Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, sur la situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer, au Sénat le 1er décembre 2021.

Prononcé le 1er décembre 2021

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat thématique au Sénat

Texte intégral

 

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer. "

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais préparé une intervention générale, mais je vais plutôt répondre à certaines des questions que les différents orateurs ont posées.

Les situations territoriales sont très différentes, par exemple entre les Antilles et la Nouvelle-Calédonie, même s'il existe des thématiques communes à l'ensemble des outre-mer. Je ne pourrai évidemment pas toutes les traiter en dix minutes, mais je sais que la délégation sénatoriale aux outre-mer se saisit régulièrement d'un certain nombre de sujets.

Cette prise de parole devant le Sénat est pour moi l'occasion de rendre compte de la situation dans laquelle nous nous trouvons aux Antilles. Je précise que les cas de la Martinique et de la Guadeloupe ne sont pas exactement identiques. Nous parlons de deux territoires distincts, avec des écosystèmes assez différents.

Ainsi que cela a été souligné, la première des crises est d'abord une crise de l'ordre public et de la sécurité publique, à distinguer d'une révolte sociale, monsieur le sénateur Gay. Ce qui se passe est sans précédent. Nous assistons à un réveil des voyous, à un retour du grand banditisme. (M. Fabien Gay s'exclame.) Il existe malheureusement dans cette plateforme caribéenne une tradition de connexion entre trafics de drogue et détentions d'armes.

Des individus ont profité des contestations sociales pour, la nuit, non seulement commettre des méfaits sur les biens, mais surtout porter des atteintes d'une violence inédite aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie. Et j'insiste sur ce caractère inédit. J'ai rencontré les policiers du RAID et les militaires du GIGN. Certains ont témoigné n'avoir jamais été confrontés à un tel niveau d'engagement avec des armes à feu au cours de leur carrière.

En Martinique, en seulement quatre ou cinq jours, une centaine de coups de feu ont été tirés sur les forces de police et sur des militaires de la gendarmerie. C'est ce qui explique les renforts du RAID et du GIGN. En effet, il y avait besoin de techniques d'intervention n'ayant rien à voir avec le maintien de l'ordre en journée, qui relève des policiers et des gendarmes " conventionnels ". La nuit, ce sont le RAID et le GIGN qui sont engagés. Je tenais à le souligner pour éviter certains amalgames. Entre parenthèses, monsieur le sénateur Pellevat, je signale que les renforts sont arrivés immédiatement. Tout cela peut être établi.

Au moment où je vous parle, cinq escadrons de gendarmes mobiles sont engagés sur chacun des territoires concernés. Les axes de circulation – vous y avez fait référence, madame la sénatrice Guidez – sont en train d'être libérés. Et, encore une fois, les barrages ne sont pas tenus que par des syndicalistes ou des militants pacifiques. On y rencontre aussi des voyous. Qu'il y ait des bonbonnes de gaz sur des barrages est tout de même le signe d'une démarche particulièrement violente. Et cela oblige malheureusement les forces de l'ordre à recourir à des techniques d'intervention particulières.

La deuxième crise est – je ne le nie évidemment pas – une crise sociale au sein des hôpitaux, voire du monde médico-social en général. Les sollicitations dans les établissements ont été très fortes durant les différentes vagues de l'épidémie de covid-19. Nous avons tous en tête l'actualité du mois d'août. Nous pouvons, me semble-t-il, tous en convenir, les gouvernements successifs ont souvent négligé la santé publique outre-mer. Les hôpitaux d'outre-mer sont dans un état tout à fait préoccupant. Le rattrapage du Ségur est l'une des premières réponses. Je ne prétends pas qu'elle sera suffisante.

Au demeurant, certaines problématiques spécifiques à la médecine libérale ne sont pas propres aux outre-mer. On les retrouve ailleurs, y compris en métropole.

Face à une telle crise sociale à l'hôpital, un dialogue social particulièrement exigeant s'impose. En tant qu'employeur, l'État doit se montrer exemplaire dans les réponses apportées aux soignants qui font ou feront l'objet d'une suspension.

Cela étant, comme je l'ai rappelé hier en Martinique, il y a un principe de réalité sanitaire et sociale qui s'impose à nous. Et cela me permet d'évoquer la troisième crise.

Car il y a bien une crise démocratique et principielle. Je le dis ici, à la tribune de la Haute Assemblée, alors qu'une loi a été adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat – certes, vous n'avez peut-être pas forcément tous voté pour, mais c'est le jeu démocratique, et je pense que nous défendons tous notre modèle de démocratie représentative – et qu'elle a été validée par le Conseil constitutionnel, on me dit localement qu'on ne veut pas l'appliquer.

M. Fabien Gay. Ou qu'on ne peut pas !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants, monsieur le sénateur. En l'occurrence, on m'a bien dit qu'on ne voulait pas. C'est très différent, et cela pose un problème démocratique majeur.

Je suis désolé, monsieur le sénateur Pellevat, mais, au cours de mes dernières heures de consultation, plusieurs élus de premier plan, pas forcément des parlementaires – mais certains l'avaient été ! –, m'ont dit que les décisions relatives à la Guadeloupe devaient être prises par les Guadeloupéens, et non par des députés ou des sénateurs à Paris. Là, on entre bien dans un débat qui n'a plus grand-chose à voir avec la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, voire l'autonomie !

