Interview de M. Gabriel Attal, ministre chargé des comptes publics, à France inter le 18 avril 2023, sur la réforme des retraites, la lutte contre les fraudes fiscales et sociales et la situation politique.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Il est 07h48. Léa SALAME, votre invité, ce matin est le ministre délégué aux Comptes publics.

LÉA SALAME
Bonjour Gabriel ATTAL.

GABRIEL ATTAL
Bonjour.

LEA SALAME
Merci d’être avec nous ce matin. Vous avez déclaré ce week-end : " Il faut maintenant passer à autre chose, tourner la page des retraites ". Pensez-vous qu’avec l’intervention hier soir, du président de la République, vous allez pouvoir passer à autre chose ?

GABRIEL ATTAL
D’abord, j’entends régulièrement sur les plateaux certains souhaitant que le Président réaffirme le cap, explique pourquoi est-ce qu’on agit, pourquoi est-ce qu’on fait des réformes. Et je crois qu’hier, on a entendu un Président qui nous rappelait qu’on agit pour la souveraineté, pour l’indépendance de notre pays. Au fond, la question qui est posée c’est de savoir si on souhaite être affaibli par des grandes puissances internationales, par les marchés financiers, par l’intelligence artificielle ou on veut prendre notre destin en main en investissant massivement pour le travail et pour les services publics et moi, je pense que c’est important de réexpliquer ça. C’est important aussi de dire très concrètement, dans les mois qui viennent, comment on souhaite agir et de ce point de vue-là, il y a une feuille de route assez claire qui a été fixée.

LEA SALAME
Travailler deux ans de plus, les 64 ans, c’est pour financer nos services publics ?

GABRIEL ATTAL
Ce qui est certain, c’est que dès lors qu’on a un système qui est déficitaire, qui nous conduit à devoir emprunter sur les marchés financiers, on est dépendant des marchés financiers. C’est vrai pour le système des retraites. C’est vrai aussi pour le budget du pays et pour la dette. Je rappelle qu’on a 3 000 milliards de dettes. Un pays qui est dépendant des emprunts et des marchés financiers n’est pas un pays libre.

LEA SALAME
Je vous pose la question parce que c’est vrai que vous avez changé à plusieurs reprises, d’explications sur cette réforme des retraites. Au début, vous disiez que c’est pour la justice sociale, ensuite, vous avez expliqué que c’était pour assurer les retraites de tout le monde d’ici dix ans pour combler le déficit… Et c’est vrai qu’hier, Emmanuel MACRON a dit : " Travailler progressivement un peu plus, c’est produire plus de richesse pour le pays ". Donc, on se demande si ce n’est pas vous, Gabriel ATTAL, qui aviez raison, il y a six mois, quand vous vous êtes fait tapé sur les doigts pour dire : " En fait, cette réforme des retraites, c’est pour payer le service public ".

GABRIEL ATTAL
Non. Cette réforme des retraites, d’abord, c’est pour permettre à notre système de perdurer avec des personnes qui travaillent, qui financent les pensions des retraités. Mais, plus on a de Français qui travaillent, c’est vrai, plus on a de recettes fiscales et sociales pour financer nos priorités. Si on avait le taux d’emploi de nos voisins allemands, je peux vous dire que j’aurais beaucoup moins de travail pour équilibrer les budgets parce qu’on aura des recettes fiscales et sociales telles que ce sera beaucoup plus simple de financer nos politiques publiques

LEA SALAME
" Cette réforme est nécessaire ", a dit Emmanuel MACRON, hier, " Même si je regrette qu'elle n'ait pas été acceptée ". Ça veut dire quoi ? Elle n’est pas acceptée, Mais ce n'est pas grave, on passe à autre chose ?

GABRIEL ATTAL
Ça veut dire qu’il n'y a pas eu de consensus social avec les organisations syndicales notamment, autour de cette réforme. C'est une réalité, pour le coup, ce serait faire preuve d'aveuglement que de ne pas le dire. Je pense que le Président a raison de le reconnaître.

