Déclaration de M. Olivier Becht, ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur l'application de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, au Sénat le 27 juin 2023.

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  • Olivier Becht - Ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Circonstance : Audition devant la Commission des lois du Sénat

Texte intégral

Je vous prie tout d'abord de m'excuser de n'avoir pu venir plus tôt devant votre commission, ayant été retenu par de nombreux déplacements à l'étranger... J'ai en effet visité une quarantaine de pays depuis ma nomination au Gouvernement, le 4 juillet dernier, et cette mobilité me permet d'être au plus près de nos compatriotes installés à l'étranger. C'est précisément la représentation de ces derniers que la loi du 22 juillet 2013 visait à améliorer.

Je tiens à remercier la sénatrice Hélène Conway-Mouret, qui a fait adopter cette loi lorsqu'elle était ministre des Français de l'étranger. Nous devons aussi certaines dispositions de cette loi à certains d'entre vous, notamment aux rapporteurs de cette mission d'information, Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte, qui siégeaient déjà à l'époque et qui ont eu à coeur d'améliorer les dispositions du texte lors des débats parlementaires. Par la suite, des améliorations ont été apportées par voie d'amendements aux lois de 2019 et de 2020.

Je vous disais avoir eu la chance de rencontrer nos compatriotes dans près de quarante pays depuis ma prise de fonctions. Chaque fois, j'ai eu des échanges privilégiés avec les conseillers des Français de l'étranger élus sur place. Au total, j'ai pu rencontrer plus de 150 d'entre eux et ces échanges furent très enrichissants.

J'en tire un premier constat : les Français de l'étranger sont, dans leur grande majorité, des compatriotes heureux et passionnés, fiers de leur parcours, de leur vie et de leurs engagements. Ils témoignent cependant d'attentes fortes vis-à-vis de l'Etat. Lors des deux dernières sessions de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), j'ai eu l'occasion de parler d'amour et de preuves d'amour : il faut en effet démontrer à nos compatriotes que, même s'ils sont loin des yeux, ils ne sont pas loin du cœur. Ainsi, après les discours, viennent les preuves, c'est-à-dire l'ensemble des engagements que nous avons pris au cours de ce mandat : la dématérialisation de l'état civil, des procurations et du renouvellement des passeports, mais aussi le pass Culture et le Pass Education, le vote par internet, le statut de résidence de repli, la reconnaissance des entrepreneurs français à l'étranger... Tels sont les chantiers sur lesquels je me suis engagé et auxquels j'en ajoute un autre, important : la consultation sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, qui fera l'objet d'une communication le 3 juillet prochain et qui s'appuie sur un extraordinaire réseau de 567 établissements. Je visite ces établissements au cours de mes déplacements ; ils offrent d'incroyables conditions d'enseignement aux enfants de nos compatriotes et contribuent au rayonnement de la France en accueillant l'élite du pays. Nous souhaitons doubler les effectifs d'ici à 2030.

Le contexte est aussi celui du réarmement du ministère des affaires étrangères. Après trente ans de diète, les crédits sont de nouveau en hausse et croîtront de 20% d'ici à 2027, pour atteindre 7,9 milliards d'euros, ce qui représente 700 emplois supplémentaires. Nous avons donc pu lancer, dès cette année, le réarmement des consulats, pour renforcer ce service de proximité, qui constitue le premier service public pour les Français de l'étranger.

Venons-en au cœur du sujet, c'est-à-dire à la relation de confiance, cruciale, qui se tisse au quotidien entre les administrations et les élus. Au-delà des dispositions légales, ce sont avant tout les rapports humains existant entre les élus et l'administration consulaire qui permettent de bâtir cette confiance. La loi a fixé un cadre, et, dans l'immense majorité des cas, la complémentarité entre les élus et l'administration prévaut. Au cours de mes différents déplacements, je n'ai pas constaté de tensions entre les conseillers des Français de l'étranger et les consuls, même si l'on m'en a rapporté dans d'autres pays. Globalement, la satisfaction de part et d'autre l'emporte aujourd'hui, dans la mesure où les compétences de chacun sont bien définies. Je me réjouis de cette situation. Les conseillers des Français de l'étranger, qui président désormais les conseils consulaires, sont associés très en amont et l'ordre protocolaire est respecté au cours des cérémonies.

