Déclaration de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur le partenariat transatlantique, à l'Assemblée nationale le 17 juin 2014.

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Circonstance : Audition devant les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes de l'Assemblée nationale, le 17 juin 2014

Texte intégral

Certains considèrent que nous n'aurions rien à gagner dans ces négociations : rien n'est plus faux. Il est tout aussi erroné d'affirmer que notre partenaire américain pourrait se détourner de l'Europe au profit d'autres grandes régions du monde, les Américains négociant actuellement d'autres traités de libre-échange. Les économies européenne et américaine sont d'ores et déjà très intégrées, et il s'avère nécessaire de s'interroger sur la meilleure manière d'améliorer des relations commerciales aussi privilégiées dans un esprit de réciprocité, de vigilance, d'exigence et de transparence.
La France et les États-Unis sont des partenaires majeurs l'un pour l'autre. Cette relation s'appuie sur le dynamisme des échanges, qu'il s'agisse d'investissements directs étrangers (IDE) ou de commerce. Les États-Unis sont le premier client de la France hors de l'Union européenne, le premier investisseur étranger et le premier destinataire de nos IDE. Nos investissements croisés, d'une densité exceptionnelle, représentent une source d'emplois et de croissance. Les États-Unis constituent les premiers investisseurs étrangers en France avec près de 20 % des capitaux étrangers investis dans nos entreprises, la moitié de ces investissements se portant dans l'industrie. Ces investissements génèrent 450 000 emplois au total dans notre pays. Avec près de 20 % du total des investissements français à l'étranger, les États-Unis représentent la première destination des investissements français à l'étranger. La France est devenue en 2012 le cinquième investisseur étranger aux États-Unis, en progression de deux places. Aujourd'hui, plus de 2 300 entreprises françaises emploient 500 000 Américains et réalisent un chiffre d'affaires cumulé supérieur à 170 milliards d'euros.
En dépit des idées reçues et des clichés, l'économie française est l'une des plus ouvertes du monde. La France est le cinquième récipiendaire en matière d'investissements étrangers, et le premier pour les investissements étrangers dans l'industrie en Europe. Les chiffres de 2013 publiés par le cabinet Ernst & Young ont encore récemment confirmé cette attractivité.
Nos échanges commerciaux sont également dynamiques. Mis à part l'Union européenne, les États-Unis sont notre premier client et notre deuxième fournisseur, avec près de 60 milliards d'euros échangés : 22 000 entreprises françaises exportent aujourd'hui aux États-Unis, dont 80 % sont des PME et des ETI ; la France s'avère ainsi le neuvième fournisseur des États-Unis, avec une part de marché qui a progressé l'année dernière.
La France représente la sixième puissance exportatrice mondiale et le quatrième exportateur mondial dans le secteur agro-alimentaire. Défendre nos exportations et l'accès au marché des pays tiers revient donc à stimuler notre économie, nos emplois et notre croissance.
Les États-Unis sont aussi le premier partenaire scientifique de la France, notamment dans la coopération universitaire. Le président de la République a d'ailleurs inauguré à San Francisco, en février 2014, un incubateur de start-up françaises.
Cette relation très dense doit maintenant se renouveler et se projeter vers l'avenir. L'idée du partenariat commercial transatlantique (PCT) n'est pas neuve : elle date des années 1990 et s'est traduite par le lancement, en 1995, d'un dialogue économique transatlantique. En 2013, nous avons décidé d'aller plus loin en ouvrant des négociations pour un accord dépassant le seul cadre commercial. Cette entreprise présente, comme toute négociation, des défis et des difficultés, et elle se heurte, de part et d'autre, à des sensibilités légitimes.