J'ai donc pris ces élus au mot, mais en rappelant que, dans un département de la République française – la Guadeloupe, où de tels propos avaient été tenus, en est un, de même que la Martinique –, la loi de la République française a vocation à s'appliquer ! Il n'y a pas de discussion à avoir sur ce point.

Remettons donc les choses dans leur contexte. Vouloir adapter une loi sanitaire, c'est aller bien au-delà de la différenciation.

Nous sommes dans la chambre des territoires. Il est un modèle d'autonomie que nous connaissons bien : celui que la Constitution a instauré pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Qu'est-ce que l'autonomie ? Il est un peu triste, en 2021, de devoir redéfinir des notions supposément connues de tous. Si je devais caractériser en une expression, pour la presse ou pour l'opinion publique, l'autonomie, je dirais que c'est la décentralisation à l'extrême.

Vouloir adapter en Guadeloupe un texte aussi important qu'une loi de sécurité sanitaire applicable à des fonctionnaires hospitaliers, c'est prôner un changement de modèle. C'est la raison pour laquelle j'ai appelé les élus concernés à faire preuve de franchise et à aller au bout de leur logique en demandant une évolution statutaire.

J'espère donc avoir répondu une fois pour toutes à cet égard. Mais peut-être le contexte politique national actuel a-t-il conduit certains à souhaiter habilement entretenir la confusion entre autonomie et indépendance…

Je le rappelle, en Nouvelle-Calédonie – je suppose que nous aurons l'occasion d'en discuter au cours du débat interactif –, celles et ceux que l'on appelle les " loyalistes ", c'est-à-dire les personnes qui font campagne pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, sont eux-mêmes des militants de l'autonomie.

Les problématiques propres à l'outre-mer nous ouvrent ainsi beaucoup d'horizons, y compris les horizons juridiques les plus compliqués.

Le collectif contre l'exploitation outrancière, ou Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), qui est une plateforme syndicale connue en Guadeloupe, est venu nous voir en posant deux préalables avant toute discussion. Le premier était l'abrogation de la loi sur l'obligation vaccinale. J'imagine que si un ministre avait répondu favorablement à une telle exigence, les parlementaires, toutes opinions politiques confondues, auraient tout de même trouvé cela démocratiquement bizarre et dangereux. Et le second portait sur la suspension des poursuites judiciaires ou l'amnistie pour les personnes arrêtées pour avoir ouvert le feu sur des policiers et des gendarmes. Vous comprenez donc pourquoi il a rapidement été mis fin aux discussions.

En Martinique, l'intersyndicale nous a indiqué que les responsables concernés ne savaient pas appliquer la loi, ce qui n'a rien à voir avec la situation précédente. Soyons précis : quand des partenaires sociaux et des élus indiquent ne pas pouvoir appliquer la loi compte tenu de la situation particulière de la Martinique, c'est très différent d'une demande d'abrogation de la loi ou d'amnistie pour des personnes qui tirent sur des policiers et des gendarmes ! J'espère que vous me pardonnerez cette remarque de bon sens.

En Martinique, l'accord de méthode signé entre les élus locaux, l'intersyndicale et l'État va continuer à se décliner. Une méthodologie de dialogue s'est installée, avec notamment un atelier santé, c'est-à-dire un dialogue social au sein des structures hospitalières. Cela va nous permettre d'examiner l'applicabilité de la loi. Mais le principe est que l'obligation vaccinale des soignants doit s'appliquer.

Je le dis notamment devant une sénatrice de la Guadeloupe : je forme le voeu que nous puissions très vite reprendre le chemin du dialogue dans votre île.

La quatrième crise est commune à l'ensemble des outre-mer. Les problématiques auxquelles nous sommes confrontés viennent évidemment s'arrimer à des crises plus anciennes, voire systémiques. Certaines sont propres à l'insularité. D'autres sont malheureusement liées – je suis assez d'accord avec vous sur ce point, monsieur le sénateur Gay –, à l'histoire, avec ses ombres et ses lumières, pour faire écho à la très jolie formule de l'accord de Nouméa. Il faut les regarder en face.

Je pense d'abord à la vie chère, en distinguant le cas de l'énergie de celui des autres denrées ou biens. En effet, les structures de réponses ne sont pas les mêmes. Je suis sensible à ce que le sénateur Philippe Folliot a indiqué tout à l'heure sur la transition agricole. Sur ce sujet, la crise liée au covid-19 a pu modifier des comportements et des pratiques. Il faut avancer et aller plus loin.

Il y a aussi un énorme sujet sur la jeunesse en outre-mer.

D'aucuns ont également évoqué le rattrapage sanitaire ou la transition agricole.

Pour ma part, j'aimerais insister sur la transition énergétique. Il me paraît pour le moins curieux d'être encore aussi dépendants des hydrocarbures dans des territoires insulaires qui ne manquent ni d'eau, ni d'énergie, ni de vent, ni de soleil. Nous devrons travailler sur ce dossier.

La problématique de l'eau nous renvoie à la question des responsabilités locales. Je remercie le sénateur Gontard de la cohérence dont il a fait preuve en réclamant que l'État reprenne la main. Au moins, sa position est claire.

