Texte intégral
Evoquant la cathédrale de Chartres, voilà comment Marcel Proust sexprime le 16 août 1904 dans une lettre à Aristide Briand : « Probablement la plus haute et la plus originale expression du génie français. Leur retirer leur fonction sacrée, ce serait trahir et faire de la France un grève desséchée où ces géants coquillages sembleraient comme échoués, vidés de la vie qui les habita». Cela pour dire que le patrimoine est une matière vivante, un territoire habité, habité par la traversée des siècles, habité aussi par les questions et les pratiques de notre époque, habité ici par le bleu flamboyant et puissant des vitraux.
Jai tenu à être à Chartres aujourdhui, devant ce joyau de notre patrimoine inscrit au patrimoine mondial de lUNESCO depuis 1979 afin de saluer lun des grands chantiers de restauration engagés dans cette région dont on se plaît à dire quelle est le « jardin de la France » et dont chacun connaît ici la richesse, la qualité et le rayonnement international du patrimoine.
Chantier exemplaire dans la mesure où il a bénéficié dun soutien affirmé de lEtat, à travers le Contrat de projet Etat-région mais aussi les engagements du ministère de la Culture et de la Communication à hauteur de 5 millions deuros pour les 2 premières phases de travaux - des Fonds européens, des collectivités territoriales, mais aussi, je tiens à la signaler, dactions de mécénats réguliers. Je tiens à rendre hommage aux Amis de la cathédrale de Chartres, à Chartres, sanctuaire du monde, à la fondation GDF-Suez, à la Fondation du Crédit agricole pays de France : sans leur concours précieux, sans leur soutien, le grand vaisseau de pierre ne pourrait susciter ladmiration des millions de visiteurs et de pèlerins.
Chantier exemplaire aussi dans la mesure où, après la restauration des vitraux achevée en 2003, après celle de la façade et de la rose, la restauration du choeur et des premières travées donnent à voir et à observer à tous les visiteurs ce qua produit la main des hommes et des compagnons, avec des découvertes importantes pour les historiens et les architectes de la période médiévale, tels les roses peintes en trompe loeil à lentrée de la nef.
Le « Plan cathédrales » en région Centre ce sont 5 cathédrales Bourges, Chartres, Tours, Blois, Orléans, cest un objectif de 36 millions deuros sur 6 années, soit une moyenne de 6 millions deuros par an, au lieu de 3 précédemment. Derrières ces chantiers, il y a des femmes et des hommes, il y a des entreprises de restauration, il y a un tissus économique. Car ne loublions pas, investir dans le patrimoine, cest non seulement transmettre un héritage, un paysage, cest aussi renforcer lattractivité touristique et développer lemploi culturel. Bénéficiant des crédits du Plan de relance en 2009 et 2010, 44 cathédrales de lEtat ont bénéficié de travaux dentretien et de restauration sur un total de 87 cathédrales appartenant à lEtat. Clochetons de la cathédrale de Rouen, transepts des cathédrales dAmiens et de Beauvais, tour et clocher de la cathédrale de Nevers, vitraux des cathédrales de Poitiers et de La Rochelle, ces chantiers dessinent un vaste continent de pierres et disent limmensité de la tâche.
Le patrimoine religieux représente en effet 30% des monuments protégés et 48% des crédits réservés aux monuments historiques lui ont été consacrés. Engagée par Alexandre Lenoir face au vandalisme révolutionnaire, poursuivie par les inspections de Prosper Mérimée à travers la France et avec la création de lInventaire général en 1964 auquel on se doit dassocier le nom du grand historien de lart André Chastel, la politique du patrimoine est dépositaire dune longue filiation, étroitement associée à lhistoire de lEtat. Elle est aussi, on ne doit pas loublier, le reflet de la « mosaïque France », elle est lexpression de la diversité de la société française daujourdhui. Je tiens à dire limportance que mon ministère attache à la diversité des patrimoines religieux, à cette diversité qui est le socle même dune laïcité bien comprise, une « laïcité dintelligence » et non une « laïcité dindifférence » pour reprendre la distinction établie par Régis Debray.
Ainsi, les églises protestantes de saint Pierre le Jeune et Sainte Aurélie à Strasbourg ont-elles bénéficié de subventions de mon ministère à hauteur de 40% en 2011 ; ainsi les synagogues de Mulhouse et de Bordeaux bénéficient-elles de subventions afin den restaurer les bâtiments ; ainsi la grande mosquée de Paris a-t-elle bénéficié de 1,42 million de subventions en plusieurs tranches afin de restaurer ces espaces. Il faut dire et rappeler que le patrimoine religieux n'est pas protégé au titre des monuments historiques pour son caractère religieux mais pour son intérêt historique, artistique, architectural ou technique. Selon les critères du Code du patrimoine, tout le patrimoine religieux quelle que soit son origine églises, cathédrales, mosquées, synagogues et temples bouddhistes, etc. peut être protégé au titre des monuments historiques.