Le gouvernement défend un objectif ambitieux : accéder aux marchés publics américains au niveau fédéral et fédéré, protéger les indications géographiques, alléger les coûts réglementaires pour nos exportateurs de cosmétiques, de médicaments, de biens industriels, de produits alimentaires, de vêtements par la suppression des barrières non tarifaires que constituent les procédures très lourdes d'enregistrement, d'agrément ou de recertification. Nous essaierons également de cheminer vers la reconnaissance mutuelle des normes - lorsque ce sera possible et souhaitable - et vers l'adoption de futures normes compatibles pour les nouveaux secteurs, comme les véhicules électriques et la 5G, et qui pourraient devenir une référence mondiale. Nous souhaitons ainsi permettre à l'Europe de prescrire davantage les normes et les standards. Ceux-ci sont devenus un élément essentiel de la compétitivité mondiale. Hier, l'Europe a triomphé avec la norme mobile GSM, ce qui a entraîné de considérables retombées économiques. Nous devons renouer avec de tels succès.
Notre objectif n'est donc pas seulement de réduire les droits de douane, qui sont déjà faibles des deux côtés de l'Atlantique, mais d'abaisser les barrières non tarifaires pour que les produits français soient exportés plus facilement vers les États-Unis.
Naturellement, on n'entre pas dans une négociation en ayant seulement à l'esprit ce que l'on peut y gagner, si bien que nous avons défini ce que nous ne sommes pas prêts à discuter et avons exclu ces matières du mandat de négociation.
Nous souhaitons évidemment signer un accord équilibré, le risque d'un texte déséquilibré existant pour toute négociation. Le gouvernement sera donc très vigilant sur le résultat qu'obtiendra la Commission européenne. Les États européens partent avec un certain handicap face aux États-Unis, car nos intérêts offensifs portent essentiellement sur les aspects non tarifaires et réglementaires qui sont plus délicats à négocier que les aspects tarifaires, les dispositifs américain et européens s'avérant assez différents. À cet égard, une application insuffisante du PCT aux États fédérés américains conduirait à un résultat final déséquilibré, et donc inacceptable pour l'Union européenne et pour la France : il s'agit donc d'un point dur à défendre.
Les produits agricoles sont sensibles pour l'Union européenne du fait du différentiel de compétitivité. La France et la Pologne ont ainsi demandé à la Commission européenne de ne pas libéraliser complètement un certain nombre de produits sensibles agricoles - qui représentent 4 % des lignes agricoles correspondant à 0,6 % des importations - dont la viande de bœuf, de porc et de volaille, le maïs doux, les produits amylacés, le bioéthanol, le rhum et les ovoproduits.
Afin de prendre en compte les choix des citoyens, la France et l'Union européenne ont toujours adopté une attitude prudente, fondée sur le principe de précaution, conduisant à exclure la décontamination chimique des viandes - les poulets chlorés - ou l'utilisation de promoteurs de croissance - hormones - en élevage. La Commission européenne a assuré publiquement qu'elle défendrait nos positions, et nous y veillerons. En tout état de cause, la législation européenne ne sera pas modifiée par l'accord avec les États-Unis. Il est faux d'affirmer que se négocie dans ces discussions une révision à la baisse de nos normes sanitaires et phytosanitaires dans le secteur agro-alimentaire.
Le maintien de l'exclusion des services audiovisuels dans les engagements de libéralisation des services constitue une ligne rouge : garantie par le mandat de négociation, cette exclusion sera assurée dans le respect du principe de neutralité technologique. L'introduction d'un concept de produit numérique ne pourra ainsi pas remettre en cause l'exception culturelle.
Il convient d'assurer la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics entre les entreprises américaines dans l'Union européenne et les entreprises européennes aux États-Unis. Or l'Europe est aujourd'hui presque totalement ouverte pour les États-Unis, alors que les acteurs européens n'ont accès qu'à 47 % des marchés américains. Je répéterai personnellement au négociateur américain qu'il s'agit là d'un point dur de l'accord, lorsque je le rencontrerai la semaine prochaine à Washington.
La protection des données personnelles n'est pas négociée dans le cadre de l'accord et aucune disposition du texte, notamment dans son volet relatif au commerce électronique, ne devra affecter le niveau de protection des données personnelles dans l'Union européenne.
