Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la culture, à France Culture le 29 février 2024, sur les inégalités d'accès à la culture, le financement de l'audiovisuel public et le budget du spectacle vivant.

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Média : France Culture

Texte intégral

GUILLAUME ERNER
Tout à l'heure, nous parlions d'agriculture. On passe de France Agriculture à France Culture avec la culture, la nouvelle occupante de la rue de Valois. Bonjour Rachida DATI, ministre de la Culture. Une réaction à ce que vient de dire mon camarade Jean LEYMARIE sur la constitutionnalisation de l'IVG ?

RACHIDA DATI
Bonjour, merci pour votre invitation. Moi d'abord, je voudrais rendre hommage au président de la République qui avait annoncé, le premier évidemment, la constitutionnalisation de l'IVG, d'inscrire ce droit dans la Constitution. Rappelez-vous les réactions. D'ailleurs vous en parlez d'une manière assez sibylline, mais à l'époque, on avait dit que c'était un gadget. D'autres ont dit la Constitution, ce n'est pas un catalogue de droits. Parce que quand il s'agit des femmes, évidemment ce n'est jamais au niveau, ce n'est jamais assez fort. Vous parliez que c'est un signal fort pour les femmes dans le monde ; moi, je dirais que c'est un signal fort, c'est un signal politique fort pour les femmes en France. C'est un symbole fort pour les femmes en France. Vous parliez sur l'accès à l'IVG. Je vais vous dire, il faut savoir qu'en France en 2024, il y a deux endroits, même s'il y a ou le gynécologue ou la structure hospitalière, vous ne pouvez pas avorter. Parce que c'est compliqué, parce qu'on vous complique le chemin, parce que parfois on vous fait culpabiliser, on vous fait aussi porter le fardeau de cet accès à l'IVG. Je vous le dis, moi, il m'arrive très régulièrement d'accompagner des femmes dans ce chemin douloureux, dans ce chemin pour certaines tragique, soit aux dépens de leur santé, soit évidemment aux dépens aussi de leur vie sociale. Et donc je trouve que cette constitutionnalisation, c'est un signal politique fort. C'est un symbole fort pour les femmes dans le monde, certes, mais moi je considère qu'un droit acquis, quand c'est des femmes, il n'est jamais définitivement acquis. Et donc aujourd'hui, ce signal est important pour dire à la France entière, partout en France, que cet accès doit être simplifié. Il est une évidence pour les femmes qui veulent évidemment y accéder, et je peux vous dire qu'en France, ça n'est pas encore aussi évident que cela.

GUILLAUME ERNER
Ça n'est d'autant pas évident que récemment encore, sur une chaîne de télévision, l'IVG a été assimilée à un homicide. C'était sur CNews et ce matin et justement, il y a énormément d'articles à ce sujet. Par exemple la une de La Croix : Médias, comment garantir le pluralisme ? Rachida DATI, vous êtes la ministre de la Culture. Quel regard posez-vous sur le pluralisme des médias en France ?

RACHIDA DATI
Le pluralisme, c'est un pilier de la démocratie. Moi je veux faire le parallèle avec la justice. Sans justice, c'est l'arbitraire ; et l'arbitraire, on sait à quoi ça conduit. Et donc le pluralisme, c'est aussi un pilier de la démocratie. C'est aussi lutter contre la mauvaise information, contre le détournement de l'information. Nous parlions, avant d'arriver dans ce studio, justement sur la culture scientifique. Moi, je vais installer un comité de scientifiques pour pouvoir rétablir la culture scientifique. La France est un pays de culture scientifique et aujourd'hui, et notamment, ç'a été assez, j'allais dire, important au moment du Covid. Regardez tout ce qui s'est passé, la remise en cause de la science, du progrès. Regardez sur la vaccination comme ç'a été très malmené alors que nous sommes le pays de Pasteur. Et donc je souhaite évidemment…

GUILLAUME ERNER
Un comité de scientifiques, c'est-à-dire ? Qu'est-ce que vous allez y faire ?

