Texte intégral
Monsieur le Président, cher Félix,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, Ambassadeurs, chers amis.
D'abord, je veux dire combien je suis heureux d'être aujourd'hui pour ma première visite en République Démocratique du Congo, dans cette salle historique pour l'Histoire de votre nation et après avoir accueilli comme invité d'honneur le Président, au Forum sur la paix en 2019, puis retrouvé lors du Sommet sur le financement des économies en 2021. Il était grand temps que je vienne à mon tour.
Alors cette visite est la dernière étape, le point d'orgue, en quelque sorte, d'une tournée de 4 jours qui m'a conduit de Libreville à Luanda, puis Brazzaville, jusqu'à vous, Kinshasa. Et c'est ici, en effet, que se jouent nombre de combats du siècle, y compris ceux que nous avons portés ces derniers jours. Celui pour la forêt et ce trésor du bassin du fleuve Congo.
Alors, cette visite, vous l'évoquez à l'instant, arrive à un moment particulier pour la République démocratique du Congo et j'en mesure toute la gravité. Elle intervient à un moment, vous l'avez dit, Président, où une région, un peuple, un pays vit le nouvel acte d'une tragédie qui, depuis près de 30 ans, ne s'est jamais vraiment éteinte. Des centaines de milliers de Congolais vivent, revivent le cauchemar de la guerre, de la fuite, du dénuement absolu. Une ville, Goma, est à nouveau sous la menace d'une rébellion qui emprunte de nouveaux acronymes. Aujourd'hui, le M23, dont le visage et les soutiens extérieurs et l'agenda sont connus.
La France ne s'est jamais résignée à une soi-disant fatalité de l'Histoire et à ce que l'horreur de la guerre puisse se répéter. Parce que la guerre qui revient, c'est ajouter des morts aux morts et des drames aux drames. Et en disant cela aujourd'hui, je veux également pleinement mesurer le poids de l'Histoire : les drames qui se sont joués dans votre pays, les crises et guerres précédentes qui nécessitent et nécessiteront que la justice pour le temps présent et la justice pour les crimes passés puissent passer.
Face à une Histoire dont le nombre de victimes équivaut à celui des guerres mondiales que nous avons vécu, la France ne prétend pas - et je ne prétends pas - avoir seule une solution. La solution est dans un réveil collectif, dans la prise de conscience qui se joue ici, qui est l'affaire de tous et de toute la région. Et aux crimes et aux tragédies qui se déroulent sous nos yeux, nous ne devons pas ajouter l'oubli et l'abandon.
Alors je souhaite aujourd'hui que la France reste fidèle à son rôle d'allié indéfectible de la RDC pour défendre son intégrité et sa souveraineté. La République démocratique du Congo ne doit pas être un butin de guerre. Le pillage à ciel ouvert de la République démocratique du Congo doit cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre. C'est le sens même de ma présence aujourd'hui, dire à tous qu'il ne peut d'ailleurs y avoir deux poids : deux mesures entre la tragédie qui se joue en Ukraine sur le territoire européen et celle qui se joue sur le sol africain. Et la solidarité ne saurait être à géométrie variable.
A cet égard, je veux vous saluer, Monsieur le Président, pour la clarté de vos expressions et de vos votes à l'Assemblée Générale des Nations Unies, quand il s'est agi de condamner l'agression russe et de défendre le droit international. Vous méritez la même clarté. Nous avons, au cours des derniers jours, écouté les acteurs humanitaires congolais et internationaux engagés sur le terrain. C'est la première réponse de court terme. Nous avons entendu leurs alarmes face au dramatique manque de moyens qui se profilent sur le terrain, les situations extrêmes qui sont à la fois à nouveau vécues par nombre de vos compatriotes.
C'est pour cette raison que la France sera le premier Etat à répondre à l'initiative de l'Union européenne, annoncée ce matin même. Initiative qui permettra de mettre en place un pont aérien humanitaire à destination de Goma. Nous allons débloquer une contribution immédiate de 34 millions d'euros d'aide humanitaire, laquelle s'ajoutera au montant de près de 50 millions annoncé par l'Union européenne. Nous nous tenons également à la disposition de l'Union européenne pour fournir des moyens de transport civils ou militaires et pour procéder à leur acheminement.
Je veux ici remercier le commissaire européen LENARCIC, d'avoir amorcé cette solidarité européenne qui se concrétisera dans les jours qui viennent par l'acheminement de plusieurs tonnes de matériel humanitaire au profit des populations déplacées dans la région de Goma et dans toutes les régions qui ont été affectées par ces mouvements rebelles et ces groupes terroristes.