Mais nous sommes dans la chambre des territoires, et je m'en sens un peu membre. (Sourires.) Soyons cohérents. Nous sommes tous, me semble-t-il, des militants de la décentralisation. Il y a peu de jacobins sur ces travées. On peut aimer l'État en étant décentralisateur.

Or il est une chose que les lois de décentralisation, en 1982 comme en 2003, n'ont pas prévue. Quid lorsque la puissance publique locale se retrouve en défaut et n'exécute pas une mission, soit qu'elle ne le peut pas, soit qu'elle ne le veut pas ? Aujourd'hui, dans la loi de la République, rien n'est prévu dans une telle situation. Le préfet peut toujours faire des réquisitions ; d'ailleurs, il en a fait. Nous pouvons également passer par la loi, comme vous l'avez fait pour la création du syndicat des eaux, ce dont je vous remercie.

Monsieur Gontard, la gouvernance de l'eau est un sujet majeur. Ce n'est pas qu'une question d'argent. Même si cela peut paraître invraisemblable, actuellement, beaucoup de crédits consacrés à l'eau ne sont pas consommés en Guadeloupe !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion collective sur la décentralisation et, malheureusement, sur l'échec de la mise en oeuvre d'un certain nombre de politiques publiques.

Il arrive que l'État soit mis en cause à juste titre. Mais, sur la question de l'eau, il fait partie de la solution, et certainement pas du problème.

Je vous remercie de la bienveillance dont vous avez fait preuve à mon égard, madame la présidente.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, il était normal de vous laisser, ainsi qu'aux orateurs des groupes, du temps pour vous exprimer sur un sujet aussi sensible et d'actualité.

Cela étant, j'appelle chacune et chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti dans le cadre du débat interactif, afin que nous puissions tenir les autres débats inscrits à notre ordre du jour dans les délais prévus.


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque groupe dispose d'une question de deux minutes maximum, y compris l'éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d'une durée équivalente.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. Le 12 décembre prochain, un troisième et dernier référendum se tiendra sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à l'indépendance.

La date du scrutin a été maintenue, la situation épidémique étant désormais sous contrôle, mais elle continue de faire l'objet de trop nombreuses polémiques. Elle a pourtant été soutenue par des personnalités de la société civile appelant à mettre fin à l'incertitude institutionnelle, qui n'a – nous en sommes tous convaincus – que trop duré.

Après deux précédentes consultations ayant confirmé la volonté du peuple calédonien de demeurer dans la République, cette dernière consultation optionnelle sera – j'en suis sûr – l'occasion de sortir d'une telle impasse et d'éviter une surenchère.

Je tiens à réaffirmer ma volonté que la consultation aille à son terme dans les meilleures conditions et qu'elle permette d'ouvrir une nouvelle page, un nouveau contrat social, entre la métropole et le Caillou.

Car la métropole n'a jamais laissé de côté la Nouvelle-Calédonie. Depuis le mois de juin 1988, la paix et l'exercice pacifique du droit à l'indépendance ont éclipsé la violence et l'incompréhension.

Au mois de septembre dernier, une centaine de réservistes sanitaires ont été envoyés pour aider la population.

En 2021, quelque 178 milliards de francs CFP ont été investis par l'État pour la Nouvelle-Calédonie, partagés notamment entre les dépenses d'intervention et l'aide fiscale à l'investissement.

Dès lors, monsieur le ministre, comment abordez-vous ce scrutin aussi stratégique que détourné de son objectif véritable ? Comment ouvrir une nouvelle page dans la relation entre la France et la Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Longeot, je vous remercie de me donner l'occasion d'évoquer la Nouvelle-Calédonie.

Tout d'abord, les conditions sanitaires et organisationnelles pour tenir le référendum du 12 décembre sont remplies. Le taux d'incidence est stabilisé entre 70 et 80 cas pour 100 000 habitants. En pratique, plus de 200 observateurs sont en route vers la Nouvelle-Calédonie. Les maires, qu'ils soient indépendantistes ou non, organisent le scrutin de manière républicaine en respectant l'esprit de l'accord.

Ensuite, je souhaite insister sur le rôle de l'État, qui a tenu parole. Je pourrais évoquer la déclaration de Nainville-les-Roches, que tout le monde a oubliée, qui mentionne « les victimes de l'histoire ». J'ai également en mémoire les accords de Matignon de 1988 et les accords de Nouméa de 1998. D'après certains signataires, y compris celui qui siège encore parmi vous, Pierre Frogier, d'aucuns considéraient à l'époque que l'accord n'irait peut-être pas complètement au terme des trois référendums. Or nous sommes entrés dans ce moment ultime où peuvent parfois naître les tensions.

Il s'agit en effet d'imaginer le lendemain. L'État et le Gouvernement l'ont fait, au travers de la déclaration du 1er juin dernier, qui vient sécuriser la fin de l'application de l'accord de Nouméa, ouvrir une période de transition jusqu'en juin 2023 et, ainsi, stabiliser également la situation économique, sociale, politique et juridique de l'archipel.

Dieu sait que ce dernier en a bien besoin : la relance économique devra se faire en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs.

