Texte intégral
M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, pour la première fois devant notre commission, la nouvelle secrétaire d'État chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry.
Madame la ministre, votre portefeuille évolue, passant du service national universel (SNU) à la biodiversité : ce changement d'attribution vous conduit par conséquent à intervenir devant nous, ce dont nous nous félicitons.
En matière de biodiversité et de développement durable, notre commission a acquis au cours de ses dix années d'existence une indéniable expertise et un regard acéré sur les enjeux environnementaux. Vous avez devant vous des sénateurs qui ont notamment oeuvré pour faire en sorte que la loi " Climat et résilience " d'août 2021 aboutisse à un cadre normatif ambitieux, réaliste, juste socialement, et promeuve des politiques publiques qui placent les élus locaux et les territoires au centre du jeu, car ce sont les véritables laboratoires de la transition écologique.
À l'occasion de chaque texte soumis à son examen, la commission marque de son empreinte pragmatique les dispositions permettant d'atteindre les objectifs climatiques et environnementaux de notre pays, dans un souci d'équité et de justice sociale, sans rien céder à la nécessaire ambition qui doit caractériser nos politiques publiques en la matière.
Où en sommes-nous aujourd'hui en matière de biodiversité ? La situation n'est guère brillante, en dépit des plans et stratégies mis en oeuvre par les gouvernements successifs : l'érosion de la biodiversité se poursuit à un rythme soutenu et le déclin des espèces est malheureusement une réalité tangible, toutes les études le prouvent, chiffres préoccupants à l'appui. Et il s'agit là d'une mauvaise nouvelle, pour tout le monde.
Un nouveau cadre mondial d'action a été fixé en décembre dernier à l'occasion de la COP15 consacrée à la biodiversité, à laquelle a participé pour la première fois une délégation de la commission composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé, notre ancien collègue Jean-Michel Houllegatte, sans oublier Ronan Dantec. Cette séquence de diplomatie environnementale a permis l'adoption d'un cadre mondial ambitieux et - nous l'espérons - transformateur pour la biodiversité à l'horizon 2030. L'accord de Kunming à Montréal fixe un cap, détermine des objectifs et prévoit une méthode d'évaluation d'atteinte des objectifs afin de corriger les trajectoires si celles-ci ne permettent pas l'inversion de la tendance en matière d'érosion de la biodiversité.
Près d'un an plus tard, où en est la France dans la transposition de ce cadre et le financement de celui-ci ? La Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) a-t-elle été redimensionnée à l'aune de ces nouveaux objectifs ? Les moyens budgétaires alloués aux programmes d'actions sont-ils à la hauteur du défi colossal en la matière ? Quelle est votre feuille de route pour faire de la SNB une stratégie gagnante, contrairement à toutes les précédentes ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la biodiversité. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de me présenter aujourd'hui devant votre commission puisqu'il s'agit de ma première audition en tant que secrétaire d'État chargée de la biodiversité. Il y a une continuité entre jeunesse et biodiversité, avec le passage d'un défi de société, celui de créer de l'unité entre une génération, à un autre, celui de préserver un capital naturel à cette génération.
Je dresserai tout d'abord un état des lieux de la biodiversité, qui est préoccupant. Nous avons la chance d'avoir un patrimoine naturel dont nous pouvons être fiers. Nous avons pris conscience que nous vivons une extinction, le sixième effondrement de masse, qui concerne 12 000 espèces en France. La biodiversité est au fondement de tous les besoins humains. La biodiversité, c'est l'ensemble des vivants, qui rendent un certain nombre de services écosystémiques à titre gratuit. Je pense par exemple à la photosynthèse, à la purification de l'eau, à l'alimentation, à l'absorption des chocs climatiques. La biodiversité est à la fois la victime du changement climatique et une partie de la solution. C'est aussi la préservation d'un patrimoine immatériel, de la beauté des paysages et de nos territoires. Enfin, la biodiversité est un enjeu économique : cet effondrement met autant en cause notre mode de vie, notre santé, que la préservation de notre propre prospérité. Avant d'être élue nationale, je suis avant tout élue locale : nous nous préoccupons tous dans nos territoires de la quantité et de la qualité de l'eau, des zones humides et de l'adaptation au changement climatique qui transforme les paysages à vue d'oeil. Face à ces dérèglements, j'aimerais que l'équivalent du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pour la biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), soit mieux connu du grand public. Elle ne jouit pas encore de la même notoriété. L'IPBES a identifié cinq pressions sur la biodiversité. Par ordre d'importance, ce sont les changements d'usages, sur terre et en mer, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions diverses et les espèces exotiques envahissantes, comme le moustique tigre cet été par exemple.
J'en arrive à votre deuxième question concernant la Stratégie nationale biodiversité (SNB). Elle a pour objectif de stopper l'effondrement, de réduire les cinq pressions puis d'inverser l'effondrement en restaurant la biodiversité. Pour y arriver, nous avons besoin que soient remplies deux conditions : la première repose sur la mobilisation de tous les acteurs car, sans elle, l'action reste partielle et insuffisamment efficace. La seconde condition nécessite le déploiement de moyens dédiés, des moyens financiers historiques, mais aussi des indicateurs de performance. À cette fin, la SNB cherchera d'abord à lutter contre les causes : c'est le sens des projets d'aires protégées, des stratégies de préservation des habitats, des projets de gestion adaptative sur la surexploitation, de la lutte contre la pollution plastique, contre les espèces envahissantes... Le deuxième axe, les mesures de restauration, implique bien plus qu'une simple décision de l'État : il repose également sur la mobilisation des territoires, du bloc communal comme des régions. Ce deuxième axe se concrétise par exemple par le pacte en faveur de la haie avec un objectif de 50 000 kilomètres de haies ou à travers la restauration des zones humides. La France soutient sur la scène internationale des mesures à la fois ambitieuses et mesurables par évaluations régulières, à l'instar de l'accord de Kunming à Montréal que vous avez évoqué ou du règlement européen sur la restauration de la nature.
Pour mobiliser l'ensemble des acteurs, nous avons tout d'abord besoin de travailler étroitement avec les collectivités territoriales. C'est pour cela que cette SNB a prévu une mise en oeuvre territorialisée. Cette territorialisation permettra d'agir au plus près des opportunités et des difficultés. Nous devons également mobiliser les entreprises afin qu'elles puissent connaître leur dépendance vis-à-vis de la biodiversité et l'importance de la gestion de l'eau. Enfin, il est nécessaire d'associer les citoyens. Comme le disait Cousteau, « on aime ce qui nous a émerveillé et on protège ce que l'on aime ». Si on arrive à émerveiller nos enfants avec des aires éducatives, j'ai la conviction qu'on peut aller beaucoup plus loin. Cette territorialisation est à mes yeux la mère des batailles, dans la continuité de la planification écologique, et sera défendue avec Christophe Béchu pendant les COP régionales, qui permettront de mettre en lumière un certain nombre d'enjeux. Il est possible de territorialiser jusqu'à l'échelle communale, avec les Atlas de la biodiversité communale, qui permettent d'apprécier la richesse de la biodiversité locale et ainsi de faciliter les actions en faveur de sa protection. Le problème de financement de cet atlas m'est familier, même si le taux de subventionnement de l'État est parfois porté jusqu'à 80 %. Il y a aujourd'hui plus de communes candidates que de communes accompagnées.
J'en viens au dernier axe : les moyens budgétaires. Ils sont significatifs, avec 10 milliards d'euros supplémentaires mobilisés dans le cadre de la planification écologique tous sujets confondus, dont 1,2 milliard d'euros consacrés plus spécifiquement à la biodiversité, dont 475 millions d'euros pour la mise en oeuvre du plan eau, 400 millions pour la SNB, 300 millions d'euros de reconquête et de reconversion des friches et enfin 100 millions d'euros dédiés à la renaturation. Cette année, 12 600 dossiers ont été déposés dans le cadre de la SNB, pour une enveloppe globale de 12 milliards d'euros.
J'espère que la haute assemblée votera l'augmentation de 500 millions d'euros du " fonds vert ". Le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires finance notamment des projets de renaturation des écoles, permettant de désimperméabiliser les sols et de créer des îlots de fraîcheur.
