Interview de Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, à La Chaîne Info le 4 juin 2013, sur la politique familale et notamment la baisse du quotient familial.
Texte intégral
JULIEN ARNAUDLe 28 mars dernier, le président déclarait cette phrase : « Il ny aura aucune augmentation dimpôts en 2014 », deux mois plus tard, les impôts augmentent, le président sest-il dont renié ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Il était urgent de pouvoir sauver la branche famille, qui connait un déficit de plus de 2,5 milliards, dont nous avons hérité
JULIEN ARNAUD
Oui.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Et ne rien faire, aurait été remettre en cause la qualité de notre politique familiale. Il y avait deux
JULIEN ARNAUD
Donc, ça justifie un reniement présidentiel.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Il y avait deux options, qui ont été proposées par le président du Haut conseil à la famille : soit la modulation des allocations familiales. Vous avez vu les très fortes réticences, en particuliers des associations familiales, sur ce quelles pensaient être, toucher au principe de luniversalité. Restait la solution du quotient familial, qui est une solution, comme le dit le président de la République, ce matin, dans une interview, la solution la plus juste et la plus efficace.
JULIEN ARNAUD
Mais contradictoire avec sa promesse dil y a deux mois.
DOMINIQUE BERTINOTTI
C'est celle qui a été retenue, même si effectivement, cela va provoquer une hausse dimpôts pour les 15 %, je dirais même les 12 % des familles les plus aisées.
JULIEN ARNAUD
Donc c'est un reniement.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ce n'est pas un reniement, c'est une obligation
JULIEN ARNAUD
Un changement de pied, quoi.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Une obligation de sauver notre politique familiale, pour également plus de justice, car je tiens à souligner quaujourd'hui, la politique familiale fait que, un enfant de famille plutôt aisée, perçoit plus quun enfant de famille modeste, sans même parler des familles les plus pauvres.
JULIEN ARNAUD
Cela dit, on paie la même chose, avec cette histoire de quotient familial, que lon gagne, mettons, 80 000 ou que lon gagne 200 000 , finalement la hausse dimpôt sera exactement la même. C'est la justice, ça ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
C'est en fonction c'est en fonction, c'est une une
JULIEN ARNAUD
A partir dun certain seuil, on est au taquet, donc on paie la même chose, quoi.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ecoutez, de toute façon, pourquoi on mène ces mesures ? Cest à la fois pour réduire le déficit, mais c'est aussi pour permettre de revaloriser lASF et le complément familial, à destination de familles qui en ont réellement besoin. Il y a une explosion des familles monoparentales, et on doit aussi pouvoir permettre à ces familles, de pouvoir bien éduquer leurs enfants, et puis c'est aussi, lautre pilier de la politique familiale, un effort sans précédent, un investissement dans la jeunesse, au travers des 275 000 places daccueil qui sont aujourd'hui proposées.
JULIEN ARNAUD
On va en parler, mais alors, pour que les choses soient claires, ça veut dire quen gros, aujourd'hui, si on gagne 5 300 , vous considérez que lon est une famille riche.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je nai pas dit riche, jai dit : 12 % des familles les plus aisées. Parmi ces familles les plus aisées, oui, incontestablement il y a des familles qui sont riches, mais jai parlé des familles les plus aisées. Ça veut dire quand même que 88 % des familles ne vont pas être concernées, ou certaines vont être concernées, en plus, c'est-à-dire en ayant, soit lASF, soit le complément familial revalorisé. Ce sont
JULIEN ARNAUD
Vous ressentez
DOMINIQUE BERTINOTTI
Ce sont des mesures de justice fiscale.
JULIEN ARNAUD
Vous ressentez cette impression, Dominique BERTINOTTI, que ce sont un peu toujours les mêmes qui paient et toujours les mêmes qui perçoivent ? On a limpression dune France qui se coupe de plus en plus en deux, et que le matraquage fiscal ne fait quamplifier cette tendance-là ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je ne partage pas ce sentiment, et je vais vous dire pourquoi. Dabord, parce que notre modèle familial repose que la solidarité, il y a une exigence de solidarité. Si nous ne réduisons pas les déficits, si nous ne mettons pas plus de justice fiscale, c'est à terme la fin de notre modèle social auquel nous sommes tous attachés. Et je tiens à dire que leffort sur les 275 000 places daccueil, concerne toutes, toutes, et je dis bien toutes les familles. Et si vous regardez les sondages récents
JULIEN ARNAUD
C'est-à-dire même les plus aisées, quelles que soient les conditions de ressources, etc.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Bien sûr. Le but
JULIEN ARNAUD
Voilà, oui.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Le but, et on le comprend, de la même façon que tout le monde aspire à mettre son enfant à lécole, et c'est une obligation, tout le monde aspire, aujourd'hui, à pouvoir bénéficier dun mode de garde. Nous savons le déficit important de 500 000, à peu près, qui est estimé entre 300 000 et 500 000, manquent de places daccueil, nous faisons un effort très substantiel de 275 000 places daccueil.
