Déclaration de Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie, sur la réglementation pour les produits issus du chanvre, au Sénat le 3 février 2022.

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Circonstance : Questions posées au Gouvernement sur le thème "Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ?", au Sénat le 3 février 2022

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande disposera d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(...)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le chanvre et les produits qui en sont issus constituent un sujet très important pour le Gouvernement, tant dans les domaines industriel et commercial, la France étant le premier producteur européen de chanvre industriel avec six chanvrières, 1 414 producteurs et plus de 16 400 hectares de surface cultivée, que dans le domaine thérapeutique, où des avancées significatives ont vu le jour ces dernières semaines.

La mobilisation du Gouvernement a d'abord permis la mise en oeuvre de l'expérimentation relative au cannabis à usage médical, qui ne faisait jusqu'alors pas partie de l'arsenal thérapeutique en France.

Cette expérimentation, qui a démarré le 26 mars 2021, pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients dans cinq indications dans les champs de la douleur, de l'oncologie et de l'épilepsie. Elle doit permettre de déterminer le cadre qui pourrait être mis en place pour la création d'un circuit de prescription et de dispensation de tels médicaments en France.

C'est seulement à son issue que nous pourrons nous positionner pour savoir s'il est souhaitable d'introduire ces médicaments pour un usage en droit commun.

L'expérimentation suit aujourd'hui son cours. Au 1er février, 1 281 patients étaient inclus dans les diverses indications prévues dans l'expérimentation, notamment les douleurs neuropathiques et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, l'épilepsie ou encore l'oncologie.

Sont impliquées 243 structures de référence hospitalières volontaires, tandis que 1 148 professionnels de santé sont formés et 68 centres régionaux de pharmacovigilance et d'addictovigilance sont mobilisés. Il s'agit donc d'une expérimentation de très grande ampleur et nous serons très attentifs à ses résultats.

S'investir dans la culture en France de cannabis à usage médical fait également partie de cette mobilisation. En modifiant la réglementation pour permettre la culture de plants de cannabis réservés à la fabrication de médicaments, le Gouvernement souhaite ancrer dans les territoires une dynamique de production et s'assurer d'une souveraineté nationale en la matière, comme pour le chanvre industriel.

Les textes autorisant cette culture, qui garantiront la qualité de la production et la sécurité des opérations, seront prochainement publiés afin de permettre aux acteurs de terrain de se positionner.

La question du cannabidiol est également un sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Depuis plusieurs années, le marché français a en effet vu émerger la commercialisation de produits dérivés de la plante de chanvre comprenant une teneur significative en cannabidiol et avec des teneurs variables en THC, substance stupéfiante.

En réponse à l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 19 novembre 2020 en raison de l'absence d'une réglementation adaptée à celle-ci en France, le Gouvernement a mis en place un nouveau cadre réglementaire global. Celui-ci vise à permettre le développement sécurisé en France de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d'extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.

L'interdiction de la vente de sommités fleuries directement au consommateur – déjà en vigueur en Espagne en Italie –, qui figurait dans le nouvel arrêté publié, a fait l'objet de plusieurs référés, et l'ordonnance du Conseil d'État du 24 janvier 2022 en a suspendu l'application. Nous en prenons acte.

Pour autant, le Gouvernement reste attentif à la mise en oeuvre d'une réglementation adaptée aux enjeux de santé publique.

Concernant l'usage du cannabis récréatif, je me permets de rappeler qu'il s'agit d'une drogue dont le caractère nocif pour la santé humaine est clairement établi par la littérature scientifique française et internationale. Sa dangerosité est accrue pour les adolescents et les jeunes adultes, car leur cerveau en maturation jusqu'à 25 ans peut être sérieusement affecté par la consommation de ce produit. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

La prévalence de consommation est élevée en France : en 2019, on comptait 5 millions de consommateurs sur l'ensemble de l'année, 1,5 million de consommateurs réguliers, dont 900 000 consommateurs quotidiens.

Face à cet enjeu de santé publique, mais également d'ordre éducatif et lié à l'insertion sociale et professionnelle, nous avons tous le même objectif : réduire les risques (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.) – peut-être pas vous ! – et prévenir le plus tôt possible l'entrée dans l'usage, car nous assumons vouloir que ce produit soit moins consommé en France et que son image soit débanalisée.

Il s'agit également de lutter contre les trafics en s'attaquant aux réseaux criminels qui se cachent derrière le petit trafic…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour quelle efficacité ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. C'est un enjeu à part entière qui est indissociable de la politique de prévention.

Le Gouvernement s'est saisi de ce sujet. Il nous faut agir sur l'offre et sur la demande, dans un même effort. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 comporte des mesures fortes en ce sens.

Le Gouvernement fait le choix, ferme et constant, de la prévention des usages, de la restauration de la crédibilité de l'interdit pénal protecteur et de la lutte contre les trafics.

Notre objectif, c'est la prévention, c'est-à-dire empêcher l'installation d'une personne dans des usages répétés et problématiques, mais également repérer précocement ces usages pour les orienter efficacement vers une prise en charge adaptée.

Le plan national Priorité prévention et le plan de mobilisation contre les addictions portent des actions en ce sens…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n'est pas le sujet !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous permettez ?…

Pour soutenir cette priorité donnée à la prévention, la France s'est dotée d'un outil puissant pour financer la prévention des addictions. Le fonds de lutte contre le tabac a évolué en 2019 vers le fonds de lutte contre les addictions, doté d'un budget annuel de près de 120 millions d'euros.

Ces actions de prévention passent en priorité par l'école, par les universités, par les acteurs en proximité des jeunes. Une stratégie de déploiement à grande échelle des programmes de renforcement des compétences psychosociales est en cours d'élaboration, en lien avec le ministère de l'éducation nationale. Ces programmes, évalués, permettent d'obtenir des résultats majeurs sur les consommations, le climat scolaire, la réussite éducative des élèves.

Vous l'avez vu, nous avons aussi au second trimestre de 2021 engagé une grande campagne de communication en trois volets pour informer sur les risques. Nous sensibilisons les professionnels de santé de première ligne pour qu'ils apportent des réponses efficaces à leurs patients.

Ainsi, il nous faut mieux connaître les dispositifs d'aide mis à disposition des jeunes, de leur entourage et du public en général pour toute question ou difficulté liée à la consommation de produits ou de drogues.

Ce débat me permet de le rappeler.

Par ailleurs, même si j'y répondrai certainement au cours de celui-ci, vous m'avez posé de nombreuses questions.

S'agissant de la sécurisation des produits, l'inscription de ceux d'entre eux qui sont régis par le règlement européen Novel Food requiert au préalable une évaluation et une autorisation par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Elle est en cours.

Sur les normes d'étiquetage, notamment les précautions d'emploi, elles sont en cours de définition au niveau européen. Une teneur devrait être fixée dans le cadre de la réglementation, mais elle n'est pas encore arrêtée. Elle s'appuiera sur les données scientifiques disponibles et, en outre, l'inscription comme aliment autorisé sera accompagnée de spécifications applicables en matière d'extraction, précisant notamment les critères de pureté.

Enfin, la Commission européenne a confirmé l'impossibilité de commercialiser sous label bio les produits enrichis en CBD tant que l'autorisation préalable comme aliment n'est pas entérinée.

Ces questions me semblaient précises et spécifiques ; aussi, je souhaitais y répondre avant l'ouverture du débat.


- Débat interactif - 

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Alain Duffourg. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Alain Duffourg. Madame la ministre, vous avez rappelé le rôle du chanvre et l'utilisation qui peut en être faite. Ce produit existe depuis des millénaires et est cultivé pour des usages agricoles, thérapeutiques et alimentaires, sans visée stupéfiante.

Aujourd'hui, en Midi-Pyrénées, notamment dans le Gers, département que je représente, le chanvre apparaît comme une culture alternative. Les producteurs ont trouvé des débouchés novateurs : huile, graines, farine, pâte à tartiner. Il s'agit là d'un superaliment qui intéresse à la fois les restaurateurs et les commerçants.

Or se pose un problème de réglementation, laquelle est, à ce jour, assez confuse, me semble-t-il : autorisée par l'Europe, la commercialisation a été suspendue par un arrêté du 30 décembre 2021, lequel a été invalidé par le Conseil d'État le 24 janvier 2022. La Cour de cassation, quant à elle, a légalisé la commercialisation de ce produit.