Je conclurai mon propos en évoquant une bataille qui me tient à coeur, concernant la place et le rôle de la science face au défi du siècle. Aujourd'hui nous avons besoin d'indicateurs, de science participative, de vulgarisation, et non pas d'opposer progrès et préservation. C'est pourquoi nous avons besoin de faire évoluer la gouvernance. C'est tout le travail qui est mené de manière interministérielle avec une structure inédite, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), qui met du « vent dans les voiles » et peut changer la donne. Sur les questions de jeunesse, l'interministérialité était plus difficile au quotidien. Le SGPE joue un rôle de facilitateur des échanges, grâce aux rencontres régulières qui sont organisées. Pour parvenir à une stratégie qui tienne la route, nous avons misé sur la co-construction. Nous avons reçu les avis des quatre instances qui ont été saisies : le Comité national de l'eau, le Conseil national de la mer et des littoraux, le Conseil national de la protection de la nature et enfin le Comité national de la biodiversité qui réunit à lui seul 143 membres. Nous avons ainsi pu promouvoir une vision globale, qui a enrichi la version définitive qui sera présentée d'ici quelques semaines.
En conclusion, la situation du vivant exige des actions d'ampleur, des moyens budgétaires nouveaux et substantiellement augmentés - ce qui est le cas avec le projet de loi de finances pour 2024 - mais pour réussir, nous avons surtout besoin de l'engagement de l'ensemble des élus et des acteurs.
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité. - Comme l'a indiqué le président Longeot dans son propos introductif, j'étais membre de la délégation de la commission qui a participé à la COP15 biodiversité à Montréal en décembre dernier. Cette COP s'est conclue par l'adoption d'un nouveau cadre mondial pour la biodiversité, avec 23 cibles et une feuille de route ambitieuse pour enrayer le déclin de la biodiversité à l'échelle mondiale. Mais il ne s'agit que d'un accord non contraignant : son succès repose in fine sur la mise en oeuvre, par chaque État signataire, des mesures adéquates, adaptées à son cadre normatif, à ses capacités budgétaires et à ses ambitions.
Dans ce domaine comme en d'autres, la France peut jouer un rôle moteur : le crédit de notre pays en matière de diplomatie climatique et environnementale est significatif et il faut travailler à le maintenir. Selon quelle méthodologie comptez-vous décliner les ambitions de l'Accord de Kunming à Montréal dans la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) pour 2030 ? Quelles sont les mesures que vous identifiez comme les plus délicates à mettre en oeuvre ? Une intervention du législateur sera-t-elle nécessaire ?
Je note par ailleurs que le programme 113 porte désormais le financement de la SNB et qu'il a été rehaussé de 264 millions d'euros pour 2024. C'est une évolution qui mérite d'être soulignée, même si les efforts pour réduire les pressions sur le vivant réclament certainement des moyens financiers encore plus significatifs, sans oublier les moyens humains qu'implique nécessairement ce type de politiques publiques.
Certaines mesures ont déjà été mises en oeuvre, notamment la stratégie des aires protégées. D'autres impliquent un étroit travail de concertation avec les acteurs économiques et financiers - je pense au secteur agricole, à la réforme des subventions néfastes à la biodiversité ou l'évaluation des impacts et des dépendances des entreprises vis-à-vis de la biodiversité. Quels sont les objectifs que vous vous fixez en la matière ? Comment associer efficacement la sphère privée aux actions publiques en ce domaine, tout en ayant à l'esprit la compétitivité des entreprises à l'international qu'il ne faut pas pénaliser ?
J'aimerais également évoquer la mise en oeuvre des 53 mesures du plan eau, présenté en mars dernier par le Président de la République. Avant de vous entendre, nous avons écouté nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé qui ont mené les travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau. Ils se sont attachés à proposer des recommandations afin de faire évoluer la gouvernance de la politique de l'eau et améliorer la résilience hydrique de notre pays dans un contexte de changement climatique. Comptez-vous vous inspirer de ces travaux ?
Naturellement, je m'intéresse de mon côté aux mesures du plan eau qui n'ont pas encore été mises en oeuvre : je pense à la tarification incitative de l'eau, l'installation des compteurs avec télétransmissions ou encore la définition d'objectifs chiffrés de réduction des prélèvements dans les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Comment expliquer les retards ? Après les assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et le chantier eau du Conseil national de la refondation (CNR), nous étions en droit de penser que le cycle de concertation, ayant associé tous les acteurs, avait pu lever les points de blocage...
Ma dernière question porte sur la déclinaison du « fonds vert » en faveur de la biodiversité. Je relève avec satisfaction que l'enveloppe globale a été rehaussée à 2,5 milliards d'euros, avec des mesures pour prévenir les inondations, renaturer les villes ou encore recycler les friches. Pourriez-vous nous indiquer si la mécanique de versement des crédits issus de cette enveloppe évoluera ou restera déconcentrée au niveau des préfets ? Par ailleurs, quel bilan faites-vous des actions qui ont bénéficié de financements dans ce cadre ? De nouvelles priorités ont-elles été identifiées par votre ministère ? La subsidiarité du versement des fonds peut-elle être encore améliorée, afin que les élus locaux puissent bénéficier des fonds avec un formalisme minimal ? Le « fonds vert » est un bel outil à condition qu'il soit simple d'accès pour toutes les communes, quelle que soit leur taille. À ce titre, pouvez-vous nous présenter la ventilation des crédits du « fonds vert » en fonction de la typologie des territoires et les réalisations les plus emblématiques en matière de biodiversité ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, vous avez en effet été partie prenante en amont de l'accord de Kunming à Montréal. Les orientations les plus claires et en même temps les plus exigeantes de l'accord concernent l'objectif de 30 % d'aires protégées, en terre et mer, et la réduction de 50 % de l'introduction d'espèces exotiques envahissantes. Des moyens financiers considérables existent : toutes sources confondues, publiques et privées, 200 milliards d'euros par an seront mobilisés. La mise en oeuvre de la directive européenne CSRD sur le reporting de durabilité des sociétés et du reporting financier lié à la nature, la TNFD, présentée lors du Climate Week à New York il y a un mois, incite les fonds souverains à financer plus clairement les mesures en faveur de la biodiversité. Des fonds spécifiques émergent et leur trajectoire est encourageante. L'exercice plus difficile, mais nécessaire, consistera en la diminution des subventions néfastes à la biodiversité, pour laquelle il faudra accompagner des pans entiers de notre économie et particulièrement notre agriculture, en prenant en compte, comme vous l'avez évoqué, la question de la non-distorsion de concurrence, en particulier sur le marché européen. Diminuer ces subventions néfastes nécessite d'associer l'ensemble des secteurs agricoles, pour que cette évolution acquière une dimension européenne et non exclusivement française. Pour aller au-delà des objectifs de l'accord, il faut atteindre 10 % du territoire en protection forte, objectif inscrit dans la SNB, dont 5 % en mer et 5 % dans les zones terrestres. Cela nécessite de nouveaux partenariats dans les territoires, afin d'augmenter le niveau de protection, mais dans le cadre de l'approche française, qui ne consiste pas en la mise sous cloche du territoire, mais implique une coexistence, une cohabitation, en conjuguant activités humaines et protection des espaces, autant en mer que sur terre. Cela implique également de répondre à des enjeux de développement de nos territoires, pour lesquels les attentes sont fortes. C'est pour cette raison que nous avons besoin de diagnostics, de moyens financiers et d'ingénierie. Il manque encore aujourd'hui une brique d'ingénierie plus marquée. Nous y travaillons avec la ministre Dominique Faure pour voir comment mobiliser de nouveaux moyens en ingénierie, notamment au sein de l'ANCT, pour mieux accompagner les élus et leur donner les moyens d'agir de façon transformatrice dans les territoires. Quels que soient les territoires, je constate beaucoup d'envie et de mobilisation, mais également une prise de conscience. L'enjeu est maintenant de réussir à dépasser les contraintes.
