Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Syrie, à l'Assemblée nationale le 10 septembre 2013.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 10 septembre 2013

Texte intégral

Mon propos liminaire portera sur les trois événements intervenus depuis le débat parlementaire de mercredi dernier, alors même que les massacres continuent en Syrie : la réunion du G20 à Saint-Pétersbourg, la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne le lendemain, à Vilnius, et la proposition formulée hier par Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères. Je préciserai la position de la France et où nous en sommes aujourd'hui.
Pour ce qui est du G20 de Saint-Pétersbourg, permettez-moi d'abord une remarque générale qui doit nous faire réfléchir. Normalement, et juridiquement, tout ce qu'il convient de faire pour résoudre la grave affaire syrienne - la plus grande catastrophe humanitaire depuis des décennies, puisque l'on recense désormais 110.000 morts et des millions de personnes déplacées et réfugiées - et traiter du massacre chimique du 21 août dernier devrait être traité au sein des Nations unies. Mais, en raison des blocages constatés depuis deux ans au sein du Conseil de sécurité, les Nations unies n'ont pu se saisir de la question. C'est donc le G20, instance qui n'a nullement été conçue à cette fin, qui a dû le faire. Le sommet de Saint-Pétersbourg n'a fait que survoler les questions économiques auxquelles il devait être consacré : on n'y a en réalité parlé essentiellement de la Syrie. Le moins que l'on puisse dire est que le système international ne fonctionne pas comme il le devrait.
La question syrienne a été abordée lors d'un dîner, à l'initiative du président Poutine et les positions ont été énoncées de façon ferme, faisant apparaître des points d'accord et de désaccord. Onze pays sur vingt - dont, outre la France et la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne - se sont ensuite mis d'accord sur un texte rejoignant les positions française, britannique, américaine et de quelques autres États. Au sortir de cette réunion, et alors que l'on avait présenté la position française comme étant très isolée, on a donc constaté un début d'élargissement, puisque sept des huit pays du G8 partageaient notre position et, je le rappelle, onze pays du G20.
Le lendemain s'est tenue à Vilnius une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne prévue de longue date, au cours de laquelle la question syrienne a été à nouveau abordée. Plusieurs possibilités étaient avancées et le secrétaire d'État américain, M. John Kerry, est venu fournir un certain nombre d'informations, comme je l'avais moi-même fait la veille. Nous avons ensuite délibéré, hors sa présence, et obtenu l'unanimité, en dépit de la grande diversité de situation des pays européens : certains sont neutres, d'autres ont des réticences classiques à toute position ferme, d'autres encore ne sont constitutionnellement pas en mesure d'intervenir à supposer que leur gouvernement le souhaite. L'unanimité s'est donc finalement dégagée autour des thèses de la France et de la Grande Bretagne, comme Mme Ashton en a fait état. Et, à cette occasion, l'Allemagne qui, la veille, à Saint-Pétersbourg, n'avait pas signé la déclaration des Onze, a fait savoir, après que nous en avons discuté, qu'elle rejoignait leur position. Une position européenne unanime s'est ainsi dégagée.
On peut certes considérer que cela ne suffit pas. Mais comme vous le savez tous, il n'existe pas encore de politique étrangère et de sécurité commune. Certains s'en réjouissent, d'autres s'en désolent, beaucoup essayent de faire progresser la question. Nous avons donc élargi le cercle des pays qui soutiennent notre démarche ferme et forte - condamnation du régime et du massacre chimique du 21 août et préparatifs de sanction.