Madame la ministre, même si vous y avez déjà répondu partiellement, je voudrais connaître les dispositions que vous entendez prendre pour la culture et la commercialisation du chanvre à titre alimentaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Alain Duffourg, vous m'interrogez sur l'emploi alimentaire des produits issus du chanvre. D'ores et déjà, certains produits alimentaires à base de graines issues de certaines variétés de chanvre peuvent être mis sur le marché s'ils ne dépassent pas un seuil de concentration en THC.

Je pense en particulier aux variétés de cannabis sativa L. qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés cultivées en France.

Il peut s'agir de graines de chanvre, mais également de leurs dérivés : huile de graines de chanvre, farine de graines de chanvre. Les extraits de chanvre contenant des cannabinoïdes n'ayant pas d'historique de consommation avant 1997 sont considérés comme de nouveaux aliments ou ingrédients. À ce titre, ils doivent faire l'objet, préalablement à leur mise sur le marché à des fins d'alimentation de la population, d'un examen par l'Autorité européenne de sécurité des aliments pour garantir l'absence de risques liés à leur consommation.

Il en est de même pour le cannabidiol purifié, ou CBD, qu'il soit extrait de la plante ou qu'il soit synthétisé chimiquement en laboratoire ou dans l'une des industries en cours de développement très rapide dans notre pays.

Dès que l'Autorité européenne de la sécurité des aliments aura finalisé son analyse scientifique, des conditions précises permettant la mise sur le marché de ces produits pourront être fixées. C'est une piste de développement que nous étudions avec sérieux, mais, comme toujours, nous tenons à nous assurer que le développement de cette industrie dans le champ de l'alimentation, qui ouvre bien des perspectives, ne se fera en aucun cas au détriment de la santé des Français. C'est une priorité absolue.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vive le chanvre ! Car, oui, le chanvre est une chance pour notre économie. Bien trop souvent associées à celle du cannabis, ses propriétés, ainsi que celles du CDB, sont en réalité très intéressantes à plusieurs égards.

Madame la ministre, l'arrêté du 30 décembre dernier interdisant la vente de fleurs et des feuilles de CBD est encore une fois un exemple flagrant de cet amalgame entre chanvre et cannabis : il est démontré qu'un faible taux de THC ne présente aucun risque pour la santé.

C'est pour cette raison que je salue la récente décision du Conseil d'État et en appelle à la prise en compte et à la valorisation de la filière du chanvre en France.

Cette filière a été abandonnée depuis les années 1990, alors que sa culture est bénéfique tant pour l'écologie que pour notre économie. En effet, le chanvre possède des vertus écologiques uniques, sa croissance ne nécessite pas d'eau et sa culture est considérée comme une excellente tête d'assolement.

Il permet également de créer des tissus, comme ceux qu'utilise la famille Tuffery, qui produit en Occitanie – en Lozère, précisément – des jeans 100 % made in France de grande qualité.

Après avoir été à la base des cordages de la marine à voile, il sert aujourd'hui à produire du papier, des isolants thermiques, des compléments alimentaires, de l'huile, et j'en passe.

Relancer la filière du chanvre pour en faire une culture d'avenir permettra à la France d'asseoir sa place de leader européen – elle représente déjà 40 % de la production. Cela participerait ainsi à la réindustrialisation du pays.

Aussi, madame la ministre, pourquoi vouloir entraver le développement de la filière du chanvre et la mettre en péril, alors qu'elle constitue une culture d'avenir tant pour l'écologie que pour notre dynamisme économique ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Christian Bilhac, vous m'interrogez sur la revalorisation et le développement de la filière textile dépendant du chanvre.

Les occasions à saisir aujourd'hui pour la relocalisation de la filière textile de fibres naturelles en France sont nombreuses. Le chanvre, en particulier, est une matière locale sur laquelle la France est très bien positionnée comme premier producteur européen et troisième producteur mondial.

La demande est forte et le chanvre peut constituer une solution de rechange au coton avec un bilan écologique très appréciable, puisque sa culture ne nécessite ni irrigation ni pesticides, de même qu'elle régénère les sols.

La filière textile du chanvre a pu être encouragée et confortée par l'appel à projets « résilience » de France Relance, qui a retenu, au titre des secteurs stratégiques, les textiles biosourcés issus de la production française de fibres naturelles. Ainsi, 9 millions d'euros d'aides sont investis sur le territoire national pour les différents maillons : le teillage, le peignage, la filature, le tricotage, la confection, l'équipement en machines.

Des débouchés ont été présentés aux industriels dans le cadre de Paris 2024 pour une forte présence du chanvre aux jeux Olympiques : textiles, drapeaux, bâtiments.

Certaines étapes de la chaîne de valeur du chanvre textile demeurent fragiles. Ainsi, l'étape du teillage-défibrage n'est pas optimisée, tandis que le peignage est résiduel en France – sa réimplantation est stratégique. De même, le tissage-tricotage est, de manière générale, trop peu présent dans notre pays. La confection est également une opération qui, pour l'essentiel, a été délocalisée.

Nous voulons consolider ces différents maillons et mener un travail de structuration de la filière. À cette fin, nous avons mis en place un groupe de travail dédié au lin et au chanvre textile avec les ministères de l'économie, de l'agriculture et de la transition écologique, l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, dite Agence de la transition écologique) et FranceAgriMer.

Nous travaillons donc activement sur différents axes stratégiques, tels que le soutien aux projets industriels, l'aide aux efforts de recherche et développement ou la formation, essentielle au renforcement de notre filière chanvre textile.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.

M. Christian Bilhac. Nous sommes d'accord, madame la ministre : vive le chanvre ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, avec 1 500 producteurs et 17 000 hectares, la France est le premier producteur européen de chanvre. En 2019, sa balance commerciale, en y incluant ses dérivés, était positive. Votre gouvernement affirme être résolu à soutenir cette filière, structurée depuis 1932. L'arrêté du 30 décembre, suspendu par le Conseil d'État, donne pourtant un coup d'arrêt.

Notre pays déplore le déficit de sa balance commerciale et, quand celle-ci dispose d'une dynamique positive, il semble que vous la mettiez en difficulté.

D'autres pays saisissent cette chance de développement. Lorsque les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an. Avant de vouloir recréer des filières productives sur notre territoire, soutenons celles qui fonctionnent !

La position de la France, si elle reste figée, reviendrait à favoriser les pays voisins. Nous serions alors confrontés à des importations légales très importantes déstabilisant notre production.

Avec de multiples débouchés – bâtiment, papier, aliments, textile, produits médicaux –, cette culture est une réelle aubaine en termes d'agroécologie et nécessite très peu d'intrants. C'est un réservoir à biodiversité ne nécessitant pas d'irrigation et absorbant autant de CO2 que la forêt.

De plus, les produits qui en sont issus permettraient de réduire notre empreinte carbone. Ils sont compostables et recyclables en fin de vie.

Or, aujourd'hui, votre gouvernement entretient l'ambiguïté : il entend soutenir la filière et, en même temps, stopper son essor. Madame la ministre, comment comptez-vous clarifier votre stratégie ? (M. Yan Chantrel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, comme je viens de l'indiquer, le Gouvernement est attaché au développement de la filière du chanvre, élément important de l'agriculture française.

C'est une filière jeune, dont la structuration nécessite d'être renforcée. La culture du chanvre à teneur en THC inférieure au seuil réglementaire est donc soutenue spécifiquement à plusieurs titres, dans le cadre du plan stratégique national de la future politique agricole commune (PAC).

L'aide couplée est maintenue pour cette culture, dont les surfaces stagnent malgré un fort potentiel de développement à usage industriel, pour la bioéconomie. Le revenu des producteurs dépend en effet de la valorisation de l'ensemble de la plante : aussi repose-t-il sur un équilibre fragile. Le besoin de l'industrie en matières premières s'accroît et les surfaces sont insuffisantes pour couvrir ce potentiel innovant, qui offre des perspectives dans une économie décarbonée.

Le versement de l'aide couplée est subordonné à l'existence d'un contrat de culture avec une entreprise de transformation ou une entreprise de semences certifiées pour soutenir l'organisation de la filière du chanvre textile. L'enveloppe d'aide couplée consacrée à cette culture s'élève à 1,6 million d'euros par an.

Au regard des caractéristiques de la plante, la culture du chanvre est également valorisée dans le cadre d'interventions à vocation environnementale du plan stratégique national.

Par ailleurs, un certain nombre de mesures agroenvironnementales et climatiques, visant notamment à améliorer la qualité de l'eau en système de grande culture, requièrent un pourcentage minimal de surfaces engagées en cultures à bas niveau d'impact. Le chanvre en fait partie.

