Déclaration de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur l'action de la France pour l'abolition de la peine de mort dans le monde, à Paris le 9 octobre 2015.
Intervenant(s) :
Circonstance : Journée mondiale contre la peine de mort, le 9 octobre 2015
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Prononcé le
Texte intégral
Monsieur le Ministre [Robert Badinter]
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de participer à cette grande mobilisation organisée à loccasion de la journée mondiale contre la peine de mort. A cette occasion, la remise des prix du concours international de plaidoiries francophones contre la peine de mort. Je remercie les partenaires qui ont apporté à cet événement un soutien précieux : lassociation Ensemble contre la peine de mort (ECPM), le Conseil national des Barreaux (CNB), la Conférence internationale des Barreaux de tradition juridique commune (CIB) ainsi que lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF).
Je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement Robert Badinter qui nous fait lhonneur dêtre présent, aujourdhui.
En consacrant cette journée mondiale à lengagement des avocats, nous ne pouvions avoir de meilleure référence, de meilleur parrain, que vous M. Badinter. Avocat devenu parlementaire, cest vous, qui en 1981 avez fait voter labolition de la peine de mort en France, au terme dun discours mémorable. Vous y rappeliez que la France était à lépoque la dernière en Europe occidentale à abolir la peine de mort, elle qui avait été pionnière dans labolition de la torture et de lesclavage. Vous rappeliez également que la France navait pas manqué pourtant davocats de la cause abolitionniste : dès 1791, avec Le Pelletier de St-Fargeau jusquà Jaurès, Briand, Blum mais aussi avec Hugo ou plus récemment Camus, Koestler.
En somme nous avions attendu 200 ans, pour être fidèle à nos principes et faire le choix moral et politique qui simposait. Votre éloquence lors de cette séance vous a valu des protestations sur les bancs de la droite, qui vous reprochait de confondre tribune et prétoire. On vous reprochait des effets de manche, comme si les avocats nétaient que de beaux parleurs. Cette vision dit beaucoup de la mentalité de ceux qui vous interpellaient.
Cest pourtant bien votre expérience davocat, confronté de manière intime et directe à linjustice de la peine de mort, qui vous donnait une autorité toute particulière pour en parler. Comme Dostoievski, condamné à mort et libéré après un simulacre dexécution, pouvait évoquer dexpérience linhumanité de la peine capitale : dans lIdiot, il fait dire au Prince Mychkine que « la sentence et le fait quon ne saurait y échapper est une telle torture quil nen existe pas de plus affreuse au monde ».
Des avocats portent aujourdhui ce combat partout dans le monde, aux côtés de militants des droits de lhomme. Parfois au péril de leur vie. Je pense à Nasrin Sotoudeh en Iran, à beaucoup dautres que lanonymat protège, en Chine ou ailleurs. Cest un engagement au service dune cause qui les honore.
Je suis très heureux daccueillir à ce titre les finalistes de notre concours de plaidoiries. Je salue ces avocats venus du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, du Congo, du Liban, du Maroc, du Niger, de République démocratique du Congo, et de Tunisie, qui se sont distingués par leur talent. Il est très encourageant de voir que cette initiative a rencontré une forte mobilisation, comme en témoigne la présence déminents représentants de plusieurs barreaux partenaires. Je remercie tous ceux qui ont contribué à la tenue de concours nationaux dans plusieurs pays de lespace francophone ces derniers mois.
Pour nous tous ici réunis, laffaire est entendue. La peine de mort est fondamentalement contraire à la justice. Elle lest partout, et en tous temps, quel que soit le crime commis. Nous menons un combat pour que chaque femme et chaque homme puisse être protégé dune violation certaine et scandaleuse de ses droits fondamentaux.
Cest pourquoi labolition de la peine de mort a été inscrite dans la convention européenne des droits de lhomme, en ses protocoles 6 et surtout 13 comme étant « essentielle à la protection du droit universel à la vie et à la pleine reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains ». Ce combat nous le menons pour civiliser les Etats, pour humaniser la justice.
Car une justice faillible par essence ne peut prononcer une peine irrémédiable ; une justice humaine ne peut se montrer cruelle en infligeant le pire des tourments ; une justice rationnelle ne saurait appliquer un châtiment qui ôte tout sens à la punition et qui est dépourvu deffet dissuasif sur les criminels. Ces arguments sont bien connus. Ils nempêchent malheureusement pas le retour périodique dappels au rétablissement de la peine de mort dans notre pays, aussi indécents quabsurdes.
Notre cause doit donc encore et toujours être défendue. Il faut bien sûr convaincre, avec léloquence de la raison et aussi celle du cur. Il faut aussi en appeler au courage car labolition exige le courage dun choix moral et politique.
Ce choix, on ne saurait le faire quau nom des valeurs supérieures de lhumanité, contre lensauvagement et la culture de la violence. Il est inconcevable que linstitution de la justice contribue à la violence en lalimentant, quelle soit animée en dernier lieu par la peur, lobsession sécuritaire, et par ce que Robespierre appelait les « lois de sang qui commandent les meurtres juridiques ». Un droit qui prévoit des meurtres commis au nom du droit est une monstruosité.
Cest pourquoi nous menons un combat pour labolition en droit de la peine de mort.
Depuis quarante ans, ce combat pour labolition universelle na pas été vain, labolition a gagné du terrain partout dans le monde. Mais cette tendance ne doit pas nous amener à baisser la garde. Encore trop de pays appliquent la peine de mort.
