Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021 (nos 3360, 3399).
Ce matin, l'Assemblée a entamé l'examen des crédits relatifs à l'immigration, l'asile et l'intégration (no 3399, annexe 28 ; no 3403, tome VII ; no 3404, tome II). Elle a commencé d'entendre les porte-parole des groupes.
Je rappelle que ces derniers s'expriment pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté. Les crédits de la mission "Immigration, asile et intégration" sont fortement mobilisés pour répondre à une politique migratoire que nous voulons à la fois maîtrisée et équilibrée. Cet équilibre repose à la fois, dans la droite ligne de la politique menée par le Président de la République depuis 2017, sur l'humanité dans l'accueil et l'intégration, et sur la fermeté à l'égard de celles et ceux qui entrent irrégulièrement sur le territoire national ou qui s'y maintiennent, bien que déboutés de leur demande d'asile.
La France est une terre d'asile, c'est son honneur que de se définir ainsi et la République est généreuse, mais celle-ci doit également être respectée dans ses décisions. Parce que les questions d'immigration, d'asile, d'intégration constituent une des priorités du ministère de l'intérieur, le projet de loi de finances pour 2021 autorise une augmentation de ces crédits de 36,8 millions d'euros, soit plus de 2% par rapport à la LFI – loi de finances initiale – pour 2020.
Je concentrerai mon intervention sur cet aspect budgétaire, puisque c'est le sujet qui nous réunit aujourd'hui. En complément du montant que je viens de citer, les crédits du programme 363 "Compétitivité" de la mission "Plan de relance" viennent abonder les efforts budgétaires de notre mission, à hauteur de 26,6 millions en crédits de paiement. Vous le voyez, il s'agit d'un effort conséquent, qui vise à nous donner les moyens d'agir plus et mieux grâce aux deux programmes de la mission : le programme 303 "Immigration et asile", et le programme 104 "Accès à la nationalité française".
Avant d'entrer dans les détails, je souligne que le ministre de l'intérieur et moi-même nous sommes beaucoup inspirés des travaux de M. Jean-Noël Barrot, que je salue.
Le programme 303 illustre la volonté résolue du Gouvernement de mieux accueillir et de mieux lutter contre l'immigration irrégulière.
Mieux accueillir, d'abord : les principales dépenses de ce programme en matière d'asile du programme portent sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile. Elles se traduisent donc par une augmentation significative du budget consacrée à l'ADA – allocation pour les demandeurs d'asile –, qui enregistre une hausse de 11,5 millions d'euros par rapport à la LFI de 2020, ce qui porte ce budget à 459,4 millions. Je souligne l'effort budgétaire engagé par toute la nation pour l'accueil des demandeurs d'asile en France.
Bien que, par définition, la demande d'asile ne puisse pas être chiffrée à l'avance, nous avons pris le parti de retenir les chiffres de l'année 2019, pendant laquelle le nombre de demandes a été élevé, tout en anticipant une potentielle réduction progressive des délais de traitement de la demande d'asile, qui ferait mécaniquement baisser la dépense. Par ailleurs, c'est aussi pour lutter contre le marché noir des places devant les préfectures, déjà évoqué, que le ministre de l'intérieur a souhaité geler la suppression des postes dans toutes les préfectures et que nous travaillons à la dématérialisation des procédures.
Les actions menées en matière d'hébergement auront elles aussi un effet sur le budget consacré à l'ADA. Elles portent sur la fluidité du parc d'hébergement : il s'agit de sortir des hébergements les déboutés qui s'y maintiennent indûment, d'instaurer une gestion régionale des places et de réduire la vacance frictionnelle à cet égard. À ces actions s'ajoutent des moyens financiers importants. Le point fort du PLF pour 2021 en matière d'hébergement est la création de 6 000 places supplémentaires : 4 000 places au titre de la mission et 2 000 places au titre de la mission "Plan de relance". Il s'agit des places en CADA ou centres d'accueil des demandeurs d'asile – 3 000 places –, en CAES ou centres d'accueil et d'examen de situation – 1 500 places – et en dispositif de préparation au retour – 1 500 places.
Pour financer le parc et les capacités totales en CADA, en CAES et en HUDA – hébergement d'urgence des demandeurs d'asile –, une dotation de 726,5 millions d'euros est prévue. S'y ajoutent 18,5 millions au titre de la mission "Plan de relance", pour 2 000 places créées spécifiquement grâce au plan de relance.