LEA SALAME
Et donc quoi ? Ce n'est pas grave, on passe à autre chose ? On tourne la page ? Vous n’acceptez pas, mais ce n’est pas grave. C’est comme ça, c’est la vie.

GABRIEL ATTAL
Mais vous savez, Léa SALAME, moi, je pense que la démocratie, c'est qu'on peut être en désaccord sur certains points et sur certaines réformes, y compris des réformes très importantes et sur des réformes des retraites, par le passé, il y en a rarement qui ont permis de bâtir du consensus. Mais c'est aussi d'être capable de se mettre autour de la table et de réussir sur d'autres sujets. Vous savez, pendant la réforme des retraites, qu'est ce qui s'est passé ? Vous avez les partenaires sociaux, le patronat et les syndicats, qui se sont mis autour de la table et qui ont signé un accord que le Gouvernement va transcrire dans la loi sur le partage des profits dans l'entreprise. C'est bien la preuve qu'on est capable, sur un certain nombre de sujets, de se mettre autour de la table. Moi, je pense que…

LEA SALAME
Alors, pas tout de suite, vous avez entendu la réaction de Laurent BERGER, hier, les syndicats, de manière générale ont vivement critiqué cette allocution, " Déclaration hallucinante ", dit la CFE-CGC. Cette allocution aurait pu être faite [par] ChatGPT, a dit Sophie BINET de la CGT. Laurent BERGER a fustigé une espèce de vide avec rien de concret, estimant que non, la séquence des retraites n'était pas passée. Vous leur dites quoi, ce matin, aux syndicat ? Laurent BERGER qui précise qu'il faut un délai de carence, qu'il n’ira pas parler d'autre chose ni avec le président de la République, ni avec le Gouvernement, avant au moins le 1er mai. Vous le comprenez ce délai de carence ?

GABRIEL ATTAL
Mais moi, je n’ai pas à porter de jugement sur les positions des syndicats. Ce qu'a dit le président, c'est que sa porte était ouverte et qu’au moment où les syndicats le souhaiteraient, ils pourraient venir le rencontrer pour avancer sur l'ensemble des sujets. Ensuite, sur : " Il n’y avait rien de concret ", enfin, je veux dire, si la hausse de la rémunération des enseignants, ce n'est pas concret ? Je ne sais pas ce que c'est. L’augmentation du budget de l'hôpital pour désengorger les services d'urgence dans les prochains mois.

LEA SALAME
Ce n'est pas nouveau.

GABRIEL ATTAL
Mais, enfin, je veux dire, c'est réel. C’est important. Est-ce que c’est entré en vigueur, déjà ? Moi, je pense…

LEA SALAME
Oui mais, ce que je veux dire, c'est qu'elle est aujourd'hui... On vient… Puisque ce que certaines personnes vous disent, c'est ce que… On réagit comme ça, hier soir, vous l'avez vu sans doute, c'est cette déclaration, cette allocution, treize minutes, il aurait pu la faire il y a trois mois puisqu'il n'a rien annoncé de nouveau, alors qu'il y a une crise depuis trois mois.

GABRIEL ATTAL
Moi, je crois que ce que le Président nous demande, en tout cas, je l'ai pris comme ça, en tant que ministre du Budget et membre de ce Gouvernement, c'est, finalement de continuer à bâtir un plan MARSHALL pour les classes moyennes dans les mois à venir. On a beaucoup agi pour les classes moyennes. On a supprimé la taxe d'habitation. On a fait une baisse de cinq milliards d'euros d’impôt sur le revenu. On a défiscalisé les heures supplémentaires, permis de monétiser ces RTT. Je crois que le président nous demande de bâtir un plan MARSHALL pour les classes moyennes, de continuer cette action avec des mesures, pourquoi ? Pour mieux vivre de son travail. Il a dit lui-même qu'il souhaitait que les partenaires sociaux puissent avancer sans limite et sans tabou et qu'on reprendrait un certain nombre de mesures. On pourra, par ailleurs, en ajouter, ça veut dire quoi ? Ça veut dire aussi agir sur l'organisation du travail. J’ai expérimenté dans mes administrations, dans mon ministère, la semaine de quatre jours. Vous faites votre durée hebdomadaire de travail sur quatre jours au lieu de cinq. Je pense que c'est des initiatives sur lesquelles on peut avancer. Ça veut dire aussi un meilleur accès aux services publics. Il a parlé de ces Français qui travaillent, sans pour autant bénéficier des aides et sans pour autant bénéficier de services publics qui répondent à leurs attentes. Moi, je crois qu'on peut refaire de la France, le pays qui a les meilleurs services publics en Europe. On y met les moyens en termes de budget. Donc, Le président dit…