Le rôle de la France, c'est aussi de tout faire pour qu'il y ait un chemin vers la paix. Pour cela, chacun doit être à la hauteur de ses responsabilités. J'ai parlé il y a quelques instants au secrétaire général des Nations unies, Antonio GUTERRES, qui est engagé pour faire jouer aux Nations unies leur rôle indispensable. Je l'en remercie. Ensemble, nous devons travailler, Union européenne, Union africaine, Organisation sous-régionale, pays de la région et Nations unies. Nous devons travailler à ce que chacun apporte sa contribution pour enfin imposer la désescalade et la paix.
À cet égard, je veux ici dire tout notre soutien au processus de Luanda et de Nairobi. Et suite à la dernière réunion qui s'est tenue en marge du sommet de l'Union africaine, à Addis-Abeba, notre soutien à la médiation que vous avez confié. J'étais hier avec le président LOURENÇO, nous avons eu un très long échange sur le sujet. Le plan qui est aujourd'hui sur la table, qui a été agréé par tous, qui est en train d'être mis en œuvre, j'en suis convaincu, est le bon, à condition évidemment qu'à chaque étape il soit respecté et que le chronogramme qui a été décidé à partir du 28 février soit dûment respecté. Cessez-le-feu sur le terrain, mécanisme de vérification sous supervision angolaise, cantonnement du M23 sur votre sol, processus de désengagement, désarmement et réinsertion, déploiement de forces régionales. Je veux ici remercier les Kényans, et j'espère que les autres rejoindront.
Je veux ici dire que nous serons évidemment mobilisés pour aider au financement et à la désescalade dans un premier temps pour parvenir à un retour à une paix durable ensuite. Tout cela est ce qui nous a longtemps manqué. Mais tout cela dépend évidemment des pressions politiques, diplomatiques et économiques pour que cela soit respecté.
À cet égard, la discussion que j'ai eue avec le Président LOURENÇO, la discussion que j'ai eu ce matin avec le Président, cher Félix, et l'échange que j'ai pu avoir avec le Président KAGAMÉ m’a démontré une chose. Tous m'ont apporté un soutien clair au cessez-le-feu pour mardi prochain, qui est prévu dans le chronogramme, sur lequel se sont engagés aussi les représentants du M23 qui sont allés voir le Président LOURENÇO. Nous verrons maintenant si chacun respecte la parole donnée.
Mais si je dois retenir un seul motif d'optimisme, c'est que tous mes interlocuteurs adhèrent à ce plan porté par l'Angola, le Kenya, le Burundi, et je salue, cher Félix, le courage qui est le vôtre de donner une chance à ce plan et à la paix. Avec une exigence légitime : que tout ce qui s'y engage respecte la parole donnée, les rendez-vous, les dates et l'effectivité des choix pris et des promesses tenues.
Il nous revient d'être collectivement à vos côtés pour faire la démonstration que ce choix est le bon. Ceux qui s'en éloigneront auront une responsabilité écrasante et s'exposeront à la sanction de l'Histoire. Et dans une région où la France a su regarder en face son propre passé, nous savons combien ce poids de la sanction de l'Histoire peut être accablant. Je le disais en ouverture de mon propos, cette visite en un moment de gravité est aussi une visite d'amitié, d'espoir. Le Président l'a évoqué à l'instant. C'est un espoir légitime parce que vous êtes un grand pays et nos deux pays ont en quelque sorte en commun aussi de voir grand.
Et pour transposer un mot célèbre du Général De Gaulle : « Le Congo ne peut être le Congo sans la grandeur ». Aucun pays d'Afrique n'est plus doté que le vôtre de richesses de toutes sortes et une capacité à saisir un destin d'exception.
C'est pourquoi nous souhaitons bâtir un partenariat nouveau sur plusieurs axes.
D'abord, vous aider à la pleine souveraineté sur le plan sécuritaire et militaire. Nous sommes déjà les premiers partenaires en termes de formation militaire de la RDC. Nous souhaitons faire davantage parce que la condition pour qu'il y ait dans la durée la fin des pillages, la fin du risque de balkanisation que j'évoquais c'est qu'il y ait le retour de l'Etat régalien et des conditions de cet État régalien partout sur le territoire. Nous souhaitons être des partenaires dans la durée de ce travail : formation, équipement. La capacité d’être à vos côtés correspond au nouveau partenariat qui est le nôtre.