Dans cette affaire, l'État est neutre, je le rappelle. Si les parlementaires et les membres du Gouvernement peuvent émettre des opinions politiques, l'État, en tant que partenaire d'un accord, se doit de garder sa neutralité, comme il le fait lors des élections sénatoriales ou municipales.

J'observe que, d'un côté, certains nous poussent à nous montrer plus partisans que par le passé quand, d'un autre côté, d'autres nous reprocheraient presque, au travers de tribunes publiées dans des journaux de l'après-midi, d'être violemment anti-indépendantistes pour ne pas dire anti-Kanaks, ce qui est d'ailleurs assez scandaleux.

Au fond, je me dis que nous avons sans doute trouvé un équilibre, conforme à l'engagement d'appliquer cet accord véritablement jusqu'à son terme.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le ministre, cela a été dit, mais il faut encore le souligner : la crise du covid-19 a eu, indéniablement, des répercussions sociales et économiques désastreuses dans les outre-mer.

La mise en berne des activités économiques à la suite du confinement et des mesures de restrictions sanitaires ont exacerbé les faiblesses structurelles du tissu entrepreneurial ultramarin, majoritairement composé de petites entreprises et fortement dépendant du tourisme.

Je rappelle que, pour tenter d'endiguer la crise, le Gouvernement a étendu dans les outre-mer les dispositifs de soutien que sont le fonds de solidarité pour les entreprises ou encore les prêts garantis par l'État.

Or j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur un point jusqu'ici peu évoqué : si l'impact des premières vagues épidémiques a été généralement moindre dans les outre-mer qu'en métropole, ces derniers subissent aujourd'hui de plein fouet la double crise sanitaire et économique.

Il est donc urgent, et même vital, de synchroniser les dispositifs d'aide économique aux outre-mer, pour tenir compte de ce décalage de l'épidémie dans le temps.

Monsieur le ministre, puisque les mesures économiques ont précédé l'explosion de la pandémie dans les outre-mer, comptez-vous réadapter rapidement ces dernières à la crise actuelle ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Corbisez, à question claire, j'apporterai une réponse claire.

Jusqu'à présent, nous avons toujours adapté les mesures d'accompagnement aux mesures de freinage telles que le couvre-feu ou le confinement.

La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, pays d'autonomie, étaient dans une situation particulière : nous y avons tout de même déclenché, vous le savez, les outils de solidarité – fonds de solidarité, prêts garantis par l'État (PGE). Seul le chômage partiel a fait l'objet d'une exception, dans la mesure où il relève de la compétence des pouvoirs locaux.

Ces territoires étant bien français, la solidarité nationale s'y est exprimée.

Nous avons également adapté la mise en oeuvre du passe sanitaire : instaurer un passe sanitaire sur un territoire dans lequel les restaurants étaient fermés n'aurait pas eu de sens. Nous avons donc agi avec bon sens.

Nous continuerons à nous adapter en permanence, notamment dans les territoires soumis à l'état d'urgence sanitaire comme la Martinique, dont je reviens et où les indicateurs sont fragiles.

Nous continuerons, chaque fois que nécessaire, à bâtir dans les différents territoires concernés les systèmes d'accompagnement en fonction de la cinétique de l'épidémie.

Malheureusement, au vu du faible taux de vaccination dans certains territoires, nous n'en avons pas terminé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je vous pose ici la question de Victorin Lurel, qui ne peut malheureusement être parmi nous cet après-midi en raison d'une urgence personnelle. M. Lurel m'a demandé de vous présenter ses sincères excuses.

Voici sa question : " Monsieur le ministre, je souhaitais saisir l'occasion de ce débat pour clarifier un peu les choses et nous permettre, collectivement, d'avancer à la suite de votre déplacement.

" Nous ne serons jamais de ceux qui contestent votre fermeté face aux demandes d'amnistie des délinquants, pas plus que votre volonté de rétablir l'ordre.

" Pour autant, nous considérons que le choix délibéré d'une visite express, à la symbolique militaire et à la posture martiale et autoritariste, est une grave erreur politique.

" Vous ne pouvez ignorer que cela a braqué, a choqué et surtout – c'est là le plus grave – légitimé l'action politique de ceux qui, de toute façon, ne sont pas là pour discuter.

" Il était tout aussi maladroit de prétendre que tous les problèmes de l'île relèvent uniquement de compétences locales. Cette défausse ne pouvait que tendre le dialogue, y compris avec vos alliés politiques locaux et membres de votre majorité.

" En définitive, par ses excès, ce malheureux épisode n'a fait que renforcer la stratégie de pourrissement voulue par certains.

" Dans le même temps, et bien que vilipendés et délégitimés, les élus prennent leurs responsabilités en écoutant et en proposant. À l'État désormais de prendre les siennes.

" Monsieur le ministre, dans quels délais, sous quel format, avec quels experts, quels collègues et surtout avec quelle volonté reviendrez-vous en Guadeloupe pour non pas renouer, mais bel et bien nouer le dialogue et ainsi éviter la montée aux extrêmes et les morts ?

" Cette crise ne doit pas devenir une occasion d'envenimer le climat pour plaire à une frange radicalisée de l'opinion publique hexagonale en période de précampagne présidentielle. "

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je tiens à saluer, par votre intermédiaire, le sénateur Lurel, qui rentre en Guadeloupe – nous le savons – pour une raison qui n'est pas heureuse, et à lui adresser nos pensées amicales.

