Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME, nous recevons ce matin, le ministre délégué aux Comptes publics, dans le " Grand entretien " de la Matinale. Questions et réactions au 01 45 24 70 00 et sur l'application de France Inter. Thomas CAZENAVE, bonjour.
THOMAS CAZENAVE
Bonjour.
LEA SALAME
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. Beaucoup de questions à vous poser après l'annonce par Bruno LE MAIRE du tour de vis budgétaire pour 2024. Dimanche soir, le ministre de l'Economie a en effet un abaissement de la prévision de croissance de 1,4% à 1% cette année et un effort immédiat de 10 milliards d'économies qui viennent s'ajouter aux 16 milliards d'économies déjà consenties dans le budget 2024. Ces annonces, que veulent-elles dire, Thomas CAZENAVE ? Qu'il y a le feu au lac ? Qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses ? Que nous dites-vous ce matin ?
THOMAS CAZENAVE
Je vous dis qu'il faut s'adapter à la nouvelle conjoncture internationale. Vous avez la guerre en Ukraine. Le ralentissement chinois a un impact aussi sur l'activité économique en Europe. Donc on révise notre croissance. Mais je le dis, notre croissance, elle reste forte à 1%, bien plus forte que nos voisins européens. Regardez, l'Allemagne est rentrée en récession l'année dernière. Elle aura un faible taux de croissance cette année. Et le Royaume-Uni rentre en récession. Nous, nous résistons, mais nous devons nous adapter à cette nouvelle donne économique. On a moins de recettes : d'impôt sur les sociétés, cotisations, impôt sur le revenu, TVA ; et donc il faut qu'on s'adapte très vite en baissant nos dépenses et en faisant 10 milliards d'euros de dépenses uniquement - et je le dis très clairement sur l'État et ses opérateurs - on ne demande pas d'effort aux Français, on va prendre sur nos épaules le soin de faire ces économies pour éviter de laisser les finances publiques dériver.
LEA SALAME
Vous allez nous parler des économies de ces 10 milliards où vous allez les prendre particulièrement ; pourquoi vous avez fait ces choix-là. Mais juste pour revenir, pourquoi vous vous êtes obstinés ? On avait Bruno LE MAIRE à ce micro, juste avant Noël. Vous vous êtes obstinés à l'idée de la projection de croissance de 1,4%. Vous avez tout pensé, votre budget 2024, en fonction de cette projection de croissance que tout le monde disait " au trop optimiste. " La BANQUE DE FRANCE vous disait " non, c'est… parlait de 0,9%. " Le FMI tablait sur 1%, l'OCDE sur 0,6%. Et vous maintenez cet objectif de 1,4%. C'était quoi ? De la pensée positive ? De la pensée magique ?
THOMAS CAZENAVE
D'abord, reprenons un instant…
LEA SALAME
Vous vous êtes trompés dans vos calculs ?
THOMAS CAZENAVE
Jusqu'en novembre, même la Commission européenne nous disait : " vous ferez bien plus que 1%, 1,2%. " Pourquoi ? Parce qu'on a des fondamentaux extrêmement solides.
LEA SALAME
Pas le FMI, pas l'OCDE…
THOMAS CAZENAVE
On réindustrialise le pays. On est le pays qui accueille le plus d'investissements étrangers internationaux en Europe. On a baissé la fiscalité sur les entreprises qui investissent donc on a des fondamentaux extrêmement solides. Et c'est la raison pour laquelle d'ailleurs, on résiste beaucoup mieux que tous les autres pays européens. Et donc jusqu'en novembre, notre prévision, elle était plutôt en ligne avec celle de la Commission. Et on a constaté en fin d'année – c'est vrai – qu'il y a une forme de ralentissement et on n'a pas hésité, avec Bruno LE MAIRE, à dire tout de suite : " baisses des recettes ; on revoit notre prévision de croissance et du coup, on revoit aussi nos dépenses, on ajuste notre budget. "
NICOLAS DEMORAND
Et puisqu'on est sur la révision des chiffres, qu'en est-il du déficit ? Le Gouvernement s'était engagé à le ramener sous les 4.9% du PIB en 2023. " Objectif probablement difficile à tenir ", a indiqué lundi, à l'AFP, une source au ministère de l'Economie.