La filière dispose aussi de la possibilité d'émarger à un certain nombre de dispositifs de soutien, comme le plan de structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Ce dernier vise à soutenir des projets structurants ou innovants dans le cadre des démarches collectives ayant pour objet de dégager de la valeur pour l'amont et l'aval, ou dans le cadre de l'appel à projets « Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres matériaux biosourcés » du programme d'investissements d'avenir (PIA), lequel est explicitement ouvert aux produits à base de chanvre.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, vous avez vous-même introduit une certaine ambiguïté dans votre propos introductif en évoquant la consommation récréative du chanvre. Selon moi, la solution est d'organiser un grand débat national sur le sujet. Il me semble que la population française y est prête. (Mme la ministre déléguée opine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la ministre, le Conseil d'État a décidé il y a quelques jours d'autoriser à nouveau la vente de produits dérivés du CBD, ou chanvre « bien-être ».

Vous le savez, malgré l'insécurité juridique de ce marché, le nombre de consommateurs et de boutiques spécialisées n'a cessé de croître ces dernières années. On comptait 400 boutiques spécialisées il y a un an ; il y en aurait quatre fois plus aujourd'hui.

Dans un rapport publié en juin dernier, l'Assemblée nationale notait que le CBD apparaissait comme un moyen de lutter contre la consommation de produits stupéfiants. Ses propriétés relaxantes et une absence de toxicité annoncée semblent un atout pour les structures médico-légales chargées de l'accompagnement des personnes souffrant d'addictions. Les témoignages en ce sens ont fleuri dans la presse ces dernières semaines, à la suite de la publication de l'arrêté interdisant la vente de fleurs contenant du cannabidiol.

En effet, nombre de consommateurs de CBD ont affirmé avoir réduit, voire arrêté, l'usage du cannabis. L'industrie du CBD en a d'ailleurs fait un argument de marketing : en témoigne une récente enquête de l'IFOP sur la place du cannabis dans la vie quotidienne des jeunes.

Le ministre de la santé a souligné à plusieurs reprises, y compris dans cet hémicycle, les risques que l'inhalation de fumées issues de la combustion de fleurs et de feuilles contenant du CBD représente pour la santé. Il a également relevé que peu de données scientifiques corroborent les bienfaits thérapeutiques du CBD.

En matière de santé publique, cet effet de substitution semblerait pourtant avoir des effets bénéfiques à condition bien sûr que sa consommation s'accompagne d'une baisse de l'usage de produits stupéfiants.

Ma question est donc la suivante : disposez-vous de données qui vont dans le sens de ce constat ? Les pays européens qui autorisent depuis plusieurs années la vente de produits dérivés du CBD peuvent-ils nous servir d'exemples en la matière ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Dominique Théophile, je vous remercie de cette question, qui me permet de préciser certains points relatifs à la dimension sanitaire de ce débat, notamment pour le cannabis à usage médical – je dis bien médical et non thérapeutique, par souci de précision.

Les effets du cannabis et de ses molécules sont étudiés pour le traitement ou l'accompagnement de plusieurs pathologies, comme certaines épilepsies sévères ou résistantes aux traitements, des douleurs réfractaires aux médicaments disponibles, des soins palliatifs ou encore des douleurs spastiques liées à la sclérose en plaques.

Ses propriétés orexigènes – autrement dit activatrices de l'appétit – semblent également utiles pour réduire les effets secondaires de certains traitements médicamenteux, par exemple les traitements contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et les chimiothérapies.

Je l'ai déjà indiqué : l'expérimentation relative au cannabis médical, engagée le 26 mars 2021 pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients relevant de cinq indications dans les champs de la douleur, de l'oncologie et de l'épilepsie.

En 2014, un premier médicament contenant du CBD associé à du THC – le Sativex – a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de symptômes liés à une spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques. Ce médicament n'est pas commercialisé en France.

En 2019, un autre médicament contenant seulement du CBD – l'Épidiolex – a obtenu une autorisation de mise sur le marché. Il est indiqué pour des formes sévères d'épilepsie de l'enfant, réfractaires aux antiépileptiques.

Par ailleurs, des équipes de médecins de l'hôpital Necker commencent à prescrire des médicaments à base de CBD pour prendre en charge certaines maladies plus ou moins rares de l'enfant et de l'adulte.

En revanche, nous ne disposons à ce jour d'aucun élément quant à la place du CBD dans l'arrêt de la consommation de cannabis. L'ensemble de ces initiatives, travaux et expérimentations vont nous permettre de mieux identifier les enjeux thérapeutiques associés à l'utilisation du cannabis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Le 12 janvier dernier, lors de notre séance de questions d'actualité au Gouvernement, j'interrogeais la ministre déléguée chargée de l'industrie sur l'avenir de notre filière du CBD, à la suite de la publication du fameux arrêté du 30 décembre 2021.

Cet arrêté a alors été qualifié de « chance » pour la filière. On le constate effectivement pour les grands chanvriers, notamment dans mon département de l'Aube.

Madame la ministre, le développement de la filière a des atouts, que vous avez vous-même rappelés. Notre pays est le premier producteur européen de chanvre.

En revanche, pour ce qui concerne la vente des fleurs et feuilles brutes, la réponse apportée m'a beaucoup moins convaincue, malgré l'invocation d'arguments relevant de la santé publique – enjeu qui, évidemment, nous préoccupe tous ici.

C'est sans grande surprise que j'ai découvert la décision du Conseil d'État suspendant cette mesure d'interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné.

En posant ma question d'actualité, j'ai insisté sur le fait que d'autres moyens existaient pour réguler ce secteur. Je le répète : il faut une réglementation doublement équilibrée, d'une part entre la production et la consommation, de l'autre entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.

Quid d'un nivellement par le haut des exigences de contrôle de qualité, à l'image de celui opéré par les producteurs de chanvre ? Pouvons-nous envisager la délivrance d'une licence de production ?

Le Conseil d'État doit encore statuer sur le volet contentieux de cette affaire. Ce travail pourrait prendre plusieurs mois et, en attendant, certaines dispositions de l'arrêté resteront suspendues, laissant planer le flou quant à l'avenir du CBD et de la filière.

Madame la ministre, comptez-vous attendre la décision du Conseil d'État pour retoucher cet arrêté ou bien seriez-vous ouverte à l'idée d'apporter des corrections d'ici-là ? Si vous optez pour cette seconde voie, qui est celle de la sagesse, pouvez-vous nous préciser dans quel sens ces rectifications seraient opérées et si vous avez identifié des mécanismes alliant réglementation protectrice du consommateur et développement d'une filière française du CBD, forte et propre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice, nous visons le même objectif : assurer un équilibre entre la sécurité sanitaire et les perspectives de développement d'une industrie dont nous pouvons être fiers.

La France est le premier producteur européen de chanvre industriel et cette filière est d'ores et déjà solide. Je puis vous le garantir, le Gouvernement est fermement résolu à consolider le cadre juridique et la réglementation pour le renforcement de cette industrie dans le respect de toutes les conditions de sécurité, qu'il s'agisse de la production du chanvre ou de sa consommation par les usagers.

Pour autant – sur ce point, je tiens à être parfaitement claire –, nous ne souhaitons pas pour l'heure étendre cette dérogation à la commercialisation de fleurs ou de feuilles brutes auprès du consommateur, et pour cause : la commercialisation de fleurs, même à teneur de THC inférieure à 0,3 %, présente des risques sanitaires élevés.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Lesquels ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Le taux de la fleur demeure difficilement maîtrisable ou contrôlable, sauf pour des extraits dont on peut ôter le THC via des traitements industriels.

Enfin, les forces de l'ordre, évoquées dans une précédente question, doivent conserver leurs capacités opérationnelles. Elles doivent être en mesure de distinguer rapidement et facilement les produits dont il s'agit, pour déterminer s'ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte anti-stupéfiants. (M. Guillaume Gontard s'exclame.) Le cadre se précise et s'affine, mais nous devons encore nous efforcer de trouver le meilleur équilibre possible, au plus vite, en l'état de nos connaissances scientifiques, sanitaires et industrielles comme au regard des impératifs de sécurité.

Voilà où nous en sommes. Au sujet de la délivrance d'une éventuelle licence de production, nous ne pouvons vous en dire plus à ce jour, car nous devons consolider les données scientifiques dont nous disposons.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Madame la ministre, depuis de nombreux mois les ouvertures de commerces spécialisés dans la vente de CBD, et même de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre, se multiplient. Premier producteur de chanvre en Europe, la France assiste peu à peu à l'émergence d'une véritable filière nationale du CBD.

