Texte intégral
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Européens ont conclu un accord inespéré sur les travailleurs détachés après huit heures de discussion âpres, cet accord a des effets sur l'économie française, une certaine victoire de l'Europe. Heureux de vous accueillir Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et c'est aussi, vous l'avez dit, un coup porté à des mafias. Quelles mafias ?
MICHEL SAPIN
Certaines entreprises du bâtiment en France et ailleurs en Europe qui avaient organisé un système opaque pour pouvoir utiliser, elles ont le droit de le faire, une main d'oeuvre européenne, mais dans des conditions non respectueuses du droit du travail français. Or toute personne qui travaille sur le territoire de la France doit être protégée par les lois sociales françaises et ça, c'est un principe absolu auquel on ne peut pas déroger.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et la France compte combien de travailleurs détachés français qui rapportent des ressources ?
MICHEL SAPIN
Oui, parce qu'effectivement, nous aussi nous détachons des Français à l'étranger et dans des conditions qui sont protégées par la directive dite de détachement de 1996. Il faut faire très attention. J'entends certains à l'extrême droite ou à l'extrême gauche nous dire il faut supprimer cette directive, mais c'est une bêtise, c'est une folie. Supprimer cette directive ce serait la loi de la jungle, ce serait chaque salarié exploité tout seul dans son coin et nos Français à nous qui ne seraient pas protégés par nos règles sociales. Donc il fallait maintenir le principe mais avoir des outils pour lutter contre les fraudes qui se sont manifestées ces dernières de manière massive.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous parlez de la directive, c'est-à-dire une loi européenne qui datait de 1996 et qui détraquait le marché de l'emploi et qui favorisait
MICHEL SAPIN
Celle de 1996 ne détraquait pas mais depuis 1996
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui mais c'est la déviation et le détournement.
MICHEL SAPIN
Voilà, le détournement de cette directive qui aboutit à des fraudes massives extrêmement préjudiciables pour l'économie française.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, avec les 27, 28, la France a déminé avec vous, avec le concours des Allemands, des abus et des fraudes exagérées qui allaient polluer aussi les élections européennes. Mais qu'est-ce que ça va changer ?
MICHEL SAPIN
Mais les élections c'est une chose, moi ce qui compte c'est la réalité de la vie des Français. Donc il y avait aujourd'hui des entreprises françaises dans le bâtiment qui perdaient des marchés parce que d'autres entreprises, d'ailleurs françaises, utilisaient abusivement des travailleurs européens. Ca, ça sera terminé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans le bâtiment, l'agroalimentaire et les abattoirs ce qu'on avait vu.
MICHEL SAPIN
Absolument, c'est vrai aussi dans l'agriculture ou dans l'agroalimentaire, mais dans le bâtiment tout particulièrement qui a été ciblé si je puis dire par les Européens, c'est là que ces processus très compliqués, très opaques avaient été mis en place et ceux-là ils seront démantelés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On voit bien que vous êtes en colère sur le sujet, ça devait être une négociation dure ?
MICHEL SAPIN
C'est pas que je sois en colère, mais je ne supporte pas que sur le territoire français des salariés européens soient exploités de manière insupportable et je ne supporte pas qu'il y ait des concurrences déloyales qui en quelque sorte, fassent perdre à des Français les emplois auxquels ils ont droit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et alors Michel SAPIN, comment vont s'exercer les contrôles en particulier sur les entreprises qui donnent les ordres ? Parfois on a l'impression que c'est à la limite de l'esclavagisme ? Les entreprises et les sous-traitants.
MICHEL SAPIN
Oui c'est justement la nouveauté de ce que nous avons obtenu hier, c'est que, ce n'est pas simplement le sous-traitant du sous-traitant, le dernier des derniers qui va être responsable, c'est le premier. C'est celui qui est en haut de la chaine, c'est celui qui ferme les yeux en disant, tiens j'ai un marché à pas cher, je ne veux pas regarder dans quelles conditions il va être exécuté.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'il y aura des sanctions contre lui ?