Vous avez également parlé, monsieur le rapporteur, des questions liées à l'eau. Je prendrai connaissance du rapport d'information de vos collègues avec beaucoup d'intérêt. Vous avez souligné la question de la tarification incitative. Des communes la mettent déjà en oeuvre. Ce n'est pas à l'État de le décider de façon unilatérale, je suis favorable à la différenciation. La tarification incitative et progressive fonctionne : dans bien des cas, elle permet de diminuer la consommation de l'ordre de 10 %. J'ai demandé à mes services si le déploiement des compteurs connectés pouvait être accompagné financièrement, je suis en attente d'une réponse. La réception d'une facture d'eau unique, en fin d'année, ne permet pas de piloter finement sa consommation d'eau. Cette prise de conscience nécessite aussi la mise en oeuvre de l'équivalent de l'Ecowatt pour l'eau, c'est-à-dire VigiEau. C'est un « petit poucet » qui commence à s'implanter dans la vie quotidienne. Depuis cet été, 1,2 million de visiteurs uniques s'y sont connectés. C'est l'une des premières étapes vers une meilleure gestion, et nous devons promouvoir cet outil auprès du plus grand nombre.
M. Pascal Martin. - Ce matin, c'est en qualité d'ancien rapporteur de la loi « Climat et résilience », promulguée en août 2021, que je m'exprime. Je suis naturellement, comme mes collègues, attaché à la bonne application des dispositions de ce texte, les plus emblématiques, mais également celles qui ont moins fait couler d'encre. J'estime que le suivi de cette loi d'ampleur inégalée est une impérieuse nécessité : après m'être fortement investi pendant plusieurs mois, tout comme mes collègues Philippe Tabarot et Marta de Cidrac, il faut aujourd'hui assurer une veille post-législative, s'intéresser au déploiement de ses mesures dans le temps, tout en contrôlant la manière dont l'État s'emploie à les mettre en oeuvre dans et avec les territoires.
J'avais notamment rapporté l'article relatif à la stratégie nationale des aires protégées (SNAP). Si aujourd'hui l'objectif de mise sous protection d'au moins 30 % du territoire national terrestre et maritime est atteint, nous sommes malheureusement loin du compte pour les aires sous protection forte, dont nous avions fixé la superficie, de façon exigeante, mais nécessaire, à au moins 10 % d'ici à 2030 ; il nous reste donc moins de sept ans pour y parvenir. Quand j'observe les difficultés et les importants retards pour la création d'un douzième parc national dédié aux zones humides, j'ai tout lieu d'être assez pessimiste. Madame la ministre, pourriez-vous m'éclairer sur ce point, en me rassurant sur la trajectoire anticipée par votre ministère pour se conformer aux objectifs fixés par le législateur ?
Comment s'articule la stratégie nationale des aires protégées avec la stratégie en matière de lutte contre l'artificialisation des sols ? C'est d'ailleurs un débat que le Sénat a conduit avec sérieux et pragmatisme, qui a abouti à l'adoption de la loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs zéro artificialisation nette (ZAN) au coeur des territoires. Quel dialogue entretenez-vous avec les territoires pour atteindre l'objectif de décélération du rythme d'artificialisation des sols ?
J'en viens maintenant à l'épineuse question de la continuité écologique, avec son fameux article 19 bis C - devenu article 49 une fois la loi promulguée - relatif aux moulins à eau dont les débats ont été pour le moins houleux, c'est un euphémisme. Aujourd'hui, le régime juridique en matière d'aménagement de seuils sur les cours d'eau est stabilisé, avec l'interdiction de la destruction des ouvrages. La Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) envisage-t-elle de fixer de nouveaux objectifs de restauration de continuité écologique ? Pouvez-vous faire un bilan de la politique publique en la matière ? Comment décririez-vous les relations de l'administration avec les propriétaires de moulins à eau ?
Enfin, j'en viens à la question centrale du financement de la biodiversité, que vous avez évoquée dans votre intervention liminaire. On ne résoudra pas les manques de financement criants avec le « loto de la biodiversité » ni avec une dotation budgétaire toujours insuffisante par rapport aux enjeux. Quelles sont les pistes que vous envisagez pour diversifier les ressources ? La réflexion relative à l'instauration d'une fiscalité écologique suit-elle son chemin ? Quelle est la maturité des discussions en ce domaine, notamment à Bercy, afin de sécuriser des recettes fléchées pour la préservation de la biodiversité ?
M. Stéphane Demilly. - Madame la ministre, nous avons eu le plaisir, avec les maires de Méricourt-sur-Somme et d'Albert, de vous accueillir dans la Somme il y a deux jours afin de procéder au grattage d'un ticket du jeu « Mission nature ». Je salue l'initiative destinée à récolter des fonds pour la préservation de la biodiversité. La biodiversité n'est pas une lubie écologiste, c'est une nécessité afin de préserver le socle sur lequel sont bâties notre société et notre économie.
J'aimerais donc vous interroger sur la mobilisation des entreprises en faveur de la biodiversité, vous y avez fait allusion dans votre introduction. Pour maintenir ses activités, toute entreprise dépend, directement ou indirectement, de la biodiversité, que ce soit pour l'approvisionnement en matières premières, pour la qualité de l'eau ou de l'air ou encore pour les services de régulation. De plus, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) incite les entreprises à réduire les impacts de leur activité sur l'environnement, et donc sur la biodiversité.
Les entreprises prennent de plus en plus conscience de leurs liens avec la biodiversité et souhaitent agir concrètement. Madame la ministre, comment les entreprises de nos territoires peuvent-elles être mieux soutenues dans la mise en oeuvre de plans d'action efficaces en faveur de la biodiversité ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Le Président de la République a proposé de planter un milliard d'arbres durant la prochaine décennie. Pourquoi ce chiffre ? Quels types d'arbres et de plantations sont concernés ? Aujourd'hui, 75 % de la forêt française est privée et possédée par un peu plus de 3 300 000 propriétaires, comment comptez-vous encourager les propriétaires à atteindre cet objectif ?
On compare souvent les différents types de mobilité en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Existe-t-il des études sur le sujet ? Peut-on savoir quel mode de mobilité offre le meilleur rapport entre émission de gaz à effet de serre et protection de la biodiversité ?
M. Cyril Pellevat. - La SNB a pour objectif de réduire les pressions sur la biodiversité et de protéger les écosystèmes. De fait, la protection d'espèces sauvages, tel que le loup, s'inscrit pleinement dans cette stratégie, même si à l'occasion d'un rapport d'information en 2018, j'avais montré que l'arrivée massive du loup dans nos massifs alpins entraînait un recul en matière de biodiversité. Depuis plusieurs années, la population lupine connaît une croissance significative. Le nombre de loups en France a doublé entre 2018 et 2023, passant à 1 104 spécimens. Si la classification du loup comme espèce strictement protégée a permis la protection et le développement de l'espèce, ce classement a également eu de graves conséquences sur le pastoralisme. La croissance du nombre d'individus augmente mécaniquement le nombre d'animaux tués dans les élevages français. Au total, on estime que 58 000 animaux ont été tués par le loup depuis 2018. Au-delà du coût d'indemnisation pour l'État, de l'ordre de 19,5 millions d'euros, ces attaques de plus en plus nombreuses menacent la pérennité de l'élevage français. Dernièrement, le Gouvernement a présenté un nouveau plan d'action sur le loup et les activités d'élevage pour la période 2024 à 2029. Des mesures d'évolution de la protection du loup y ont été exposées. Parmi celles-ci, le Gouvernement envisage de demander le réexamen du statut du loup, d'espèce strictement protégée à espèce protégée, afin de permettre une meilleure régulation de la population.
Aussi, je souhaiterais savoir si cette procédure de réexamen a d'ores et déjà été initiée par le Gouvernement et si vous avez déjà eu connaissance du positionnement de la Commission européenne sur ce sujet, sachant qu'à l'occasion d'une proposition de résolution européenne déposée par ma collègue Sylviane Noël, et dont j'avais été le rapporteur au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, les autorités européennes nous ont opposé une fin de non-recevoir.
Mme Nicole Bonnefoy. - Ma question porte sur les espèces exotiques envahissantes, et plus particulièrement sur le frelon asiatique, qui met à rude épreuve nos apiculteurs. Dans mon département, un apiculteur a perdu quatorze ruches sur un total de dix-sept. Le réchauffement climatique offre des conditions optimales pour le développement de ces colonies, désormais jusqu'à la saison d'automne. Aucun territoire n'est aujourd'hui épargné. Les collectivités essaient de faire ce qu'elles peuvent, avec des moyens limités, mais la lutte n'est pas coordonnée ce qui rend les actions malheureusement vaines.