Deuxièmement, c'est sur le terrain économique. Nous allons cet après-midi dans une conférence économique illustrer ce que je disais lundi. Nous répondons aux demandes qui sont les vôtres. On ne vient pas plaquer des solutions, on vient avec des entreprises de toutes tailles, de tous ordres et beaucoup d'entreprises nouvelles.
Nous assumons d'être là, y compris pour défendre nos intérêts économiques. On le fait en amenant avec nous toutes les compétences, et y compris les Européens. Je me félicite que deux commissaires européens seront à nos côtés cet après-midi. Ce n'est pas simplement la France mais la France et l'Europe, sur la base d'un partenariat équilibré et respectueux. On l’évoquait ensemble, ces entreprises proviennent du secteur numérique jusqu’au domaine minier, dans lesquels nous souhaitons travailler avec vous pour bâtir un cadre de confiance qui permettra une exploitation au service des Congolais. Ceci, dans les meilleures conditions scientifiques, permettant justement la coopération et notre expertise.
C'est je crois là la clé de ce partenariat économique parce que l'Afrique est un théâtre de compétition. Il faut que cette compétition se fasse dans un cadre loyal qui serve les intérêts des populations, qui aident à lutter contre la corruption, mais où nous avons notre place à jouer, ni plus ni moins.
Ensuite, la science et la recherche. J'aurai cet après-midi l'occasion et l'honneur d'être reçus par le professeur MUYEMBE, découvreur du virus Ebola dans ce fleuron de la recherche scientifique congolaise et africaine qui est l'Institut national de recherche biomédicale. Je veux ici d'ailleurs rappeler combien la France a été engagée dans cette lutte contre le virus Ebola avec les meilleures équipes de l'Inserm et de plusieurs de nos laboratoires. Combien de nos chercheurs et de nos épidémiologistes sont venus. Yves LEVY avait eu cette mission confiée il y a quelques années ici même et je veux saluer cette coopération mais l’INRB, dans le séquençage des virus les plus dangereux dans la lutte contre la pandémie de Covid 19, dans la formation d'étudiants venus de toute l'Afrique, prouve tout ce qu'on peut accomplir quand notre coopération se donne les moyens.
Sur ce modèle qui est un fleuron de la coopération franco-congolaise, je souhaite qu'on aille beaucoup plus loin avec la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, pour illustrer cette volonté dans de nombreux domaines d'échanges scientifiques et universitaires. Je souhaite aussi que nous puissions le faire dans les domaines climatiques et liés à la biodiversité, notamment autour de la question des forêts si importantes et que vous avez réévoqué.
Enfin, voir les choses en grand, c'est le voir aussi pour la culture congolaise. C'est votre puissance, il faut l'exercer, c'est votre intérêt, c'est le nôtre d'avoir en Afrique et dans le monde, si je puis dire, l'équivalent d'un Nigeria francophone. Les créateurs et entrepreneurs qui nous accompagnent avec les ministres amènent avec eux, outre un immense intérêt pour leurs homologues congolais, tous les outils et les réseaux pour l'aider à se développer dans nombre de domaines nouveaux : jeux vidéo, séries télévisées, bande dessinée, e-sport, univers virtuel. De nombreux domaines où la créativité, le génie congolais a sa place à jouer.
Sa vocation, permettre des moyens d'expression et de partage pour nos jeunesses. Des moyens aussi de création et de développement de nos industries culturelles et créatives qui sont extrêmement importantes.
Et dans ce cadre, je veux ici dire combien, à mes yeux, la langue française n'est pas simplement un trait d'union, mais un trésor en partage dont vous êtes devenu le centre de gravité. Plusieurs présidents de la République sont venus avant moi ici pour parler de francophonie. Et lorsque François MITTERRAND s'est rendu à Kinshasa en 1984 parler de francophonie, il la défendait ici alors la France était deux fois plus peuplée que votre pays. Je viens ici devant vous en vous parlant de francophonie et en assumant totalement que vous êtes le premier pays francophone par votre démographie. C'est une force et une fierté dont il faut tirer toutes les conséquences. C’est une communauté de langue, de valeurs, de solidarité, de progrès, d'exigence. C'est aussi une communauté de création, de dynamisme.
Je suis convaincu que la vocation qui et celle de la République démocratique du Congo est de prendre toute cette place, la première dans la francophonie de demain. Je souhaite qu'ensemble, on puisse bâtir les prochains rendez-vous et en particulier des annonces fortes lors du Sommet de la Francophonie que nous organiseront en France en 2024.
Merci beaucoup.