Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à France Inter le 4 mai 2012, sur le choix de François Bayrou de voter en faveur de François Hollande lors du deuxième tour de l'élection présidentielle et la stratégie de campagne de Nicolas Sarkozy en direction du Front national.
Texte intégral
PATRICK COHEN Vous connaissez bien François BAYROU, vous avez été collègue au sein du gouvernement BALLADUR. Diriez-vous, ce matin, que son choix de voter François HOLLANDE relève de la sincérité, ou de lopportunisme ?FRANÇOIS FILLON Pour moi, il est incompréhensible. Je connais bien, François BAYROU, jai dailleurs continué à conserver des très bonnes relations avec lui, pendant toutes ces dernières années et jusquà ces derniers jours. On a été collègue dans le gouvernement dEdouard BALLADUR, dans celui dAlain JUPPE. Il a été secrétaire général de lUDF, il mest arrivé de me sentir moins à droite que François BAYROU, il mest arrivé aussi
PATRICK COHEN A quelle occasion ?
FRANÇOIS FILLON Dans des choix qui étaient des choix de lUDF, par rapport à ceux du mouvement qui était le mien. Il mest arrivé aussi de combattre avec lui, des élus de droite qui voulaient se faire élire à la présidence des régions, avec les voix du Front national. Et ce jour-là, François BAYROU doit se souvenir quil avait plus de soutien au RPR et avec Nicolas SARKOZY que parmi les amis de sa propre formation politique.
PATRICK COHEN Cétait en 98.
FRANÇOIS FILLON Cétait en 98. Donc voilà, la dernière fois, François BAYROU avait laissé ses électeurs libres, cette fois-ci, enfin, il le fait encore, mais il indique quil souhaite voter François HOLLANDE. Je trouve que cest un choix qui nest pas compréhensible. Je trouve que cest un choix qui est contraire à tout ce quil a dit pendant sa campagne, et je trouve surtout que cest un choix, qui lisole par rapport à la plupart des élus du centre. Jétais vendredi dernier au Mans, avec la quasi-totalité des grands élus du centre, Françoise HOCKETO (phon), Jean ARTHUIS, Pierre MEHAIGNERIE, et on a fait la démonstration ensemble par nos discours, que les valeurs du centre, et les valeurs que Nicolas SARKOZY défend dans cette campagne étaient beaucoup plus proches que celles de François HOLLANDE.
PATRICK COHEN On va reparler des valeurs, dans un instant, François FILLON. Contact jusquà ces derniers jours, disiez-vous. Vous vous êtes parlé donc avec François BAYROU
FRANÇOIS FILLON Oui, absolument ! On sest parlé ce week-end.
PATRICK COHEN Et il vous a laissé entrevoir son choix ?
FRANÇOIS FILLON Non, non, il ne ma rien laissé entrevoir du tout. On a eu une conversation pour analyser ensemble les résultats du premier tour, qui ont été des résultats décevants pour lui. Et nous avons surtout évoqué lavenir du pays, la question de la dette, la question du programme économique de François HOLLANDE. Il y a des vraies divergences entre François BAYROU et Nicolas SARKOZY bien sûr ! Il y a des différences dapproches, il y a des différences qui tiennent à son positionnement politique, mais qui tiennent aussi, à la personne, au caractère. Mais il y avait un point sur lequel, on était daccord encore ce week-end, cest que le programme de François HOLLANDE, dailleurs, il le dit dans, hier dans lintervention, qui est la sienne, le programme économique de François HOLLANDE, sil le met en oeuvre, conduit immanquablement, à une catastrophe économique et en tout cas, à une rupture au plan européen. Il la dit, cest François BAYROU qui dit ça, hier, qui dit ça nira pas au-delà de lhiver prochain.