S'agissant, premièrement, de ma visite, je le répète : j'assume la méthode. J'ai subi suffisamment de pressions politiciennes, à Paris, qui m'invitaient à me précipiter sur le terrain. Je n'ai pas souhaité le faire, pour deux raisons : d'abord pour ne pas gêner les forces de l'ordre – cela fait parfois sourire, mais je tiens compte aussi de cet aspect – et, ensuite, pour laisser sa chance au dialogue local.

Sans vouloir comparer les territoires, cette démarche a fonctionné en Martinique. Si je m'y étais rendu dès les premières heures, nombre de positions syndicales et politiques se seraient crispées et nous n'aurions pas laissé cette chance au dialogue paritaire qui me tient à coeur.

Deuxièmement, en ce qui concerne la supposée symbolique martiale de ma visite, je voudrais apporter ces précisions à l'ensemble des parlementaires : j'ai dormi à Pointe-à-Pitre qui, comme chacun sait, n'est pas la préfecture de la Guadeloupe, plus précisément au fameux régiment du service militaire adapté (SMA) qui encadre des jeunes.

Il m'a été reproché, localement, d'avoir dormi dans un régiment, lequel dépend pourtant de mon ministère. Croyez-moi, il n'y avait là aucune dimension symbolique volontaire ; il fallait bien que je dorme quelque part !

Troisièmement, il ne faut pas nier que la plupart des revendications portent sur des compétences locales. Ce n'est pas se défausser sur les collectivités territoriales que de dire cela.

Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous êtes des parlementaires de la République, puisque vous votez le budget de l'État, vous incarnez l'État, vous aussi. Vous en conviendrez, les collectivités territoriales ne peuvent ainsi se défausser sur l'État.

Tous ici, nous sommes, nous avons été ou nous avons vocation à redevenir des élus locaux. Les partisans de la décentralisation le savent bien : l'eau potable est la compétence par excellence du bloc communal depuis Mathusalem.

Dès lors, assister à des manifestations dans lesquelles on reproche à Paris – c'est-à-dire autant à vous qu'à moi – de ne pas avoir fait le nécessaire pour alimenter la population en eau potable, pose quand même question. Cela pose la question fondamentale des compétences et de la responsabilité des uns et des autres.

Quatrièmement, je ne jugerai pas de la politique de la chaise vide qu'ont pratiquée les grands élus de Guadeloupe lors de cette visite. Je considère tout de même étonnant de ne pas venir à la rencontre d'un ministre lorsque ce dernier fait le déplacement.

Moi-même, alors que j'étais élu local de l'opposition, je me déplaçais systématiquement dans ces occasions, y compris pour faire entendre mon désaccord. Je pense donc, en effet, que la forme comptera également dans les semaines à venir.

En tout état de cause, je me tiens entièrement disponible pour avancer en vue de la résolution de la crise en Guadeloupe.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, il y a quelques jours, la Guadeloupe et la Martinique s'embrasaient et connaissaient des scènes d'insurrection inquiétantes et désolantes.

À la faveur de votre déplacement, vous avez pu personnellement évaluer la situation sur le terrain. Les revendications de ces agitateurs et casseurs, chauffés à blanc par certains syndicats aussi, ne paraissent pas, hélas, clairement identifiées. Il n'en reste pas moins que ces violences sont intolérables.

Comme dans les autres territoires d'outre-mer, le gouvernement français a fait de gros efforts sur les plans de la vaccination et de la protection sanitaire.

Nous le savons, cette crise, qui nous a fait mettre un genou à terre, a été plus durement ressentie encore, socialement, dans nos départements et territoires d'outre-mer, dont les économies sont fragiles, notamment dans les secteurs du transport, du numérique ou du BTP.

Pourtant, tout est bon en termes de récupération politique pour jeter de l'huile sur le feu. La pseudo-polémique entraînée par vos propos sur une plus grande autonomie de la Guadeloupe semble davantage liée à des tensions politiques de période présidentielle qu'au tabou de l'autonomie, qui n'a pas lieu d'être dans notre cadre constitutionnel.

Monsieur le ministre, pensez-vous que les discussions et les échanges que vous avez eus avec des responsables politiques locaux puissent ramener un peu de calme et de sérénité sur ces deux îles ? Voyez-vous d'autres solutions pour sortir de cette crise ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, votre question me donne l'occasion de rappeler la forte présence de l'État dans les outre-mer.

Additionnées, les prises de parole récentes donnent l'impression d'un grand retrait de la puissance publique.

Or, vous qui votez les lois de finances, mesdames, messieurs les sénateurs, savez à quel point l'État est présent outre-mer, bien au-delà, d'ailleurs, de l'action de ce seul gouvernement. Beaucoup de choses sont faites et nous pourrions les documenter.

Par ailleurs, pardonnez-moi de revenir sur l'affaire de l'autonomie, mais je le dis ici, dans la chambre des territoires : certains propos et amalgames ont profondément blessé les Polynésiens et les Calédoniens.

Les sous-entendus autour de l'autonomie, qui équivaudrait à une espèce d'abandon, à un recul de l'État, à un début de sécession, de rupture avec la communauté nationale, bref, toutes ces inepties juridiques et politiques ont blessé des territoires qui sont aujourd'hui dans l'autonomie et qui sont bien français.