Malheureusement, cette filière reste dans l'incertitude quant à la légalité de son activité.

Le code de la santé publique interdit l'usage et la commercialisation du cannabis, mais prévoit que peuvent être autorisées les variétés dépourvues de propriétés stupéfiantes.

Fin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que le CBD n'était pas un produit stupéfiant.

Cet été, la Cour de cassation a confirmé que la commercialisation de produits à base de CBD n'était pas par principe interdite ; elle a jugé licite la vente de fleurs de chanvre légalement produites dans un autre État membre de l'Union européenne.

Depuis, l'arrêté ministériel du 30 décembre 2021 a fixé à 0,2 % de THC le seuil en deçà duquel les variétés de cannabis sont dépourvues de propriétés stupéfiantes et peuvent donc être librement commercialisées. Il a également interdit la commercialisation des fleurs et feuilles de chanvre, quel que soit le seuil de THC.

Cette dernière interdiction vient d'être suspendue par le Conseil d'État. Bientôt, le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité des dispositions du code de la santé publique fixant ce cadre légal.

Ainsi, un an après l'arrêt de la CJUE, l'insécurité juridique et économique perdure, si bien que les entrepreneurs et les consommateurs sont perdus.

Madame la ministre, quand allez-vous définir une politique publique, un cadre légal adapté, et mettre en place les mesures de contrôle qui s'imposent ?

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Serge Babary, à la suite de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire dite « Kanavape », l'un des principaux objectifs de l'arrêté de 2021 est justement de sécuriser le développement des activités économiques autour du chanvre.

Tout d'abord, il s'agit de favoriser le développement de la filière agricole du chanvre en autorisant à certaines conditions la culture et la valorisation de la plante entière. Jusqu'à présent, seules les fibres et les graines pouvaient être valorisées. Grâce à ce nouvel arrêté, les variétés de plantes autorisées sont désormais inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. En outre, la teneur maximale en THC de la plante est relevée de 0,2 % à 0,3 %, en cohérence avec les règles de la politique agricole commune qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023.

Ensuite, il s'agit de sécuriser les activités économiques liées à la production d'extraits du chanvre et à la commercialisation des produits les contenant. Adopté après concertation avec les acteurs économiques, le nouvel arrêté complète la réglementation applicable aux différents types de produits mis sur le marché.

Enfin, il s'agit bien sûr de préserver la filière française traditionnelle du chanvre à usage industriel, dont l'excellence est reconnue.

Les informations communiquées par les autorités à l'occasion de la publication de l'arrêté, notamment le flyer intitulé « L'Indispensable sur… le cannabidiol (CBD) », visent à clarifier, pour les opérateurs économiques et pour les consommateurs, les règles applicables aux différentes catégories de produits finis.

Le Gouvernement juge toutefois impératif de concilier cet objectif de sécurisation des activités économiques développées autour du chanvre et deux autres objectifs prioritaires : premièrement, garantir un haut niveau de protection de la santé des consommateurs ; deuxièmement, préserver la politique ambitieuse de lutte contre les trafics de stupéfiants. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)

Le Gouvernement attend le jugement que le Conseil d'État doit rendre sur le fond dans les prochaines semaines : à ce titre, il se prononcera sur la légalité de l'arrêté du 30 décembre 2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Madame la ministre, à l'origine, mon sujet de préoccupation, c'était la situation de ces 2 000 commerces spécialisés et de leurs clients. Mais, évidemment, il faut s'intéresser à l'ensemble de la filière : producteurs, transformateurs et vendeurs. Comme tous les acteurs économiques, ces professionnels ont besoin d'un cadre légal stable, durable et compréhensible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Mes chers collègues, à l'évidence, nous tournons en rond : si nous posons tous la même question, c'est parce que nous ne comprenons pas la réponse du Gouvernement.

Madame la ministre, vous nous rappelez les objectifs de l'arrêté du 30 décembre 2021 ; mais le Conseil d'État l'a remis en cause. Que répondez-vous ?

Vous nous dites attendre que le Conseil d'État juge au fond, mais son ordonnance est claire à plus d'un titre : les dispositions que vous avez proposées sont une atteinte à la liberté d'entreprendre. Certes, nous n'en sommes pas systématiquement les fervents défenseurs… (M. Serge Babary le confirme.) En revanche, c'est bien votre cas !

Bref, expliquez-nous : qu'allez-vous faire si le Conseil d'État confirme sa position ? Cette filière va-t-elle enfin pouvoir s'organiser ?

J'avais moi aussi une question toute rédigée, mais c'était exactement la même que celle de M. Serge Babary et des précédents orateurs. Je le répète, question après question, vous nous apportez la même réponse, mais nous ne comprenons pas ce que le Gouvernement va faire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Sophie Taillé-Polian, je suis navrée, mais je vais persister dans ma réponse : nous attendons la décision au fond du Conseil d'État.

Effectivement, on peut avoir le sentiment de tourner en rond. Vous avez choisi d'organiser un débat sur des questions que l'on ne peut pas encore trancher : je n'y peux rien. Je suis donc obligée de vous répéter la même chose.

Cela étant, je m'efforce d'être aussi précise que possible à l'instant t. Je vous le confirme : le Gouvernement prend acte de l'ordonnance du Conseil d'État du 24 janvier 2022, qui suspend en référé l'exécution d'une disposition de l'arrêté du 30 décembre 2021 visant à restreindre l'utilisation de la plante entière à la production d'extraits de chanvre et interdisant de ce fait la commercialisation de fleurs et de feuilles brutes.

Bien sûr, le Gouvernement prendra des décisions en temps voulu ; mais, à l'heure où nous parlons, je ne peux pas vous dire dans quel sens. En quelle qualité le ferais-je ?

Mme Sophie Taillé-Polian. Mais en qualité de ministre !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous ne pouvons pas le faire : c'est sur la base de la décision du Conseil d'État que nous devrons nous prononcer.

Si je ne m'abuse, vous nous opposez souvent les avis du Conseil d'État : il serait aberrant de nous demander de ne pas tenir compte d'une de ses décisions. En attendant que cette juridiction se prononce sur le fond, le Gouvernement réaffirme sa volonté : mettre en place le cadre réglementaire que nous attendons tous pour permettre le développement sécurisé de nouvelles activités économiques liées au chanvre – nous vous avons dit tout le bien que nous en pensons –, en garantissant un haut niveau de protection des consommateurs et en préservant une politique ambitieuse de lutte contre les trafics. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Telle est, à ce jour, la réponse que je peux vous donner ; à mon sens, ces éléments ont toute leur importance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame Bourguignon, c'est en tant que ministre que je vous demande de me répondre.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Certes !

Mme Sophie Taillé-Polian. Vous n'avez pas déjà signé de nouvelles dispositions : je l'entends.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Et voilà !

Mme Sophie Taillé-Polian. Néanmoins, il serait intéressant que vous indiquiez à la représentation nationale les différents scenarii sur lesquels vous travaillez. Vous le dites vous-même, c'est la filière tout entière qui attend. En réalité vous temporisez, au motif qu'il ne serait pas tout à fait bienvenu de parler du chanvre en période électorale…

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il s'agit de la filière, madame la sénatrice !

Mme Sophie Taillé-Polian. Aujourd'hui, votre cécité ne fait qu'aggraver les difficultés de cette filière économique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, sur ce sujet, vous entretenez la confusion. Nous ne parlons pas de la légalisation du cannabis, voire du cannabis thérapeutique ou médical. Nous avons déjà eu ce débat. D'ailleurs, nous vous l'avions fait remarquer à cette occasion : vous ne prenez aucune disposition pour que la France produise et utilise ce fameux cannabis, même à titre expérimental.

Quoi qu'il en soit, la question n'est pas là. Le sujet d'aujourd'hui, c'est la filière du CBD ; et vous voulez l'éluder, en entretenant une confusion qui trahit votre aveuglement idéologique.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Ah !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous voulez faire croire aux Français que vous êtes extrêmement stricts dans la lutte contre les drogues, avec une efficacité dont tous nos concitoyens ont pu mesurer l'ampleur : en ce sens, vous prenez des dispositions antiéconomiques, qui ne sont en aucun cas fondées sur des considérations d'ordre sanitaire.