PATRICK COHEN Ce qui prouve que son opposition à Nicolas SARKOZY est forte et déterminée et aussi sur le plan des valeurs. Que répondez-vous à sa dénonciation de la course-poursuite de Nicolas SARKOZY derrière lextrême droite en contradiction dit-il, avec les valeurs du gaullisme et de la droite républicaine et sociale ?
FRANÇOIS FILLON Oui, quand François BAYROU défend les valeurs du gaullisme, on ne peut pas être à la fois pour la proportionnelle aux élections et être en même temps, un grand défenseur des valeurs du gaullisme.
PATRICK COHEN Pardon Nicolas SARKOZY aussi a proposé dintroduire de la proportionnelle ?
FRANÇOIS FILLON Oui, oui, mais chacun sait que jai toujours dit que jétais contre cette idée qui est une idée qui, à mon avis, change complètement la nature des institutions de la 5ème République. Mais pour revenir aux valeurs, pour revenir aux valeurs, le programme de Nicolas SARKOZY, at- il changé entre les deux tours de lélection présidentielle ? Non. Cest exactement le même. Il ny a pas une mesure
PATRICK COHEN Le discours a changé.
FRANÇOIS FILLON Le président de la République sest adressé à 18 % délecteurs qui ont voté pour le Front national. Il a raison de le faire. Dailleurs François HOLLANDE a fait la même chose. Il la fait vis-à-vis des électeurs du Front national, et il la fait vis-à-vis des électeurs de lextrême gauche. Et on a tous intérêt à le faire. On a tous intérêt, enfin tous ceux qui sont attachés à une démocratie apaisée, à regarder ce qui se passe, et pourquoi il y a 18 % de gens qui votent pour le Front national. Mais il faut sen tenir aux faits ? Le programme du président de la République na pas changé, le programme du président de la République cest celui sur lequel, il a fait campagne au premier tour.
PATRICK COHEN Le programme a une exception près, non, mais le discours
FRANÇOIS FILLON Il ny a pas dexception. Il ny a pas dexception
PATRICK COHEN Il y a trop dimmigrés en France, les frontières au coeur du débat politique, la préférence française ou communautaire
FRANÇOIS FILLON Les frontières au coeur du débat politique, cest la reprise dun thème cher à Régis DEBRE, donc franchement
PATRICK COHEN Oui, qui est venu contester, ce pillage
FRANÇOIS FILLON Et quand François HOLLANDE avant le premier tour de lélection présidentielle, explique quil faut augmenter limmigration et notamment limmigration économique. Explique quil va régulariser une grande partie des immigrés en situation irrégulière. Et quaprès le premier tour, de lélection présidentielle, il ne le dit plus ou quil dit exactement le contraire. Quest-ce que cest ? Sinon, prendre en compte les électeurs du Front national. Donc je trouve que cest un mauvais procès
PATRICK COHEN Je poursuis ma liste, les racines chrétiennes, de la France, la présomption de légitime défense pour les policiers
FRANÇOIS FILLON Oui, enfin attendez, attendez ! On ne peut pas laisser .
PATRICK COHEN Ou encore, ou encore, François FILLON, ce clip de campagne, il la cité hier soir, François BAYROU, ce clip de campagne de Nicolas SARKOZY pour lentre deux tours. Un panneau douane, écrit en français et en arabe. Rien ne vous a gêné dans tout cela ?
FRANÇOIS FILLON Enfin, écoutez, dire que la référence aux racines chrétiennes, me dire à moi, que la référence aux racines chrétiennes de lEurope, cest un clin doeil au Front national, franchement, cest même insupportable. Cest même insupportable.
PATRICK COHEN Ce nest pas seulement la référence, cest le regret de ne pas lavoir fait inscrire, dans les lois fondamentales.
FRANÇOIS FILLON Bien sûr ! Mas ça fait des années, que nous le disons. Ca fait des années que nous disons que la France et notamment Jacques CHIRAC, puisque cétait lui qui sy était opposé
PATRICK COHEN Oui, mais Nicolas SARKOZY était contre.