LEA SALAME
C'est vous… oui, c'est vous la source.
NICOLAS DEMORAND
C'est vous la source.
LEA SALAME
Vous l'assumez ?
NICOLAS DEMORAND
Donc, vous l'assumez ? On ne va pas y arriver donc ?
THOMAS CAZENAVE
Lors de notre conférence de presse avec Bruno LE MAIRE, j'ai pu dire que 4,9% en 2023, ce serait probablement difficile. Pourquoi ? Parce qu'on a constaté en fin d'année un ralentissement, je le redis, de nos recettes : impôts sur les sociétés, TVA, impôt sur le revenu. Donc, c'est aussi de notre responsabilité de dire, " face à ce nouveau contexte… " Je pense que les Français peuvent tout à fait comprendre que quand on a moins de recettes, il faut dépenser un peu moins. Et c'est vraiment le sens de ce plan et je le redis, très concentré sur l'État, tout le monde est mis à contribution. Il n'y a pas d'immunité budgétaire, les efforts sont partagés et on s'ajuste pour tenir cet engagement.
LEA SALAME
Mais le déficit, ça veut dire quoi ? Ça veut dire les objectifs du déficit à 4,9% du PIB en 2023, et à 4,4% en 2024 sont revus à la hausse ?
THOMAS CAZENAVE
On verra. Il est trop tôt pour le dire. On saura en mars. C'est l'INSEE qui nous dira quel est notre déficit en 2023. Et en 2024, notre objectif reste le même : baisser nos déficits publics…
LEA SALAME
Vous gardez 4,4 ?
THOMAS CAZENAVE
Je le redis, c'est un enjeu de justice de baisser nos déficits publics. Nous avons protégé massivement les Français, l'économie, les collectivités territoriales. Notre responsabilité après ces crises, c'est de réduire nos déficits aussi pour faire face aux crises de demain. Et donc notre trajectoire et notre engagement est maintenu.
LEA SALAME
Mais vous maintenez, ce matin, l'objectif à 4,4% pour 2024. Là aussi, vous n'êtes pas trop optimiste ?
THOMAS CAZENAVE
Nous maintenons notre objectif à 4,4%. Nous verrons comment se tient la croissance l'année prochaine. On a de bons fondamentaux. Regardez comment on résiste en Europe par rapport aux autres pays. On réouvre des usines dans notre pays.
NICOLAS DEMORAND
Redoutez-vous tout de même, dans ce contexte, les notes des agences de notation pour la France qui doivent tomber fin avril et fin mai ? Quelles conséquences auraient une dégradation de la note française ? Est-ce que ce serait si grave, Thomas CAZENAVE ?
THOMAS CAZENAVE
D'abord, les agences de notation, elles regardent au moins deux choses, c'est-à-dire la force de notre économie. Et je le redis, on a une économie forte et on va continuer les réformes. Pourquoi on lance une loi sur la simplification pour les entreprises ? On veut les encourager à investir, à créer des emplois. Pourquoi il y aura un nouveau projet de loi sur l'industrie verte ? On veut accélérer sur la réindustrialisation. Donc les agences de notation regardent déjà, si on est en mesure de créer de la richesse. Il faut créer de la richesse, créer des emplois. On a réussi, depuis 2017, à briser la fatalité du chômage de masse dans notre pays, le ramener à 7,5%. Et elles regardent aussi (pardon, je finis de répondre à votre question) …
NICOLAS DEMORAND
Oui, bien sûr.
THOMAS CAZENAVE
… si on arrive à maîtriser nos dépenses. Et voilà un acte que nous prenons avec Bruno LE MAIRE et le Premier ministre en disant " tout de suite, on fait 10 milliards d'euros d'économies pour tenir nos engagements.