Pourquoi interdisez-vous la vente des fleurs ? En réponse à cette question, le seul argument donné par M. Darmanin a été : parce qu'on peut les fumer et que ce qui se fume est forcément mauvais. Eh bien, commençons par nous occuper du tabac, ainsi que des fleurs de camomille, qui, fumées, sont également très nocives. (Mme la ministre déléguée lève les yeux au ciel.) La part des fleurs de cannabis fumées est tout à fait dérisoire ; ce dont nous avons besoin à ce titre, c'est d'abord de politiques de prévention.

Vous nous opposez un second argument : les policiers ne seraient pas à même de déterminer si le taux de THC est réglementaire ou non. Eh bien, voilà la priorité. M. Gontard nous a expliqué qu'en Suisse la police était équipée de kits permettant de mesurer ce taux. (M. Daniel Salmon le confirme.) Donnons-nous les moyens de réaliser ces tests afin de bien réguler la filière du CBD.

C'est d'ailleurs une autre de mes questions : votre arrêté prévoyait d'encadrer l'analyse des produits. Comment mettre en place une stratégie d'analyse fiable des produits proposés à la vente, quelle que soit leur nature, notamment par comparaison avec les psychotropes ?

De plus – M. Babary a raison –, il faut fixer un cadre légal clair pour consolider la filière. Pour l'heure, nous restons en plein brouillard et personne n'y comprend rien.

Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé votre temps de parole.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Enfin, il ne faut pas oublier l'encadrement de l'extraction !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je puis vous rassurer : sur ce sujet, je ne suis prisonnière d'aucune idéologie, absolument aucune…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais si !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je vous rapporte des faits ; je vous fais part des incertitudes qui demeurent ; je vous rappelle ce que l'on sait, en revanche, des aspects nocifs des produits que vous évoquez.

Les connaissances scientifiques nous en apportent la preuve chaque jour : le CBD n'est pas une substance inerte d'un point de vue pharmacologique. Certes, il n'agit pas ou n'agit que très peu sur les récepteurs cannabinoïdes, ceux où se fixe le THC ; mais il agit au niveau du cerveau,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n'est pas ce que dit l'OMS !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … notamment sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine.

En ce sens, le CBD est un produit psychoactif à part entière. Sa consommation peut donc avoir des effets psychoactifs de sédation et de somnolence. (M. Guillaume Gontard proteste.)

Chez l'homme, des interactions entre le CBD et des médicaments comme les antiépileptiques, les anticoagulants, les immunosuppresseurs ou la méthadone ont été mises au jour : c'est un constat scientifique, je n'y peux rien.

Les essais cliniques ayant conduit à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché pour un médicament à base de CBD ont révélé une hépatotoxicité des interactions médicamenteuses…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C'est autre chose.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … qui figure bien dans la notice officielle du médicament.

Le Gouvernement a souhaité encadrer la demande croissante de mises à disposition de produits de consommation contenant du CBD par l'arrêté du 30 décembre 2021. La mise sur le marché de produits alimentaires contenant du CBD n'est pas autorisée à ce jour : en effet, nous ne disposons pas de l'autorisation européenne pour cet ingrédient, qui, au sens de la réglementation, relève des novel foods, ou nouveaux ingrédients alimentaires.

Vous connaissez bien le droit communautaire : encourager la fabrication de telles marchandises, ce serait aller contre une réglementation européenne en vigueur. Autoriser la vente de fleurs directement aux consommateurs reviendrait notamment à permettre leur utilisation sous forme de plantes à fumer, ce qui est contraire à toute la politique de lutte contre le tabagisme déployée par le Gouvernement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, interdisez le tabac !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. L'arrêté ouvrant davantage le secteur de la culture du chanvre permet également de préserver la santé publique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Mes chers collègues, décidément, le cannabis provoque des débats presque aussi passionnés que les vaccins ! (Sourires.)

Cette plante ne date pas d'hier. George Washington, qui, comme chacun sait, fut le premier président des États-Unis, disait ainsi : « Tirez le meilleur parti des graines de chanvre indien et semez-en partout. » C'est ce que souhaitent faire certains d'entre nous. J'ajoute que, tout près de mon village, on trouve une vallée des chanvriers.

Cela étant, ce débat a lieu d'être. Depuis quelques années, les nouveaux produits dérivés du chanvre se développent de manière fulgurante. C'est tout particulièrement le cas des dérivés de la molécule de CBD.

Personnellement, ce que j'attends du Gouvernement dans le cadre de ce débat, c'est une analyse exhaustive. Si l'on fume un produit à base de CBD contenant du goudron, il aura – je le crains – des effets proches de ceux du tabac. En revanche, certains extraits de chanvre contenant du CBD, sous des formes consommables différemment, peuvent avoir des vertus thérapeutiques et apporter certains bienfaits.

Madame la ministre, nombre de nos voisins européens ont aujourd'hui trouvé des solutions adaptées et encadrées. C'est pourquoi je vous demande de clarifier ce que le Gouvernement compte mettre en oeuvre pour favoriser le développement d'une filière française.

Le chanvre n'est pas un produit miraculeux. Cette plante pousse vite et bien, mais appauvrit énormément les sols. Quoi qu'il en soit, si elle doit se développer, il est normal que l'économie et l'agriculture françaises en soient les premières bénéficiaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Pierre Louault, le Gouvernement est attaché à défendre la compétitivité des filières agricoles et industrielles françaises, d'autant que ces dernières contribuent au rayonnement de notre pays.

La filière du chanvre est un véritable fleuron agricole français et la France est un leader européen du chanvre industriel : il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point. Notre pays est même le premier producteur européen de chanvre industriel.

Après une chute de production à 5 400 hectares en 2011, le chanvre était récolté sur près de 18 000 hectares en 2020 : nous assistons bel et bien à son essor, grâce aux actions que nous avons pu mener.

Néanmoins, il faut renforcer la compétitivité de cette filière. Nous voulons consolider la réglementation et accroître la sécurité juridique de cette industrie, car la compétitivité dépend aussi des débouchés permettant de valoriser l'ensemble du produit.

La révision de l'arrêté de 1990 va dans ce sens. Elle étend l'autorisation de cette culture, l'importation, l'exportation des produits qui en sont issus, ainsi que l'utilisation industrielle et commerciale du chanvre à toutes les parties de la plante, tant que sa teneur en THC reste inférieure à 0,3 % et que les produits finis sont, eux aussi, en deçà de cette limite.

Pour permettre à nos agriculteurs de se projeter et d'assurer leurs investissements sur ce nouveau marché, ce que vous appelez de vos voeux, cette autorisation est assortie de certaines exigences. Elle est ouverte aux seuls agriculteurs actifs, utilisant des semences certifiées et inscrites au catalogue. Elle s'accompagne également d'une exigence de contractualisation entre l'agriculteur et le premier acheteur.

Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé en faveur de la filière française du chanvre. Nous souhaitons qu'elle puisse valoriser son savoir-faire dans la production chanvrière pour approvisionner le marché des produits à base de CBD.

Je saisis cette question pour rappeler l'excellence de cette filière et ses nombreux débouchés dans d'autres industries : je pense à la papeterie, à l'isolation des bâtiments, au marché de l'automobile, au paillage, à la construction – avec les bétons de chanvre – et à l'oisellerie. Nous étudions également des débouchés qui pourraient être porteurs dans le domaine de l'alimentation humaine.

Vous le constatez, il existe énormément de débouchés et de développements économiques. Nous accompagnons cette filière, tout en respectant les recommandations qui nous sont imposées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Madame la ministre, comme l'écrivait Antonin Artaud, « la loi sur les stupéfiants met entre les mains de l'inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes : c'est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun ».

Un siècle plus tard, la France est le deuxième plus gros consommateur d'anxiolytiques et de somnifères en Europe, qui servent à répondre à des problèmes de stress, de sommeil et de douleur. La dépendance et l'accoutumance qui résulte de la prise de ces médicaments sont un problème majeur de notre société.

Pour le Gouvernement, aujourd'hui, le chanvre est une menace. Pourtant, il est cultivé en France de manière ancestrale, son utilisation est prometteuse et plus que jamais d'actualité. Dans mon département, le Lot, c'est toute une filière qui s'organise autour de jeunes coopératives, pour relocaliser sa production et répondre aux attentes environnementales. En effet, sa rusticité, sa résistance aux parasites et son faible besoin en eau en font une culture particulièrement intéressante.