Vous évoquez, dans l'axe n° 8 de votre stratégie, 500 opérations " coups de poing " d'ici à 2025, visant à réduire de moitié le taux d'implantation des espèces invasives d'ici à 2030. Vous indiquez vouloir mobiliser les collectivités et les autres acteurs dans les zones sensibles. Néanmoins, la fiche n° 10 mentionne que ce programme concernera surtout les espèces en cours d'installation, notamment en outre-mer.
Qu'entendez-vous par opération " coup de poing " ? Le frelon asiatique fera-t-il partie des espèces concernées ? Comment identifierez-vous les espèces sensibles ? Quels moyens financiers votre ministère entend-il déployer pour la mise en oeuvre de cette politique ? Les apiculteurs de mon département et de la France entière attendent des actions fortes en la matière, face aux frelons asiatiques qui ravagent les ruches et qui mettent également en danger notre biodiversité et à terme la pollinisation.
M. Simon Uzenat. - Je souhaite tout d'abord évoquer la question de la réutilisation des eaux usées traitées, sur laquelle vous avez cosigné un décret le 29 août dernier. Il y a un enjeu de taille sur ce sujet en Bretagne, avec la place importante de l'industrie agroalimentaire. Les entreprises de ce secteur sont très volontaires. Il semblerait qu'un certain nombre de textes réglementaires doivent encore être pris sur la réutilisation des eaux traitées. Pouvez-vous nous en dire sur la manière dont vous comptez mobiliser efficacement les entreprises ?
Concernant l'agriculture, parmi les priorités identifiées dans la Stratégie nationale pour la biodiversité figure la transition agroécologique. Il existe à ce titre un outil efficace, les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) de seconde génération. Il se trouve que la France est l'État membre de l'Union européenne qui alloue la plus faible part du second pilier de la politique agricole commune (PAC) au MAEC. Mais surtout, l'État n'est pas au rendez-vous financier ; il manque 300 millions d'euros au niveau national, dont 53 millions pour la région Bretagne, avec 3 000 agriculteurs concernés. Pour les agriculteurs qui se sont engagés sur ces MAEC, la promesse d'un financement assuré par l'État pourrait ne pas être tenue. Les élus et les acteurs économiques au sens large ont joué le jeu pour accompagner la transition écologique. Il ne serait pas compréhensible que l'État ne joue pas son rôle. Plusieurs démarches ont été conduites auprès de différents ministres, en particulier auprès du ministre de l'agriculture. Pouvez-vous nous apporter des garanties sur ce point ?
Par ailleurs, sur l'agriculture biologique, vous fixez l'objectif de 20% de surface agricole utile à l'horizon 2030. Cet objectif est inférieur à l'objectif européen. Comptez-vous réévaluer cette ambition ?
Enfin, sur le respect de la loi " Egalim ", l'État n'est pas à la hauteur des ambitions, il se situe bien en deçà de ce que font les collectivités, en particulier sur les 50% de produits sous signe de qualité servis dans la restauration collective et les 20% issus de l'agriculture biologique. Une mobilisation supplémentaire de l'État pour tenir les engagements du législateur est-elle prévue ?
M. Sébastien Fagnen. - La question du recul du trait de côte occupe de nombreux esprits. Parmi le millier de communes littorales françaises, près de la moitié sont directement concernées à un horizon proche. La présence du ministre de la transition écologique au congrès de l'Association nationale des élus littoraux (ANEL) est un signe évident de la sensibilité de la question. La question du financement a été abondement évoquée et débattue. Un rapport sera remis au ministre pour accompagner autant que possible les collectivités face à cette tâche d'ampleur - pour ne pas dire titanesque. Si l'essentiel de nos efforts aujourd'hui se concentre sur la question de la relocalisation des biens, ce qui est une évidence au regard de la sensibilité particulière de ces questions foncières, qui ont également une dimension humaine, parce qu'il est question d'habitat, la question du traitement des espaces renaturés se pose également. Un axe de réflexion est-il prévu au sein de la Stratégie nationale biodiversité sur la restauration et l'accompagnement de ces espaces afin de restaurer la continuité écologique ?
Mme Marta de Cidrac. - Madame la ministre, vous avez évoqué dans votre propos liminaire les principales mesures de la Stratégie nationale biodiversité. Je voudrais revenir plus spécifiquement sur la mesure relative à la lutte contre la pollution plastique et l'enjeu de résorber 94 décharges littorales. Comment comptez-vous, de manière opérationnelle, vous y prendre pour la résorption de ces décharges ?
J'ai été effarée de découvrir par des articles de presse qu'il reste des communes, certes non littorales, qui continuent de déverser leurs déchets dans la nature sans traitement. Je pense à une commune qui depuis dix ans déversait ses déchets dans le Var sans pour autant que cela ait suscité une quelconque interrogation. Ce sont des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) qui ont découvert cette situation à l'occasion d'un contrôle tout à fait impromptu.
Vous vous êtes réjouie, madame la ministre, de l'augmentation du budget dédié à la biodiversité. Je pose également la question de l'efficacité. Comment comptez-vous garantir l'efficacité de l'action de l'État et de ses opérateurs ? Je pense notamment à l'accompagnement des communes pour réussir ce défi collectif. Vous avez évoqué le " fonds vert " et le manque d'ingénierie du " dernier kilomètre ". Je viens d'un département, les Yvelines, où l'ANCT est pour ainsi dire absente, puisque le département et la région sont les réels accompagnateurs de nos communes. Je sens une forme de volonté de votre part, toutefois je souhaite m'assurer que les fonds publics bénéficieront bien aux communes. Ce n'est pas toujours évident de connaître les critères d'attribution des différents fonds, il faut parfois se battre pour que nos communes soient correctement accompagnées.
M. Jean-Claude Anglars. - Vous le savez, madame la ministre, la préservation de la biodiversité passe également par une agriculture efficiente et forte, notamment en zone de montagne. Dans le journal le Monde, vous avez défendu l'idée que la hausse de population des loups justifiait qu'on lâche du lest sur la procédure et qu'on soit plus efficace sur les tirs d'effarouchement et de prélèvement. Cela nous a beaucoup intéressés, j'aimerais savoir l'état de vos réflexions sur ce sujet.
Ma deuxième question porte sur le rat taupier. Ce ravageur sévit essentiellement dans le Massif central. C'est un campagnol terrestre qui menace les prairies, il détruit les racines et les herbes nécessaires à l'élevage. C'est donc un fléau, nous avons interrogé plusieurs fois le ministre de l'agriculture sur la question, j'aimerais connaître votre avis.
M. Fabien Genet. - D'un fléau à l'autre, je reviens sur la question du loup évoquée par mon collègue Cyril Pellevat, pour appuyer et compléter son intervention. Appuyer pour dire combien cette pression du loup est de plus en plus prégnante. En 2018, 38 départements étaient concernés, aujourd'hui 53 départements le sont, dont la Saône-et-Loire qui est un des nouveaux fronts de colonisation, avec des prédations qui se multiplient, touchant à la fois des brebis, des agneaux, des béliers, mais aussi des broutards, il y a donc une évolution vers les attaques sur les bovins. Il y a quelques jours, 13 brebis se sont jetées à l'eau pour échapper au prédateur. Au-delà des impacts sur le bien-être animal, auquel nous sommes tous sensibles, lorsqu'on voit les dégâts causés par le loup, on se pose un certain nombre de questions. Je rappelle les dommages causés aussi aux éleveurs, qui vivent dans l'angoisse des attaques de leurs troupeaux, qui réduisant parfois à néant le fruit de leur travail.
Je partage l'interrogation de Cyril Pellevat quant à votre position sur le changement de statut de protection de l'espèce. J'aimerais également connaître votre position concernant la méthode de comptage des spécimens au niveau national et européen, la problématique des tirs de prélèvement, mais également tout ce qui concerne les moyens de protection. Il y a beaucoup d'interrogations de la part des éleveurs sur le statut des chiens patous. En Saône-et-Loire, il faut prendre en compte les spécificités du territoire bocager qui rendent très difficiles les mesures de protection.
Vous évoquiez dans votre propos liminaire la beauté des paysages. En Saône-et-Loire également, nous sommes très en pointe sur ce sujet. Le Pays Charolais-Brionnais souhaite inscrire le paysage de l'élevage charollais au patrimoine mondial de l'UNESCO. La valeur universelle de ce patrimoine a déjà été reconnue, nous arrivons dans la dernière ligne droite. Avec les élus du département, nous serions heureux de vous compter à nos côtés pour défendre cette très belle candidature.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Vous m'avez dit, monsieur le président, que la commission était exigeante sur les questions de biodiversité, le nombre et la qualité des questions posées confirment vos propos.
