini.
Q - Lors de sa tournée africaine, outre la Côte d’Ivoire et le Ghana, le Premier ministre, François Fillon, est passé à Libreville le 16 juillet. Pourquoi cette étape gabonaise ?
R - La France atteint 35 % de part de marché au Gabon. Nous y avons des intérêts économiques à défendre. Il ne faut pas aller chercher plus loin.
Q - En RD Congo, les élections présidentielles et législatives sont toujours prévues le 28 novembre. Pensez-vous que ce calendrier puisse être tenu et dans de bonnes conditions ?
R - Nous n’avons pas de signaux nous laissant supposer qu’il y aura un report. Et si l’Union européenne, avec la France, a accepté de participer au financement du processus, c’est pour avoir toutes les garanties de transparence.
Q - Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, devait se rendre à Kinshasa, début juillet. Finalement, cette étape a été annulée. Pourquoi ?
R - Pour une question d’agenda. J’ajoute que si on va à Kinshasa avant la présidentielle, on va nous accuser d’ingérence.
Q - Le 19 juillet, vous avez reçu la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, pour préparer la prochaine visite du chef de l’État rwandais en septembre. N’était-ce pas à Alain Juppé de le faire ?
R - Je crois que c’est à cause de son agenda, extrêmement chargé ces temps-ci, que le ministre d’État n’a pas pu la recevoir. Il ne s’agit absolument pas d’une volonté explicite de sa part de ne pas la rencontrer.
Q - Les deux pays peuvent-ils normaliser leurs relations avec Alain Juppé aux Affaires étrangères ?
R - Sans méconnaître le passé, il faut naturellement trouver les moyens et les mots nécessaires pour apaiser les blessures et aller au-delà des différends, des deux cotés. Alain Juppé, comme il l’a indiqué, inscrit son action dans la droite ligne de celle voulue par le président Sarkozy dans le cadre de sa visite à Kigali, en février 2010.
Q - L’intervention militaire en Libye a provoqué une dissémination des armes dans le Sahel, notamment au profit d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Selon certaines informations, le mouvement islamiste disposerait même de missiles sol-air. Confirmez-vous ?
R - J’ai eu les mêmes informations que vous, mais nous n’avons pas encore de preuves tangibles.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2011