LEA SALAME
Vous avez fait ça pour les agences de notation ?
THOMAS CAZENAVE
On fait ça pour les Français. Je le redis, ce serait profondément injuste de constater tout simplement qu'on gagne moins et qu'on continue à dépenser comme si de rien n'était, demandant alors à nos enfants et nos petits enfants de financer nos dépenses d'aujourd'hui.
LEA SALAME
Oui, mais ce qui est déjà le cas, quand on est endetté à 3 000 milliards d'euros…
THOMAS CAZENAVE
Oui, mais ce n'est pas une raison…
LEA SALAME
C'est-à-dire que la raison pour l'économie tient. On a quand même des chiffres d'endettement et de déficit qui ne sont pas, je ne sais pas… Comment vous les qualifier, l'endettement de la France aujourd'hui, ou des déficits ?
THOMAS CAZENAVE
Mais, c'est la raison pour laquelle nous, on s'est fixés pour objectif, de réduire nos déficits publics. On ne peut pas se contenter de cette situation, juste d'observer qu'on a moins de recettes et ne pas baisser les dépenses. Donc c'est un enjeu de responsabilité.
LEA SALAME
Alors, c'est 10 milliards d'économies. D'abord, juste une question, ce sera suffisant ou dans trois mois, vous direz " il en faut plus " ?
THOMAS CAZENAVE
C'est un effort, c'est un effort significatif que nous faisons dès maintenant. Nous n'écartons pas le fait qu'on aura peut-être, si nécessaire, un budget rectificatif à l'été, à la mi-année ; on verra. C'est déjà un effort important que l'on fait tout de suite. Et on verra dans les prochains mois si on a besoin d'aller plus loin.
LEA SALAME
Donc, vous l'avez annoncé, sur ces 10 milliards d'économies, vous allez prendre notamment dans le dispositif MaPrimeRénov', 1 milliard de moins que ce qui était prévu pour financer la rénovation des bâtiments. 200 000 bâtiments qui devaient être rénovés tous les ans grâce à MaPrimeRénov'. Ça veut dire combien de bâtiments de moins rénover en 2024 ?
THOMAS CAZENAVE
Alors ça veut dire d'abord plusieurs choses. Je le redis, c'est 10 milliards, on va réduire certaines dépenses, j'y reviendrai ; on va reporter certains projets et on va revoir certains dispositifs. MaPrimeRénov' en fait partie. Je rappelle une chose, MaPrimeRénov', on va continuer à augmenter le budget de MaPrimeRénov' quand même. Même avec le milliard d'euros d'économies, on va l'augmenter de 600 millions. Et vous savez que l'année dernière…
NICOLAS DEMORAND
Ça devait être 1,6 milliard et ce sera 600 millions.
THOMAS CAZENAVE
Donc, on continue à investir. Ça reste une priorité. Mais l'année dernière, vous savez qu'on n'a pas tout dépensé. On en a laissé au moins 300 millions. Pourquoi ? C'est trop compliqué MaPrimeRénov'. Ce que nous disent les chefs d'entreprise que je rencontre dans mon territoire en Gironde. Ils disent " c'est trop compliqué MaPrimeRénov' " Donc Christophe BECHU et Guillaume KASBARIAN sont en train de revoir le dispositif. On va le simplifier drastiquement et on va continuer à investir. On va mettre 600 millions d'euros de plus.
LEA SALAME
J'entends, mais combien de bâtiments ? 200 000 par an. Combien de bâtiments en moins ? Puisque 1 milliard, c'est en gros, on a calculé à peu près 20% de moins que ce qui était prévu, entre 4 et 5 milliards par an pour rénover 200 000 bâtiments. Donc si vous en enlevez 20%, c'est 20% de bâtiments moins, c'est 40 bâtiments en moins qui seront rénovés ?