RACHIDA DATI
Justement pour justement mener des actions en faveur de la culture scientifique. Le pays de Curie, le pays de Pasteur ne peut pas aujourd'hui être dans le déni ou le reniement de cette histoire qui est notre histoire, et donc de mener des actions en faveur de la promotion de la culture scientifique, justement pour éviter soit les fake news ou, en tous les cas, tout ce qu'on a appelé le complotisme. En tous les cas, tout ce qui permet de remettre en cause la science. Et ce n'est pas un hasard, ça va très, très loin. Moi je relie ça aussi à l'école où vous avez des enfants aujourd'hui qui contestent des tableaux historiques en disant « On ne peut plus regarder une femme nue sur un tableau ». Avec l'absence de recul, l'absence de culture et donc tout ça est lié. Et donc j'aimerais bien évidemment aussi, sur cette culture scientifique, avoir une action très, très forte pour justement qu'elle ne soit pas détournée, déformée, galvaudée. Et puis tout ça remet en cause la démocratie dans notre pays.

GUILLAUME ERNER
Mais comme vous le savez, la culture scientifique, c'est quelque chose qui nous est cher sur France Culture. Il y a plusieurs émissions de vulgarisation scientifique. Justement le service public audiovisuel ici-même à Radio France, on lutte beaucoup contre les fake news et cette manière d'avoir des vérités relatives, donc j'imagine que ce pilier de la démocratie, c'est aussi le service public de l'audiovisuel pour vous, Rachida DATI.

RACHIDA DATI
Bien sûr, et je l'ai toujours dit et je l'ai revendiqué bien avant d'être ministre de la Culture. Moi je dois beaucoup…

GUILLAUME ERNER
Vous ne l'avez jamais dit sur France Culture alors.

RACHIDA DATI
Je l'ai dit sur France Inter justement. Vous faites bien de me dire ça parce que c'est évidemment tout le sujet de la…

GUILLAUME ERNER
On est un peu jaloux sur France Culture.

RACHIDA DATI
Non, mais c'est tout le sujet de la réforme de l'audiovisuel public dans un contexte, dans un environnement qui est bouleversé par les innovations technologiques, par les plateformes, par aussi… Vous savez très bien que maintenant, les audiences sont différentes.

GUILLAUME ERNER
En hausse pour France Culture.

RACHIDA DATI
Non mais il y a beaucoup de bouleversements. On écoute moins la radio aussi, on ne l'écoute, plus. On regarde moins la télévision aussi. Moi je parle aussi notamment sur les jeunes, il y a évidemment cet impact-là. Et aujourd'hui, vous avez vu dans un contexte de forte concurrence, où évidemment il est important de garder un audiovisuel public puissant, et pour qu'il reste puissant, il faut rassembler ces forces. Il faut arrêter de travailler en silos parce que, je vais vous dire, à un moment donné, ça va anéantir, pour ne pas dire affaiblir, l'audiovisuel public. Donc aujourd'hui, il faut rassembler ces forces pour pouvoir préserver cet audiovisuel public et garder sa puissance et garder son rôle et cette puissance vis-à-vis des publics, de tous les publics et en particulier les plus jeunes.

GUILLAUME ERNER
Alors il y a l'amour, il y a les preuves d'amour aussi Rachida DATI, et en matière budgétaire, il y a eu des coupes budgétaires qui touchent tous les budgets, y compris le budget du ministère de la Culture et le budget de l'audiovisuel public. Est-ce qu'à l'avenir, il peut y avoir une pérennisation de ce budget parce que l'on redoute que cette manière de faire des synergies soit aussi une manière de faire des coupes budgétaires ?

RACHIDA DATI
Ça n'a jamais été l'esprit de la réforme et vous le savez bien parce que…

GUILLAUME ERNER
Mais j'aime à vous l'entendre dire.