Monsieur le sénateur Pascal Martin, vous m'avez interrogé à propos du douzième parc national. La durée de mise en oeuvre et les difficultés rencontrées sont l'illustration d'une incompréhension profonde quant au statut de parc naturel, des contraintes attachées au classement et l'éventualité d'une perte de pouvoir local. Le dernier rapport d'inspection mettait en avant trois territoires sur les 18 identifiés par la mission de préfiguration : la Camargue, la Loire et la Guyane. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas de territoire volontaire. Aucun territoire ne déclare être prêt à accueillir un parc national. Nous avons aujourd'hui l'opportunité d'assurer que ce nouveau parc national, prévu par la stratégie nationale biodiversité, soit une chance pour le territoire qui va l'accueillir : une protection qui conduit à des moyens financiers supplémentaires pour préserver les paysages et les espèces. Je suis confiante sur les prochaines semaines.
Concernant la stratégie de protection renforcée, nous devons effectivement suivre une trajectoire ambitieuse, avec le passage de 1,2% du territoire sous protection forte à 10%. Pour y arriver, nous devons identifier un zonage à parts égales entre terre et mer. L'objectif est de classer en protection forte l'intégralité des massifs coralliens et des herbiers de posidonies pour le sud de la France en Méditerranée. La réussite dépendra de la qualité de la relation avec les élus locaux.
Vous avez également souligné un point important, à savoir la question de la continuité écologique et des moulins à eau. Le Parlement s'est exprimé au sujet des moulins, se pose aujourd'hui la question de l'accompagnement des seuils. La propriété privée est aujourd'hui inscrite dans nos textes les plus importants. Cependant, nous devons accompagner cette continuité avec un travail de concertation et de dialogue au plus proche du terrain. Faisons la distinction entre les seuils et les moulins proprement dits et appuyons-nous sur tous les moyens à disposition, comme les passes à poisson, qui représentent un coût énorme, mais ne constituent qu'un élément de la réponse.
Vous avez souligné la nécessité de diversifier les ressources. Si on va au bout de la démarche et de la logique, il faut des moyens nouveaux, y compris du monde privé. Il faut également baisser les subventions néfastes à la biodiversité. Enfin, pour répondre au besoin de diversification des ressources, il faut créer un crédit biodiversité. C'est la question qui est posée actuellement à Sylvie Goulard, avec nos homologues britanniques, pour lever des fonds en faveur de la biodiversité.
Enfin, puisque cela constitue une transition idéale avec l'intervention de Stéphane Demilly, le Loto de la biodiversité n'est pas l'alpha et l'oméga du financement de la biodiversité. Les questions d'addiction ont été travaillées avec la Française des Jeux. Nous nous appuyons sur les résultats du Loto du patrimoine en termes de mobilisation. Les six millions d'euros qui seront dégagés ne représentent pas une trajectoire budgétaire. Ce Loto a une visée pédagogique plutôt qu'une finalité budgétaire. Je ne souhaite pas donner à croire que la biodiversité est soutenue uniquement par le Loto.
Vous m'avez demandé, monsieur le sénateur Stéphane Demilly, comment nous pouvons mobiliser les entreprises. La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) devrait être transposée avant la fin de l'année. Il faudra être vigilant pour assurer son application dès l'année prochaine aux entreprises de plus de 500 salariés puis dans un second temps aux entreprises de plus de 250 salariés dès l'année suivante. En réalité, toute la chaîne de production et de valeur sera touchée. Pour y arriver, nous travaillons conjointement avec un certain nombre de filières pour faciliter sa mise en oeuvre. Concrètement, les entreprises devront satisfaire des obligations de déclarations extra-financières permettant de clarifier leur dépendance aux écosystèmes naturels. Aujourd'hui, nous avons encore un retard et des lacunes en termes de connaissances. Il ne faut pas oublier également nos petites entreprises et nos artisans. Il existe aujourd'hui un programme porté par l'Ademe et la Banque des territoires pour accompagner un outil qui serait plus accessibles pour les TPE et les PME en leur permettant de s'autodiagnostiquer et ainsi de baisser leur dépendance. Enfin, la Banque de France, dans le cadre du réseau des banques centrales européennes, se mobilise. Les premières hypothèses seront publiées en novembre, afin d'identifier, par un stress test, les risques sur notre économie et nos secteurs, sachant que les premiers secteurs identifiés seront l'alimentation. La question de l'eau est également centrale pour qualifier et mieux cerner cette dépendance.
Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, vous avez évoqué l'objectif de planter un milliard d'arbres d'ici 2032 et le fait que 75% de notre forêt est privée. Cet objectif s'appuie en effet sur la mobilisation des partenaires fonciers privés. En France, on plante entre 50 et 60 millions d'arbres. L'objectif implique de doubler cet effort en plantant au moins 100 millions d'arbres par an. C'est un effort de renouvellement des générations, alors que les forêts françaises subissent des attaques dévastatrices de scolytes, ainsi que des morts subites imputables au dérèglement climatique, auquel nos essences n'arrivent pas à s'adapter. Nous avons vocation à accompagner les propriétaires qui le souhaitent. Le plus difficile peut-être est le morcellement de la forêt, avec de petits propriétaires qui pour un certain nombre le sont devenus par héritage, sans avoir conscience de leur propriété. Il est certain qu'il faut accompagner les propriétaires pour garantir la préservation de la forêt. Nous travaillons avec l'Office national des forêts (ONF) et un certain nombre d'experts pour remonter des essences du sud vers le nord pour favoriser l'adaptation des écosystèmes forestiers au dérèglement climatique.
Vous avez également posé la question de l'impact des mobilités sur la biodiversité ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous choisissons de ne pas opposer décarbonation et biodiversité, qui sont des combats jumeaux. Dans le cadre de la Stratégie nationale biodiversité, nous essayons de résorber les difficultés de continuité écologique liées à la transition écologique et d'accompagner le ministre des transports dans l'électrification de la flotte ou encore dans le développement de transports en commun moins énergivores.
Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, vous avez posé la question du loup. À ma connaissance, aucune nouvelle demande relative au statut du loup n'a été présentée, à la suite de la déclaration de la présidente Ursula von der Leyen. Au niveau national, la préfète coordinatrice a présenté le plan national d'action sur le loup et les activités d'élevage aux acteurs il y a quelques semaines. La consultation publique sur ce plan loup débutera dans les prochains jours. Le loup reste aujourd'hui une espèce strictement protégée. Ce qui est certain, c'est que la dynamique démographique est réelle. La question de la viabilité de l'espèce est désormais acquise sur notre territoire, mais la viabilité génétique ne l'est pas encore. La question de la viabilité génétique devra être levée avec nos voisins frontaliers sur l'arc alpin. Je ne présage pas de la réponse à cette question. Il ne faut cependant pas supposer que le changement de statut du loup conduirait à la fin de toute protection de l'espèce : il reste d'autres modalités de protection au niveau international et européen. Le plan national présenté se veut équilibré. Le calendrier européen sur ce sujet n'est pour l'instant pas précisé. Les prochaines échéances électorales européennes entraîneront peut-être une accélération de ce calendrier.
Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, le frelon asiatique fait aujourd'hui des dégâts absolument partout. Nous avons un plan d'action et des moyens budgétaires plus que renforcés pour répondre à un certain nombre de conséquences et d'enjeux. Le frelon asiatique figure bien parmi les priorités portées aujourd'hui par le ministère. Nous attendons les conclusions d'un rapport d'inspection, permettant de déterminer de manière opérationnelle les 500 missions « coups de poing », qui seront menées avec les collectivités territoriales. Beaucoup de communes ont rencontré des difficultés avec les moustiques tigres cet été, avec des conséquences sur la santé des habitants. Nous travaillons avec la ministre Agnès Firmin-Le Bodo sur ce sujet. L'objectif est de coordonner les travaux entre nos deux ministères. Plus de 800 000 euros supplémentaires sont mobilisés, via les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), pour financer ces actions.