MICHEL SAPIN
Oui, c'est justement la grande décision d'hier. On pourra remonter toute la chaine pour frapper celui, l'hypocrite qui dit, je ne veux pas voir, je ferme les yeux et j'empoche, en quelque sorte, un marché à pas cher. Celui-là il sera frappé, celui-là il sera responsabilisé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dès cette semaine, vous avez dit dès la fin de la réunion, je mettrai en oeuvre les outils juridiques et les moyens humains contre les fraudes, et ça se verra vite sur le territoire français. Quand, à quel niveau, de quelle façon ?
MICHEL SAPIN
Parce qu'il faut des outils au niveau européen, juridiques, nous les auront grâce à cet accord hier, il faut des outils au niveau français, nous allons les renforcer avec des dispositions nouvelles, et il faut agir sur le terrain parce qu'une fois qu'on a les outils, il faut aussi aller contrôler et les contrôle, je peux vous le dire, ils seront renforcés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc on peut ne pas désespérer de l'Europe dans certains cas. Les pays de l'Union européenne
MICHEL SAPIN
L'Europe est sensible aussi à la question sociale, c'est un peu nouveau par rapport à ces dix dernières années et je pense que le rôle de la France n'a pas été négligeable.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le rôle de la France...
MICHEL SAPIN
Non la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les pays de l'Union européenne ont pris un autre engagement important, intégrer les Roms, favoriser l'accès à l'emploi, à l'éducation, au logement, aux soins de santé, c'est une promesse qui doit être appliquée d'ici à deux ans, est-ce qu'on va arrêter le démantèlement des camps de Roms ?
MICHEL SAPIN
C'est d'abord, d'abord et avant toute chose, vous avez dit que c'était une décision européenne, faciliter l'intégration des Roms dans leur pays d'origine
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En Roumanie, en Bulgarie.
MICHEL SAPIN
En Roumanie et en Bulgarie ou dans quelques autres pays où ils sont très nombreux. C'est la première des choses à faire, aider y compris ces pays-là à intégrer leur population. Parce que ce sont des populations qui fuient en quelque sorte, la misère et l'intégrer aussi sur notre territoire pour ceux qui souhaitent être intégrés, c'est aussi un des grands principes de la République Française.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors là il faut informer très vite les maires, peut-être aussi Manuel VALLS et ses policiers, parce qu'hier ils ont démantelé pendant que vous étiez à Bruxelles, quatre camps de Roms, est-ce que ça va s'arrêter à un moment ?
MICHEL SAPIN
L'intégration ce n'est pas le non respect de la loi, c'est même l'inverse. S'intégrer sur un territoire c'est respecter la loi de ce territoire et toute personne étrangère ou française qui ne respecte pas la loi, elle doit être sanctionnée, c'est ce qui s'est passé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire « dehors ».
MICHEL SAPIN
Elle doit être sanctionnée. On doit faire respecter la loi partout. Je ne dirais pas cela, vous seriez le premier à critiquer.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
EADS supprimer donc 5 800 postes en Europe d'ici 2016, on l'a expliqué. En matière de défense et d'espace, c'est vrai que la concurrence et la crise font des ravages. En France, 1 700 postes seront concernés alors que le secteur d'AIRBUS connaît un développement florissant.
MICHEL SAPIN
Il marche très bien, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne voulez pas de licenciements, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de plan social à EADS.
MICHEL SAPIN
Je ne vais pas chipoter sur les mots. Qu'une grande entreprise comme celle-ci ait besoin de se restructurer pour certains secteurs : on vend moins de matériel militaire, on vend plus de matériel civil ; on vend moins de matériel de guerre, on vend plus d'Airbus. Bien ! Cette entreprise, elle gagne de l'argent, c'est une grande entreprise, elle a plusieurs secteurs. Elle veut se restructurer : très bien, c'est son devoir pour s'adapter à la situation. Mais son devoir aussi, quand on a beaucoup d'emplois qui sont crées par ailleurs et qu'on a beaucoup d'argent, c'est de mettre en place des dispositifs qui évitent tout licenciement. En France je parle pour la France, il y a aussi énormément d'emplois qui sont supprimés en Allemagne mais pour la France, il ne sera pas accepté parce qu'il ne serait pas acceptable qu'une entreprise comme AIRBUS, comme EADS, supprime globalement des emplois alors qu'elle a la capacité d'accueillir tous ceux qui pourraient perdre par ailleurs leur emploi dans un secteur d'EADS.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, vous entendez la petite polémique sur le coût du voyage sud-africain de deux, trois avions des deux présidents de la République.