Au-delà de son emploi comme isolant, cordage ou textile, le chanvre est aussi une plante médicinale. Le cannabidiol contenu dans ses fleurs et feuilles a des propriétés vertueuses agissant sur la régulation des systèmes immunitaire et nerveux, sur les troubles du sommeil ainsi que sur la douleur. Le chanvre n'est pas un psychotrope, et de nombreuses études font état de l'absence d'effets secondaires, ce qui n'est pas rien !

Il est reconnu pour son potentiel dans la lutte contre les addictions. Le chanvre est donc porteur d'espoir : il ouvre des perspectives d'effets bienfaisants pour la santé, de ressources complémentaires pour les agriculteurs et de réduction des coûts pour la sécurité sociale.

Alors que le chanvre présente toutes ces qualités, entendez-vous continuer à vouloir interdire la consommation de ses fleurs et de ses feuilles ? Et, plus largement – car c'est bien de plantes médicinales qu'il s'agit –, allez-vous prendre en compte cette attente sociétale forte et légitime et faire évoluer le cadre réglementaire pour la construction et la reconnaissance d'une herboristerie de qualité et de proximité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice, chacun peut être confronté à la douleur – je connais très bien la question.

La douleur peut parfois nous affecter durement dans notre parcours de vie ou dans notre entourage. Alors oui, nous sommes en train de chercher des solutions parce que nous sommes convaincus que tout ce qui permet de lutter contre la douleur est bénéfique. Vous ne m'entendrez jamais dire le contraire.

C'est pourquoi nous avons voulu avancer sur la question, et que nous avons prévu un projet d'expérimentation du cannabis à usage médical – j'insiste bien sur le mot « médical » – à l'article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Il s'agit d'évaluer la sécurisation de la prescription et de la dispensation des médicaments à base de cannabis.

Cette expérimentation, qui a commencé le 26 mars 2021, doit durer deux ans et inclure 3 000 patients relevant d'une des cinq indications que j'ai déjà citées : douleurs, symptômes rebelles en oncologie, épilepsies – notamment certaines formes sévères résistantes aux médicaments –, douleurs neuropathiques réfractaires aux traitements qui existent déjà et situations palliatives.

Les professionnels de santé volontaires dans les structures sélectionnées intègrent les patients dans l'expérimentation, établissent des prescriptions de ces médicaments à base de cannabis et leur délivrent le traitement sous forme d'huile par voie orale ou de fleurs séchées.

Le renouvellement et la délivrance des traitements peuvent ensuite être réalisés par ces professionnels de santé, par des médecins généralistes et par des pharmaciens d'officine. L'ensemble des professionnels participent à cette expérimentation dont le cadre est défini par le ministère de la santé. La mise en oeuvre et le pilotage opérationnel sont réalisés par l'ANSM. Cela permettra de juger de l'opportunité de généraliser l'usage des médicaments du cannabis.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. En ce qui concerne l'usage de ces produits, nous faisons preuve non pas de frilosité, mais d'une grande précaution.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la ministre, appelé communément CBD, le chanvre « bien-être » et à caractère thérapeutique doit être distingué du cannabis, dès lors qu'à la différence du THC, le CBD n'implique pas d'effet psychotrope ou de dépendance.

Nous avons la chance de disposer en France d'une véritable capacité de production en la matière. Nous sommes passés de 4 000 hectares en 1999 à 20 000 hectares en 2021. Cette production pâtit toutefois d'une approche excessivement passionnée qui empêche le développement d'une filière économique pourtant porteuse et prometteuse.

En effet, cette filière voit son développement fragilisé à la fois par des incertitudes juridiques et par une réglementation inadaptée. La décision du Gouvernement d'interdire la vente et la cession aux consommateurs de fleurs et feuilles brutes de cannabis sativa L., formalisée dans l'arrêté du 30 décembre 2021, qui a fait l'objet d'une suspension provisoire par le Conseil d'État, est l'illustration d'une lecture un peu trop rapide de la question.

En ce sens, le Conseil d'État a considéré « qu'il ne résulte pas de l'instruction que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n'était pas supérieure à 0,3 % présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue […] ». Je fais partie de ceux qui croient à la force des interdits et demeurent donc opposés à l'encouragement de la consommation de drogue au sein de notre pays.

Pour autant, certaines distinctions s'imposent : il y a, d'un côté, la plante de cannabis et ses applications potentielles et, de l'autre, le cannabis dont la représentation est principalement associée à un usage comme drogue psychoactive, avec des conséquences fâcheuses en termes de santé publique.

Nous devons envisager l'ensemble des aspects juridiques susceptibles de s'appliquer aux produits contenant du CBD. Je citerai à titre d'exemple la définition des doses journalières recommandées, et donc non contraignantes, de consommation de CBD et leur mention sur les emballages des produits à côté d'un avertissement sur les risques connus pour la santé ; l'exclusion des publics à risque des produits contenant du CBD ; enfin, la sensibilisation des acteurs de la cosmétovigilance et de la nutrivigilance à l'importance des éventuels effets indésirables des produits cosmétiques et des compléments alimentaires.

Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin reconsidérer ce raisonnement dogmatique au profit de la prise en compte de l'ensemble des aspects juridiques susceptibles de s'appliquer aux produits transformés ou non qui contiennent du CBD ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur, j'ai bien entendu votre question. J'ai déjà expliqué quel était l'apport du chanvre « bien-être » concernant la douleur et de quels espoirs il pouvait être porteur dans le domaine médical.

Je répondrai plus précisément sur le CBD. L'hôpital Necker a mené une étude sur l'utilisation du CBD synthétique en gélules chez des patients enfants et adultes. Le dernier retour d'expérience faisait état de 180 patients qui sont allés au terme de l'expérimentation, d'une durée de trois mois.

L'étude a permis de bien cerner les indications possibles du cannabidiol à visée médicale. Dans son avis, l'hôpital estime que le CBD constitue un apport majeur et fondamental à l'heure de la crise des opioïdes aux États-Unis, alors que nous manquons cruellement d'innovations en matière de thérapeutiques antalgiques. Le CBD pourrait servir de thérapeutique antalgique dans certaines maladies rares, notamment génétiques, pour lesquelles nous avons un rationnel entre la douleur induite par la mutation et la cascade de signalisation qu'elle déclenche, et où le CBD agirait sur une des molécules de la voie de signalisation.

L'effet du cannabis et de ses molécules est étudié dans le traitement et dans l'accompagnement de certaines pathologies. Nous sommes en train de mener cette expérimentation pour sécuriser leur emploi. En aucun cas, nous n'irons au-delà de ce qui est faisable. Tout sera cadré par les données scientifiques dont nous allons disposer et les expérimentations déjà menées.

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Madame la ministre, je crois que ce débat tourne un peu en rond. Je vais en « rajouter une couche », ce qui permettra peut-être de vous faire sortir de vos éléments de langage et de connaître quelle est réellement la position du Gouvernement.

À l'heure où de nombreux pays d'Europe et d'Amérique du Nord mettent en place des politiques d'accompagnement et d'encadrement de la vente de CBD, les décisions prises par le Gouvernement en la matière semblent vraiment aller à contre-courant.

D'ailleurs, je m'inscris totalement en faux contre votre réponse à Mme Lienemann sur les effets du CBD sur la santé. La question n'est pourtant pas très compliquée. Dans un rapport de 2018, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) précisait que « le CBD était dépourvu de propriétés psychoactives, qu'il ne pouvait donner lieu à des abus et que son potentiel dépendogène était inexistant ».

Pour mémoire, la Cour de justice de l'Union européenne a justement rappelé en 2019 à la France que le CBD « ne peut être considéré comme un stupéfiant, car cette molécule n'a pas, d'après l'état actuel des connaissances scientifiques, d'effets psychotropes ni d'effet nocif sur la santé humaine ».

En dépit de ces avis juridiques et sanitaires, qui confirment que le CBD peut être commercialisé sans danger, votre ministère a, comme l'ont rappelé plusieurs de mes collègues, pris en décembre dernier un arrêté interdisant la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre. Cet arrêté a fort heureusement été suspendu à titre provisoire par le juge des référés il y a quelques jours.

En revanche, j'aimerais savoir, madame la ministre, pour quelle raison – car les choses ne sont pas vraiment claires ! – cet arrêté injustifié a été publié en pleine trêve des confiseurs ? Souhaitiez-vous qu'il passe inaperçu, comme c'est souvent le cas pour les décisions prises dans cette période ?