Lors de ces réunions, la France a toujours défendu la même position, que je caractériserai de la manière suivante : face au massacre chimique du 21 août, nous voulons à la fois sanction et dissuasion. Sanction puisque ce massacre, que le Secrétaire général des Nations unies a qualifié de crime contre l'humanité, ne peut rester impuni ; dissuasion, car notre absence de réaction encouragerait M. Bachar Al-Assad à recommencer, voire à faire pire, mais aussi tous ceux qui seraient, comme lui, tentés. L'utilisation des armes chimiques est interdite depuis 1925 ; ne pas sanctionner leur usage massif serait un encouragement puissant à continuer de les employer, mais aussi à en utiliser d'autres - et comment ne pas avoir à l'esprit le programme nucléaire de l'Iran ?
Parallèlement, des discussions ont porté sur le rapport que doivent prochainement présenter les inspecteurs des Nations unies. Le président de la République a eu l'occasion de s'exprimer à ce sujet et nous avons indiqué que la France voulait disposer de tous les éléments nécessaires pour prendre sa décision : le rapport des experts, intéressant même si son objet est limité, mais aussi le résultat des délibérations du Congrès américain puisqu'il n'est pas question pour nous de nous engager seuls dans cette affaire. Même si nous ne sommes pas suivistes mais aux côtés des États-Unis, la position qu'ils adopteront est un élément important du processus.
Voilà ce qu'il en est des réunions de Saint-Pétersbourg et de Vilnius. Puis, hier, mon homologue russe, Sergueï Lavrov, après avoir reçu le ministre des affaires étrangères de Syrie, a déclaré ce qui suit : «Nous appelons les dirigeants syriens à non seulement accepter de placer sous contrôle international leur stock d'armes chimiques, et ensuite à le détruire, mais aussi à rejoindre pleinement l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques». Ayant pris connaissance de cette déclaration et des conditions dans lesquelles elle avait été élaborée, j'ai demandé à M. Lavrov de préciser ce qu'elle signifiait et je me suis à nouveau entretenu avec mes collègues américain, britannique, européens et chinois. Nous avons estimé que cette déclaration devait être accueillie avec intérêt mais précaution - non que l'on veuille faire un procès d'intention aux Russes, mais étant donné l'extrême difficulté d'un processus dans lequel interviendront et la Russie et la Syrie, il convient à la fois d'apprécier une proposition qui introduit un élément nouveau et d'éviter qu'il ne s'agisse d'un leurre.
Plusieurs contacts ont été pris et, ce matin, après m'en être entretenu avec le président de la République, j'ai annoncé que la France déposerait aujourd'hui même au Conseil de sécurité un projet de résolution sur la Syrie. Il vise à condamner le massacre du 21 août commis par le régime syrien ; à exiger de ce régime qu'il fasse sans délai toute la lumière sur son programme d'armes chimiques, qu'il le place sous contrôle international et qu'il soit démantelé ; à mettre en place un dispositif complet d'inspection et de contrôle de ses obligations, sous l'égide de l'organisation internationale d'interdiction des armes chimiques ; à prévoir des conséquences extrêmement sérieuses en cas de violation par la Syrie de ses obligations ; à sanctionner les auteurs du massacre chimique du 21 août devant la justice pénale internationale.
Ce projet de résolution est discuté en ce moment même, dans le cadre du «P3», par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis - il est normal que nos trois États s'accordent sur le texte avant d'aller au-delà. Le projet de résolution français est sous-tendu par la démarche de sanction et de dissuasion décrite, qui nous fait dire que la proposition russe peut être intéressante si le stock massif d'armes chimiques détenu par la Syrie est effectivement contrôlé puis démantelé - tout le problème étant de s'assurer de l'effectivité de ce contrôle.
Le président Obama, qui s'est entretenu avec le président de la République il y a une heure, prononcera ce soir une déclaration. Je viens pour ma part de parler avec mon collègue russe, qui m'a dit souhaiter obtenir une déclaration présidentielle aux Nations unies puis, soit dans le cadre de l'ONU, soit entre États, l'élaboration des premiers éléments plus précis d'un contrôle de l'armement chimique syrien.