MICHEL SAPIN
Je n'entends rien du tout de tout cela !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Peut-être parce que vous étiez à Bruxelles. Est-ce que l'événement vaut bien ce coût ?
MICHEL SAPIN
L'événement évidemment vaut non pas « le coût » comme vous le dites, parce que franchement voir cela par le petit bout de la lorgnette, ça ne me paraît pas être à la hauteur de MANDELA. Peut-être irez-vous vous-même aussi en Afrique du Sud à l'occasion des cérémonies et je ne vous poserai pas la question de savoir combien ça a coûté à Europe 1.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais moi je prendrais peut-être l'avion, mais le problème ce n'est pas ça.
MICHEL SAPIN
Vous le paierez quand même, votre avion.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je n'allais pas vous dire ce que vous pensez du calcul d'épicier qui est fait autour des voyages en France.
MICHEL SAPIN
Non, non, c'est un calcul qui est sans commune mesure avec ce qui s'est passé, avec l'hommage que la France dans toutes ses composantes est en droit de donner et qu'il y ait le président de la République d'aujourd'hui et l'ancien président de la République, je trouve qu'au bout du compte, c'est une très belle image de la France qui est donnée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que ce moment républicain, pour vous, a une signification politique ?
MICHEL SAPIN
Il a une signification d'unité nationale. C'est aussi une signification politique. La politique, ce n'est pas simplement la division ; la politique, ce n'est pas simplement l'opposition ; la politique, ce n'est pas simplement deux personnages qui se sont affrontés à un moment donné. La politique aussi, c'est une image de la France et c'est une belle image de la France pour rendre un hommage à une des plus belles images de l'Histoire : MANDELA.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes satisfait d'avoir grimpé de six points dans les sondages ?
MICHEL SAPIN
Oh là là ! Comme je ne savais pas d'où je partais, je ne sais pas encore où je suis arrivé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Faites baisser la courbe du chômage et vous allez continuer à grimper !
MICHEL SAPIN
Et si je gagne comme ça des boules sur mes branches, tant mieux.
THOMAS SOTTO
Oh, c'est joli ! Merci beaucoup. Dernière question rapidement ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La dernière question
MICHEL SAPIN
Oui, la courbe du chômage ? On va continuer à la faire baisser.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On aurait pu dire que la courbe du chômage, vous allez dire qu'elle va baisser ? Non, c'est ça ?
MICHEL SAPIN
C'est l'objectif. C'est ce que nous avons fait pour un mois, il faut le faire mois après mois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On observe que tous les chefs d'État sont présents à Johannesburg ce matin. Moi je voudrais dire que Shimon PERES et Benyamin NETANYAHOU ne sont pas à Johannesburg. Israël n'a pas toujours combattu l'Apartheid, mais ils ont trouvé un argument qui est comique, à la limite du ridicule je me permets de le dire : « Le voyage est trop cher ». Voilà. Bonne journée.
MICHEL SAPIN
J'ai répondu aussi à la question.
THOMAS SOTTO
Ce n'était pas une question alors. Jean-Pierre, merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une affirmation parce qu'il y avait longtemps que j'avais envie de le dire et que je ne l'entends pas.
MICHEL SAPIN
Eh bien, je l'aurais dit à votre place.
THOMAS SOTTO
Eh bien demain matin, Michel SAPIN recevra Jean-Pierre ELKABBACH pour l'interviewer !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand vous voulez !
THOMAS SOTTO
Merci en tous cas, Michel SAPIN, d'être venu ce matin sur Europe 1.
MICHEL SAPIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 décembre 2013