LEA SALAME
D'ici la fin de l'an prochain, on aura désengorgé les services d'urgences. C'est-à-dire qu'en un an et demi, vous allez désengorger les services d'urgence, c'est l'engagement du président de la République. Avec quel argent vous allez embaucher des personnels, vous allez ouvrir des lits... Non mais, ce que je veux dire, c'est que c'est bien de dire : « On va désengorger dans un an et demi », mais dans un an et demi, il n’y aura plus de problème d’urgences engorgées en France ?

GABRIEL ATTAL
Le budget de l'hôpital public cette année, c'est le ministre du Budget qui vous le dit, il dépasse les cent milliards d'euros. Ce n'est jamais arrivé dans l'histoire de notre pays. Donc, on met des moyens. Maintenant, il y a des enjeux d'organisation, il y a eu un discours en début d'année, portant sur la question de l'hôpital. Oui, quand on fixe ces objectifs, je crois aussi qu'on répond aux aspirations de tous ces Français qui se disent : " Je paye des impôts pour des services publics qui se dégradent ". On met des moyens colossaux, historiques sur l'Éducation. Le budget augmente de 4,5 milliards cette année. Il y aura des revalorisations importantes pour les enseignants, des primes pour faire en sorte que les absences de courte durée puissent être remplacées. Vous avez aujourd'hui des Français de classe moyenne qui disent : " Finalement, j'ai le sentiment de payer deux fois, je paye des impôts pour des services publics et en même temps, j'envisage de payer pour une école privée pour mes enfants parce que je ne trouve plus dans l’école publique ce que j'y cherche pour mes enfants ".

LEA SALAME
La classe moyenne dont vous parlez ce matin, elle était majoritairement, elle, dans la rue, c'était eux qui manifestaient ces trois derniers mois, vous le savez.

GABRIEL ATTAL
C'est pour ça qu'on prend plus des mesures fiscales de pouvoir d'achat, sur lesquelles on doit continuer à avancer pour ceux qui travaillent. On doit aussi avancer sur d'autres enjeux, je le disais, le sens et l'organisation du travail et aussi le fait qu'il y ait plus de gens qui travaillent. Moi, j'ai entendu des Français me dire : " Vous nous demandez de travailler un peu plus longtemps pour payer le système de retraite, mais enfin, si déjà, tout le monde travaillait ça réglerait une partie du problème ", d’où, je le dis, la réforme du RSA qui est importante pour inciter davantage, accompagner davantage vers la reprise de l'emploi. C’est sur ces sujets qu’on doit avancer.

LEA SALAME
Gabriel ATTAL, un plan de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, ça, c'est votre domaine, c'est votre ministère. Vous avez une annonce à nous faire ce matin, parce que ce n'était aussi pas très précis.

GABRIEL ATTAL
On entend parfois, à l'extrême gauche, des gens considérer qu'il n'y aurait que de la fraude fiscale et à l'extrême droite, des gens qui considéraient qu'il n'y aurait que de la fraude sociale. Moi, je pense qu'on doit agir sur toutes les fraudes, j’ai construit pour ça un plan et j’ai notamment travaillé avec les parlementaires puisque j'ai proposé à l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat de participer à l'élaboration de ce plan. Je le présenterai dans les prochaines semaines, oui, avec des mesures fortes pour lutter davantage contre la fraude fiscale et la fraude sociale dans notre pays

LEA SALAME
Comme quoi ?