La Nouvelle-Calédonie, jusqu'à preuve du contraire – le référendum a lieu le 12 décembre prochain – et la Polynésie française – qui en a déjà donné la preuve –, c'est la France !

Si la campagne présidentielle exacerbe sans doute les positions, on ne peut sans cesse invoquer, d'un côté, la République des territoires, la décentralisation et la différenciation et, de l'autre, considérer comme scandaleuse ou prématurée l'idée d'une autonomie qui, en fait, correspond au degré le plus poussé de la décentralisation.

Il convient donc de remettre les choses dans le bon ordre, sauf à manquer de cohérence. Cela ne serait pas la première fois, remarquez, qu'un débat politique manquerait de cohérence !

Monsieur le sénateur Médevielle, vous m'interrogez sur mon degré d'optimisme. Je vous répondrai : fermeté absolue pour ce qui se passe la nuit, car cela n'a rien à voir avec ce qui se passe le jour. Le dire ainsi clarifie les choses, me semble-t-il. Il ne faut donc pas que les syndicalistes de jour, notamment en Guadeloupe – M. Domota, pour ne pas le nommer – viennent réclamer l'amnistie pour les protagonistes des événements de la nuit. Ainsi, les choses se passeront très bien et nous pourrons avancer.

La méthode appliquée en Martinique produira vite ses effets, sur des questions d'intérêt général telles que la vie chère, l'avenir de la jeunesse, celui du territoire ou encore l'application de la loi dans les hôpitaux, sur la base d'une documentation Unédic.

Au sein de l'hôpital s'est ainsi noué un véritable dialogue social. Peut-être ce dernier aurait-il pu avoir lieu plus tôt, toujours est-il qu'il est maintenant à l'oeuvre.

Je le répète : cette méthodologie devrait vite produire ses effets et peut-être inspirer la Guadeloupe. Là encore, je suis disponible et volontaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, depuis trente ans, la situation se dégrade aux Antilles et le lien national se distend.

La crise sanitaire a exacerbé les problèmes de fond : coupures d'eau potable ou d'électricité, réseau routier saturé, chômage des jeunes, vie chère, excès d'emplois publics.

Aucun des dispositifs déployés jusqu'à présent n'a permis à ces territoires de trouver les conditions d'un développement harmonieux et d'une croissance économique permettant de lutter efficacement contre le chômage, en particulier celui des jeunes.

Il faut agir de concert sur l'emploi et sur la consommation des ménages, afin de créer un choc de revitalisation économique.

Il y a, outre-mer, un véritable problème de coût du travail : son niveau élevé, en comparaison des territoires voisins, limite la compétitivité des entreprises locales.

Il est pourtant nécessaire de permettre à ces entreprises de développer leurs activités, d'investir, d'innover, de baisser leurs prix et de recruter des collaborateurs.

Le Gouvernement propose de créer de nouveaux emplois aidés dans les secteurs public et associatif, alors qu'il est déjà reconnu que le secteur public occupe une place très importante dans l'économie des outre-mer. Un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, a d'ailleurs dénoncé cette situation dans la presse, il y a quelques jours.

Dans ces conditions, ne devrait-on pas favoriser l'insertion dans les entreprises du secteur privé ? Quelle est la stratégie du Gouvernement pour développer les entreprises ?

Dans le cadre du grand débat national, l'ensemble des organisations socioprofessionnelles martiniquaises avaient proposé une mesure phare, véritable choc pour leur attractivité : elles avaient proposé de détaxer le travail afin de relancer l'économie.

Quel est, monsieur le ministre, votre avis sur cette proposition ? Comment, dans ces territoires ultramarins, créer un véritable tissu économique reposant sur un capitalisme patrimonial ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, veuillez me pardonner d'avoir été absent lors des questions au Gouvernement de ce jour et de n'avoir pu répondre à votre question.

La dernière fois que j'ai affirmé ne pas avoir de sujet tabou sur les questions statutaires, j'ai vécu deux ou trois jours agités. Je ferai donc preuve de prudence dans mes propos en matière économique.

Nous nous situons, cela étant, dans le même domaine de réflexion. L'évolution de la fiscalité est manifestement une question fondamentale. Si l'on s'interroge, en passif et en creux, sur le point de savoir si la défiscalisation telle qu'imaginée il y a quelques années et soumise au Parlement par Brigitte Girardin produit encore ses effets, la réponse est oui, mais plus complètement. Voilà un beau sujet pour le début du prochain quinquennat, quelle que soit la majorité qui sera aux manettes !

La question de l'octroi de mer est à manier également avec force précautions lorsque l'on s'exprime en tant que ministre des outre-mer.

L'octroi de mer constitue encore, sans nul doute, une barrière douanière protectrice pour l'économie insulaire et pour un certain nombre de biens de production du secteur marchand. Doit-il s'appliquer aux armes des fonctionnaires de police ou de gendarmerie, ainsi qu'à certains organes ou aux biens culturels ? Ce n'est pas là, me semble-t-il, sa vocation.

S'agissant de l'eau potable, il est évident que le développement d'une économie touristique en Guadeloupe est peu compatible avec l'existence de tours d'eau dans les gîtes ou les hôtels.