Et surtout, allez-vous récidiver en tentant de nouveau d'interdire d'une manière ou d'une autre la vente de CBD aux consommateurs sans prendre en compte les avis que je viens de vous citer ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Yan Chantrel, ne voyez aucune malice en la matière : l'arrêté est publié au Journal officiel, il n'y a ni trêve des confiseurs ni idéologie derrière tout cela…

Je rappellerai que, en matière de consommation et de production du CBD, les décisions sont interministérielles : elles ne dépendent pas d'un seul ministère. Comme vous l'avez entendu, il est aussi question de développement économique, d'agriculture… Le sujet n'est pas que sanitaire, et dépasse même le champ de compétence des ministères de la défense ou de l'intérieur.

Depuis plusieurs années, la commercialisation des produits dérivés du chanvre se développe. Ces produits comprennent une part significative de CBD avec une teneur variable de THC, qui est une substance stupéfiante. L'arrêté de décembre 2021 auquel nous avons déjà fait référence vise à concilier plusieurs objectifs : un développement sécurisé de la filière agricole et des activités économiques associées aux extraits de chanvre, la protection des consommateurs sur le plan sanitaire, le maintien de la capacité des forces de l'ordre à lutter de manière opérationnelle contre les stupéfiants.

La suspension provisoire des seules dispositions de l'arrêté relatives à l'interdiction de la vente directe de fleurs aux consommateurs ne remet donc en cause ni le reste de la réglementation ni le souci du Gouvernement de poursuivre et de concilier ces différents enjeux et objectifs qui s'imposent à nous.

J'ajoute que le ministère des solidarités et de la santé étudie avec intérêt les possibilités d'innovation médicale associées au CBD : plusieurs études et travaux sont en cours, que j'ai précisément rappelés en citant même les pathologies associées.

Comme je l'ai déjà indiqué, le Gouvernement soutient donc activement cette filière tout en prenant en compte les restrictions qui nous ont été imposées et dont vous connaissez les raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, la promotion des matériaux de construction biosourcés tels que le chanvre est un enjeu majeur pour l'habitat de demain.

Peu consommateurs d'énergie, rapides à mettre en oeuvre, créateurs d'emplois dans les territoires ruraux, ces matériaux concourent à la transition écologique.

Sénateur de l'Essonne, j'ai la fierté d'accueillir dans mon département l'unité de production de l'entreprise française Gâtichanvre, emblématique de l'ensemble de la filière, depuis la culture du chanvre jusqu'à la production de matériaux isolants pour la construction.

La région Île-de-France est de fait la seule à posséder deux chanvrières. Or, aujourd'hui, force est de constater que le béton de chanvre est cantonné au produit de démonstration. Les commandes restent anecdotiques et les débouchés sont rares. En pratique, le marché est quasiment au point mort.

La raison en est simple : la réglementation actuelle est défavorable aux matériaux biosourcés. Le bureau de contrôle Filiance qui statue sur l'évolution des règles professionnelles a récemment émis un nouvel avis défavorable sans véritable argumentaire technique, laissant davantage penser à une forme de verrouillage du marché, pour ne pas dire plus…

Or, sans cet agrément spécifique, ce matériau n'est pas utilisable pour les constructions en R+2 par exemple. La commande publique, en particulier les constructions de collèges et lycées, lui est fermée.

Le risque est aujourd'hui bien réel de voir les agriculteurs producteurs de chanvre se détourner des matériaux de construction destinés au bâtiment, pour se tourner vers d'autres filières de valorisation de la plante, sans doute plus rémunératrices et présentant, en tout cas, des perspectives de développement plus intéressantes à court terme.

Madame la ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour remédier à ce problème ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, l'emploi du béton en chanvre fait partie des perspectives de développement de toute cette filière.

Les réglementations actuelles ont été révisées pour favoriser l'utilisation du béton en chanvre. La réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fixe les nouvelles règles de construction de bâtiments neufs, a pour objectif de réussir à décarboner la production de matériaux de construction et à développer les matériaux biosourcés.

En ce sens, la RE2020 favorise précisément le béton de chanvre, car ce matériau permet le stockage temporaire du carbone. Demain, nous aurons donc de plus en plus de bâtiments composés de béton de chanvre.

Pour autant, pour développer celui-ci, la filière doit respecter des règles professionnelles. Actuellement, ces règles ne sont applicables qu'à des bâtiments dont le nombre d'étages est limité, comme vous venez de le rappeler. L'utilisation du béton de chanvre est donc aujourd'hui possible pour des bâtiments de plus petite taille, notamment des maisons individuelles.

La filière a souhaité faire évoluer les règles professionnelles pour pouvoir dépasser cette limite. Des travaux ont été engagés à la fin de 2020. Des échanges ont notamment lieu dans le cadre d'une commission technique, qui a demandé des éléments complémentaires afin de rendre son avis prochainement et arbitrer sa position sur ce sujet.

Par ailleurs, la filière spécifique du béton de chanvre a été soutenue par l'État depuis 2015, soit depuis plusieurs années déjà. Le Gouvernement a poursuivi cet effort, en réaffirmant l'utilité de cette filière d'avenir. Le ministère du logement travaille en lien étroit avec la filière afin de lever ces freins maintenant identifiés et d'accompagner son développement opérationnel dans le respect des règles et des normes de sécurité qui prévalent dans ce secteur sensible.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, je veux bien croire vos paroles, mais je n'oublie pas qu'en arrivant dans cette maison en 2017, je m'étais rendu avec Jacques Mézard sur le terrain pour visiter l'entreprise Gâtichanvre. On se hâte avec lenteur… (Mme Catherine Belrhiti applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, le 24 janvier 2022, le Conseil d'État a provisoirement suspendu l'arrêté du Gouvernement qui interdisait la commercialisation de fleurs de chanvre. Que l'arrêté soit invalidé définitivement ou non lors de l'examen au fond de la requête, les pays voisins continueront de vendre le chanvre sous forme de fleurs. Nous devons prendre en compte cette réalité, et ajuster en conséquence notre propre réglementation.

Je pense en particulier à deux cas. Le premier concerne les différences entre chaque pays quant au taux de THC autorisé. En France, le taux maximal est de 0,3 %, contre 0,6 % en Italie ou encore 1 % en Suisse. Je tiens à préciser que ce taux de 0,3 % est plutôt arbitraire, il ne correspond pas à un taux au-dessus duquel la consommation a un effet psychoactif ; il avait à l'origine pour seule fonction de servir à la classification des différentes sous-variétés de cannabis.

Puisque certains pays vendent des produits contenant du CBD à des prix moins élevés, il n'est pas rare que des Français en achètent, en particulier dans les zones frontalières, comme cela peut être le cas pour les cigarettes. Il ne s'agit absolument pas d'une volonté de contourner la loi, mais uniquement de convenance et d'ignorance quant à la différence des taux légaux entre pays.

Bien sûr, nul n'est censé ignorer la loi, mais pouvons-nous honnêtement attendre de nos concitoyens de connaître cette particularité et de vérifier systématiquement qu'ils ont bien acheté un produit au bon taux ? S'ils ne le font pas, alors qu'ils sont dans la légalité d'un côté de la frontière, ils tombent dans l'illégalité s'ils consomment ces produits en France ou s'ils conduisent après en avoir consommé.

J'appelle donc à la recherche d'une solution sur ce sujet à l'échelle de l'Union européenne, en associant la Suisse. Chaque État resterait naturellement libre de fixer son propre taux pour la vente. En revanche, il serait souhaitable qu'il soit fixé un taux maximal en deçà duquel une personne ayant consommé du CBD dont la teneur est inférieure à ce taux ne soit pas considérée comme ayant consommé une substance psychoactive, et que cette consommation et la conduite après cette consommation ne soient pas pénalement répréhensibles.

Par ailleurs, dans l'attente de cette harmonisation, il me semble nécessaire de faire preuve d'une plus grande souplesse concernant les retraits de permis pour les personnes ayant consommé du CBD à un taux inférieur à 1 %, mais supérieur à 0,3 %. En effet, pour la conduite en état d'ivresse, lorsque le travail de la personne contrôlée dépend de la possibilité de conduire, la loi prévoit des aménagements tels qu'un sursis du retrait de permis.

Or cette possibilité d'aménagement n'existe pas lorsqu'une substance psychoactive a été consommée. Cela est bien évidemment normal lorsqu'il s'agit de drogues à proprement parler, mais il me semble injuste qu'une personne se fasse retirer son permis, alors même que son travail en dépend, car elle a consommé du CBD à un taux supérieur à 0,3 % mais inférieur à 1 %. Il faudrait créer un aménagement comparable pour ce cas de figure.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, compte tenu des dispositions législatives en vigueur, la détection positive du THC dans un test salivaire permet de caractériser le délit de conduite en ayant fait usage de stupéfiants.