La première conclusion que je tire de ces événements est que la fermeté réfléchie - qui correspond à la position traditionnelle de la France - paye. On peut interpréter de différentes manières la position des Russes, mais ce n'est pas leur faire injure que de dire que la détermination dont nous avons fait preuve ainsi que les constats qu'ils ont faits en Syrie les ont amenés à modifier leur position, qui a évolué au fil des mois. Russes, Iraniens et Syriens sont passés par des vérités successives : on a affirmé qu'il n'y avait pas de stocks d'armes chimiques en Syrie puis convenu qu'ils existaient, on a nié les massacres chimiques, puis on les a admis... Le rapport des inspecteurs des Nations unies qui sera rendu la semaine prochaine donnera des éclaircissements. Je le répète, notre fermeté réfléchie a été utile ; nous ne devons pas perdre de vue notre ligne directrice - sanction, dissuasion.
Enfin, il nous faut évidemment saisir les opportunités qui se présentent, tout en créant les conditions qui les rendront sérieuses et non pas en faire une occasion de fuir nos responsabilités. La France est dans son rôle quand, en proposant un projet de résolution au Conseil de sécurité, elle s'attache à définir les orientations permettant d'éviter tout dérapage. En ce moment même, on meurt en Syrie, et même si l'on parvient à démanteler le stock d'armes chimiques, ce sera avec une extrême difficulté en ce contexte de conflit exacerbé. Il ne faut certes pas prendre prétexte de ces difficultés pour affirmer que ce formidable objectif est impossible à atteindre, mais il ne faut pas non plus se dissimuler les difficultés et permettre à ceux qui en auraient l'idée de fuir leurs responsabilités.
L'Histoire est en train de se faire, et il est certain que la situation évoluera encore au cours des prochains jours. Notre position, constante, est de saisir les opportunités, de faire preuve de fermeté et d'essayer de porter secours au malheureux peuple syrien qui souffre dramatiquement.
(Interventions des parlementaires)
M. António Guterres, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, considère qu'en Syrie se noue le plus terrible drame connu depuis des décennies. Le nombre des réfugiés est déjà considérable et il est à craindre qu'il soit encore plus élevé s'il y avait une frappe, beaucoup de gens partant dans des conditions épouvantables. On compte au moins 700.000 réfugiés en Jordanie, plus de 500.000 en Turquie, et la situation est extrêmement grave en Irak et au Liban. L'Europe, et la France bien sûr, doivent prendre leur part à la solution.
Nous avons examiné la question à Vilnius. L'Union européenne est probablement déjà le premier intervenant sur les plans humanitaire et financier, comme elle l'est souvent, mais nous avons décidé d'augmenter encore massivement cet effort ; chaque pays européen doit prendre sa part à cet effort supplémentaire - pas seulement l'Europe, mais l'Europe aussi. Pour une série de raisons, le nombre des réfugiés accueillis en France est limité, même si nous avons permis que les demandes d'asile nous soient adressées par les réfugiés qui souhaitent gagner la France depuis les pays où ils sont accueillis, alors que les autres pays européens exigent que l'on se trouve sur leur sol pour formuler sa demande. Le ministre de l'intérieur et moi-même avons décidé de nous réunir extrêmement rapidement, avec les responsables de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour prendre des décisions à ce sujet.
Le projet de résolution dont la France a pris l'initiative, est étudié en ce moment même au sein du P3, je vous l'ai dit. Du côté russe, les choses sont beaucoup plus incertaines. Il résulte de ma conversation avec mon collègue Sergueï Lavrov que la Russie cherchera à obtenir une déclaration présidentielle, c'est-à-dire une déclaration faite par le président du Conseil de sécurité au nom du Conseil, adoptée lors d'une réunion formelle du Conseil et publié comme document officiel du Conseil, mais qui ne demande pas de recourir à tout le processus conduisant au vote d'une résolution. J'ai cru comprendre qu'à ce stade, les Russes n'expriment pas un enthousiasme forcené à l'idée d'une résolution contraignante. Or, même si l'on admet la bonne foi de chacun, on sait que le contrôle et le démantèlement de l'arsenal chimique syrien prendront beaucoup de temps. Nous considérons, pour cette raison, que le processus doit être encadré par les Nations Unies. M. Ban Ki-moon s'est d'ailleurs exprimé en ce sens hier. Mais je ne suis pas sûr que les Russes soient sur cette position, surtout si l'on agissait dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Le Sénat américain, qui envisageait de se prononcer rapidement, a fait savoir qu'il le ferait plus tardivement. Nous verrons quelles conséquences le président Obama tire de l'initiative russe.