RACHIDA DATI
Non mais vous le savez bien et ç'a été dit et redit. Mais la réforme de l'audiovisuel public, c'est justement pour pouvoir le préserver, pour pouvoir garder sa force et sa puissance – c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure - et pour cela, il faut avoir des coopérations renforcées, des synergies évidemment. Et sur le financement, évidemment qu'il faut un financement sanctuarisé, ç'a été mon combat bien avant d'être ministre de la Culture, et là je vais encore plus l'engager aujourd'hui. C'est un combat qui va être porté avec les parlementaires mais aussi avec les dirigeants. Par exemple aujourd'hui, cette réforme, tout le monde considère qu'elle est nécessaire. Elle n'est plus contestée là-dessus. D'ailleurs, vos dirigeantes, les dirigeantes de France Télé ou de Radio France, reconnaissent que cette réforme que nous souhaitons porter, elle est nécessaire. L'opinion publique reconnaît aussi qu'il y a un sujet avec l'audiovisuel public mais aussi les parlementaires. Donc nous allons mener ce débat et je pense que c'est le moment aujourd'hui de mener cette réforme et évidemment, avec le financement qui va avec.

GUILLAUME ERNER
Jean LEYMARIE.

JEAN LEYMARIE
La question des moyens est centrale effectivement. Je rappelle que la redevance audiovisuelle a été supprimée il y a deux ans. Provisoirement, une fraction de la TVA la remplace. Quel instrument imaginez-vous pour financer l'audiovisuel public sur le long terme encore une fois, puisque c'est essentiel ?

RACHIDA DATI
Ça va être ce type d'instrument qu'il faut soit pérenniser, en tout cas à tout le moins sanctuariser. En tous les cas, moi, je ne mènerai pas une réforme de l'audiovisuel public si effectivement on n'arrive pas à obtenir un peu cette sanctuarisation de ce financement. Donc c'est tout le sujet de la réforme que nous souhaitons mener aujourd'hui et que souhaite le président de la République d'ailleurs.

JEAN LEYMARIE
Pour être plus précis, souhaitez-vous une loi de programmation avec un budget sur plusieurs années, ce qui permet là aussi d'imaginer l'avenir ?

RACHIDA DATI
Monsieur LEYMARIE, attendez. Là vous me parlez technique.

JEAN LEYMARIE
C'est très important.

RACHIDA DATI
Je vous ai parlé de l'objectif. Si vous voulez avoir un audiovisuel public fort, puissant, évidemment il faut que les moyens soient en face. Et pour garder aussi cette indépendance à cet audiovisuel public, il faut que le financement soit aussi pérennisé pour ne pas dire sanctuarisé. Donc l'un ne va pas sans l'autre. On ne peut pas mener en tous les cas cette réforme sans avoir cette garantie-là. Ça va être le sujet du débat parlementaire que nous allons initier.

GUILLAUME ERNER
Rachida DATI, on a beaucoup parlé de crise de l'agriculture actuellement, crise aussi du milieu rural. L'une de vos actions concerne justement ce milieu rural avec un Printemps de la ruralité. En quoi consiste-t-il ? Quelles sont les actions que vous avez et que vous souhaitez mener dans ce domaine-là ?