À mon niveau, je m'efforce aussi d'associer les conseillers de Français de l'étranger, notamment ceux qui siègent à l'AFE. Lors de la dernière session, j'ai saisi celle-ci de sujets d'ordre culturel et éducatif, sur le fondement de l'article 12 de la loi de 2013. Je crois que c'était la première fois que cet article était mis en application. J'ai pour cette assemblée le plus grand respect et je lui accorde un rôle prééminent de conseil sur la conduite des politiques concernant les Français établis hors de France. À mes yeux, cette complémentarité entre l'AFE et le ministère fonctionne bien.

J'ai également renforcé la sollicitation des élus sur des groupes de travail et sur des consultations nationales. Je me suis engagé à ce que 100% des résolutions adoptées par l'AFE reçoivent une réponse. De plus, j'ai œuvré pour maintenir un dialogue tout au long de l'année, y compris hors session, par l'organisation de réunions avec la présidente et le bureau de l'AFE, ce qui a permis d'assurer un suivi des résolutions et recommandations de l'assemblée. Enfin, j'ai pris l'engagement d'assister non seulement à la séance inaugurale de la session, mais également à sa clôture afin d'écouter les recommandations de l'assemblée et d'y répondre immédiatement. Je suis ainsi en mesure d'exposer mes engagements mais aussi de faire preuve de pédagogie sur les contraintes susceptibles de rendre difficile l'application de certaines propositions.

Je souhaite aussi faire évoluer régime indemnitaire des conseillers à l'AFE. Il me semble important de réévaluer ce régime indemnitaire, inchangé depuis presque dix ans, alors même que les indemnités des élus locaux et nationaux sont indexées sur le point d'indice de la fonction publique qui, lui, av fait l'objet de réévaluations. J'ai aussi souhaité faire évoluer la prise en charge des frais de déplacement.

Au sujet des élections législatives partielles, je me félicite de la résolution des différentes contraintes rencontrées lors des votes par internet. Nous avons été confrontés à des obstacles techniques importants qui relèvent des compétences non de l'administration mais des opérateurs locaux de téléphonie. Pour sécuriser ce vote par internet et, en particulier la transmission des codes aux électeurs, nous avons mis en place un système de substitution qui a donné satisfaction et qui a permis à la quasi-totalité des personnes qui rencontraient des difficultés techniques de voter.

Globalement, la loi du 22 juillet 2013 me semble être un succès. Elle est plébiscitée par les conseillers des Français de l'étranger et par les conseillers à l'AFE. Elle est aussi saluée par les différents consuls que j'ai rencontrés sur le terrain, qui jugent son application actuelle fluide. Bien entendu, quelques améliorations peuvent lui être apportées, mais elle a permis une meilleure représentation des Français de l'étranger, une meilleure considération de leurs élus et une plus grande proximité entre nos compatriotes de l'étranger et leurs représentants, dans leur circonscription ou à l'AFE. Je souhaite, à cet égard, remercier le législateur.

(...)

R - Je suis d'accord avec le sénateur Christophe-André Frassa : on peut écrire ce que l'on veut dans la loi, mais c'est le rapport humain qui en permet la bonne application. Sans volonté, le meilleur texte du monde ne produira pas de solution optimale.

Je me suis rendu dans une quarantaine de pays et, au travers de mes échanges avec les consuls et les conseillers des Français de l'étranger, j'ai eu l'impression que les choses se déroulaient en bonne harmonie. Bien sûr, il y a toujours des contre-exemples.

C'est la raison pour laquelle je partage votre sentiment : il faut sensibiliser les consuls au rôle des conseillers des Français de l'étranger. Nous le faisons notamment pendant les journées consulaires qui se déroulent cette semaine à Paris, via des sessions de sensibilisation. C'est à chaque fois l'occasion de rappeler la considération que l'on doit avoir pour les élus de la République - depuis plus de vingt-deux ans, je suis moi-même un élu local - et je fais ce rappel de la même manière au sein de l'AFE.

Doit-on donner à l'AFE, au-delà des compétences de conseil, de résolution ou de recommandation, des compétences de décision qu'elle n'a pas aujourd'hui ? Il faudrait alors regarder à quel niveau se situerait cette instance intermédiaire et sur quelles compétences elle empiéterait. Prenons un exemple qui vous concerne directement : nous recevons parfois de la part des élus de l'AFE des demandes pour obtenir des prérogatives de contrôle, qui, comme le prévoit la Constitution, appartiennent exclusivement aux assemblées parlementaires. Celles-ci contrôlent l'action du Gouvernement, qui est responsable devant le Parlement et dispose de l'administration. Comment s'exerceraient dès lors les compétences de contrôle de l'AFE par rapport à celles des assemblées parlementaires ?