Monsieur Gaymard, je n'entrerai pas dans la discussion sur les comparaisons historiques. Vous avez raison, il ne doit y avoir de sélectivité ni dans l'indignation ni dans l'action. Mais si l'indignation est un moteur puissant, il faut y ajouter la réflexion. Vous avez cité les troubles en République démocratique du Congo ; je pourrais malheureusement citer bien d'autres pays et, pour ne parler que de l'Afrique, la République centrafricaine, dont la situation, très dégradée, nous préoccupe beaucoup. J'aurai à vous en parler, car il nous a été demandé d'être le référent auprès de l'ONU sur cette question.
Dans des termes d'une parfaite objectivité, M. Gaymard m'a demandé les raisons du «changement de pied du gouvernement», changement de pied qui m'avait échappé. Quand une certaine situation évolue, le moindre des réalismes est de s'adapter ! Personne ne prévoyait, la semaine dernière, la proposition qu'ont avancée les Russes et qui, comme plusieurs d'entre vous ont eu la générosité et l'objectivité de le reconnaître, s'explique notamment par la fermeté dont nous avons fait preuve. Mais lorsque surgit une proposition nouvelle, nous devons évidemment en tenir compte. Pour autant, les principes qui sous-tendent notre action n'ont pas changé : l'aide humanitaire - depuis le début du conflit - et le soutien à l'opposition modérée, car si l'on veut éviter aux Syriens de n'avoir à choisir qu'entre la dictature de M. Bachar Al-Assad et Al-Qaïda, il faut permettre à la Coalition nationale syrienne de se renforcer.
Vous me demandez enfin de décrire les modalités d'emploi des forces, ce que je ne ferai pas - et le ferais-je que vous me le reprocheriez, car il ne serait pas de bonne méthode, et c'est un euphémisme, de faire savoir à M. Bachar Al-Assad ce qui est envisagé en cas de frappes.
Vous avez, Monsieur Mamère, évoqué la situation, tragique, du Nord-Kivu. Pour la première fois, la force internationale qui y est déployée, la MONUSCO, a répliqué aux combattants adverses, les mettant en déroute. Nous devons en effet rester très attentifs à une situation actuellement épouvantable.
Pour ce qui est de l'historique des événements en Syrie, tout a commencé lors des printemps arabes. À ce moment, quelques jeunes gens, très peu nombreux, ont manifesté, et c'est la répression de ce mouvement par le pouvoir qui a entraîné ce que l'on sait. Aurait-on pu intervenir plus tôt ? Je rappelle qu'une personnalité éminente de notre République avait proposé, l'an dernier, une intervention militaire, ce qu'une autre personnalité non moins éminente, qui avait travaillé étroitement aux côtés de la première, avait jugé «totalement irresponsable» - des termes choquants pour quiconque respecte comme je le fais les institutions républicaines.
Mais, de fait, la situation était complètement différente à l'époque de ce qu'elle est maintenant. La France - qui a été le premier pays à appeler l'attention sur la gravité de ce qui se déroulait en Syrie, le premier pays à faire des efforts visant à aboutir à une solution politique, le premier pays à reconnaître la Coalition nationale syrienne et à saisir le Conseil de sécurité des Nations unies - n'était absolument pas en mesure d'intervenir, puisque cela aurait supposé de mobiliser de six fois, sinon dix fois, plus de forces militaires qu'il n'en a été dépêché en Libye alors que les États-Unis étaient à cent lieues de s'engager.