J'ai mentionné précédemment l'amélioration des délais de traitement de la demande d'asile. Vous l'avez votée dans cet hémicycle, et c'est une priorité de notre action que de la mettre en oeuvre. Cela permet d'accueillir dignement ceux qui ont besoin de la protection de la France et, a contrario, de répondre rapidement à celles et ceux qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire national. Cette réduction du délai de traitement des demandes d'asile aura un impact sur le montant de l'ADA, mais aussi sur la fluidité de l'hébergement. Cela passe par un effort en termes de moyens, notamment en direction de l'OFPRA. C'est pourquoi la subvention qui lui est accordée au titre du PLF pour 2021, de 92,8 millions d'euros, progresse par rapport à 2020 et accompagne les 200 ETP – équivalents temps plein – supplémentaires octroyés à l'OFPRA.
Mieux lutter contre l'immigration irrégulière, ensuite. En déplacement aujourd'hui dans la zone frontalière du Perthus, dans les Pyrénées-Orientales, avec le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, le Président de la République a annoncé un doublement des forces de sécurité déployées aux frontières à cet égard.
L'investissement immobilier des centres de rétention administrative témoigne, là encore, de la volonté du Gouvernement. Trop souvent, le manque de places en CRA a fait obstacle à l'éloignement. C'est pourquoi 29,4 millions d'euros seront consacrés au financement de la tranche 2021 du plan d'extension des CRA, notamment aux opérations d'Olivet, de Bordeaux et du nouveau CRA de Lyon, qui sera livré fin 2021. À ces montants s'ajoute 1,4 million de crédits de paiement au titre de la mission « Plan de relance » pour la rénovation des CRA existants. Je rappelle qu'en 2019, on a procédé à 23 746 éloignements, contre 16 000 en 2010.
Les préfets ont été invités à créer des LRA – locaux de rétention administrative –, en attendant la création de nouvelles places ou en complément. Voilà qui illustre notre volonté, que nous assumons parfaitement, d'expulser par exemple les étrangers radicalisés ou ceux qui représentent une menace pour l'ordre public. Les frais d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, tels que budgétisés, montrent la volonté du Gouvernement de retrouver des niveaux d'éloignement comparables à ceux d'avant la crise sanitaire. Ce poste de dépense couvre notamment les questions de billetterie centrale, le coût des aéronefs et des affrètements dédiés, à hauteur du montant de 2020, soit 24,5 millions d'euros.
J'en viens au programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ».
Depuis plus de deux, à la demande du Président de la République, le Gouvernement procède à une refonte de la politique d'intégration. L'État se donne les moyens de mener une politique ambitieuse grâce aux différentes mesures arrêtées, le 5 juin 2018, par le comité interministériel à l'intégration, et grâce à ce budget dédié, qui a été maintenu à un haut niveau et progressera de 2 millions d'euros en 2021.
J'ai souhaité accélérer la naturalisation des travailleurs étrangers qui se sont retrouvés en première ligne pendant le confinement. Nous avons déjà reçu à ce titre, par l'intermédiaire des préfets, plus de 600 demandes de naturalisation. Voilà selon moi une illustration éloquente de la ligne très claire qui est la nôtre : la République doit intégrer pleinement celles et ceux qui ont démontré leur engagement pour la nation.
Parmi les autres actions prioritaires, je tiens à mentionner celles qui concernent la maîtrise de la langue française, la formation civique visant au partage des valeurs de la République et à la participation à la vie en société, l'accès à l'emploi, la prise en charge de certaines situations particulières, notamment celle des réfugiés. Ces actions sont mises en oeuvre principalement par l'OFII, mais aussi par des porteurs de projets et des opérateurs. En 2021, les crédits d'intervention de l'OFII s'élèveront à 11 millions d'euros, montant identique à celui qui était inscrit en loi de finances initiale pour 2020.
Les crédits dédiés aux actions d'intégration des primo-arrivants augmenteront de 9%. Ils sont destinés au financement d'actions dans les territoires, en particulier l'accompagnement global vers l'emploi et vers l'intégration.
Les crédits consacrés à l'accompagnement des réfugiés resteront prioritairement mobilisés pour le financement des centres provisoires d'hébergement, qui offrent 8 710 places. C'est dans ces centres que sont logées, par exemple, les familles yézidies que le Président de la République s'est engagé à accueillir en France après qu'elles ont été victimes d'un génocide perpétré par Daech.
