Interview de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à France 2 le 24 février 2023, concernant l'impact du conflit en Ukraine sur l'agriculture, le Salon de l'agriculture, la sécheresse et les pesticides.

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Texte intégral

DAMIEN THEVENOT Jeff WITTENBERG, vous recevez ce matin Marc FESNEAU, le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Messieurs bonjour.

JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, et en effet on vient de parler de la pêche, on va parler avec vous Marc FESNEAU de tout ce que l'on peut trouver dans nos assiettes, puisque vous êtes le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire comme le disait Damien. Il y a un an jour pour jour le Salon de l'agriculture, qui va ouvrir ses portes demain, coïncidait avec le lancement de la guerre en Ukraine, un triste anniversaire, et d'ailleurs ce Salon avait été perturbé, Emmanuel MACRON avait écourté sa visite, remplacé par le Premier ministre. Un an après, qu'est-ce qu'on peut dire de l'impact de cette guerre aussi sur le monde agricole en France et dans le monde ?

MARC FESNEAU
D'avoir l'impact sur les consciences sans doute, c'est-à-dire qu'on s'est rendu compte de ce que l’on croyait être des éléments stables, c'est-à-dire que sur le continent européen, au fond, nous vivions plutôt dans un espace de paix, on a basculé dans quelque chose qui était une forme d'inconnu ou d’impensé, ou d’impensable.

JEFF WITTENBERG
Mais spécifiquement dans le monde agricole ?

MARC FESNEAU
Et sur le sujet agricole on a découvert aussi que d'abord la souveraineté n'était pas un acquis, et qu'il suffisait qu'on bloque des ports pour que le flux de céréales ne puisse pas sortir, et 2 on a découvert à quel point Vladimir POUTINE avait construit une stratégie offensive autour de deux axes : l'énergie et l'alimentation, et qu'il avait fait de l'alimentation une arme, une arme de pression…

JEFF WITTENBERG
Ce qui permet aujourd’hui à la Russie notamment de e résister aux sanctions, c’est son autonomie alimentaire ?

MARC FESNEAU
Alors, ça permet à la Russie de résister aux sanctions, et ça permet aussi à la Russie d'essayer de limiter les sanctions, puisqu'il y a un certain nombre de pays qui peuvent dépendre de la Russie pour se nourrir, et qui donc ne peuvent pas avoir la même attitude qu'un pays qui est souverain vis-à-vis de son alimentation. Et donc ça remis au coeur finalement de l'actualité, il y avait longtemps qu'on l'avait oublié sans doute, nous non, mais un certain nombre de gens l’avait oublié, que la souveraineté alimentaire c'était un élément stratégique, et c'était un élément géopolitique.

JEFF WITTENBERG
Et ça a changé aussi des choses pour les agriculteurs français ?

JEFF WITTENBERG
Eh bien, ça a changé pour les agriculteurs français, une tension inflationniste sur un certain nombre de choses, des prix qui ont augmenté sur d'autres, je pense en particulier aux céréales, donc ça a eu des effets comme pour tous les Français, mais pour le secteur agricole, de mouvements sur les marchés, de dérèglements des marchés qui ont été très puissants.

JEFF WITTENBERG
Le Salon de l'agriculture, il ouvre donc ses portes, France Télévisions est partenaire, à partir de demain. On voit la fameuse…

MARC FESNEAU
L'égérie.

JEFF WITTENBERG
L’égérie, Ovalie, 5 ans, vache de Salers…

MARC FESNEAU
Elle porte bien son nom cette…

JEFF WITTENBERG
A laquelle Emmanuel MACRON viendra rendre visite, comme c'est la tradition, demain. On parle d'une parle d’une profession aussi, qui est en plein renouvellement ou plutôt qui a des difficultés à se renouveler, on a calculé, je crois que 150 000 agriculteurs vont prendre leur retraite d'ici 10 ans, est-ce qu'il y a assez de jeunes générations pour les remplacer ?