GABRIEL ATTAL
Sur la fraude fiscale par exemple, je souhaite doubler les effectifs du service d'enquête judiciaire des Finances, qui a notamment réalisé une perquisition importante il y a quelques jours, qui a été beaucoup commentée par la presse sur des banques. Je souhaite renforcer les moyens, mais il y aura d'autres mesures fortes que j'annoncerai dans les prochaines semaines.

LEA SALAME
L’historien, Pierre ROSANVALLON, a déclaré, hier soir, sur Quotidien : « Nous sommes en train de traverser la crise démocratique la plus grave qu'ait connu la France depuis la fin de la guerre d'Algérie ». Vous lui répondez quoi ?

GABRIEL ATTAL
Moi, j'ai beaucoup de respect, d'abord, pour les intellectuels et les historiens et Pierre ROSANVALLON en particulier.

LEA SALAME
La pire crise démocratique depuis la guerre d’Algérie.

GABRIEL ATTAL
Qu’il y ait un malaise dans notre pays, c'est une évidence, autour de cette réforme. Alors, qu'il y ait des oppositions vives, on l’a vu. Qu'il y ait besoin, c'est toujours utile et nécessaire de personnes comme Pierre ROSANVALLON, pour nous rappeler le sens de la démocratie, c'est aussi important. Je pense que notre pays a traversé des crises majeures depuis la guerre d'Algérie. Il y a eu mai 68, il y a eu 1995, le pays à l'arrêt, il y a eu la grande crise des banlieues, il y a eu la loi travail sous François HOLLANDE. Qu’il y ait, encore une fois, une perte d'adhésion démocratique, mais depuis des années et notamment avec un phénomène grandissant de l'abstention, de vote des extrêmes, c'est une réalité. Le Président l'a dit lui-même dans son intervention, qu’il fallait réconcilier avec le vote. Evidemment, je pense que c’est un enjeu collectif.

LEA SALAME
Rien de spécial, ce que vous dites, rien de spécial depuis trois mois, rien de particulier, rien de plus aigu, rien de plus grave, peut-être.

GABRIEL ATTAL
Ce n’est pas ce que j’ai dit, Léa SALAME. Et je crois que le Président a démarré son intervention précisément, en reconnaissant qu'il y avait un malaise, une colère, qu’il n'avait pas réussi à créer du consensus autour de cette réforme. Ce que je dis, c'est qu'il y a un travail de longue haleine, que quand on parle de délégitimation des institutions ou de problème démocratique, on peut aussi s'interroger sur ceux qui remettent en cause les institutions elles-mêmes, le travail du Parlement, le travail du Conseil constitutionnel. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de sujet, je dis qu'il y a une responsabilité collective, et évidemment, qu’on doit aussi nous-mêmes, nous en parer.

LEA SALAME
Dans cent jours, ça ira mieux ? Le 14 juillet prochain ?

GABRIEL ATTAL
En tout cas, je crois qu'on a des objectifs précis sur un certain nombre de chantiers sur lesquels on va avancer. Maintenant, je crois que le sens de nos réformes aussi, c'est d'agir pour nos enfants, pour les plus jeunes générations. Evidemment, il y a des sujets qu'on ne réglera pas d'un coup de baguette magique comme ça, quand on fait un choix majeur comme celui, qu'on a fait au début du précédent quinquennat, de mettre fin au numerus clausus pour qu'il y ait davantage de médecins formés pour répondre au problème des déserts médicaux. On sait qu'un médecin, ça ne se forme pas tout de suite et qu'on ne verra pas les effets tout de suite.

LEA SALAME
Pas dans dix ans, effectivement.

GABRIEL ATTAL
Et que, peut-être que ce ne sera pas nous qui bénéficieront politiquement des résultats de cette réforme.

LEA SALAME
C’est un cadeau pour le succès.

GABRIEL ATTAL
Non mais c’est nécessaire pour le pays et c’est pour ça qu’on le fait.

LEA SALAME
Merci, Gabriel ATTAL, merci d'avoir été avec nous et belle journée.

NICOLAS DEMORAND
Merci, Léa. Il est 7h 58.


source : Service d’information du Gouvernement, le 19 avril 2023