Le niveau de protection de la santé, de l'environnement et des consommateurs en Europe, assuré par les législations internes, sera pleinement respecté. Les normes européennes en matière de décontamination chimique des viandes, d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et de promoteurs de croissance ne seront pas modifiées.
Nous défendons la reconnaissance des indications géographiques ; l'utilisation abusive des appellations françaises, génériques ou semi-génériques, comme le champagne, doit être proscrite par une protection efficace des indications géographiques, alors que les Américains défendent davantage les marques que les indications géographiques.
Dans le cadre du débat engagé sur le dispositif d'arbitrage dans le chapitre «protection des investissements», la Commission a pris en compte, dès l'adoption du mandat, l'exigence des États membres de préserver leur droit à réguler. À l'issue de la consultation publique que la Commission a ouverte en mars dernier à la demande de la France et qui s'achèvera le 6 juillet prochain, la Commission remettra, à l'automne, un rapport aux États membres et au Parlement européen, dont les conclusions devront être intégrées dans les négociations. Ce sujet est compliqué, car, à l'instar de ses partenaires européens, la France a signé avec des pays tiers plus de quatre-vingt-dix accords bilatéraux qui visent à protéger les intérêts de nos entreprises à l'étranger et qui ont tous été approuvés par la représentation nationale. Nous avons donné mandat à la Commission de négocier des accords de protection de nos investissements avec de nombreux pays. Nous devrons décider après la consultation publique si nous souhaitons un accord de ce type avec les Américains et ce que nous aimerions y insérer.
Le débat sur le traité transatlantique ne touche pas que le fond des dossiers, et il s'attache aussi à la méthode de négociation d'un traité commercial de cette ampleur et, plus largement, à la question de la nécessaire transparence démocratique. L'exigence de transparence accrue qu'ont formulée les parlementaires et la société civile rejoint la position constante de la France depuis deux ans. Le 22 mai dernier, à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution du groupe GDR, nous avons eu un débat important sur cette question. À mon sens, il ne s'agit plus aujourd'hui de parler de transparence, mais de la mettre en pratique ; c'est la raison pour laquelle je me suis engagée à venir devant vos commissions après chaque cycle de négociations afin de vous donner un aperçu précis et actualisé de l'état des discussions.
J'ai également demandé que les modalités de transmission des documents du Conseil à cette assemblée soient clarifiées : un travail a été engagé en ce sens par le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) avec la commission des affaires européennes. Je rappelle que les documents du Conseil - comme le mandat de négociation - sont transmis par un canal sécurisé. Par ailleurs, le gouvernement a décidé de vous communiquer les comptes rendus confidentiels rédigés par la commission après chaque session de négociation. Il est toutefois nécessaire de clarifier les règles de confidentialité d'accès à ces documents au sein de la commission des affaires européennes, car ces documents seront strictement réservés à votre usage, et je vous laisse le soin de poursuivre cette réflexion avec le SGAE.
Le gouvernement a soutenu la publication du mandat donné à la Commission européenne, mais cette procédure nécessite l'unanimité des États membres et onze d'entre eux s'y sont opposés. En outre, j'ai demandé qu'un document à usage public soit diffusé par la commission après chaque round de négociation et j'attends la réponse de M. Karel De Gucht, commissaire européen chargé du commerce.
Le cinquième cycle de négociations s'est tenu à Washington du 19 au 23 mai dernier. La première année de discussion avec les États-Unis aura permis aux négociateurs de bien cerner les difficultés à surmonter, mais elle n'a obtenu que peu d'avancées substantielles. Ainsi, plusieurs blocages de nature technique et politique ne sont pas résolus depuis la fin de 2013.
Les deux parties affirment leur volonté de parvenir à un démantèlement complet des tarifs en matière d'accès au marché des biens, mais les offres actuellement en discussion ne traduisent pas cette volonté, l'offre américaine s'avérant encore largement inférieure à celle de l'Union européenne.