RACHIDA DATI
C'est effectivement une de mes principales priorités. Je l'ai annoncé dès mon arrivée au ministère de la Culture. La ruralité, c'est 22 millions d'habitants. Et en plus dans cette ruralité, il existe une offre culturelle, mais souvent c'est un impensé, pour ne pas dire un angle mort, depuis Paris. Et donc je souhaite mettre de la lumière, je souhaite aussi apporter mon soutien aux élus ruraux qui se battent pour maintenir cette offre culturelle. Et donc, j'ai lancé une consultation il y a quelques semaines sur ce Printemps, pour ce Printemps de la ruralité, pour demander des contributions mais aussi les obstacles, qu'est-ce qu'on devrait faire, qu'est-ce qu'on devrait lever comme obstacles. Et à ce jour, nous sommes à près de 25 000 contributions simplement en quelques semaines. Et j'invite d'ailleurs, puisque ceux qui répondent à ces contributions sont des acteurs culturels, des élus, des habitants, et j'invite sur votre antenne, parce qu'évidemment les acteurs culturels écoutent votre antenne, de continuer à contribuer sur cette plateforme qu'on peut retrouver facilement sur le site du ministère de la Culture. Parce que déjà, on a commencé à regarder ce qui remontait. Évidemment le premier obstacle, c'est la mobilité, la mobilité physique puisque vous êtes souvent dans des zones très enclavées et mobilité aussi des offres. Il n'y a pas de raison que nous ayons des grands opérateurs publics nationaux très prestigieux et que les offres ne circulent pas. Donc la mobilité des spectateurs et la mobilité évidemment des oeuvres. L'autre demande aussi, c'est ce qu'on appelle une ingénierie culturelle dédiée à la ruralité. Souvent, c'est vrai que les élus ruraux se démènent pour cette offre culturelle. Je n'aime pas dire le terme mais c'est un peu ça. Ça devient du bricolage et donc c'est beaucoup d'énergie. Il faut que nous puissions avoir une ingénierie très dédiée à cette offre culturelle en ruralité. Et puis le troisième axe qui remonte aussi, et qui est aussi pour moi une priorité parce qu'on oublie : le premier vecteur culturel, c'est le patrimoine. La France est riche de ce patrimoine et en ruralité, ce patrimoine de proximité est extrêmement important. Et ce patrimoine de proximité, je vais vous dire, il est restauré, sauvegardé, souvent malheureusement au détour d'un incendie, d'un dégât des eaux, un plafond qui s'écroule. Donc on le sauvegarde quand il est très mal en point mais on a du mal à le faire vivre ou à le faire connaître. Ça aussi, ça va être ma priorité au ministère de la Culture.

GUILLAUME ERNER
Comment concilier ça avec les coupes budgétaires qui existent dans tous les domaines, y compris dans celui du patrimoine, avec 100 millions en moins pour ce secteur-là, Rachida DATI ?

RACHIDA DATI
Vous savez très bien que l'on est en ce moment dans un contexte très compliqué. Une inflation qui persiste, une croissance en berne, des taux d'intérêt qui augmentent et donc évidemment… Et puis c'est à l'honneur du président de la République de dire « je n'augmenterai pas les impôts sur les classes moyennes ». Donc si vous n'augmentez pas les impôts, donc ça veut dire moins de recettes et donc il faut regarder les dépenses. Tous les ministères sont mis à contribution. Le ministère de la Culture est aussi mis à contribution. Je suis une responsable politique et en plus c'est en cohérence avec mes convictions profondes, et en cohérence avec la famille politique à laquelle j'ai toujours appartenue de dire « il faut réduire et revoir les dépenses ». Mais il y a des inquiétudes et je les entends, elles sont légitimes. Une chose est sûre, en tous les cas moi je vais vous dire, je vais beaucoup aussi m'appuyer sur ce qu'on appelle la réserve de précaution dans tous les ministères. Qu'est-ce que c'est les réserves de précaution ? C'est que tous les ans, on met des crédits de côté qu'on n'utilise pas et qu'on utilise quand il y a des imprévus. En tous les cas, j'utiliserai ces crédits face à ces imprévus qui n'étaient évidemment... Donc le budget 2024 de la culture va être en hausse et il va être évidemment utilisé et soutenu. Il y a des secteurs qui sont plus impactés que d'autres, le spectacle vivant. Je m'y engage, le spectacle vivant continuera à être soutenu, je serai à leurs côtés. Il n'y a pas un euro qui manquera sur les territoires, je m'y engage.

GUILLAUME ERNER
Dans les discussions que vous avez eues avec Bercy, avec Bruno LE MAIRE, comment les choses se sont-elles passées ?