En matière de fiscalité et de défiscalisation, il ne faut négliger aucune piste.

Enfin, s'il y a un mot qu'il faut prononcer, c'est le mot " concurrence ". L'une des solutions, pour lutter, d'une part, contre la vie chère et, d'autre part, pour animer un vivier de jeunes entrepreneurs, réside évidemment dans la création de conditions concurrentielles, dans lesquelles – nous avons appris cela à l'école – l'offre peut rencontrer la demande.

" Vaste programme ! ", comme aurait dit qui vous savez.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, cette question appelle – on le voit bien – un débat apaisé et posé, qui s'appuie sur l'Assemblée nationale, sur le Sénat et sur les différentes délégations.

Il convient d'agir sans précipitation et de mettre – vous l'avez dit – l'avenir et le développement de nos territoires ultramarins au coeur du prochain quinquennat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, malgré une accalmie, la Guyane a traversé une crise sanitaire sans précédent, qui a mis les personnels des trois seuls hôpitaux guyanais au bord de la rupture.

Ces derniers mois, alors que le taux d'incidence frôlait les 500 cas pour 100 000 habitants, les soignants ont fait face en dépit de l'obligation vaccinale, puisque, dans certains hôpitaux, à peine 50% d'entre eux sont vaccinés.

Cette défiance des soignants envers la vaccination fait d'ailleurs écho à celle de la population générale : avec 26 % de personnes vaccinées, la Guyane affiche le taux de vaccination le plus faible du pays.

Mais comment convaincre la population et les personnels soignants de se faire vacciner quand seule s'applique la contrainte et que l'État a failli, notamment, dans sa mission de service public ? Quand, depuis des années, la Guyane, dont presque 30% du territoire est classé en zone sous-dense, est le plus grand désert médical du pays ? Quand, à ces inégalités d'accès aux soins se conjuguent – cela a été dit – vie chère, un taux de pauvreté à près de 53% et un revenu médian d'à peine 900 euros ?

Les Antilles s'enflamment pour les mêmes raisons : ces inégalités sociales et sanitaires territoriales qui perdurent, alors que l'égalité n'est convoquée que pour justifier l'obligation vaccinale.

Monsieur le ministre, que prévoit le Gouvernement pour en finir enfin, à court terme, avec les zones sous-denses, où toute politique " d'aller vers " est vaine, dès lors que l'accès aux soins n'est pas garanti ?

Quelles politiques publiques, rompant avec l'abandon des personnels soignants et des habitants, le Gouvernement entend-il mener en Guyane ? Elles seules sont à même de redonner confiance dans la parole politique et institutionnelle et, très certainement, à terme, d'améliorer la couverture vaccinale.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je répondrai d'abord à la fin de votre question.

Pour que la confiance revienne, il faudra que nous nous accordions, tous, pour lutter localement contre tous les populismes.

Il me paraît souhaitable de détacher la question de l'acceptation globale de la vaccination de celle de l'obligation vaccinale des soignants et des questions d'accès aux soins, sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

La Guyane est aussi le territoire de la République dans lequel les fantaisies, les mensonges et les fake news – je pourrai vous le démontrer – ont été les plus invraisemblables et les plus graves. Parfois, ces allégations n'ont été confrontées à aucune contradiction, pas même de la part de l'État qui, certes, a fait son possible et dont je défends les équipes.

On a le droit de ne pas soutenir le Gouvernement, mais je vous prie de croire, mesdames, messieurs les sénateurs, que les personnes qui rendent le service public au quotidien à l'ARS, à l'hôpital ou dans les centres médico-sociaux de proximité ont fait le maximum pour porter la parole de la vaccination. Il ne leur fut pas seulement opposé des théories sur les puces 3G ou autres, mais aussi des affirmations bien plus graves encore.

Il importe de dénoncer ces comportements, car ils ont eu, malheureusement, des effets tout à fait déplorables et très graves sur la protection de nos concitoyens outre-mer. En la matière, me semble-t-il, c'est collectivement que nous devons agir.

Par ailleurs, je vous confirme que la Guyane accuse, sur le plan de la couverture vaccinale, un retard considérable. Dans ce domaine, la mère des batailles reste l'hôpital public.

En effet, la présence de l'hôpital public permet de développer des stratégies « d'aller vers » et de déployer des centres de proximité. J'ai visité un de ces centres, à Maripasoula ; il va d'ailleurs être totalement reconstruit pour devenir un véritable hôpital, car l'attente est importante à cet endroit.

Enfin, le centre hospitalier de Cayenne va devenir centre hospitalo-universitaire (CHU), ce qui représente un tournant majeur pour la Guyane, à l'horizon 2024-2025. Cette transformation va permettre de diversifier l'offre de soins et, surtout, de proposer une offre de formation renouvelée aux personnels de santé. Il faudra malgré tout faire preuve d'un peu de patience, parce que les choses ne se font pas en quelques semaines.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, " quand on se déplace, c'est que les choses sont mûres ! " expliquiez-vous avant votre départ en Guadeloupe dimanche dernier…

Une chose est certaine, monsieur le ministre : ce qui est mûr, ce sont les inégalités entre la métropole et les outre-mer, dénoncées depuis de très nombreuses années.