S'agissant des services, l'échange d'offres en cours ne devrait pas régler le problème tenant au refus des États-Unis de dresser la liste des mesures non conformes aux principes de l'accord qui existent dans le droit des États fédérés. Il n'y a pas non plus d'accord à ce stade sur les modalités de négociation, c'est-à-dire sur le choix d'une liste négative ou positive. L'offre de l'Union européenne sera présentée dans les prochains jours sous l'aspect d'une liste positive qui énumère les services ouverts - et dans laquelle ne figurent ni l'audiovisuel ni les services publics - alors que celle des États-Unis est de nature négative, puisqu'elle indique les services qui ne sont pas ouverts.
Actuellement, les États-Unis continuent de refuser l'inclusion d'un volet sur la coopération réglementaire dans les services financiers ; or cette question représente un enjeu offensif important pour l'Union européenne.
Les États-Unis refusent également le principe du traitement national en matière de marchés publics, c'est-à-dire de traiter les entreprises européennes comme les américaines, au motif que cela remettrait partiellement en cause les mesures du Buy American Act. Ils se retranchent de manière injustifiée derrière la compétence des États fédérés pour exclure tout engagement en matière d'accès aux marchés publics fédérés, même lorsque ceux-ci bénéficient de financements fédéraux. Il s'agit d'un point dur aux yeux de la Commission, et nous soutenons cette position.
Les États-Unis écartent les pistes de travail proposées par la commission pour renforcer la protection des indications géographiques et préfèrent leur système de marque commerciale. Ce sujet constitue également un point dur pour la commission et pour la France.
La France exerce la plus grande vigilance sur le dossier de la protection de l'investissement. Les discussions sont suspendues jusqu'au résultat de la consultation publique européenne sur le mécanisme d'arbitrage entre investisseurs et État, qui s'achèvera le 6 juillet prochain. Dans le courant de l'été, la commission européenne rédigera un rapport synthétisant les dizaines de milliers de réponses reçues : il sera débattu, probablement après l'installation de la nouvelle Commission le 1er novembre prochain, avec les États membres et le Parlement européen.
La convergence réglementaire constitue un enjeu majeur des négociations et fait également l'objet de divergences marquées. Peu d'avancées ont été enregistrées sur la dizaine de secteurs en discussion - dont la chimie, les cosmétiques, la pharmacie, les équipements médicaux, l'automobile ou le textile. Les négociations sur les obstacles techniques au commerce se heurtent au problème de l'application de l'accord aux États fédérés. Le point de blocage majeur concerne la nécessaire intégration des États fédérés américains, comme cela a été le cas avec le Canada.
Au terme de ce cinquième cycle de négociations, et compte tenu du contexte politique américain de la fin de l'année 2014 et du début de 2015 qui sera marqué par les élections de mi-mandat et par l'adoption éventuelle, par le Congrès, d'un mandat de fast-track confié aux négociateurs américains, très peu de progrès sont à espérer à court terme.
La prochaine session de négociation se tiendra lors de la semaine du 14 juillet à Bruxelles, puis en septembre aux États-Unis. Elles seront suivies d'un exercice de «stock taking», qui verra les négociateurs dresser l'état des lieux des discussions en octobre, puis d'un conseil informel des ministres du commerce extérieur auquel je participerai le 15 octobre.
Mon intention est de vous tenir régulièrement informés et de revenir devant vos deux commissions à l'automne pour faire un nouveau point. Votre intérêt pour cette négociation s'avère utile et nécessaire, et je me réjouis de poursuivre nos échanges de façon constructive afin de vous informer et de recueillir vos points de vue, qui alimentent la position de la France dans les instances européennes.