Monsieur le sénateur Simon Uzenat, sur la question de l'eau, un premier décret relatif à la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) a été rendu public le 29 août dernier, il concerne principalement les questions de voiries. Nous avons, dans la stratégie nationale biodiversité, l'objectif de 1 000 projets de REUT, alors qu'on est à peine à 1 % d'utilisation. Deux décrets paraîtront prochainement : le premier concerne l'utilisation pour l'agroalimentaire, il permettra aussi au monde industriel d'utiliser plus d'eau en circuit fermé et d'accompagner l'objectif de sobriété et de 10 % de consommation d'eau en moins. Le deuxième décret sera relatif aux usages domestiques, il est prévu pour le moins décembre. Il permettra à un certain nombre de collectivités d'utiliser par exemple de l'eau de pluie dans les sanitaires.
Vous m'avez également interrogée sur plusieurs points relatifs à l'agriculture. Nous allons renforcer les MAEC dans le cadre de la Stratégie nationale biodiversité. Cela reste un domaine dans lequel nous pouvons mieux faire et que nous continuons d'expertiser avant de détailler cette stratégie aux acteurs. Sur la question du positionnement de la France sur le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) et d'un manque de 300 millions d'euros au niveau national, je ne dispose pas de cette information et je me rapprocherai du ministère de l'agriculture pour vous apporter une réponse.
Monsieur le sénateur Sébastien Fagnen, vous m'avez sollicitée sur la question du recul du trait de côte. Sur le risque de submersion, nous travaillons étroitement avec Yannick Moreau, président de l'ANEL. Le ministre Christophe Béchu y est également sensible. Je serai vigilante concernant la problématique de la submersion de décharges, qui pourrait avoir des conséquences dramatiques.
Madame la sénatrice Marta de Cidrac, vous avez également évoqué ce problème de pollution, dont l'identification est parfois malaisée. J'ai été comme vous particulièrement touchée par l'identification de situations problématiques au cours d'un contrôle inopiné. Je souhaite profiter de l'opportunité pour saluer le travail des agents de l'OFB, leur mission a vocation à être mieux connue, mieux accompagnée et mieux concertée avec les élus locaux pour maximiser leur efficacité. Après l'incendie de l'antenne de l'OFB à Brest, nous avons ensuite identifié 2,5 tonnes de déchets dans les forêts des Monts d'Arrée. La question des pollutions et des manières de les résorber est donc aujourd'hui absolument cruciale.
Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, je n'ai pas connaissance des dégâts causés par les rats taupiers. Ce qui est certain, c'est que les haies favorisent ces prédateurs, il faut être vigilant dans le cadre de l'élevage. Les solutions fondées sur la nature consistent à favoriser les rapaces prédateurs qui permettraient de lutter contre cette prolifération. Je n'ai cependant pas d'expertise spécifique au rat taupier qui pourrait éclairer les travaux de la commission.
Vous avez également posé la question des modalités de tir. Elles ont été travaillées avec les louviers. La règle ne change pas : pas de tir sans attaque. Cependant, en raison de la dynamique démographique positive, il était nécessaire de faire évoluer les équipements des louvetiers, par exemple en lunettes nocturnes. La doctrine d'intervention reste une réponse de défense a posteriori. Les questions des modalités de tirs et des tirs groupés restent ouvertes, dans le respect du statut du loup, afin de permettre aux éleveurs de faire face à l'essor démographique du loup.
Monsieur le sénateur Fabien Genet, vous m'avez également interrogée sur le loup. Le plan loup s'intéresse au statut du patou. La responsabilité pesant aujourd'hui sur l'éleveur peut paraître disproportionnée compte tenu de la nécessité d'adapter les mesures de protection au dynamisme démographique de l'espèce. Les travaux sur le statut du patou sont concertés avec le ministère de l'agriculture, tout comme la question du front de colonisation, notamment par des loups solitaires. Plusieurs départements jusqu'alors épargnés subissent l'arrivée des loups. Au moment où l'on se parle, la protection n'est pas optimale dans certains territoires, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour s'adapter à cette menace nouvelle pour l'élevage. Le plan loup comprend donc une partie sur de nouvelles expérimentations, qui vont du létal au non létal. La philosophie française n'est pas de créer des zones libres de loup et des zones occupées, c'est plutôt de protéger au maximum, même si à certains endroits, comme la zone autour de Roquefort, la protection n'est pas possible en l'état. La politique de protection doit aussi prendre en compte la question des appellations d'origine protégée (AOP) et de la double prédation du loup et de l'ours. La réponse doit être territorialisée. Je serai évidemment aux côtés de votre territoire pour la mise en valeur du beau patrimoine charollais.
M. Michaël Weber. - Vous avez évoqué, madame la ministre, en parlant du Comité national de la biodiversité (CNB), l'importance des indicateurs de suivi et de mesure. Lors de mon intervention au CNB en tant que président de la fédération des parcs naturels régionaux de France, j'ai souligné l'importance d'effectuer un bilan de l'impact des choix stratégiques qui ont été faits.
Vous avez parlé de territorialisation, je pense que c'est en effet important : la prise en compte de l'impact sur les territoires et la traduction concrète de cette Stratégie nationale biodiversité sont essentielles. Il y a une multitude de gestionnaires des aires protégées : sur les territoires nous avons les parcs nationaux, les réserves naturelles, les conservatoires d'espaces naturels, les grands sites de France, les parcs naturels régionaux et d'autres outils de protection de la nature, qui sont en réalité le dernier maillon de la mise en oeuvre de cette politique, vers lesquels des moyens devront être fléchés.
La question de la cohérence de la politique se pose également. On ne peut pas valider simplement la stratégie si dans le même temps on constate que le solde entre arrachage et plantation de haies reste négatif. C'est la même chose en ce qui concerne l'utilisation de produits phytosanitaires.
Enfin, vous avez évoqué le projet de création d'un douzième parc national consacré aux zones humides. La mise en oeuvre de ce projet ne va pas de soi, nous avons tous en mémoire le parc national de forêts, pour lequel l'acceptabilité politique et sociale n'a pas été suffisamment travaillée avec les territoires, dans le cadre d'une démarche de contractualisation associant les élus locaux et les habitants. La décision a été prise unilatéralement, alors que les territoires concernés considéraient que la dot était insuffisante pour procéder au mariage.
Je souhaite aussi évoquer les potentiels conflits entre zone d'accélération des énergies renouvelables et espaces naturels. J'ai une inquiétude de ce point de vue : certains élus veulent notamment utiliser les espaces naturels pour l'installation de panneaux photovoltaïques.
Concernant le Loto de la biodiversité, je suis assez sceptique. On parle de la sixième extinction de masse, la vie n'est pas un jeu. Je comprends bien qu'il s'agit d'une manière de dégager des moyens, mais je n'approuve pas l'image qui est donnée de la biodiversité sur notre belle planète.
M. Jacques Fernique. - Depuis le Grenelle de l'environnement, les pouvoirs publics poursuivent le même objectif, stopper puis inverser l'effondrement du vivant en une décennie. Nous n'y arrivons pas. Il ne s'agit pas avec cette stratégie de refaire ce qui n'a pas marché. En ce sens, les avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN) et du Comité national de la biodiversité (CNB) sont précieux. J'y trouve des préconisations qui se déclinent en trois axes : des outils juridiques adéquats, des financements sécurisés et un déploiement concret dans les territoires. Sur les outils juridiques, la stratégie pourrait peut-être être adossée à la Charte de l'environnement ou à un texte législatif. Mais surtout, la stratégie doit ensuite être déclinée et mise en oeuvre par un texte réglementaire. Mes collègues ont déjà abordé beaucoup de ces axes. Sur l'articulation dans les territoires, nous parlions d'un troisième document qui déclinerait ces mesures à une échelle plus fine, mais à ma connaissance il n'existe pas. Le Comité national de la biodiversité n'a pas encore vraiment commencé à travailler sur cette articulation entre le national et le régional. Comment déployer, concrètement et efficacement, cette politique dans les territoires ?