Une feuille de route est en effet nécessaire pour cadrer le démantèlement du stock d'armes chimiques syrien, une entreprise qui sera très compliquée. Les membres du Conseil de sécurité discuteront des moyens de s'assurer que le démantèlement sera réel et efficace.
M. Rochebloine a parlé de la ville chrétienne de Maaloula, objet d'une attaque d'une extrême violence, menée par les djihadistes du Front Al-Nosra qui ont commis des exactions. La Coalition nationale syrienne, qui combat durement ce Front, est ensuite intervenue, et son responsable a déclaré qu'il fallait absolument préserver les communautés chrétiennes et les églises.
Le déroulement de ces événements montre pourquoi il est essentiel d'expliquer que pour éviter au peuple syrien la terrible alternative de n'avoir de choix qu'entre deux fauteurs d'exactions - le régime de M. Al-Assad d'une part, les terroristes djihadistes d'autre part -, il faut favoriser une solution politique et pour cela, comme l'a fait la France, soutenir la coalition nationale syrienne, qui reconnaît la place des Alaouites et des minorités chrétiennes dans la société syrienne et qui combat et Bachar Al-Assad et les djihadistes.
M. Asensi a perçu, ou cru percevoir, un changement de doctrine de la France. Ce n'est pas le cas. La vérité est que nous sommes confrontés à une difficulté majeure, évoquée au cours du débat de la semaine dernière. D'une part, la France est attachée au respect des procédures des Nations unies et à ce que, lorsqu'un engagement de forces est envisagé, les dispositions prévues au chapitre VII de la Charte soient suivies. D'autre part, depuis près d'un siècle, un protocole interdit l'utilisation des armes chimiques. Si l'on souhaite voir respecter le droit international, il faut donc aller contre ceux qui violent ce traité. Le problème auquel nous nous heurtons est que deux grandes puissances ont mis leur veto à l'application du chapitre VII de la Charte et qu'elles refusent également de sanctionner l'emploi des armes chimiques. Telle est la situation épineuse dans laquelle se trouvent placés ceux qui ne veulent pas seulement disserter mais prendre leurs responsabilités. Peut-être - nous l'espérons tous - la proposition nouvelle qui semble être avancée permettra-t-elle de résoudre cette contradiction, mais nous ne le savons pas encore.
L'opinion publique est hostile à l'intervention en Syrie, c'est exact. Il y a à cela une série de causes qui s'additionnent. En premier lieu, le souvenir de l'intervention en Irak est encore très vif dans les esprits, en Europe comme aux États-Unis. Je rappelle à ce sujet que c'est sur la base des renseignements des services français que le président de la République de l'époque, M. Chirac, soutenu par la majorité de droite mais aussi par l'opposition de gauche, a dit : «Il n'y a pas d'armes de destruction massive en Irak, nous n'irons pas». Les mêmes services français disent cette fois : «Il y a eu un massacre chimique, et voilà qui en est l'auteur». On ne peut dans un cas rendre un hommage, mérité, à nos services et, dans l'autre, nier leur signalement que l'usage d'armes chimiques est avéré ! Pour l'opinion publique joue aussi le fait que tout cela se passe loin. Et puis, certaines interrogations s'expriment : M. Bachar al-Assad est sans doute un dictateur, mais les autres sont-ils vraiment différents ? Et encore : on se bat là-bas ; une action militaire n'aggravera-t-elle pas les choses ?