Les négociations avec le Canada sont sur le point de s'achever, mais nous n'avons pas encore eu connaissance du texte définitif, que la France attend avant de se prononcer sur l'accord. Ce traité sera de nature mixte et requerra donc la ratification des États membres et du Parlement européen. Les accords avec le Pérou et la Colombie sont provisoirement entrés en vigueur les 1er mars 2013 et 1er août 2013 ; le ministère des affaires étrangères a transmis un projet de loi de ratification le 28 avril dernier au secrétariat général du gouvernement. À la suite de la consultation interministérielle, le conseil d'État examinera le texte au plus tôt au mois de juillet, puis le conseil des ministres en sera saisi et, enfin - mais pas avant le moins d'octobre -, le Parlement.
(Interventions des parlementaires)
Les vingt-huit pays de l'Union européenne ont signé le mandat de négociation qui fixe les points de vigilance partagés par l'ensemble des États membres. Néanmoins, il est vrai que les intérêts offensifs et défensifs peuvent diverger d'un pays à l'autre. Ainsi, nous avons des intérêts défensifs sur l'agriculture que nous partageons parfois avec la Pologne. De même, nous ne partageons pas les lignes rouges de l'Allemagne pour certains secteurs industriels. Le mandat de la négociation confié à la Commission comprend les lignes rouges de l'ensemble des États membres.
Il est possible de prévoir un canal d'information des collectivités territoriales similaire à celui que j'ai mis en place pour les organisations non gouvernementales et la société civile, et vous pouvez vous faire l'écho de nos discussions dans vos circonscriptions.
Les États-Unis ont bien entendu des points de vigilance et des lignes rouges. Ils sont par exemple réticents à l'idée d'imposer l'ouverture des marchés publics des États fédérés, ils défendent certaines positions de leur agriculture ou des tarifs dans des secteurs comme le textile - les droits de douane s'élevant à 30 % en moyenne pour le textile et à 37 % pour la maroquinerie et les chaussures.
Les négociations sont en effet menées par le commissaire européen chargé du commerce et non par les ministres du commerce extérieur des États membres, ce qui répond au principe d'un accord bilatéral entre l'Union européenne et les États-Unis. Il ne s'agit pas d'un traité entre la France et les États-Unis.
Le mandat de négociation comporte un chapitre sur le ferroviaire et un sur l'énergie, ces domaines relevant de la compétence des États membres. L'accord sera donc mixte, sauf si aucune disposition touchant à ces matières ne figure dans l'accord final. Cela serait étonnant étant donné l'importance accordée à ces sujets. Le mécanisme de règlement des différends induit également la mixité des compétences.
Je mets les informations portées à ma connaissance à la disposition de la commission des affaires européennes par le biais d'une transmission cryptée et sécurisée. Chaque membre de l'Assemblée peut demander à la commission de connaître ces informations en respectant l'exigence de confidentialité qui s'impose à lui.
(Interventions des parlementaires)
Je soutiendrai votre demande, Madame la Présidente. Les comptes rendus des sessions de négociation vous seront communiqués dans ce cadre, même si nous n'avons aucun argument à opposer à ceux qui les considéreront fallacieux et malhonnêtes par nature.
Le Buy American Act constitue évidemment un obstacle à la conclusion d'un accord équilibré, puisqu'il empêche la réciprocité dans l'accès aux marchés publics. Nous souhaitons donc démanteler ce type de dispositif, mais ne pas créer de notre côté des systèmes qui rendraient les échanges plus difficiles. Nous aurons cette discussion au moment de la ratification de l'accord pour en dresser le bilan, mais il serait paradoxal d'entrer dans une négociation de libre-échange en affirmant que nous allons renforcer les barrières protectionnistes. Accordons une chance à la négociation pour obtenir des Américains des concessions visant à ouvrir davantage les marchés publics ; en cas d'échec, nous pourrons alors nous pencher sur nos propres dispositifs en faisant le constat de la plus grande ouverture de nos marchés.
