Texte intégral
Madame la Présidente du Cercle InterElles
Mesdames et Messieurs
Je suis vraiment très heureuse dintervenir parmi vous à loccasion de votre douzième colloque. Preuve de la pérennité de votre démarche, de lancienneté de votre engagement et de votre persévérance. Preuve aussi du travail quil reste à faire pour faire légalité réelle entre les femmes et les hommes.
Nous sommes à la veille de la journée internationale des droits des femmes. Cette journée est inscrite dans la pratique de nos institutions comme de la société civile. Elle constitue un rendez-vous annuel de réflexion, de sensibilisation, dinterpellation et de revendication pour les droits des femmes. Pour le Gouvernement, elle ne doit plus être un rendez-vous sans lendemain.
Ni pour les autres acteurs dailleurs.
Jorganise aujourdhui même une convention nationale « 2013, année de légalité », conclue par la présentation dun calendrier de lannée de légalité, recensant les 365 initiatives pour la promotion des droits des femmes qui seront mises en oeuvre jusquau 8 mars 2014. Ces initiatives seront soutenues par 1000 jeunes en service civique, qui pourront sappuyer sur des outils interactifs. Cest pour cela que jai choisi un message mobilisateur : « légalité cest tout lannée ! ».
Preuve de cette volonté la décision du Président de la République et le Premier ministre de recréer un ministère des droits des femmes de plein exercice. Cela faisait 26 ans quun Ministère des droits des femmes de plein exercice avait disparu : cest à cette « fatalité » dun Ministère intermittent que je mattache dabord à mettre fin.
Depuis dix mois, les droits des femmes sont redevenus une priorité politique, portée par tous les membres du gouvernement. La feuille de route définie à loccasion du Comité interministériel des droits des femmes du 25 novembre 2012, est mise en oeuvre au quotidien par le réseau des hauts fonctionnaires à légalité placé auprès de chaque Ministère.
En matière dégalité professionnelle, le principal problème auquel nous devons faire face cest labsence deffectivité des lois. Le constat est triste mais pourtant sans appel. Nous avons un arsenal législatif très développé, mais son application est très insuffisante. Ainsi, à titre dexemple, seulement une entreprise sur deux produit son rapport de situation comparée. Cette situation nest pas acceptable.
Cest pourquoi jai décidé dès mon arrivée de revoir le dispositif de pénalités instauré par la loi en 2010. Car de fait le décret dapplication de la loi de 2010 qui prévoit une pénalité de 1% de la masse salariale si une entreprise ne respecte pas ses obligations en matière dégalité professionnelle avait vidé le texte de tout effet. Il ny a rien de plus néfaste et de plus propice au sentiment dimpunité.
Je ne fais pas de la sanction une panacée. Mais la sanction a sa place dans notre arsenal mais elle doit être crédible. Jai donc modifié profondément ce décret dapplication pour renverser la logique qui prévalait jusqualors : jusquici cest au gré des contrôles sur place que les agents de linspection du travail pouvait se rendre compte quune entreprise respectait ou pas ses obligations. Désormais cest linverse. Les entreprises devront déposer auprès des services de lEtat, non seulement les accords négociés, mais aussi les plans daction unilatéraux. Ce qui veut dire concrètement que les services de contrôle de lEtat sauront sans avoir besoin de faire des contrôles sur place quelles entreprises respectent leurs obligations, et lesquelles ne les respectent. Et à partir de là ils pourront mettre en place des plans de contrôle mêlant contrôle sur pièces et contrôle sur place.
Jai également décidé de renforcer les exigences en termes de qualité des démarches que doivent engager les entreprises : elles devront aborder plus de thèmes, produire des indicateurs plus précis, et traiter impérativement le thème de la rémunération.
Je le disais, je ne fais pas de la sanction une panacée, et je considère quil faut aussi accompagner les entreprises, en particulier les PME. Contrairement à ce que lon pense parfois, réaliser légalité professionnelle dans les entreprises comme dans les administrations na rien dévident.