FRANÇOIS FILLON Avait eu tort. Pourquoi avait eu tort ? Parce que cest la négation de la réalité, cest la négation de lhistoire. Et on ne construit pas lavenir en niant lhistoire. Et dire quon a des racines chrétiennes, ça ne nous empêche pas dêtre des défenseurs de la laïcité et de lavoir montré avec même parfois, de façon spectaculaire. Donc je ne crois pas du tout, à ces arguments, je ne crois pas du tout à largument
PATRICK COHEN Tous ceux qui, dans votre majorité, ont manifesté leurs troubles ils ont perdu la boussole ? Ils se trompent ? Ils sont intoxiqués par les médias ? Jean ARTHUIS, même Jean ARTHUIS, que vous avez cité tout à lheure
FRANÇOIS FILLON Mais ils nappellent pas à voter François HOLLANDE.
PATRICK COHEN Absolument ! Mais
FRANÇOIS FILLON Ils nappellent pas à voter François HOLLANDE.
PATRICK COHEN Mais Jean ARTHUIS dit encore, ce matin, il y a des considérations droitières qui mont profondément embarrassé dans cet entre-deux-tours. Etienne PINTE, lun de vos proches, lancien maire de Versailles, namène pas à voter François HOLLANDE, il dit : Nicolas SARKOZY se trompe de stratégie.
FRANÇOIS FILLON Etienne PINTE peut avoir un jugement, il a souvent dailleurs une assez grande indépendance de vue.
PATRICK COHEN Vous le partagez ce jugement ?
FRANÇOIS FILLON Jean ARTHUIS est tout à fait au centre. Nicolas SARKOZY nest pas au centre, donc il y a évidemment des différences dappréciation entre les deux. Mais nous avons démontré, notamment ensemble avec Jean ARTHUIS, quil ny avait aucune raison pour les centristes daller voter François HOLLANDE, qui avait au contraire toutes les raisons de ne pas le faire. Notamment à cause de la question du programme économique de François HOLLANDE. Cest très bien les discours, sur les valeurs, tout ça, fait plaisir, surtout dans des cercles assez restreints. Mais la réalité de léconomie française, quand on sera devant le mur de la dette, quand on sera devant les attaques spéculatives sur la monnaie européenne, parce quon aura travaillé les engagements de la France. Là, cest tous les Français et cest les plus modestes qui souffriront et cest de nouveau des voix qui iront au Front national. Cest ça le vrai sujet.
PATRICK COHEN Chez vous, votre SARKOZY en se bouchant le nez, ce nest pas grave, limportant cest le vote SARKOZY.
FRANÇOIS FILLON Mais personne, personne ne se bouche le nez en votant SARKOZY. Ca na aucun sens, ce que vous dites. Vous voyez bien, dailleurs que la campagne de Nicolas SARKOZY continue à être une campagne qui progresse, une campagne qui rassemble. Je suis convaincu que le résultat de cette élection va être extrêmement serré. Ca veut dire que grosso modo, il y a 50 % des électeurs qui sont tentés par la gauche, et 50 % qui sont tentés par le vote pour Nicolas SARKOZY. On est très, très, très loin de la description que vous venez de faire.
PATRICK COHEN Etes-vous sûr que le discours de Nicolas SARKOZY soit toujours celui du rassemblement, comme quand hier soir à Toulon, il accuse la gauche dabîmer la République, et de ne pas laimer. Il est à même de rassembler, de réconcilier le pays ?