Si deux tiers des Etats de la planète nappliquent plus aujourdhui la peine capitale, plus de cinquante continuent à le faire. Ce nest pas tout : on observe des reculs préoccupants, la rupture de moratoires observés depuis plusieurs années, ou la pratique dexécutions à un rythme effroyable. Ainsi 2015 pourrait être marquée par un nombre record dexécutions.
Le combat pour labolition universelle est plus que jamais dactualité et nous devons rester pleinement mobilisés. La France en fait une priorité de son action extérieure, qui mobilise lensemble de notre réseau diplomatique.
Ici à Paris, nous avons organisé des événements denvergure à loccasion de la journée mondiale contre la peine de mort. Cette diplomatie dinfluence vise à sensibiliser tous les publics et à ancrer. En 2013, nous avions accueilli un séminaire à destination des parlementaires dAfrique du Nord et du Moyen-Orient, acteurs essentiels de toute évolution politique et juridique. Il a été fructueux puisquil a été suivi dun grand nombre dinitiatives portées par ces parlementaires, en lien avec les associations dans dix pays dAfrique du nord et du Moyen-Orient.
En 2014, nous avons organisé une journée de sensibilisation tournée vers les jeunes générations, car nous sommes bien conscients que la « relève » doit être mobilisée au soutien de lobjectif dabolition universelle. Dans le même esprit, nous avons également organisé en 2014 un concours de slogans, intitulé « A bas la peine de mort ! », à destination des jeunes francophones du monde entier. Vous avez pu découvrir en arrivant (ou vous remarquerez en sortant) les slogans lauréats de ce concours. Vous pourrez constater que les plus jeunes ont déjà tout compris de linhumanité de cette peine.
A létranger, partout dans le monde, nos ambassades organisent régulièrement, comme aujourdhui, des conférences, des projections ou des débats pour sensibiliser le public et les medias à cette question. La France soutient de nombreuses initiatives visant à apporter un soutien aux acteurs dinfluence que sont les avocats, les magistrats, les journalistes, les responsables associatifs et particulièrement les parlementaires abolitionnistes. Cette mobilisation de notre réseau a été renforcée cette année par la mise en uvre, à linitiative dailleurs de M. Robert Badinter, dune stratégie ciblant plus spécifiquement certains pays. Nos actions y sont conduites en coopération et de manière convergente avec plusieurs ONG et partenaires associatifs afin den accroître encore la portée et la force.
Cette année, à la fin du mois doctobre, nous soutiendrons, avec nos amis dEnsemble contre la peine de mort et de lOrganisation internationale de la Francophonie, la tenue dun nouveau séminaire réunissant des parlementaires. Il sera centré cette fois-ci sur lAfrique subsaharienne francophone, et sera organisé à Brazzaville par le parlement congolais sous le haut-patronage du Président Sassou Nguesso.
Vous le savez par ailleurs, au-delà des actions de plaidoyer, nous sommes aussi mobilisés, y compris au plus haut niveau de lEtat, au soutien de personnes condamnées à mort et de situation individuelle comme cela a été encore le cas il y a quelques mois.
Enfin, la France est également particulièrement active dans les enceintes multilatérales, qui jouent un rôle central pour des évolutions au niveau international. A lAssemblée générale des Nations unies, les résolutions adoptées ces dernières années montrent que la majorité des Etats membres soutient linstauration dun moratoire universel. Lors dun événement organisé lAssemblée générale à lONU la semaine dernière, le Ministre des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a dailleurs appelé tous les Etats à se mobiliser en faveur de labolition universelle. Pour maintenir cette dynamique, nous sommes actifs au sein du Conseil des droits de lHomme où nous contribuons à ladoption de résolutions sur la peine de mort, dont la plus récente na quune semaine. Il sagit de textes importants pour appuyer nos actions de plaidoyer.
Le 6e congrès mondial contre la peine de mort, qui se tiendra en juin prochain à Oslo est loccasion dinciter le plus grand nombre possible dEtats, quils soient abolitionnistes ou non, à participer activement à cet événement.
Ces actions servent toutes le même objectif, inlassablement. Plus que jamais, au moment où les exécutions reprennent là où elles avaient cessé, ou sintensifient ailleurs, le combat pour labolition universelle doit être mené. La France est pleinement engagée au service de cette cause.
Permettez-moi pour conclure, et avant de passer la parole à M. Robert Badinter, de rappeler que notre engagement ne doit pas se limiter à une seule journée de mobilisation, le 10 octobre de chaque année. Cest un combat de tous les instants.
Aux avocats qui sont avec nous aujourdhui, je veux dire combien leur voix, leur talent, leur courage, comptent dans ce combat pour le progrès et lhumanité. A lheure où beaucoup sinterrogent sur le progrès, il faut rappeler que labolition de la peine de mort est un progrès, participe du progrès. Cest Hugo qui sécrie le 15 septembre 1848 devant lAssemblée constituante dans son discours contre la peine de mort : « oui, je veux vous précipiter dans le progrès », pour brusquer des certitudes coupables et en finir avec la lâcheté. Dans les salles daudience des tribunaux ou dans la vie publique, parler au nom de lhomme, de sa dignité et de son droit à la justice, cest agir. Cest faire preuve de courage.
Permettez-moi M. Badinter de vous citer pour le dernier mot : « Le courage, pour un avocat, cest lessentiel, ce sans quoi le reste ne compte pas : talent, culture, connaissance du droit, tout est utile à lavocat. Mais sans le courage, au moment décisif, il ny a plus que des mots, des phrases, qui se suivent, qui brillent et qui meurent ».
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2015
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