MARC FESNEAU
Non, c'est tout le défi d'ailleurs du travail que nous menons pour aboutir à un texte de loi qui permettra d'essayer de cadrer et de faire en sorte qu'on donne envie à des jeunes. Donner envie à des jeunes c'est quoi ? C'est d'essayer de gérer la question de la rémunération, c’est ce que l’on a fait au travers d’EGALIM. C'est d'essayer de donner des perspectives – on va sans doute en parler – en termes de dérèglement climatique, c'est-à-dire de dire, dans le modèle qui est en train de changer en termes climatiques, qu'est-ce qu'on doit changer pour faire en sorte qu'un jeune ne se trouve pas en situation d'impasse technique, impasse économique. C'est aussi l'image du métier, et c'est aussi l'image que nous portons, nous, sur le métier aussi. Plus nous dirons à quel point cette profession a du sens et on en a besoin, à la fois pour nous nourrir, fonction première, et deux, pour un certain nombre d'enjeux environnementaux, climatiques et autres, plus on donnera envie à des jeunes. Donc c'est plusieurs sujets qu'il faut essayer de traiter.

JEFF WITTENBERG
Donner envie à des jeunes, mais le mal-être des agriculteurs, c'est une réalité, chaque année il y a des centaines de suicides parmi les paysans, les agriculteurs, une sur-représentation par rapport au reste de la population. Les pouvoirs publics se sont penchés plusieurs fois sur cette question, il y avait eu notamment un rapport du Sénat, est-ce que vous allez annoncer de nouvelles mesures, est-ce que vous allez prendre de nouvelles mesures par rapport à ça ?

MARC FESNEAU
En fait on continue à déployer un projet qui était celui de, département par département, d'avoir une cellule qui traite de ces questions-là. Le grand sujet autour du suicide ou du mal-être en agriculture, c'est que la parole se libère, il faut que les agriculteurs…

JEFF WITTENBERG
Excusez-moi, parce que c’est trop dur, vous parliez du revenu…

MARC FESNEAU
Parce qu’il y a une forme de pudeur dans le monde agricole qui fait qu'on ne dit il rien jusqu'au moment où on bascule dans l'impensable d'une certaine façon ou dans le pire, c'est-à-dire l'acte ultime d'un suicide. Et donc ce qu'il faut, c'est qu'on arrive, que tous les maillons de la chaîne soient en vigilance. C'est autant la responsabilité des services de l'Etat, des Chambres d'agriculture, de la Mutualité sociale agricole, des responsables syndicaux, et donc on a, dans chaque préfecture on continue à le déployer, une cellule qui veille et qui dit : cet agriculteur il a eu un cas de grippe aviaire, il a une difficulté financière, comment on l'accompagne pour qu'il puisse exprimer sa difficulté, avec les mots qu'il a envie de choisir, avec les mots qu'on doit trouver, pour éviter qu'après il s'enferme et il bascule dans quelque chose d'autre.

JEFF WITTENBERG
Marc FESNEAU, vous parliez du dérèglement climatique il y a quelques instants, l'actualité du moment c'est la sécheresse, plus de 30 jours sans pluie en hiver, ça ne s'était jamais vu. Quel est l'état des lieux précis au moment où nous nous parlons, est-ce qu’il y a un déficit de nappes phréatiques que l’on n'a pas connu à cette période, quels sont les chiffres qui vous remontent au ministère de l’Agriculture ?

MARC FESNEAU
On a un déficit qui est préoccupant, plus de 60% des nappes ou des réserves qui sont en sous-capacité, et après une répartition équivalent quasiment entre celles qui sont à l'étage normal et celles qui sont plutôt en incapacité…

JEFF WITTENBERG
Est-ce que la situation, vous la qualifieriez, quoi, de catastrophique, d’irréversible ?

MARC FESNEAU
Non, parce que, elle est inquiétante et donc ça nécessite et ça a été le sens de ce qu’a évoqué Christophe BECHU, mon collègue de l'Environnement ; on va travailler sur une anticipation, parce qu’on a des données qui sont des données inquiétantes, donc on a besoin d'anticiper, il y a un certain nombre de départements, 4 de tête, qui sont en train de prendre des mesures, sur qui les arrosages, qui…

JEFF WITTENBERG
Vous êtes favorable à ce qu'il y ait davantage de restrictions d’eau ?

MARC FESNEAU
Je ne suis pas favorable, mais il faut que… La question c'est de faire en sorte…

JEFF WITTENBERG
C’est au cas par cas.

MARC FESNEAU
… au cas par cas qu’on contienne ces sujets. Alors après, les réserves d'eau, l'état inquiétant, c'est si nous avions en plus un été très sec comme nous avons eu l'an dernier, ces réserves d'eau ne pourraient pas être mobilisées. On peut aussi avoir un été ou un printemps ou une suite de printemps qui soient plus humides, sauf que le stock qu’on reconstitue normalement l'hiver, ne s'est pas reconstitué, ou imparfaitement reconstitué, et donc c'est ça qui est un objet de préoccupation évidemment.