JULIEN ARNAUD
Cela dit, ce chiffre de 275 000, c'est un objectif, c'est un chiffre que vous annoncez comme ça. Or
DOMINIQUE BERTINOTTI
Non.
JULIEN ARNAUD
les places en crèches, ce sont les communes qui décident, les communes aujourd'hui nont pas dargent, dans les écoles c'est la même chose.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Alors, c'est une méconnaissance, si je peux me permettre, ou incomplète
JULIEN ARNAUD
C'est un ensemble, oui, c'est ça, mais
DOMINIQUE BERTINOTTI
C'est un ensemble, c'est-à-dire que
JULIEN ARNAUD
Mais si les communes ne sont pas daccord, il ny a pas de place.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Mais enfin, c'est une collectivité qui ne peut fonctionner que si les caisses dallocations familiales sont partie prenantes. Or, les chiffres que nous annonçons, c'est dans le cadre de la signature dune convention avec la CNAV, avec la Caisse nationale des allocations familiales, c'est aussi lélaboration de schémas territoriaux de lenfance et de la parentalité, c'est-à-dire avec cette volonté de bien cibler, là où les départements sont les plus déficitaires. Je tiens à dire que c'est aussi pour des raisons strictement économiques, on veut que les salariés puissent être mobiles et prendre des emplois dans tel ou tel département. Si on n'est pas capable, en même temps, de leur offrir des services indispensables, comme par exemple les services de mode de garde de leurs jeunes enfants, alors, des familles renonceront. Or, nous avons aussi besoin de continuer, c'est ce qui fait la force de la politique familiale, à ce que les femmes puissent continuer à travailler.
JULIEN ARNAUD
Justement, avec cette baisse du quotient familial, il y a sans doute des femmes qui vont sarrêter de travailler. Finalement, les foyers vont se dire : « Eh bien, autant gagner un petit peu moins dargent, comme ça on va payer moins dimpôts ».
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je pense que
JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous navez pas peur de cette tendance-là ? Lun des intérêts de la politique familiale, c'est ce que vous dites, c'est de faire en sorte que les femmes continuent à travailler.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Oui, mais moi je pense quil faut regarder attentivement la réalité des choses. Là nous nous adressons aux 12 % des familles les plus aisées. Ce n'est pas forcément là où on renonce à lemploi, c'est plutôt dans les milieux
JULIEN ARNAUD
Peut-être que lon va commencer à y penser sérieusement, parce que c'est la deuxième fois que le quotient familial est raboté.
DOMINIQUE BERTINOTTI
C'est dans les milieux les plus modestes, je vais vous dire, parmi les familles les plus pauvres, 90 % des enfants sont gardés par les enfants (sic ?) et pas forcément par choix de la mère, parce que, effectivement, la recherche dun emploi nécessite que lon puisse bénéficier dun mode de garde, dun emploi y compris à temps partiel, nécessite des horaires atypiques, c'est tout cela que nous allons créer, au travers de lélaboration de schémas territoriaux, c'est pour cela quà la fois ce sont des annonces quantitatives, mais aussi qualitatives, qui saccompagnent par un véritable maillage du territoire, pour quil ny ait plus des territoires, des départements à 9 % daccueil et dautres à 80 % daccueil.
JULIEN ARNAUD
Vous avez entendu les réserves de votre copine Ségolène ROYAL ? Dimanche dernier, elle a dit : « Attention, la politique familiale, il ne faut y toucher quavec beaucoup de prudence, on avait limpression quelle était plus que réservée sur les annonces que le gouvernement sapprêtait à faire le lendemain.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Cela signifiait tout simplement, et je partage son avis, queffectivement la politique familiale est quelque chose quil faut conduire, avec le souci de justice, déquité et defficacité. Je pense que cette association de cet ensemble de mesures, c'est de la justice, de lefficacité et de la solidarité.
JULIEN ARNAUD
Il y a un certain nombre de fraudes dont on parle régulièrement, même si on nous dit « c'est marginal », etc., mais on voit souvent, par exemple, des allocations de parent isolé détournées, on voit de la polygamie de fait, et on a limpression que lEtat ne fait absolument rien contre ça, alors que ça coûte beaucoup dargent, quand même.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Alors, écoutez, vous en parlerez aux employés des Caisses dallocations familiales, qui consacrent beaucoup de temps, justement, à la lutte contre la fraude, qui n'est pas justifiable, mais je tiens à dire que ce n'est pas cela qui grève la branche famille, même si nous devons continuer ces efforts de lutte contre la fraude, il est beaucoup plus important, véritablement, là, de pouvoir revaloriser, je reviens, le complément familial, lallocation de soutien familial, comme nous avons revalorisé lallocation de rentrée scolaire, c'est ça qui permet de miser sur lavenir, de préparer lavenir de nos enfants, et c'est un des investissements forts du président de la République.Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2013
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