Restaurer le patrimoine des édifices religieux, ce nest donc pas simplement donner aux fidèles de tous les cultes les conditions dexpression de leur foi, cest aussi préserver lempreinte de lhistoire et du temps, cest faire se rencontrer le collectif et lintime, en dautres termes cest construire les conditions dun patrimoine commun, dun patrimoine mieux partagé.
Mais il nest de patrimoine vivant sans un usage partagé et diffusé ; Certains monuments d'origine cultuelle bénéficient d'une affectation culturelle qui permet d'en assurer leur pérennité. C'est ainsi que le couvent des Bernardins à Paris, propriété de l'association diocésaine, a été complètement restauré entre 2004 et 2008 (montant des travaux : 16,64 millions deuros) avec l'aide de l'État (40% de subvention) pour le transformer en centre culturel. De même, l'abbaye de Fontevraud en Pays-de- la-Loire, propriété de l'État, fait l'objet d'une convention avec le conseil régional qui assure sa mise en valeur, sa promotion et l'animation culturelle. LÉtat continue chaque année d'y mener les travaux de restauration.
La question de l'usage des édifices se pose particulièrement en zone rurale où, bien souvent, les églises sont sauvegardées avec lappui dassociations et de bénévoles. Elles sont un repère mémoriel, un marqueur de l'identité de la commune, au-delà de leur usage cultuel parfois devenu très ponctuel. L'entretien parfois insuffisant, le regroupement des paroisses peuvent rendre très précaire la conservation des édifices en zone rurale alors que beaucoup d'entre-eux, au-delà de l'intérêt architectural recèlent des trésors artistiques. Jai sensibilisé mes services à cette dimension et jai souhaité quune attention particulière à ces chapelles oubliées, à ces temples du « désert » qui disent lhistoire autant quils façonnent le paysage mais aussi la toponymie. Je pense aux pays de bocage, aux écarts, aux hameaux de montagne. A cet égard, pour la préservation du patrimoine rural, je veux saluer laction résolue, aux côtés de lEtat, de la Fondation du Patrimoine, de lassociation Sauvegarde de lart français, de lObservatoire du patrimoine religieux. Traduction de cette attention, jannoncerai dans les jours qui viennent la nouvelle composition de la Commission du patrimoine cultuel qui doit tant à lengagement de Dominique Ponnau et de Bruno Foucart Son rôle de veille, de recherche et de proposition nest plus à démontrer. Jai décidé den confier la présidence au directeur de lEcole nationale des chartes, spécialiste de larchitecture religieuse du XIXe siècle, Monsieur Jean-Michel Leniaud, la vice-présidence revenant à Mgr Joseph Doré, ancien archevêque de Strasbourg.
Le monument sinscrit en effet dans un héritage parfois pluriséculaire, il sinscrit aussi dans un paysage. Il serait excessif de parler de disparition de la notion même de « monument historique », inscrite dans le Code du Patrimoine et cardinale dans nos politiques de protection et de sauvegarde. Les Services territoriaux de larchitecture et du patrimoine (STAP) sont bien souvent le premier point d'entrée des citoyens, des élus locaux vers la législation du patrimoine, qu'ils la subissent comme une contrainte ou qu'ils en attendent, inversement, appui et protection. Dans les deux cas leur action est déterminante, dans le premier pour expliquer et faire accepter la règle, en contribuant à façonner le regard et la sensibilité de votre interlocuteur aux enjeux du patrimoine, dans le second, pour ne pas décevoir l'attente du public qui attend votre appui et celui de l'Etat pour préserver un cadre de vie singulier ou un paysage particulier. Face à la démagogie de certains acteurs, ils doivent être les porteurs dune pédagogie.
La notion de « monument historique », chacun le comprend, entre dans un contexte plus large et plus vaste : celui des secteurs sauvegardés créés à linitiative dAndré Malraux en 1962, dont nous fêtons cette année le 50e anniversaire - celui des Aires de valorisation de larchitecture et du patrimoine (AVAP), celui des pays dart et dhistoire, label décerné par mon ministère permettant de valoriser laction des villes et des pays en faveur de larchitecture et du patrimoine. Un monument nest jamais isolé, il est inscrit dans un paysage, dans un tissu urbain, dans une « culture sensible » comme le dit lhistorien Alain Corbin lorsquil parle des cloches.