FRANÇOIS FILLON En tout cas, en tout cas, moi, jai remarqué pendant ces 5 ans, que jamais nous navons pu avoir, le moindre soutien de la gauche, même lorsque nous prenions des mesures qui étaient des mesures qui nétaient ni de droite, ni de gauche, qui étaient prises dans tous les pays européens, par exemple pour préserver lépargne des Français, comme cela a été fait dans tous les autres pays européens. Pourquoi est-ce que la gauche ne nous a jamais soutenus ? Pourquoi est-ce que nous sommes le seul pays en Europe où il nest pas possible davoir le moindre consensus avec la gauche ? Pourquoi est-ce quon peut voter des réformes des retraites dans tous les pays européens de manière consensuelle, jamais en France, parce que la gauche ne laccepte jamais. Oui, parfois, la gauche est sectaire. Et pendant les 5 années, ce que jai vécu en tant que chef du gouvernement, ce que jai vécu à lAssemblée nationale, cest une confrontation permanente avec une gauche sectaire. Alors il y a des sujets sur lesquels, cest normal quon se pose et où il y a des divergences entre nous. Mais il y a des milliers de sujets, de la vie quotidienne, il y a eu pleins de décisions pendant la lutte contre la crise où la gauche se serait honoré davoir aidé et soutenu la majorité.
PATRICK COHEN Ça suffit pour dire que la gauche naime pas la République ?
FRANÇOIS FILLON Non, je ne dis pas que la gauche naime pas la République. Je dis simplement que la gauche parfois, considère quelle a le monopole de la République, alors quelle en est très loin, dans son comportement.
PATRICK COHEN Vous avez sous-estimé François HOLLANDE, François FILLON ? Mercredi à Nantes, quelques heures avant le débat, vous le qualifiez de président de banquet de la 3ème République
FRANÇOIS FILLON Non, je faisais allusion à une réflexion que fait souvent François HOLLANDE, lui-même, il fait référence à Henri QUEUILLE, comme étant lun de ses modèles.
PATRICK COHEN Oui, président du conseil de la 4ème République.
FRANÇOIS FILLON Et surtout, ministre quasiment inamovible, de la 3ème République, qui avait été à lorigine de quelques-unes des formules qui ont symbolisé limpuissance de la République, quand il disait par exemple : « il ny a pas de problème, quune absence de solution ne finisse par résoudre. » Quand il disait quon ne résout pas les problèmes, on fait taire ceux qui les posent.
PATRICK COHEN Oui. Et vous êtes sûr que François HOLLANDE a reprise cette devise à son compte ?
FRANÇOIS FILLON Non, je dis simplement, quil fait souvent référence à Henri QUEUILLE, voilà. Je lui ai fait remarquer quHenri QUEUILLE ce nétait pas une bonne référence.
PATRICK COHEN Ultime argument ce matin, pour ceux qui hésitent encore entre Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE, François FILLON ?
FRANÇOIS FILLON Je crois que largument principal, cest quon la vu dailleurs dans le débat de mercredi dernier. François HOLLANDE a un énorme problème, avec la vision économique du monde et avec sa vision de lEurope. Or cest le sujet fondamental. Je veux dire, il y a 20 ans, on pouvait se permettre de faire quelques écarts, on avait des réserves, on nétait pas acculé, comme on lest aujourdhui, comme le sont tous les pays européens, face à la montée dune compétition internationale qui est extrêmement rude. La monnaie européenne est dune fragilité extrême. Il faut, cest impératif, respecter les engagements quon a pris. Il faut respecter les engagements quon a pris, en matière de réduction des déficits. François HOLLANDE ne le veut pas. Alors est-ce quil sera contraint à le faire, sil gagne, je nen sais rien. Ce que je vois simplement, cest quil nie la réalité de la situation de la monnaie européenne. Et quil cherche à se donner des marges de manoeuvre qui nexistent pas. Il nest donc pas dans le réel. Il est dans une, il refuse de voir le monde comme il est. Et je pense que cest largument principal. Parce que cest ça qui conditionne la vie des gens. Ce nest pas le reste. Ce qui conditionne la vie des gens, cest les décisions économiques qui vont être prises, et cest les conséquences de ces décisions.
Source : Premier ministre, Service dInformation du Gouvernement, le 21 juin 2012
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