Si le CBD n'est pas recherché en tant que tel dans le dépistage des analyses, sa consommation peut néanmoins révéler une présence dans le sang de THC, nonobstant le taux maximal de 0,3 % autorisé pouvant conduire à un dépistage positif. Peu importe le taux de THC contenu dans le produit consommé : si celui-ci est détecté lors du dépistage, l'infraction est caractérisée.

La conduite sous l'emprise de stupéfiants peut être caractérisée quand bien même le conducteur ne se trouve pas sous l'influence de psychotropes. La loi opère bien une décorrélation entre deux comportements : celui de faire usage d'un produit et celui de conduire après avoir fait usage d'un produit. Les comportements ne sont pas liés, ce qui est parfaitement compréhensible.

Le caractère licite ou non de l'usage d'un produit est sans incidence sur la caractérisation de la conduite en ayant fait usage de ce produit. Dès lors, il importe peu de proposer une harmonisation des législations sur le taux de THC présent dans le CBD pour autoriser sa commercialisation, puisque la détection de THC lors d'un contrôle routier caractérise le délit. C'est d'ailleurs la position également adoptée par la Suisse dont vous évoquez la législation.

Par ailleurs, on ne peut pas revendiquer, d'un côté, les effets hautement relaxants du CBD et, de l'autre, soutenir que son usage n'est pas sans danger pour la conduite routière. Compte tenu des enjeux en termes de sécurité routière, il ne peut y avoir de tolérance à l'égard de ceux qui conduisent alors qu'ils ont consommé des produits contenant du THC.

Contrairement à ce que vous indiquez, la loi ne prévoit plus la possibilité d'un aménagement de la suspension du permis de conduire pour des raisons professionnelles, compte tenu de la dangerosité de ce comportement – il en va de même d'ailleurs pour l'alcool –, mais aussi des abus constatés dans les demandes d'aménagement en cas de conduite sous l'emprise d'un état alcoolique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, la France a toujours cultivé du chanvre, notamment pour l'industrie textile. Aujourd'hui, la diversification des usages des produits issus de cette plante nécessite toute notre attention, car elle est au coeur de nombreuses innovations, d'une forte demande sociale et d'opportunités économiques.

Pourtant, l'arrêté du 30 décembre 2021 a interdit expressément la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de feuilles ou de fleurs de chanvre. Cette décision a été jugée incompréhensible par les professionnels de la filière du chanvre. Elle l'est d'autant plus que sa réglementation est déjà trop rigide et complexe, empêchant notamment l'utilisation du CBD pour des usages thérapeutiques.

On l'a compris, le débat sur l'utilisation du chanvre est pollué par celui sur le caractère psychotrope du cannabis. Le Conseil d'État a pris la mesure des enjeux et a suspendu l'arrêté du 30 décembre 2021. Le chanvre « bien-être » est en pleine expansion en Europe. Son usage thérapeutique est reconnu depuis que de nombreuses personnes l'utilisent pour soigner toute une série de pathologies, que vous avez rappelées, madame la ministre.

Le CBD peut aussi constituer une solution de rechange aux traitements médicamenteux qui peuvent s'avérer très lourds, voire parfois dangereux pour les patients.

Aussi, 200 centres hospitaliers ont déjà été autorisés par le Gouvernement à expérimenter l'usage du cannabis thérapeutique, preuve que vous avez conscience des bénéfices potentiels d'une libéralisation du CBD. Comment expliquer alors cette incohérence ? Allez-vous rendre la réglementation plus favorable à l'usage médical du chanvre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Catherine Belrhiti, contrairement à ce que vous indiquez dans votre question, il n'y a pas d'incohérence entre l'arrêté du 30 décembre 2021 et l'expérimentation relative au cannabis à usage médical, puisqu'il s'agit de deux sujets complètement différents.

Je le rappelle, l'expérimentation relative au cannabis à usage médical porte sur l'utilisation thérapeutique de médicaments à base de cannabis dans des indications déterminées – j'en ai rappelé la liste. Elle vise, d'une part, à obtenir les premières données françaises sur l'efficacité et la sécurité de ces nouvelles thérapeutiques et, d'autre part, à envisager le meilleur circuit possible pour une prescription et une dispensation future dans le droit commun.

Nous parlons ici de médecine, de thérapeutiques et de la prise en charge de certaines douleurs – épilepsies réfractaires aux traitements, etc. – et de certains patients, cancéreux ou en fin de vie.

Je le répète, l'objectif de l'expérimentation est d'inclure 3 000 patients suivis dans des structures volontaires sélectionnées par l'ANSM. Cette expérimentation est un enjeu important en matière de santé publique et répond à une attente forte, essentiellement pour la prise en charge de la douleur et d'autres symptômes qui accompagnent des maladies oncologiques, dégénératives ou lors des soins palliatifs. Elle doit donc permettre d'évaluer le circuit logistique et le parcours des patients.

L'arrêté du 30 décembre 2021 ne porte en aucun cas sur l'usage médical du CBD. C'est même le contraire, puisque seuls les médicaments qui ont leur propre réglementation et qui sont strictement encadrés ne sont pas concernés par cet arrêté. Nous parlons donc ici de l'utilisation du CBD avec un seuil maximal autorisé de THC dans des produits de consommation courante qui seraient à disposition des citoyens sans aucun cadre médical.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, vous avez vous-même rappelé que le CBD n'est qu'un cannabinoïde parmi d'autres, produit par la plante de chanvre. Ses effets n'ont rien à voir avec le cannabis stupéfiant.

Le Gouvernement doit, je le crois, absolument prendre la mesure du débat et assouplir la réglementation conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur toutes les qualités du chanvre qui ont été développées par les collègues qui se sont exprimés cet après-midi. Aujourd'hui, aucun argument ne peut valider la décision du Gouvernement. Déjà, en novembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne avait jugé illégale l'interdiction en France du CBD, qui est autorisé chez nos voisins européens. La Cour de cassation lui a emboîté le pas en juin dernier, considérant à son tour que tout CBD légalement produit dans l'Union européenne pouvait être vendu en France.

Ma question est simple : allez-vous interdire l'importation de CBD ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, comme je l'ai indiqué, la Cour de justice de l'Union européenne a annulé le 19 novembre 2020 l'arrêté qui limitait la culture, l'importation, l'utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante.

Les autorités françaises ont engagé immédiatement des travaux pour modifier la réglementation à la lumière de cette décision. Le nouvel arrêté a été publié le 31 décembre 2021 : il permettra le développement en toute sécurité de la filière agricole du chanvre en France, ainsi que des activités économiques liées à la production d'extraits de chanvre et la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle pour lutter contre les stupéfiants.

L'arrêté autorise notamment la culture et l'utilisation industrielle et commerciale de toutes les parties de la plante du chanvre, sous réserve d'une teneur en THC qui ne soit pas supérieure à 0,3 %. Les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées et utilisées que pour la production industrielle d'extraits.

Il en résulte que la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes était interdite, notamment pour pouvoir lutter contre les trafics ou pour des motifs de santé publique qui nous semblent évidents : je pense aux risques liés à l'inhalation de fumée et à l'impact du CBD sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine au niveau du cerveau, qui en font un produit psychoactif à part entière.

Je rappelle que les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu'ils aient été autorisés comme médicaments.

Une ordonnance récente du juge des référés a suspendu à titre provisoire l'application des dispositions relatives à l'interdiction de commercialiser à l'état brut des fleurs et des feuilles de certaines variétés de cannabis. Le Gouvernement prend acte de cette ordonnance dans l'attente du jugement au fond de l'affaire par le Conseil d'État, tout en conservant son objectif de sécuriser cette filière économique et de protéger la santé.

L'arrêté prévoit donc que l'autorisation de culture, d'importation, d'exportation et d'utilisation du chanvre est étendue, sous certaines conditions, à toutes les parties de la plante du chanvre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je vous demandais si vous alliez interdire l'importation de CBD, qui est produit et consommé dans l'ensemble des autres pays européens.

Vous ne pouvez pas faire entrave à la libre circulation des marchandises, garantie par l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La France n'échappera pas à un futur contentieux européen si vous maintenez un carcan réglementaire contraire à l'esprit du marché unique.

Si vous perdez trop de temps et ne prenez pas rapidement vos responsabilités, ce sont les juges européens qui décideront à notre place.


Source http://www.senat.fr, le 15 février 2022