Si nous lui donnions des capacités décisionnaires, comment cela fonctionnerait-il d'un point de vue juridique, notamment par rapport aux compétences du pouvoir exécutif ?

Aujourd'hui, la représentation des Français de l'étranger n'est pas adossée à un établissement public, si bien que nous ne nous situons pas dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, qui permet la dévolution de compétences aux collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation. Cela ouvre donc un débat juridique auquel je ne suis pas fermé d'emblée, mais qui nécessite d'étudier ce partage des compétences et son articulation avec notre logique constitutionnelle, en gardant à l'esprit que la dévolution de compétences se fait aujourd'hui par la décentralisation ou la déconcentration, avec des mécanismes de contrôle constitutionnels.

Je souhaite réévaluer les indemnités des conseillers des Français de l'étranger. Leur mandat est bénévole et, à ce titre, compensé par la prise en charge des frais de déplacement, de restauration et d'hébergement. Si j'instaure une indemnité propre pour cette assemblée qui, comme je le disais, n'entre pas dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, j'ouvre le débat sur les représentations parlementaires au sein des organisations internationales, à savoir les assemblées parlementaires du Conseil de l'Europe, de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),pour lesquelles les mandats sont également bénévoles.

Je me suis cependant engagé à actualiser le forfait qui couvre les déplacements des conseillers siégeant à l'AFE et à mettre en place un système d'avances, notamment pour les conseillers qui viennent de l'autre bout du monde. Le prix des billets d'avion, même en classe économique, peut dépasser plusieurs milliers d'euros. Dans la mesure où l'avance se fait sur la trésorerie personnelle des élus, avec des remboursements qui interviennent plusieurs semaines plus tard, cela peut être un obstacle à l'exercice du mandat. J'ai également ouvert le débat sur la prise en compte des frais réels et sur la manière de les prendre en charge.

Monsieur le sénateur Leconte, concernant le problème de l'articulation entre les circonscriptions consulaires et les circonscriptions électorales, je n'ai pas d'opinion tranchée, car ce problème n'est jamais remonté jusqu'à moi depuis ma prise de fonction. Je suis prêt à l'examiner avec vous.

(...)

R - Même si je n'ai pas été saisi de ces sujets, que ce soit par des élus sur le terrain ou par l'administration, je suis prêt à y travailler. Concernant les élections, vous souhaiteriez mettre en place une commission de propagande nationale.

(...)

R - Nous avons commis des magistrats dans chaque préfecture pour connaître des élections dans une dizaine de circonscriptions. Dans le cas des Français de l'étranger, cette commission s'occuperait de 130 circonscriptions, ce qui est beaucoup. L'administration s'y oppose car cela aurait pour effet de ralentir les processus.

Q - Cela éviterait des élections partielles.

R - Je n'en suis pas certain. En effet, il me semble qu'une commission de propagande est chargée de l'examen formel du résultat d'une élection, autrement dit, elle juge la bonne application du code électoral. Elle n'est donc pas chargée du fond de l'élection.

Je précise que si nous avons eu trois annulations d'élections législatives, deux seulement sont dues au vote par Internet. Sur les deux annulations en question, le prestataire n'est pas en cause. Le problème que nous rencontrons est lié à l'envoi de SMS et à la réception d'un code pour accéder au système et voter. Pour tout cela, nous dépendons d'un opérateur téléphonique, plus ou moins performant selon le pays dans lequel ces communications ont lieu. J'ai demandé que l'on puisse passer par d'autres systèmes, comme WhatsApp ou Signal, mais l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) n'a pas jugé ces processus suffisamment sécurisés et n'a donc pas donné son accord.

De la même manière, pour les élections partielles, j'ai souhaité modifier le système en proposant d'envoyer ces éléments par mail ou d'utiliser une messagerie sécurisée. Ces deux moyens ont également été rejetés par l'ANSSI au titre des enjeux de sécurité et de fiabilité du vote.

(...)

R - Les chiffres montrent malgré tout que le vote électronique a permis d'accroître les taux de participation par rapport au vote à l'urne ; je ne parle certes pas d'une augmentation de 50%, mais toute augmentation est bonne pour la démocratie !

Je partage le constat que, en matière de cybersécurité, aucun système ne peut offrir une garantie à 100%. La technologie ressemble au combat permanent entre l'épée et le bouclier : on finit toujours par trouver la faille.