RACHIDA DATI
Justement, on a un sujet en commun avec Bruno LE MAIRE, c'est l'intelligence artificielle. L'intelligence artificielle, l'irruption de l'intelligence artificielle dans la culture, c'est un bouleversement majeur parce que ça percute quoi ? Ça percute les auteurs. L'intelligence artificielle, il ne faut pas caricaturer aussi les créateurs, ils utilisent l'intelligence artificielle mais nous avons un principe, une invention française, j'allais dire presque une exception culturelle française qui est le droit d'auteur. Ça fait 200 ans qu'il existe, il n'y a pas de raison que malgré cette innovation technologique - il y en a eu d'autres des innovations technologiques, ne serait-ce que l'irruption d'Internet. Est-ce qu'on a remis en cause ce droit d'auteur ? Moi, je souhaite que ce droit d'auteur soit maintenu. Je le dis très clairement parce qu'il y a eu des flottements ces dernières années. Moi, en tous les cas, je serai aux côtés des auteurs pour préserver ce droit d'auteur. Et d'ailleurs je le dis à mon ami Bruno LE MAIRE qui est ministre de l'Economie, et donc justement il est aussi ministre du budget.

GUILLAUME ERNER
Donc c'est pour ça que vous parlez peut-être un peu d'argent avec lui aussi.

RACHIDA DATI
Voilà. Il ne sera pas ministre toute sa vie, comme moi d'ailleurs, et donc il sera très content après son poste ministériel de pouvoir vivre de ses droits d'auteur. Donc je lui dis : « menons ce combat ensemble pour que les droits d'auteur évidemment soient préservés évidemment dans ce combat aussi, dans l'encadrement et la régulation de l'intelligence artificielle ».

JEAN LEYMARIE.
Dans ce débat budgétaire toujours tendu entre Bercy et les différents ministères, c'est une tradition, quelles garanties aujourd'hui avez-vous de Bercy sur les moyens dont disposera la culture ?

RACHIDA DATI
Je viens de vous les exposer.

JEAN LEYMARIE
Plus largement, le spectacle vivant ?

RACHIDA DATI
Spectacle vivant, un euro ne manquera pas aux territoires. Que les gels ou les réductions, en tous les cas sur les dépenses, seront compensés par cette réserve de précaution dont je viens de vous parler.

GUILLAUME ERNER
Vous avez beaucoup évoqué, Rachida DATI, la culture pour tous. Alors il y a de nombreux débats depuis des décennies : culture pour tous, culture pour chacun. Qu'est-ce que ça veut dire pour vous ? Quelle est donc votre doctrine en la matière ?

RACHIDA DATI
Vous avez aujourd'hui la culture et je le vois, regardez ce qu'a suscité comme réaction ma nomination. On a l'impression que la culture, c'est un domaine réservé. Puis moi, je vais vous dire, je découvre aussi ce ministère de la Culture. Je regarde, c'est un ministère aussi des nominations. Beaucoup d'entre-soi, beaucoup de cooptation. Moi je rends hommage par exemple aux organisations syndicales de ce ministère qui m'ont alertée tout de suite en disant sur les nominations, sur aussi les actions que nous menons de casser cet entre-soi, de…

GUILLAUME ERNER
Alors il y avait un programme qui avait été mené…

RACHIDA DATI
Non mais attendez, je termine ma phrase. De casser cet entre-soi et cette endogamie en disant « nous vous attendons aussi sur les nominations ». Moi je souhaite aussi ouvrir cette culture, y compris dans les nominations, au plus grand nombre et à ceux pour lesquels ce n'est jamais pour eux. Et donc la culture pour tous, c'est soit, comme je l'ai dit pour la ruralité, l'obstacle physique : on n'a pas les moyens de pouvoir aller à une salle de cinéma, se rendre à un spectacle vivant, se rendre à une médiathèque, à une bibliothèque, à une librairie. Vous savez, il n'y a plus de disquaires en France, pratiquement plus. Il y a encore des librairies, il y a encore 3 500 librairies. Et je le dis : moi à chacun de mes déplacements, je me rends dans des librairies. Ça, c'est le coeur battant aussi de la culture et c'est un moyen de faire accéder au plus grand nombre la culture. J'ai parlé par exemple des acteurs de l'éducation populaire, je les ai réunis récemment au ministère. Ils m'ont dit eux-mêmes « merci, Madame la ministre, ça fait plus de 30 ans que nous n'avons pas mis les pieds au ministère de la Culture parce que nous n'avons jamais été conviés comme partenaires ». Pourquoi ? Parce que cette culture populaire, pour certains c'est la médiocrité. La culture populaire, ça me permet aujourd'hui d'être à votre micro comme ministre de la Culture.