Létalement urbain, les vides et les pleins dans lespace urbain, les entrées dagglomération, lenjeu des équipements éoliens qui culminent à plus de 100 mètres de hauteur dans les zones protégées, notamment au regard de nos engagements internationaux vis-à-vis de lUNESCO interrogent notre politique du patrimoine et du paysage au XXIe siècle. Si je considère nécessaire une approche culturelle du paysage comme héritage, comme bien commun, comme creuset de civilisation à transmettre, je ne suis pas institutionnellement, vous le savez, le ministre en charge des paysages. Et pourtant on me perçoit comme tel et je considère avoir dans ce domaine, si ce n'est une vraie responsabilité, du moins mon mot à dire. Sur les éoliennes, dont les autorisations ne relèvent pas de ma compétence, je considère que j'ai un message clair à faire entendre en matière de préservation de la qualité paysagère. Je me suis exprimé en ce sens devant les préfets réunis il y a quelques semaines et à loccasion dun récent Conseil des ministres. Je souhaite que la notion d'aire d'influence paysagère, élaborée par l'UNESCO, soit intégrée dans notre réflexion sur l'implantation des parcs éoliens ou tout autre grand équipement, notamment dans le cadre de la saisine des Commissions régionales des paysages et des sites (CRPS).
En conclusion, je tiens à rappeler et souligner leffort qui a été conduit par le gouvernement dans le domaine des monuments historiques. Au total les crédits destinés à la restauration des monuments historiques sont passés de 294 millions deuros (Loi de finances initiale 2007) à 370 millions deuros (Loi de finances initiale 2012), soit une progression de 25%, en cohérence avec lengagement du Président de la République de porter leffort en faveur de notre patrimoine à hauteur de 4 milliards sur 10 ans.
De même je tiens aussi à souligner quenviron 15% des budgets de nos services en région sont consacrés aux travaux dentretien des monuments historiques : en dautres termes à la prévention plutôt quà la sauvegarde.
Cest là lun des enjeux essentiels sur lequel nos connaissances et nos expertises, notamment ceux des laboratoires de recherche (LRMH de Champs sur Marne) et des écoles de formation (INP, Ecole du Louvre) sont grandes et reconnues internationalement. Des pays dont le patrimoine a été dévasté du fait des guerres et des catastrophes naturelles, à limage dHaïti ou de lItalie (tremblement de terre de LAquila), ont trouvé auprès des experts du patrimoine de notre pays des partenaires attentifs.
Conserver et restaurer le patrimoine, cest aussi le redécouvrir, cest aussi susciter la curiosité, lenvie de voir, de connaître, de comprendre. Cest ce qui ma conduit à choisir pour la prochaine édition des Journées européennes du patrimoine, qui rassemble chaque année plus de 16 millions de visiteurs, le thème des Patrimoines cachés, trésors enfouis et masqués à la vue, catacombes, caves, clochers et chemins de rondes si proches du ciel, collections dobjets rares, blockhaus et caches de la Résistance, dans ce département dont Jean Moulin fut le préfet. Révéler un patrimoine englouti nest pas seulement une tâche attrayante pour les jeunes aviateurs et pour les fouilleurs, cest aussi souvent un moyen daider à résoudre convenablement des enjeux daménagement dans lespace rural mais aussi dans lespace urbain. Préserver et valoriser le patrimoine, cest parfois lutter contre lusage, c'est-à-dire le passage de la vie, lusure du temps, le risque même de lexistence. Usage dont Ludovic Vitet, le correspondant de Mérimée dit en 1867 quil est « un genre de vandalisme lent, insensible, inaperçu, qui ruine et détériore autant quune brutale dévastation ».
Le patrimoine, jen suis convaincu, est un outil pour laménagement de nos territoires, il est un atout pour leur attractivité et leur rayonnement, il permet de « faire société » en reliant le passé à lavenir, échappant ainsi à ce « présentisme permanent » dont François Hartog nous dit quil mine nos société et notre capacité à faire société, à vivre ensemble. Cest pour cela que je souhaitais aujourdhui rendre un hommage appuyé aux acteurs engagés du patrimoine, aux métiers du patrimoine, aux institutions investies dans cet immense chantier, ici à Chartres, là où il y a plus de sept siècles des bâtisseurs entreprirent dédifier ce livre de pierres qui nous a été légué et quil nous revient de transmettre. Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 13 mars 2012