Je voudrais que les acteurs de lentreprise, en particulier les employeurs comprennent quil y a aussi un intérêt collectif à agir. Quils comprennent que légalité professionnelle, cest une question de droit, de droit fondamental, mais cest aussi une démarche qui peut apporter beaucoup à lentreprise, dans son organisation, dans la qualité de vie au travail, dans limplication des salariés, dans le recrutement aussi.
Cest pour cela que jai mis un plan daccompagnement, mobilisant les organisations demployeurs, comme les organisations syndicales, et des moyens financiers pour informer, sensibiliser, accompagner les entreprises et tous les acteurs de lentreprise dans leurs démarches y compris les acteurs syndicaux. Et nous mettons à disposition de tous une démarche pragmatique et des outils gratuits sur notre site ega-pro.fr qui a été conçu avec les organisations syndicales comme avec les organisations patronales.
Vous le savez les causes des inégalités professionnelles et salariales sont multiples. Nous navons pas dautres choix que de nous attaquer à chacun dentre elles, simultanément, pour obtenir un résultat.
Quels sont les obstacles sur le chemin de légalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes ?
Le temps partiel dabord. Le temps partiel est une forme demploi très féminine. 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes. Le temps partiel peut être une source importante de précarité actuelle et future car il affecte fortement le niveau des pensions de retraite. Et il explique la moitié des écarts de salaire.
Je ne condamne pas le temps partiel en soi, je condamne le temps partiel, lorsquil est très partiel, quil est subi, que la rémunération est faible, et quil est tellement partiel quil nouvre pas à tous les droits sociaux.
Aussi je veux souligner ici limportance de laccord national interprofessionnel sur la sécurisation de lemploi que les partenaires sociaux ont signé le 11 janvier dernier. Cet accord, est le premier depuis longtemps à prendre des dispositions pour enrayer le phénomène du temps partiel. Il introduit deux avancées décisives.
* La première cest un minium horaire hebdomadaire de 24 heures, très au-dessus du seuil qui permet de déclencher laccès aux droits sociaux . Et cest bien sûr des revenus dactivité supplémentaires pour les salariés qui en bénéficieront.
* Deuxième avancée : la majoration des heures complémentaires. Je vous épargne la description technique des dispositions actuelles, mais en gros actuellement les salariés, peuvent effectuer plus dheures que ce que prévoit le contrat sans que toutes les heures ne donnent lieu à une majoration. Désormais, les heures complémentaires seront majorées dès la première heure.
Voilà deux avancées qui nous permettrons de lutter contre la précarité, dagir sur les écarts de salaire et que le Gouvernement transposera fidèlement dans le projet de loi qui a été examiné hier en Conseil des ministres et que nous présenterons très prochainement au Parlement.
Deuxième sujet lorientation. Ce que je vais dire est sans doute moins vrai pour votre assemblée. Certains dentre vous ont choisi des métiers techniques, et cest très bien.
Mais quand on regarde globalement il est frappant de constater à quel point les femmes sont concentrées dans quelques filières. Elles sont minoritaires, et ce nest pas le fait de leurs résultats scolaires qui sont meilleurs que ceux des garçons, dans les écoles dingénieurs et sont en revanche largement majoritaires dans les formations paramédicales ou sociales (80 %) et majoritaires dans les formations universitaires de santé (médecine, odontologie et pharmacie, 62 %).
Plus de la moitié des femmes salariées exercent leur activité dans 12 familles professionnelles alors quon en compte 87. Et on les retrouve souvent dans les filières et les métiers peu valorisés, comme les services à la personne, mal reconnus et mal payés. A lécart des métiers techniques, considérés comme nobles, reconnus et mieux payés, je veux parler des métiers plutôt masculins.
Comment ne pas y voir leffet des stéréotypes qui pétrissent notre société, les hommes comme les femmes, dès le plus jeune âge ? Les stéréotypes jouent un rôle déterminant dans la formation des inégalités. Lorsquils penchent systématiquement en défaveur dun sexe contre un autre, ces stéréotypes deviennent un obstacle. Il faut donc agir pour lutter contre les stéréotypes existes.