J'entends tout cela. Mais la tâche des responsables politiques est d'apporter d'autres arguments, ceux qui ne viennent pas spontanément à l'esprit. En premier lieu, si on laisse faire ces massacres, si on laisse le régime syrien utiliser des armes chimiques, qu'est-ce qui empêchera demain le même ou ses semblables, en Iran ou en Corée du Nord, à faire la même chose ? Ensuite, la Syrie est lointaine, certes, mais pas autant qu'il y paraît. Non seulement suffit-il d'allonger la portée des vecteurs pour que nous soyons directement concernés, mais ces pays nous sont très proches. Cet ensemble de réflexions a conduit à la position prise par la France.
Je ne pense pas que celle de la Russie s'explique par la volonté de garder la base militaire syrienne de Tartous. D'ailleurs, nous avons dit plusieurs fois au président Poutine et à M. Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, que la permanence de cette base n'était nullement en cause. Je ne pense pas non plus que pèse dans la réflexion des Russes le volume des armes vendues à la Syrie, pourtant considérable. La Russie est une grande puissance qui a son mot à dire en matière diplomatique et qui le montre. La France a, traditionnellement, de bonnes relations avec elle. À ma demande, M. Jean-Pierre Chevènement a d'ailleurs accepté d'oeuvrer en faveur des relations politiques, économiques, commerciales, scientifiques et culturelles entre la France et la Russie ; il le fait très bien.
Dans le même temps, nous devons discuter avec la Russie, ce que nous faisons régulièrement. Dans l'affaire syrienne, le président Poutine a une obsession : avant tout, éviter le chaos. Nous faisons valoir que le chaos est déjà là, et qu'il faut donc tenter de trouver une solution politique. La Russie et la France s'accordent pour considérer que M. Al-Assad, responsable par son comportement de la mort de 110.000 personnes en Syrie, n'est pas voué à une longévité politique éternelle. Cela étant, nous ne faisons pas de son départ un préalable : nous disons qu'il faut trouver une solution permettant à la fois des changements et la persistance des piliers institutionnels en l'absence desquels la Syrie plongerait, après la chute du régime, dans une situation à l'irakienne.
Tel est le sens du projet de conférence Genève 2, qui s'inspire de Genève 1. Il s'agit de réunir les parties pour trouver par consensus une solution permettant de bâtir un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs, ceux qui sont aujourd'hui aux mains de M. Al-Assad. Tout le problème est de faire venir les parties - représentants du régime et représentants de la coalition nationale syrienne, car il n'est pas question d'inviter la mouvance Al-Qaïda - pour discuter. On conçoit qu'il ne soit pas facile pour M. Al-Assad d'envoyer des gens négocier de bonne foi la manière de le dessaisir de ses propres pouvoirs, et c'est pourquoi l'idée de la conférence, lancée il y a plusieurs mois, ne se traduit pas dans les faits pour l'instant. Nous espérons que, grâce à la fermeté réfléchie que nous avons démontrée et peut-être grâce à la solution esquissée par les Russes, on se dirige enfin vers une solution politique.
(Interventions des parlementaires)
Je ne saurais dire, Madame Fort, si la diplomatie française est flamboyante - vous faites certainement référence à des épisodes passés -, mais elle essaye en tout cas d'être utile. J'ignore si les présidents Poutine et Obama se sont mis d'accord la semaine dernière. En tout cas, après que la proposition russe a été avancée hier, l'objectif de la résolution française actuellement discutée au sein du P3 est, pour éviter des déceptions futures, d'aider à prendre forme un processus qui sera très difficile à conduire. C'est la tâche de la diplomatie.
Je vous remercie, Monsieur Lefebvre, pour votre soutien. Vous vous êtes interrogé sur la manière d'organiser Genève 2 ; nous en discuterons avec les Américains et les Russes, qui sont à l'origine de la proposition d'organisation de cette conférence. Il faut parvenir à ce qu'elle se tienne effectivement et il va de soi que la protection des minorités sera l'un des sujets de discussion. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons la coalition nationale syrienne, dont vous avez entendu certains responsables et dont vous savez qu'ils veulent un État unitaire protégeant les minorités. J'ajoute que M. Al-Jarba, président de la coalition, a expressément déclaré que, s'il arrivait au pouvoir, il détruirait les armes chimiques ; dans le même temps, Bachar Al-Assad, interrogé sur les chaînes de télévision américaines, a répondu au journaliste Charlie Rose qui lui demandait s'il envisageait d'utiliser des armes chimiques que cela dépendrait des circonstances. Votre préoccupation légitime sera prise en compte, Monsieur Lefebvre.