JEFF WITTENBERG
Et pour l'instant Météo France n’annonce pas de périodes de pluie prolongée…

MARC FESNEAU
… J’ai vu ça tout à l’heure dans vos prévisions, je n'ai pas l'impression que Météo France annonce quelque chose à moyen terme.

JEFF WITTENBERG
Ou même à moyen terme. Dans ce contexte, est-ce que vous, Marc FESNEAU, ministre de l'Agriculture, vous êtes favorable à ce qu'on voit maintenant sur les écrans, ces retenues d'eau, ces méga bassines qui suscitent la controverse, les agriculteurs y sont favorables, les écologistes les dénoncent, il y avait eu on s'en souvient dans les Deux-Sèvres, il y a quelques mois, des affrontements à ce sujet. Quelle est vous, votre position ?

MARC FESNEAU
Eh bien ma position c'est qu'on a besoin d'ouvrages de ce type-là. Pourquoi, pour faire en sorte que dans la période où il y a de l'eau, en surplus j'allais dire, de l'eau qui tombe, on puisse la stocker pour les périodes où il n’y en a plus, où il n’y en a pas, st normalement le cycle normal, là on est sur un phénomène un peu atypique, normalement le cycle c'est quand même plutôt de l'eau en hiver et en automne et au début de printemps, et l'été où il en manque, on verra si l'année vient contredire ce que je viens de dire. C'est…

JEFF WITTENBERG
… que c'est une aberration, ces méga bassines qui n’ont rien de naturel.

MARC FESNEAU
Mais ça n'est pas une aberration, dès lors qu’on réfléchit, sur deux pieds si je puis dire. C'est, un, on essaie de constituer des stocks pour les périodes de disette, en termes d'eau, et deux, ce que font les agriculteurs, ce qu’on ne dit pas assez, il y a des efforts qui sont faits pour changer les assolements, pour faire évoluer les variétés d'un certain nombre de plantes, pour faire en sorte qu'on ait un système aussi qui soit plus économe. C'est des réserves, parce que c'est une assurance contre la sécheresse et pour produire, et puis deuxièmement de faire en sorte qu'on fasse évoluer les pratiques. On dit souvent, il y en a certain qui disent ; l'agriculture accapare l'eau, mais enfin elle accapare l’eau, pour un motif simple : elle prend l'eau pourquoi ? Pour nous nourrir. Donc l’eau que prennent les agriculteurs, ce n'est pas de l'eau pour eux, c'est de l’eau pour nous, au fond…

JEFF WITTENBERG
Donc ces réserves…

MARC FESNEAU
… responsabilité…

JEFF WITTENBERG
… il faut les protéger et les développer, c'est ce que vous dites ?

MARC FESNEAU
Eh bien, il faut les développer, dès lors que, on voit bien que ça permet de respecter des équilibres hydrographiques, si je peux dire, des équilibres en termes de cycle de l'eau, et il faut aussi en même temps se mettre sur la trace et la volonté qu'on a de faire évoluer les pratiques. Et c'est sur les deux pieds qu’on va avancer. Il y a des secteurs, si on n'a pas de réserves en eau, compte tenu de l'arythmie du cycle les pluies, il n’y aura plus d'agriculture, donc c'est comme ça qu'il faut se poser la question.

JEFF WITTENBERG
Est-ce que l’autre solution, c'est l'utilisation des eaux usées, c’est un débat qui est en train de monter, est-ce que vous souhaitez que la législation évolue ?

MARC FESNEAU
Oui, alors, je peux vous annoncer ce matin, on a envoyé au Conseil d'Etat ou ça part au Conseil d'Etat, un texte qui vise à la réutilisation des eaux, ce qu'on appelle les eaux grises, les eaux usées. Pourquoi, parce que nous sommes à 1,8 % d'utilisation de ces eaux en France, quand en Italie on est à 15 ou 17%, donc à 10 fois plus, et donc c'est aussi vertueux de se dire : toute goutte d'eau, pour tout le monde, citoyens que nous sommes, agriculteurs, elle est précieuse et donc si on peut la recycler, si on peut la réutiliser dans une forme d’économie circulaire de l'eau, on le fait. Et donc on a un décret en Conseil d'Etat qui sort…

JEFF WITTENBERG
La législation va changer.