L'obligation vaccinale des soignants et des pompiers a mis le feu aux poudres dans un contexte multidimensionnel devenu insupportable pour nos outre-mer. Mon camarade Fabien Gay et d'autres collègues ont multiplié les exemples de ces inégalités vécues et subies par nos compatriotes antillais : le non-accès à l'eau potable, la vie chère, le chômage des jeunes, etc.

Il est vrai que ces fractures sont anciennes – nous ne faisons que les constater année après année depuis bien trop longtemps.

Et elles ne s'arrêtent pas aux Antilles. En Guyane, au-delà de la situation de l'hôpital public que vous venez d'évoquer, on dénombre seulement 55 médecins généralistes pour 100 000 habitants contre 104 en moyenne nationale. L'habitat indigne représente 13% du parc de logements outre-mer. Il y a autant de personnes qui vivent dans un bidonville à Mayotte que dans tout l'Hexagone.

Nos compatriotes ultramarins manifestent aujourd'hui pour une revalorisation de leur pouvoir d'achat, pour une progression des salaires, pour des moyens de sortir de la précarité, etc. Ils manifestent tout simplement pour plus d'égalité et pour vivre dignement !

Comme l'a dit Fabien Gay, nous condamnons avec fermeté toutes les violences, mais la réponse à ces manifestations ne peut pas se résumer à l'envoi de forces de police.

Quant à votre évocation d'une autonomie pour la Guadeloupe, question qui aurait été abordée « en creux », monsieur le ministre, c'est un sujet institutionnel d'importance, bien trop sérieux pour être avancé au beau milieu d'une crise aussi grave. Une telle réponse résonne, d'une certaine façon, comme une menace d'abandon. Surtout, elle est totalement décalée au regard de l'urgence sociale, en particulier quand on connaît la longueur des processus que nécessiterait sa mise en oeuvre…

Je pourrais évoquer d'autres sujets et vous m'excuserez, monsieur le ministre, de vous poser une question d'ordre général. En tout cas, il faut absolument que vous apportiez des réponses concrètes pour mettre un terme aux injustices structurelles que je viens d'évoquer, comme d'autres l'ont fait avant moi cet après-midi.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Je vous remercie, madame la sénatrice. Je vous apporterai trois éléments de réponse.

Tout d'abord, j'estime qu'il n'y a jamais de mauvais moment pour rappeler les principes républicains. Quand des élus de la République vous expliquent que la loi ne s'appliquera pas sur leur territoire, le devoir d'un ministre est de dire qu'elle s'appliquera !

J'ai ajouté que, si l'on s'inscrit dans cette logique, il faut aller jusqu'au bout et demander un changement de statut. Je n'ai rien dit d'autre et la presse est libre d'écrire ce qu'elle veut. Je crois que c'est notre rôle à tous de dire que les lois de la République doivent aussi s'appliquer dans les départements et régions d'outre-mer.

Voilà ce que j'ai dit, madame la sénatrice, et je crois que nous pouvons tous nous retrouver sur ce point.

Ensuite, il n'est évidemment pas possible de répondre en deux minutes à l'ensemble des points que vous avez évoqués. Si vous aviez examiné l'ensemble du projet de loi de finances pour 2022, nous aurions pu débattre de ces questions, par exemple du logement, sujet sur lequel des choses sont en train de bouger.

Enfin, vous avez raison de dire que, sur certains sujets, les réponses devront être plus radicales dans les années à venir.

Par exemple, quand on évoque la vie chère, il faut évidemment mener une réflexion sur la fiscalité, notamment sur l'octroi de mer : il ne s'agit pas de le remettre en cause, mais de lui redonner son rôle de barrière douanière. Aujourd'hui, l'octroi de mer est l'une des causes de la vie chère, en particulier pour les produits de première nécessité.

Peut-être faut-il aussi répéter – c'est un sujet parfois méconnu à Paris – que, depuis des années, l'État ne perçoit plus un euro de fiscalité sur les carburants outre-mer. Je ne veux pas, en disant cela, montrer du doigt les collectivités territoriales, puisqu'il revient au législateur et à l'exécutif de mettre en place des solutions.

Je prends un autre exemple : les aides au fret. Il est évident que les transformations actuelles du commerce international liées à la pandémie de covid-19 nous amèneront à revoir la question de l'accompagnement de ce secteur. Une partie de la structure des prix outre-mer dépend de cette question.

Dernier exemple : les productions insulaires. Faire venir des matières premières en surgelé, sur des milliers de kilomètres et à prix d'or n'a aucun sens, en particulier si l'on veut développer des productions locales à coûts moindres.

Voilà autant de sujets sur lesquels nous devrons apporter une réponse d'ensemble.

J'ajoute pour conclure que nous devrons avancer sur les questions de concurrence – ce n'est pas un mot tabou pour moi. Outre-mer, beaucoup de prix sont élevés parce que nos concitoyens n'ont malheureusement pas le choix en termes de produits ou de circuits de distribution. Je le sais, c'est un sujet qui peut diviser les Ultramarins, mais nous pouvons en parler calmement. En tout cas, nous devrons aussi avancer sur ce dossier.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : " La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer. "

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.


Source http://www.senat.fr, le 10 décembre 2021