M. Hervé Gillé. - Dans le prolongement de l'intervention de Jacques Fernique, la planification écologique, et plus particulièrement la stratégie nationale pour la biodiversité, ne peut réussir qu'en s'appuyant sur une décentralisation éclairée et en misant sur l'intelligence des territoires. Comment cette politique est-elle aujourd'hui déclinée au niveau des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) ? Comment la complémentarité avec les Agences régionales de la biodiversité (ARB) est-elle mise en oeuvre ? Et comment retrouve-t-on ces objectifs dans les politiques contractuelles ? Il faut redonner du sens et des objectifs mieux partagés à un certain nombre de contrats qui existent déjà, comme le plan climat air-énergie territorial, qui pourrait inclure un volet biodiversité et en les inscrivant dans une planification de type SCoT, par exemple, là où c'est possible. Cela permettrait une réelle vision à l'échelle des territoires. Quelle est votre vision sur la planification, la contractualisation et la déclinaison à l'échelle des territoires ?
Il y a également de fortes interrogations sur la qualité des compensations. Comment évalue-t-on l'efficacité des compensations dans le temps ? C'est un élément primordial dans la stratégie pour la biodiversité.
Mme Audrey Bélim. - Les outre-mer abritent une part prépondérante de la biodiversité française et sont finalement les espaces les plus exposés aux risques naturels et au dérèglement climatique. Les prévisions du GIEC relatives aux territoires ultramarins sont alarmantes. Comme les sénateurs concernés l'avaient rappelé durant l'examen de la loi " biodiversité " de 2016, les outre-mer sont singuliers par rapport à l'hexagone, mais chacun a également ses particularités. Fort de ce constat et grâce à une forte mobilisation des élus ultramarins, l'organisation territoriale de l'OFB a conduit à une régionalisation par bassin. Les contributions ultramarines à la Stratégie nationale pour la biodiversité ont permis d'amender la stratégie pour qu'elle reconnaisse la place majeure des outre-mer dans la biodiversité française et qu'elle inclue par ailleurs plusieurs mesures spécifiques prévoyant, nous l'espérons, un rééquilibrage des moyens. En termes de structuration et de montée en puissance sur les missions définies lors des préfigurations, nous devons faire face à plusieurs enjeux : trouver des ressources humaines qualifiées, afin de répondre aux enjeux de nos territoires et bien sûr trouver les ressources financières, pour mener à bien les missions et atteindre les objectifs. Pour autant, les territoires ultramarins doivent faire face à des ressources financières diminuées par rapport à l'hexagone, au regard de la compensation de la vie chère. En ce qui concerne le " fonds vert ", les plantations d'arbres ne sont pas éligibles au taux de subventionnement de 100% comme peuvent l'être les collectivités hexagonales. Cette question a déjà été soulevée auprès de l'OFB et la direction générale se dit prête à compenser cette prime, si les régions élèvent leur dotation de fonctionnement aussi à la même hauteur. On est là face au risque d'une impasse. Il faut en sortir, nous avons à coeur, nous, à La Réunion, de lancer de façon concertée le chantier de la nouvelle stratégie régionale pour la biodiversité (SRB) en nous appuyant sur l'esprit de la SNB et sur l'Agence régionale de la biodiversité présidée par Ericka Bareigts. Peut-on attendre un financement de nos structures à la hauteur de nos enjeux, de la richesse de la biodiversité et des risques face au changement climatique ? Je pense notamment au " fonds vert ", pour lequel je souhaite que le taux de subvention des établissements publics de coopération environnementale (EPCE) puisse passer à 100%.
M. Saïd Omar Oili. - Concernant l'eau, j'appelle de mes voeux un rapport spécifique concernant la situation en outre-mer. À Mayotte, d'où je viens, la problématique de l'eau est une réalité dramatique. Si rien n'est fait, nous devrons faire face à une crise sanitaire sans précédent, faute de pouvoir disposer d'une eau de qualité et en quantité suffisante. Nous voyons réapparaître certaines maladies qui avaient disparu dans l'île.
Madame la ministre, la commission plénière de l'océan indien, qui s'est réunie le 21 juin 2021, a tiré le constat d'une inquiétante baisse de stocks thonidés, notamment du thon albacore, en raison de la surpêche dans le canal du Mozambique. Dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, deux fiches proposent une méthodologie pour changer les usages sur terre et en mer. Le territoire de l'océan indien pourrait constituer un bon exemple d'application de ces orientations. Il faut limiter la pêche industrielle dans le canal du Mozambique, où d'ailleurs une partie non négligeable de ce que l'on trouve dans les filets est rejetée à la mer, les armateurs ne s'intéressant qu'aux produits à forte plus-value. À l'inverse, il est nécessaire de valoriser la pêche artisanale mahoraise, qui souffre actuellement, alors que cette activité est essentielle pour la population locale et préserve la ressource, à la différence de la pêche industrielle. Madame la ministre, quelles sont les mesures concrètes que vous comptez prendre en faveur de la pêche artisanale à Mayotte ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je souscris totalement à l'intervention de ma collègue de La Réunion. La forêt guyanaise recèle une biodiversité d'une richesse foisonnante, 98% de la diversité faunistique française se retrouve en Guyane. Depuis des années, la France mène une lutte féroce contre l'orpaillage illégal, sans pour autant obtenir des résultats probants. Tous s'accordent à dire qu'il est nécessaire de privilégier la voie diplomatique et d'imposer des contraintes économiques au Brésil, d'où viennent d'ailleurs les garimpeiros. Je sais bien, madame la ministre, que vous n'êtes pas ministre des affaires étrangères, mais j'aimerais savoir les moyens que vous pouvez mettre en oeuvre afin de permettre la sauvegarde de la biodiversité guyanaise. Vous connaissez certainement la volonté des Guyanais de développer leur territoire. Trop souvent, cette volonté se heurte aux enjeux de protection environnementale. Madame la ministre, quelles sont vos solutions pour concilier développement durable et aménagement du territoire ?
M. Jean Bacci. - Permettez-moi de revenir sur deux sujets déjà évoqués ce matin. Je souhaite d'abord évoquer l'objectif du milliard d'arbres plantés d'ici 2032. Vous parlez de forêts méditerranéennes. Pour obtenir des aides de crédits issus du " fonds vert ", il faut que les plantations réussissent. Chez nous, si on n'arrose pas une plantation les premières années, elle meurt. Les collectivités ne s'engagent donc pas, parce qu'on n'a pas les moyens aujourd'hui d'arroser l'été : nous allons donc vers une catastrophe si rien n'est prévu pour accompagner les collectivités.
Les arbres sont également confrontés à l'évolution des températures. Selon les experts de l'INRAE, les forêts méditerranéennes subissent depuis quelques années un stress hydrique permanent. Si on n'intervient pas pour amoindrir ce stress hydrique, la forêt va dégénérer et se dessécher. L'intervention consiste à enlever une partie de la biomasse qui n'est pas utile à la croissance des arbres qu'on veut voir arriver à maturité. Ce travail, qui doit être accompli plusieurs fois pendant la durée de vie d'un arbre, coûte bien entendu de l'argent. Les forêts peu productives ne peuvent pas supporter ces coûts. En l'absence d'aide pour mener à bien ces projets, ces forêts vont dégénérer.
Le deuxième sujet que je souhaite évoquer c'est le loup, déjà évoqué à plusieurs reprises ce matin. Je voudrais insister sur les spécificités de l'arc alpin, du Var à la Savoie, qui concentre 75% de la population lupine. L'approche sur ces territoires n'est pas la même que dans les territoires de conquête. C'est une espèce que je considère comme invasive. Nous n'arrivons plus à sécuriser correctement les éleveurs et les jeunes hésitent désormais à reprendre les exploitations. Le développement territorial en pâtira, ce qui aura un impact sur la biodiversité. Aux endroits où les loups se sont installés, on a vu rapidement disparaître dans les alpages les mouflons. Les loups s'attaquent désormais aux chamois. On ne les retrouve plus que dans des aires inaccessibles alors qu'ils se développaient avant un peu partout. Plus en plaine, ce sont les populations de sangliers et de chevreuil qui ont été décimées. Dans les alpages, on voit de moins en moins de marmottes. Je pense que cette situation génère un fort impact sur la biodiversité, qu'il faut mieux prendre en compte. Ce qui m'inquiète fortement quand on voit l'évolution démographique du loup durant les dix dernières années : je pense que d'ici dix ans, seuls les chasseurs pourront se promener en forêt parce qu'ils auront un fusil. Parce que ces meutes de loups devront continuer à se nourrir une fois que les populations d'animaux sauvages auront disparu.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Monsieur le sénateur Michaël Weber, vous avez rappelé la multiplicité des acteurs gestionnaires des aires protégées. Vous avez raison, leur diversité et leur travail sont exceptionnels. Dans le projet de loi de finances pour 2024, une dynamique de recrutements humains est enclenchée, alors que ce sont précisément les moyens humains qui ont manqué ces quinze dernières années. Nous proposons une augmentation de 15 équivalents temps plein (ETP) pour le parc national des forêts créé en 2019 et pour le parc national des Calanques. La hausse du plafond d'emplois permettra également d'accompagner les nouveaux défis qui se posent pour les gestionnaires des aires protégées. La question des indicateurs et de la redevabilité est récurrente dans les avis des quatre comités consultés. Je suis convaincue que pour que cette stratégie nationale pour la biodiversité fonctionne, la redevabilité et le suivi des indicateurs et des évaluations sont centraux. La planification suppose des moyens financiers, mais aussi des indicateurs de suivi et c'est bien dans ce cadre-là que nous concevons cette stratégie.