Vous avez raison, Madame Guittet, les médecins sont tués en masse en Syrie. C'est une autre manière de massacrer la population : non seulement on procède à un carnage mais on empêche de porter secours aux blessés. La protection du personnel soignant, réclamée par l'ONU et les ONG, doit être prioritaire.
Je parle peu des otages et de manière elliptique, Monsieur Bapt, mais assez pour avoir dit récemment que nous avions la preuve que les deux journalistes français enlevés en Syrie sont vivants. Je le confirme, mais je ne donnerai pas d'autres indications et j'invite à la plus grande prudence sur la qualification des groupes qui détiennent des otages ; les risques de manipulation sont multiples.
Je vous remercie, Monsieur Bacquet, pour vos aimables propos. Je partage l'appréciation que vous portez sur l'état de l'opinion publique. Au-delà des divergences d'opinions, notre rôle est effectivement de faire comprendre pourquoi nous agissons comme nous le faisons. Pierre Mendès-France ne disait-il pas que la tâche d'un homme d'État consiste à «rendre les citoyens co-intelligents des décisions à prendre» ? Pourquoi le gouvernement français prendrait-il des décisions parfois différentes de ce que voudrait l'opinion publique s'il n'y avait pas à cela une nécessité absolue ? Il nous faut apporter, pour une parfaite compréhension des enjeux, tous les éléments relatifs au long terme, à notre vision géostratégique et à l'analyse de ce qui est nécessaire à la sécurité de la France.
Vous vous demandez, Monsieur Balkany, si l'initiative française est prise à un mauvais moment. Elle ne vise en aucun cas à entraver la proposition russe, mais nous pensons que cette proposition doit avoir une base onusienne. C'est l'esprit dans lequel nous présentons notre projet de résolution, que nous sommes évidemment prêts à amender.
M. Loncle a posé la difficile question de la place à réserver à l'Iran dans le cadre de Genève 2. Cette conférence a, je l'ai dit, un objectif précis : permettre la constitution, par consensus, d'un gouvernement de transition doté du pouvoir exécutif. Certains disent que la paix ne peut être faite qu'entre ceux qui sont en guerre, et que l'Iran participe à cette guerre par le biais du Hezbollah, dont les hommes sont présents en Syrie ; pourquoi, alors, les Iraniens ne participeraient-ils pas à la négociation ? Soit, mais deux questions restent en suspens. J'ai posé la première à mon homologue iranien : l'Iran accepte-t-il l'objectif de la conférence, c'est-à-dire le transfert du pouvoir exécutif ? Je n'ai pas eu de réponse pour l'instant. S'il y en a une et qu'elle est positive, cela changera les éléments de la réflexion.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous poursuivons depuis assez longtemps avec les Iraniens des discussions sur le nucléaire qui, malheureusement, ne progressent pas. Nous avons eu la surprise, l'année dernière déjà, d'entendre l'Iran dire que l'on parlerait du nucléaire plus tard, et que c'est de la Syrie qu'il convenait de traiter pour l'instant. Dans ce contexte, ne courons-nous pas le risque que les Iraniens fassent traîner les discussions sur la Syrie et qu'un télescopage se produise avec la discussion sur le nucléaire, l'Iran nous disant finalement : «Un accord est possible sur la Syrie, mais vous devez nous laisser agir comme nous l'entendons à propos du nucléaire» ? Voilà ce qu'il en est pour Genève 2. Peut-être une voie de négociation différente pourrait-elle s'ouvrir si, dans une phase préalable à Genève 2, une discussion s'engageait avec les envoyés de Bachar al-Assad et ceux de la Coalition nationale syrienne ; les Iraniens, s'ils ont quelque chose à dire, pourraient le faire dans ce cadre, différent de la conférence proprement dite.