Le débat sur l'extraterritorialité de la loi américaine remonte au vote des lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy en 1996. La commission européenne et la France ont toujours affirmé leur opposition à l'application extraterritoriale des lois américaines. Il est vrai que se développe aujourd'hui une diplomatie de l'influence du droit. Dans cette bataille, l'Europe est plus faible, car le système juridique américain a pris une place dominante dans les modes de régulation du commerce international et des relations entre les entreprises et les États. Les applications extraterritoriales de la loi américaine dépassent de beaucoup celles de la législation européenne. Ainsi, on éprouve de grandes difficultés à faire reconnaître et appliquer des décisions de justice en matière de protection des données personnelles à des entreprises dont le siège n'est pas situé en France, mais qui opèrent dans notre pays.
Je ne suis pas persuadée que ce soit au commissaire de Gucht de faire valoir cette question dans le cadre des négociations du traité de libre-échange. Il s'agit en effet d'une préoccupation politique que doit défendre le conseil des chefs d'État et de gouvernement. Une initiative de la commission et du conseil serait opportune, car l'Union européenne doit répondre à ce qui va bien au-delà du soft power, et commencer par faire respecter sa législation en Europe. Toutefois, demander une pause le temps de régler la question donnerait à croire que l'Union européenne a plus à perdre qu'à gagner dans cette négociation, d'autant plus que la pause ne pourrait que se prolonger en raison des échéances électorales américaines et de la négociation du partenariat transpacifique.
Même si les pays de l'Union européenne ont souvent tendance à conduire des stratégies assises sur leur seul intérêt national, le fait que plusieurs banques européennes appartenant à différents pays risquent de connaître le même sort que BNP Paribas - qui a été sanctionnée pour des opérations qui n'ont pas été effectuées aux États-Unis et qui n'impliquaient pas d'entreprise américaine, mais qui étaient libellées en dollars, ce seul élément la faisant entrer dans le champ de la loi américaine - devrait conduire l'Union européenne à lancer une initiative pour apporter une réponse coordonnée. Si des comportements délictueux sont mis au jour, il est normal qu'ils soient sanctionnés, mais que la première banque européenne soit condamnée à verser des pénalités financières qui paraissent disproportionnées au regard de la jurisprudence, que d'autres banques risquent de l'être ensuite, voilà qui devrait inciter l'Union européenne à agir pour éviter un risque systémique.
(Interventions des parlementaires)
On peut répondre par une initiative politique, mais l'arrêt des négociations sur le partenariat transatlantique ne constitue pas une bonne méthode d'action. En outre, je milite depuis longtemps pour que l'Union européenne adopte une position commune sur la fiscalité des multinationales qui ne paient pas d'impôt sur les sociétés en Europe, mais n'en acquittent pas davantage aux États-Unis puisque tous leurs profits sont transférés dans des paradis fiscaux. Nous devons nous saisir de ces questions avec nos partenaires européens et évoquer sans attendre ces sujets dans une enceinte comme l'OCDE. En revanche, il serait inopportun de suspendre les négociations transatlantiques.
J'espère pouvoir bientôt vous transmettre les comptes rendus des sessions de négociation que nous adresse la commission. On ne peut, a priori, douter de la fiabilité de ces documents, dont la lecture s'avère éclairante, quoique laborieuse, et qui reflètent bien la teneur des discussions.
Les marchés publics de défense ont été exclus, comme dans tous les accords de libre-échange que nous négocions.
La saisine du Congrès américain dépendra de la capacité du président Obama à obtenir la Trade Promotion Authority ou fast-track dont il a besoin pour négocier le partenariat.
L'application transitoire des accords avec la Colombie et le Pérou correspond à un dispositif classique où les mesures relevant de la compétence de l'Union européenne entrent en vigueur sans attendre que les parlements nationaux ratifient les dispositions liées aux compétences des États membres.
J'entends votre alerte sur la particularité du secteur de la viande bovine en France. Actuellement, nous ne pouvons pas exporter de bœuf aux États-Unis à cause de l'encéphalopathie spongiforme bovine, et le mandat de négociation range cette filière dans la catégorie des secteurs sensibles.