Le service public de lorientation dont la création est envisagée dans le cadre de la nouvelle étape de décentralisation devra prendre en compte la nécessité de promouvoir la mixité, dans les conseils délivrés et dans les outils de lorientation. Si lon veut modifier ces orientations, élargir pour les filles lhorizon des possibles, il faut montrer des modèles, montrer que dautres choix sont possibles et sont épanouissants. Et le faire le plus tôt possible.
Jai également décidé de mettre en place avec le ministre de léducation nationale un programme « ABCD de légalité », qui sera dispensé par les enseignants. Ils mettront la question de la différence entre le masculin et le féminin au coeur même de nos méthodes pédagogiques, en permettant aux enfants de prendre conscience de ces différences et d'en parler avec leurs parents.
La formation à légalité des personnels dencadrement de léducation nationale sera désormais une priorité.
Enfin, une grande campagne nationale de communication sur la genèse des inégalités est lancée dès ce soir.
Jen viens maintenant au plafond de verre. Il est omniprésent. Dans les entreprises, dans les administrations, et dans tous les secteurs. Il écrase les carrières professionnelles des femmes. Même dans les métiers dits féminins où les femmes sont très présentes, il y a un niveau de hiérarchie où les hommes deviennent plus nombreux. Les femmes représentent trois quarts des cadres dans la communication, deux tiers dans les ressources humaines mais seulement 7 % dans la production industrielle et 16 % dans la direction dentreprise.
Le législateur a introduit un objectif de 40 % de femmes dans les conseils dadministration, et nous avons pu voir que lobjectif intermédiaire de 20 % était bien passé. Mais soyons vigilant car passer de 20 % à 40 % sera plus difficile. Il faut réfléchir à la manière daccompagner cette mise en oeuvre pour que lobjectif de 40 % soit atteint effectivement en 2017.
Je souhaite également avancer sur la place des femmes dans les COMEX et les CODIRS. Pour deux raisons. Dabord parce que sont des lieux essentiels dans la gouvernance des entreprises et dans sa gestion. Il est donc essentiel, et normal, que les femmes puissent y accéder comme les hommes. Ensuite parce qui est fait pour développer la place des femmes dans les COMEX en fait irrigue toute la démarche dégalité professionnelle dans lentreprise : elle oblige à se poser les bonnes questions et à mettre en place des outils pour construire et permettre les parcours féminins.
Jai donc décidé dorganiser le 9 avril prochain une conférence sur le sujet. Cette conférence posera les enjeux stratégiques du meilleur accès des femmes aux postes de responsabilité, notamment aux COMEX et aux CODIR, discutera des politiques de ressources humaines que cela implique et des conséquences de cette démarche sur lensemble de la politique dégalité professionnelle, sur la qualité de vie au travail, et plus généralement sur le processus de changement quelle induit. Une quinzaine de chefs dentreprise parmi les plus grandes interviendront sur ces questions. Cest à la fois un moment déchange et benchmark qui peut servir de stimulant.
Par ailleurs jai engagé un travail de conventionnement avec 17 grandes entreprises et se signerai à loccasion de cette conférence 17 conventions qui globalement visent à mobiliser les grands groupes dans laccompagnement des PME dans leurs démarches dégalité professionnelle, et à la placer dans une démarche de progrès sagissant de la féminisation de leurs COMEX et de leur CODIRS. Les points de départ des entreprises sont très éloignés les uns des autres, les démarches qui seront engagées aussi. Ce qui est important cest de créer le mouvement, la dynamique et de lentretenir. Sans doute faudra-t-il réfléchir à donner un peu de transparence et de visibilité aux progrès de la féminisation de ces instances.
Vous laurez compris, je souhaite agir sur tous les leviers importants, dans une approche pragmatique. Je suis convaincue que seule une laction résolue, déterminée, persévérante, sur tous ces leviers nous permettra de changer les choses. Et que cette action doit en fait mobiliser tous les acteurs. Cest pour cela que je me réjouis de voir votre travail, votre engagement et vos travaux. Bien sur ce travail vous profite, il profite également à vos entreprises. Mais ce que vous faites concourt aussi à lintérêt général. Alors merci.
Source http://www.interelles.com, le 11 juin 2013