THOMAS CAZENAVE
Non, parce que ça dépend de la manière dont on va simplifier le dispositif. Et Christophe BECHU et Guillaume KASBARIAN auront l'occasion d'expliquer les nouvelles simplifications de MaPrimeRénov'. Mais je veux quand même redire ici à votre antenne, que quand on investit 600 millions d'euros de plus dans MaPrimeRénov', c'est bien que la rénovation reste une priorité. On a le budget le plus vert de notre histoire. On a augmenté de 10 milliards d'euros les dépenses en faveur de l'Industrie.
LEA SALAME
Mais l'Opinion, le journal l'Opinion, ce matin, qui n'est pas franchement un journal, enfin, qui est un journal ouvertement libéral, dit : " Le Gouvernement met à nouveau l'écologie dans le frigo ".
THOMAS CAZENAVE
Non, c'est complètement faux.Pourquoi ? Entre cette année et l'année prochaine, on augmente de 10 milliards d'euros les crédits en faveur de la transition écologique. 1,6 sur les transports ferroviaires, les RER métropolitains. Plus d'un milliard sur l'agriculture et sa conversion à la transition écologique. Sur la biodiversité, sur la gestion de l'eau. Et donc, dans cet effort-là, effectivement, on va prendre 1 milliard sur MaPrimeRénov'. Mais le reste, notre ambition de transition écologique, il est là, elle est là, cette ambition.
NICOLAS DEMORAND
Le rapport Pisani Mahfouz d'il y a quelques mois, préconisait un ISF Vert pour financer la transition écologique, un impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des 10% des contribuables les plus aisés, qui aurait pu rapporter 5 milliards d'euros par an. C'est une mauvaise idée, ça ? Ça permettrait de rénover des bâtiments, puisqu'on est en train d'en parler. Vous n'auriez pas besoin de cet argent aujourd'hui ?
THOMAS CAZENAVE
Aujourd'hui, il n'est pas question de revoir la fiscalité, puisqu'on est au début de l'année. Il y aura un débat sur le projet de budget de l'année prochaine. Moi, ce qui m'importe, et c'est là où l'interpellation du rapport Jean PISANI-FERRY et Selma MAHFOUZ est intéressant, il faut aller chercher des recettes supplémentaires. Il y a des recettes supplémentaires à aller chercher, déjà en appliquant la fiscalité telle qu'elle existe.
LEA SALAME
Oui.
THOMAS CAZENAVE
La fraude. Moi, je mets en oeuvre un plan qui a été initié par mon prédécesseur, Gabriel ATTAL, et depuis le 1er janvier, on a 18 mesures supplémentaires pour mieux lutter contre la fraude fiscale, douanière, sociale, les enquêtes sur Internet, les aviseurs fiscaux, le délit d'incitation à la fraude fiscale et sociale. Vous savez, juste la fraude fiscale, on a récupéré plus de 11 milliards d'euros. Donc oui, il faut déjà s'assurer que personne n'échappe à l'impôt tel qu'il est, aujourd'hui.
LEA SALAME
Mais l'impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des 10% des contribuables les plus aisés, que propose Jean PISANI-FERRY, c'est non.
THOMAS CAZENAVE
Moi je pense qu'on a une réflexion. Je l'avais dit lors du précédent budget. Vous savez, on a réussi dans ce budget, à faire quelque chose qui était attendu de longue date, c'est l'impôt minimal pour les sociétés. Aucune société ne peut échapper à un taux minimal inférieur à 15%. C'est une grande avancée internationale, un accord de l'OCDE. Nous, on est très favorables, et on l'a dit d'ailleurs avec Bruno LE MAIRE, à ce qu'on ait une réflexion comparable au niveau européen et international pour s'assurer que les plus fortunés n'échappent pas à l'impôt. C'est ça ce que nous devons arriver à porter ensemble.
NICOLAS DEMORAND
On va passer au standard d'Inter où nous attend Alain (...).
source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2024