Le partenariat transatlantique ne constitue pas la bonne enceinte pour débattre de la gouvernance d'internet, puisque des pays importants pour cette matière, comme le Brésil, n'appartiennent pas à la région de l'Atlantique nord. En outre, les organisations non gouvernementales et les entreprises, très concernées par ce sujet, ne sont pas associées aux négociations commerciales. En revanche, la commissaire Viviane Reding étudie la question du transfert de données personnelles dans les pays ne disposant pas des mêmes normes de protection que l'Europe - et c'est le cas des États-Unis où il n'existe pas d'équivalent de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - et a mis à l'étude un règlement et une directive en matière de fichiers souverains et de réglementation des données personnelles. En outre, on a amorcé une renégociation du traité Safe Harbor qui lie l'Union européenne aux États-Unis pour le transfert des données et qui a montré toutes ses insuffisances. La France défend une remise à plat exhaustive du régime de transfert des données personnelles de l'Union européenne vers les États-Unis, car il s'agit d'un enjeu économique majeur qui compte pour beaucoup dans la puissance des entreprises multinationales qui ne paient pas d'impôt sur les sociétés en Europe.
Les lignes rouges sur le cabotage maritime, le domaine aérien, les indications géographiques, le règlement des différends entre les investisseurs et les États, l'accès aux marchés publics des États fédérés constituent des points durs de la négociation : si nous n'obtenons pas satisfaction sur ces questions, le texte ne sera pas un bon traité. Les lignes aériennes et de navigation fluviale intérieures aux États-Unis restent fermées aux opérateurs européens, alors qu'elles sont ouvertes en Europe aux entreprises américaines.
Il faut adopter une stratégie concertée afin de développer une diplomatie juridique visant à contester le monopole de régulation du législateur américain, à contrer l'influence du droit anglo-saxon et à promouvoir le droit d'inspiration romaine. De même, le mécanisme de règlement des différends pourrait également aider les entreprises européennes ; avec un tel système, BNP Paribas aurait pu faire appel à un arbitrage indépendant plutôt que d'être confrontée au grand jury américain, peu enclin à protéger les intérêts des entreprises étrangères.
Nos interlocuteurs américains utilisent le partenariat transpacifique comme levier de négociation vis-à-vis de l'Union européenne, en affirmant que, si le partenariat transatlantique n'était pas signé, les échanges commerciaux américains se tourneraient encore davantage vers l'Asie. La Chine cherche à renforcer son statut de puissance commerciale et diplomatique ; pour ce faire, elle accroît sa présence en Europe et en Afrique et noue un dialogue stratégique commercial avec l'Union européenne, afin de ne pas se lier dans quelque relation exclusive que ce soit.
(Interventions des parlementaires)
Des questions de droit international public se posent en effet, mais la justice américaine considère qu'une transaction en dollars compensée par une structure située dans l'État de New York entre dans le champ du droit américain. Il est possible de contester cette interprétation, mais il convient de privilégier une stratégie européenne.
(Interventions des parlementaires)
Je n'ai pas dit que c'était un problème technique. Au contraire, j'ai expliqué que, puisqu'il s'agissait d'un problème politique, il fallait que soit prise une initiative au sein du Conseil européen. Le président de la République et le ministre des affaires étrangères et du développement international se sont déjà exprimés sur la question en la plaçant à un niveau politique. Parallèlement, BNP Paribas négocie avec la justice américaine.
Lorsque vous étiez ministre du commerce extérieur, Monsieur Lellouche, vous ne vous êtes pas offusqué des lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy, et vous n'avez entrepris aucune initiative sur ce sujet !
(Interventions des parlementaires)
Le mandat de négociation contient la demande d'accès réciproque aux marchés publics, cette requête étant une condition sine qua non à la conclusion de l'accord.
Quant à Havana Club, j'ai rencontré leurs représentants à Cuba et je n'ai pas eu l'impression que leur problème ait été réglé.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2014