MARC FESNEAU
La législation va changer pour assouplir et clarifier un certain nombre de choses, c'était des freins. Il n’y a aucune raison, aucune raison objective qu'on fasse moins bien que les Italiens, que les Espagnols, que les Allemands, sur ces sujets-là. Et donc cette réutilisation d'eau c'est aussi une réponse. La réserve d'eau c'est une réponse, les économies qu'on peut constituer dans l'agriculture c'est une réponse. Il y a aussi des ouvrages qui existent, je pense aux canaux, et qui sont aujourd'hui envasés et pour lesquels on peut libérer de l'eau, et ça permettra aussi de trouver des masses d'eau pour l'irrigation.

JEFF WITTENBERG
Vous parliez d'autres pays européens, ils n'ont pas aussi la même législation, tout le monde n'a pas la même législation sur les pesticides, notamment alors là la France s’est conformée au droit européen sur les néonicotinoïdes en les interdisant à nouveau, ça a suscité de la colère de la part notamment des producteurs de betteraves à sucre qui comptent sur ce pesticide, enfin sur ce produit phytosanitaire. Aujourd'hui il y a plus qu'une colère, il y a un sentiment de ne pas être bien traité sur cette question par les agriculteurs.

MARC FESNEAU
Il y a je crois un sentiment d'incompréhension qui se traduit parfois en colère, parce qu'avec le sentiment qu'on ne dote pas les agriculteurs des mêmes outils et moyens que leurs collègues, qui espagnols, qui allemands, qui belges, et donc…

JEFF WITTENBERG
Et c'est une réalité…

MARC FESNEAU
Et sur un certain nombre de sujets…

JEFF WITTENBERG
Donc ça veut dire que la législation française est plus stricte ?

MARC FESNEAU
On a eu une tendance, et c'est pas que sur l'agriculture malheureusement en France, à sur-transposer et à se croire plus malin que les autres, et à dire : on fait, on fait sans regarder qu'au fond on est dans le même marché. Tout ça marcherait si on est dans le même marché…

JEFF WITTENBERG
… plus de souplesse ?

MARC FESNEAU
Et donc… Non mais il faut à chaque fois qu'on produit de la norme, qu'on se dise le bon niveau pour la produire, parce qu'après tout le sujet s'il est environnemental, ou s’il est de santé publique, c'est aussi important chez nos voisins européens que chez nous, et donc on a besoin de porter ces sujets-là au niveau européen, et deuxièmement l'interdiction ça ne produit pas de la solution. Donc, tandis qu'on voit que sur des molécules, il y a une tendance générale qui est une tendance à la réduction, on aura toujours besoin, en tout cas assez longtemps d'un certain nombre de molécules, mais partout où on peut trouver des alternatives il faut les chercher, et donc c'est… Le sujet c'est la recherche et l'innovation, qui permettra tandis qu'on a des molécules qu'on utilise moins, d'avoir des solutions. Parce que l'interdiction sans la solution, à la fin c'est la perte de souveraineté.

JEFF WITTENBERG
Allez, une toute dernière question. Avant d'être ministre de l'Agriculture vous étiez chargé des Relations avec le Parlement, quel regard à ce titre vous portez sur ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, un fiasco quand même pour cette loi, pour l’instant, qui n'a pas pu être votée, est-ce que vous pensez que…

MARC FESNEAU
Ce n’est pas un fiasco pour la loi, c'est un fiasco pour le débat démocratique, et en même temps c'est quand même ici dans ce lieu, là qu'on a en images, que doit se passer la démocratie. Si jamais nous n'arrivions pas à recrédibiliser, donc personne n'a intérêt à décrédibiliser le Parlement, parce que si ça n'est pas le Parlement, où auront lieu les débats ? Et donc c'est un c'est un fiasco de débat démocratique, on est dans une phase où il y a un certain nombre de gens qui se font élire et en même temps, quand ils ont des attitudes comme celle qu'on a vue, viennent remettre en cause la démocratie représentative, et donc c'est leur responsabilité, quand on a été élu, quand on croit à la démocratie et en particulier à la démocratie représentative, de faire en sorte que les débats se passent dans des conditions de confrontation d'idées, mais pas d'empêchement la confrontation d’idées.

JEFF WITTENBERG
C’est ce que vous avez ressenti. Merci beaucoup Marc FESNEAU, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. On vous verra dans les jours qui viennent…

MARC FESNEAU
Régulièrement au Salon.

JEFF WITTENBERG
Au Salon de l'agriculture. Très bonne journée, merci.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 28 février 2023