Ces actions sont complétées par les actions d'accompagnement spécifique, dont les crédits progresseront de 1,1 million d'euros. L'une des meilleures illustrations de cet accompagnement est le programme dit HOPE, hébergement, orientation et parcours vers l'emploi. Mais d'autres initiatives prises dans de nombreux territoires – j'ai l'occasion de m'y rendre avec certains d'entre vous – méritent d'être soutenues.
Le ministère de l'intérieur accompagne en outre, dans le cadre d'un plan pluriannuel, la rénovation et la modernisation de 690 foyers de travailleurs migrants, qui accueillent 100 000 travailleurs immigrés. En 2021, le budget correspondant sera maintenu, à hauteur de 8,14 millions d'euros, afin de conserver à ces hébergements leur caractère digne.
Pour conclure, je réaffirme la volonté claire du ministre de l'intérieur et la mienne d'être justes dans notre action en faveur de celles et ceux qui rejoignent notre pays et, surtout, de faire en sorte que les nombreuses actions menées par le ministère de l'intérieur et ses services sur l'ensemble du territoire soient mieux comprises et, je l'espère, soutenues par le plus grand nombre. (Applaudissements sur les bancs des commissions.)
M. le président. Nous en venons aux questions.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard. Aujourd'hui encore, malgré une actualité mortifère, certains préfèrent nier le lien entre immigration et terrorisme. Si tous les migrants ne sont pas des terroristes – c'est heureux –, de trop nombreux terroristes qui ont commis des attentats chez nous, en France, sont des migrants ou des personnes issues de l'immigration. C'est un fait.
Rappelons ce qui s'est produit au cours de cette seule année.
Le 4 avril 2020, à Romans-sur-Isère, un homme a tué au couteau deux passants et en a blessé cinq autres en criant "Allah Akbar". Il était réfugié soudanais.
Le 25 septembre 2020, à Paris, un homme a blessé deux personnes à l'arme blanche devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Il était entré dans notre pays en tant que Pakistanais et mineur isolé ; il avait en réalité 25 ans.
Le 16 octobre 2020, à Conflans-Sainte-Honorine, un homme a décapité Samuel Paty aux abords du collège où celui-ci enseignait. Il était de nationalité russe, d'origine tchétchène, et bénéficiait du statut de réfugié.
Le 29 octobre 2020, à Nice, un homme a tué trois personnes dans la basilique Notre-Dame-de-l'Assomption. Il était tunisien.
Et cette liste n'est malheureusement pas exhaustive.
C'est vrai, le ton a changé avec l'arrivée de M. Darmanin au ministère de l'intérieur. Mais qu'en est-il des actes ? Et qu'en est-il, au passage, du débat annuel à ce sujet promis par le Président de la République ? Il est passé aux oubliettes !
C'est vrai, vous avez fait expulser en un mois seize personnes radicalisées et annoncé qu'une centaine d'autres étaient retenues dans des centres de rétention administrative.
Mais que faites-vous pour traiter le mal à la racine ? Que faites-vous pour contrôler réellement l'immigration ? Que faites-vous pour reconduire à la frontière les faux demandeurs d'asile ? Que faites-vous pour renvoyer les faux mineurs non accompagnés ? Que faites-vous pour en finir avec la pompe aspirante que constitue l'AME, l'aide médicale d'État ? En un mot, madame la ministre déléguée, que faites-vous pour protéger les Français ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je vais tenter de répondre, madame Ménard, à toutes les questions que vous avez soulevées.
Je suis tout aussi mal à l'aise lorsque j'entends dire que tous les migrants seraient des terroristes…
Mme Émilie Bonnivard. Personne n'a dit ça !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. …que lorsque j'entends dire que tous les hommes seraient des violeurs. Je ne crois pas que l'on puisse partir d'un tel principe. Je tiens à vous rappeler que vingt-deux des trente derniers attentats commis sur le sol français l'ont été par des citoyens français. Selon moi, vous ne rendez pas service au débat en le réduisant et en le caricaturant comme vous le faites.
Quant au débat sur l'immigration, nul ne cherche à l'esquiver : il aura bien lieu, en décembre prochain au Parlement, comme prévu initialement ; vous pourrez bien évidemment y prendre part. Il sera centré sur la négociation du pacte européen sur la migration et l'asile.
S'agissant de l'AME, de même, l'idéologie aveugle et nuit à l'efficacité. Si l'on renonçait à l'AME, des étrangers en situation de précarité ne pourraient plus avoir accès aux soins ni se soigner. Pensez-vous, madame Ménard, que les virus, les microbes et les maladies se préoccupent de la carte d'identité des intéressés avant de passer d'une personne à l'autre ?
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 novembre 2020