J'ai reçu l'ambassadeur d'Iran il n'y a pas longtemps et je rencontrerai mon homologue iranien à New York prochainement. Dans l'intervalle, j'ai écouté attentivement ses arguments au téléphone. Lorsqu'il m'a dit que le droit international devait être respecté pour ce qui concerne les armes chimiques, je lui ai répondu en être parfaitement d'accord mais qu'il devait l'être aussi en matière d'armes nucléaires ; à ce moment, la conversation a dévié sur un autre sujet...
Nous devons, Monsieur Dupré, tirer de la désastreuse et très inquiétante situation de l'Irak - où il est très difficile d'intervenir et où, chaque jour, on compte des dizaines de morts violentes -les conclusions nécessaires : autant c'est une faute d'intervenir lorsqu'il n'y a pas d'armes de destruction massive, autant il faut sanctionner et dissuader quand il y en a car la faute serait de ne rien faire.
Nous réfléchissons, Madame Auroi, à la question des réfugiés syriens et nous lui apporterons une réponse. Les visas de transit aéroportuaire ont été créés pour faciliter les déplacements des réfugiés de pays à pays mais ils peuvent avoir des effets négatifs ; j'en traiterai avec le ministre de l'intérieur.
Vous avez, Monsieur Habib, soutenu le gouvernement, et vous savez sa détermination au sujet du nucléaire militaire iranien. L'armement chimique syrien peut-il être détruit ? Il y faut beaucoup de temps et de résolution, ce qui implique un processus strictement encadré. Nos collègues russes feront des propositions plus précises à ce sujet mais, quelle que soit leur bonne volonté, nous devons être certains de ne pas avoir de mauvaises surprises ultérieures.
Je vous remercie, Monsieur Glavany, d'avoir rappelé ma disponibilité ; sans doute aurais-je pu venir la semaine dernière, mais il n'est pas certain que je serais alors venu aujourd'hui avec des éléments nouveaux. Vous avez formulé l'hypothèse que l'initiative russe emportait reconnaissance de la responsabilité du régime syrien dans le massacre du 21 août. J'ai discuté de cela avec mon collègue Sergueï Lavrov, qui n'a pas répondu.
Vous appelez à la prudence, Monsieur Assouly ; c'est en effet le minimum. Je ne puis, étant donné la complexité de la situation, vous dire si un accord sera trouvé rapidement.
Bien sûr, Monsieur Amirshahi, les armes chimiques ne sont pas les seules qui tuent. Mais si tous les pays du monde, à l'exception de quatre, ont décidé leur interdiction, c'est qu'ils les ont considérées d'une horreur sans pareille, parce qu'elles infligent des souffrances atroces, qu'elles frappent indistinctement militaires et civils et qu'elles ont une capacité de prolifération considérable. C'est pourquoi des dispositions particulières ont été prises qui les concernent, que nous devons respecter et faire respecter.
Enfin, je n'entrerai pas dans la controverse juridique, déjà connue, que vous avez souhaité relancer, Monsieur Myard. Il ne s'agit pas de créer un précédent mais de surmonter la contradiction dont j'ai rappelé les termes : faire respecter le droit international qui interdit l'usage des armes chimiques alors qu'un veto au Conseil de sécurité bloque toute action des Nations unies. C'est pour résoudre cette contradiction, dans l'intérêt de la population syrienne, que nous avons avancé dans la voie de la fermeté. Peut-être de nouveaux chemins s'ouvrent-ils maintenant, mais il faudra continuer d'être extrêmement attentifs et fermes. Cela a été et cela continuera d'être la position de la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2013