Je ne reviendrais pas sur la question du Loto de la biodiversité. Il n'est pas question de jouer avec la protection du vivant. Il s'agit simplement d'une opportunité nouvelle, à l'instar du Loto du patrimoine, de sensibiliser à un sujet essentiel. Ce n'est pas la question budgétaire qui prime dans ce débat, mais plutôt la possibilité de parler de nature dans un bar PMU, sans hiérarchie entre les lieux. Tout cela est conforme avec les efforts en matière d'éducation à l'environnement portés par les écoles, les enseignants, les fonctionnaires et bien entendu les collectivités territoriales.
Monsieur le sénateur Jacques Fernique, vous m'avez posé la question du financement et de la territorialisation de la Stratégie nationale pour la biodiversité. Concernant le financement, on parle beaucoup des moyens de l'État, mais on néglige trop souvent les budgets mobilisés par les collectivités, à la strate régionale, départementale, mais aussi communale. Les COP régionales, qui seront lancées prochainement, ont vocation à garantir ce déploiement territorial. Il est surtout nécessaire de coordonner la stratégie régionale pour la biodiversité afin que la territorialisation ne soit pas qu'un voeu pieux.
Monsieur le sénateur Hervé Gillé, vous m'avez interrogée sur la planification. C'est grâce à la planification que nous disposons désormais d'une vision d'ensemble. C'est peut-être la nouveauté. Le premier livrable de la planification c'est évidemment le plan eau, le deuxième livrable c'est la stratégie nationale pour la biodiversité, le troisième sera le plan d'adaptation. Ces trois grandes étapes permettent d'avancer vers une contractualisation accrue et donc une déclinaison territoriale plus fine. La version définitive de la stratégie territoriale devra prendre en compte l'action des Agences régionales de biodiversité et nous devons oeuvrer pour inclure un volet biodiversité dès que possible dans les SRADDET, mais même au-delà de ces documents de planification. Je pense évidemment aux doubles bénéfices. Rien ne nous empêche demain d'élargir la réflexion afin d'intégrer le co-bénéfice biodiversité et énergie.
Vous avez posé la question de la qualité des compensations. C'est un énorme défi sur lequel se portent nos efforts, d'autant plus que la loi " Industrie verte " accompagne le volontariat, avec les zones de renaturation. C'est une opportunité en or, mais il faut être extrêmement exigeant quant à la qualité et l'évaluation dans le temps. Je reste très ambitieuse, mais vigilante.
Madame la sénatrice Audrey Bélim, les outre-mer dans leur diversité apportent une richesse certaine au patrimoine naturel et environnemental de la France, mais il faut s'appuyer sur des approches spécifiques, territoire par territoire. La Stratégie nationale pour la biodiversité intégrera dans quasiment chacune des fiches en cours de finalisation un focus spécifique sur les outre-mer.
Monsieur le sénateur Saïd Omar Oili, sur la question de la pêche à Mayotte, le thon albacore fait l'objet, comme vous l'indiquez, d'une pêche mahoraise locale. Officiellement, 350 tonnes y ont été pêchées en 2022. Il y a cependant encore beaucoup de barques non homologuées qui opèrent des captures des mêmes espèces et créent une pression certaine sur la ressource, ainsi que des navires qui débarquent jusqu'à 17 000 tonnes. Cette pêche mahoraise s'effectue en proximité et permet de nourrir la population locale. Lorsque des senneurs interviennent dans la région, ces captures sont expédiées ailleurs. À propos de cette question, les quotas qui vont être fixés au niveau européen seront déterminants, ainsi que la question de la sécurisation de la flottille de pêche artisanale. Cette question concerne également La Réunion qui subit les mêmes difficultés. Nous serons particulièrement vigilants sur la question des quotas, avec le ministre Hervé Berville. Vous avez, monsieur le sénateur, également parlé de pêche durable. Le parc marin mène des actions extrêmement concrètes pour encourager les pêcheurs à cibler ces espèces au large du lagon.
Enfin, il est certain qu'on ne peut pas parler de Mayotte aujourd'hui sans parler de l'eau et de la nécessité de mobiliser tous les moyens à notre disposition. Mon ministère a fléché 35 millions d'euros supplémentaires sur la question des outre-mer. La priorité c'est évidemment le maintien de cette cellule de crise interministérielle au quotidien. Cette crise affecte le quotidien de nos concitoyens, non seulement pour accéder à l'eau potable, mais également en raison des conséquences sanitaires qui en découlent, vous en avez parlé. Nous espérons tous de la pluie et l'arrivée de l'eau envoyée depuis l'hexagone. Pour sécuriser de manière pérenne l'accès en eau potable, la question des infrastructures et des investissements nécessaires devra être posée aujourd'hui pour Mayotte.
Madame la sénatrice Marie-Laure Phinera-Horth, j'ai eu l'opportunité de voir la richesse de la forêt guyanaise ainsi que les dégâts de l'orpaillage illégal, socialement et écologiquement. Des hommes et des femmes protègent cette magnifique forêt au péril de leur vie. Madame la sénatrice, la Guyane, au-delà d'être un poumon et un trésor de biodiversité, est aussi un territoire dont l'enjeu est le développement. Pour cela, il faut une approche territorialisée, qui s'adapte aux spécificités de la Guyane. Vous me trouverez à vos côtés, chacun, dans le respect de la spécificité de vos territoires, pour accompagner une stratégie locale.
Monsieur le sénateur Jean Bacci, vous avez parlé notamment de la question du loup dans l'arc alpin. Le sujet le plus important aujourd'hui, qu'il faudra apaiser, est la question du comptage. Aujourd'hui, nous prélevons 19 % de la population de loups sur nos territoires. Les plus grandes interrogations se posent sur le nombre de loups, et donc de prélèvements possibles, dans les territoires. Nous avons entamé des travaux avec les différentes parties prenantes pour ne plus fonder notre politique sur seulement deux chiffres, un avant l'été et un après l'été. Ce sont deux comptages qui sont ensuite renforcés par les analyses génétiques. Vous avez aussi soulevé les difficultés de reprise d'un certain nombre d'élevages. Quand je vais à la rencontre des éleveurs, l'enjeu le plus sensible n'est pas l'indemnisation, mais plutôt la transformation de leur métier, l'impact des prédations sur leur vie familiale. Ce qui est certain, c'est qu'il faut faciliter ces indemnisations. Dans le plan loup, nous avons proposé des télédéclarations, pour alléger les procédures et simplifier la vie au quotidien d'un certain nombre d'éleveurs. Vous avez parlé de l'impact du loup sur la biodiversité. Les grands prédateurs ont aussi un impact positif sur la biodiversité. La question est finalement d'évaluer l'apport respectif du loup et du pastoralisme pour la biodiversité. J'ai été conviée à l'Assemblée nationale à une audition organisée par le groupe d'études « pastoralisme ». Nous travaillons à une éventuelle saisine conjointe d'une mission d'inspection pour réfléchir à la manière d'envisager les co-bénéfices du pastoralisme et des prédateurs. Pour conclure, j'espère bien qu'il n'y aura pas que les chasseurs qui pourront se promener dans nos magnifiques territoires.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci madame la ministre. Je suis heureux de la qualité des échanges que nous avons pu avoir ce matin, qui prouve tout l'intérêt que notre commission porte à la biodiversité.
Source https://www.senat.fr, le 14 novembre 2023