Nous avons tiré les leçons de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en mettant en place des solutions de sécurité parallèles ; il s'agit de centres d'appel à contacter, en cas de difficultés, pour obtenir dans les temps l'identifiant et le code nécessaires au vote. Je remercie les équipes de la DFAE qui ont mis en place cette solution, saluée par les usagers.

Si, pour les élections partielles, j'avais fait fi des recommandations de l'ANSSI et fait appel à un opérateur extérieur comme Meta, dans les délais définis pour les marchés publics, le Conseil Constitutionnel aurait pointé l'introduction d'un biais de sécurité. Il est donc nécessaire d'aborder ces sujets avec le législateur et le juge de l'élection.

(...)

R - Face à ces difficultés, la première recommandation que j'ai reçue était de ne pas recourir au vote électronique, ce qui est évidemment inacceptable. Cela serait perçu comme un retour en arrière qui engendrerait des baisses de la participation aux élections. Parmi toutes les solutions possibles, nous avons donc choisi "la moins mauvaise" ; elle peut évoluer, dans le cadre d'un dialogue auquel je suis favorable. En attendant, je m'efforce de concilier les exigences de sécurité et les attentes légitimes de nos concitoyens.

Concernant le STAFE et votre souhait de lui accorder des compétences d'attribution dans le domaine des bourses scolaires, j'y vois deux obstacles. Le premier, et non le moindre, est un sujet juridique de dévolution de compétences, qui nécessiterait de modifier l'article 72 de la Constitution pour faire des Français de l'étranger une collectivité publique.

Deuxièmement, il y aurait un risque de créer des disparités entre les différentes circonscriptions consulaires. Comment répartir l'enveloppe allouant 2 millions d'euros à ce dispositif : faudrait-il procéder à parts égales ? Ou bien au prorata du nombre d'habitants, lui-même différent du prorata du nombre d'associations, au risque d'écarter des projets faute de moyens ou au contraire de soutenir des projets simplement parce que des enveloppes sont disponibles ? De la même manière, si les bourses scolaires sont attribuées en fonction des circonscriptions, le budget doit être décentralisé.

En tant qu'élu local, je comprends ce principe; cependant, du point de vue de l'application constitutionnelle, juridique et pratique, il n'est sans doute pas optimal.

Enfin, concernant la tutelle de la DFAE, je rappelle que le ministre chargé des Français de l'étranger est un ministre délégué. En tant que tel, il est donc sous la tutelle du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Du point de vue du droit, il ne peut donc pas avoir d'autorité hiérarchique directe en dehors de la tutelle. Du point de vue politique, je souligne que depuis ma prise de fonction le 4 juillet 2022, je n'ai rencontré aucune difficulté avec la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, et que toutes les décisions ont été prises en bonne intelligence. Nous avons une très bonne relation. Par conséquent, votre proposition d'installer une tutelle directe du ministre délégué sur la DFAE, différente de celle du ministre de plein exercice, ne me semble pertinente ni sur le plan juridique ni sur le plan politique.

(...)

R - Concernant les frais réels, il faut modifier la loi de 2013, puisque c'est elle qui prévoit le remboursement au forfait.

Concernant les conseillers des Français de l'étranger, si leurs dépenses de déplacement pour aller à la rencontre de leurs compatriotes dépassent 60% de leur indemnité, ils peuvent en demander le remboursement. Actuellement, un seul conseiller des Français de l'étranger se sert de cette disposition ; j'invite tous les autres à l'imiter. En effet, la démocratie n'a pas de prix mais elle a un coût, qu'il faut, bien entendu, supporter. Il est légitime que les frais que l'on engage dans le cadre des fonctions d'élu soient remboursés.

En ce qui concerne les élections annulées, la loi pourrait prévoir des peines d'inéligibilité en cas de fausses informations diffusées dans la propagande, afin que leurs auteurs ne puissent plus reproduire les mêmes manœuvres.

Quant à la situation du secrétariat général de l'AFE, elle est liée aux moyens internes du ministère, qui connaissent une baisse constante depuis plusieurs décennies. Je m'engage à étudier cela avec la ministre dans le cadre du réarmement du ministère. Si la charge de travail induite le justifie, une personne pourrait être affectée au secrétariat général de l'AFE dans le cadre d'une gestion permanente du service.

(...)

R - Sans pouvoir m'engager sur l'absence totale de difficultés, je vous assure que nous mettrons toute l'énergie et tous les moyens nécessaires pour que ces élections se déroulent sans accroc.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2023