GUILLAUME ERNER
Le programme La Relève qui avait été mené par exemple par votre prédécesseur, l'idée donc d'introduire de la diversité, est-ce que c'est quelque chose que vous allez poursuivre en l'état, avec d'autres formes, Rachida DATI ?

RACHIDA DATI
Oui, parce qu'il a été contesté. Il y a eu des critiques, je les ai entendues, et évidemment j'ai revu les critères pour que ce soient des critères d'égalité ou d'équité. C'est-à-dire que les critères, moi je refuse les critères ethniques. Les critères sociaux ont en un sens, voilà. L'égalité des chances, c'est de permettre à ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder à la culture, qui n'ont pas les moyens matériels ou parfois psychologiques d'accéder à la culture, c'est de gommer évidemment cette inégalité-là, en tous les cas de la réduire. Et donc le programme de La Relève, j'ai revu les critères et ce programme d'ailleurs va être lancé prochainement. Et moi, je voudrais rendre hommage par exemple, à une association qui a beaucoup travaillé avec La Relève qui est l'association Les Déterminés et à son président Moussa qui effectivement fait un travail formidable dans ce cadre-là.

GUILLAUME ERNER
Vous avez fait une apparition sur Twitch dans une émission de rap. Là aussi il y a eu un certain nombre de commentaires. Moi, j'aimerais les vôtres. Est-ce que vous écoutez du rap ? Est-ce que c'était donc une décision délibérée pour montrer que le rap fait partie de la culture pour vous, Rachida DATI ?

RACHIDA DATI
D'abord sur cette émission sur Twitch, j'avais été invitée avant d'être ministre de la Culture. C'est un endroit à Aulnay-Sous-Bois qui est assez improbable, qui est très connu des jeunes et jeunes, toutes conditions sociales qui écoutent cette musique parce qu'on l'oublie, parce que c'est la caricature. Je vois, y compris à la ville de Paris, on considère que c'est que pour certains ou une certaine catégorie que je ne veux pas qualifier ici parce que ça serait gênant. Non, cette culture du Hip-Hop, du rap, ça concerne toutes les générations et aussi toutes les conditions sociales. Cet endroit, c'est un endroit où des célébrités Dadju, Tariq, Maître Gims, Nakamura qui était encore récemment.

GUILLAUME ERNER
J'ai dit un mot grossier.

RACHIDA DATI
Oui d'accord, je vous ai entendu, ne vous inquiétez pas je vous ai entendu.

GUILLAUME ERNER
De toute façon j'allais vous le redire.

RACHIDA DATI
Tous ces artistes qui ont réussi, qui ont réussi par eux-mêmes, qui ont réussi par leur solidarité, ils ont réussi, mais ils n'oublient pas, ils n'oublient pas d'où ils viennent et donc ils vont sur ces plateformes chanter, donner de leur temps. Ils ne se cachent pas dans des loges pendant des heures pour faire une petite prestation et s'en aller ; Non, ils retournent de là… d'où ils viennent pour pouvoir donner des prestations. Et entre deux chansons ou entre, j'allais dire, oui de prestation, ils essayent de promouvoir des jeunes qui se lancent dans cette musique et encore une fois, j'insiste toutes les conditions sociales. Et moi j'avais invité parce qu'il y avait deux jeunes filles qui faisaient leur première prestation et donc j'ai souhaité les soutenir. Effectivement et je remercie Tahiq et Dadju qui étaient là ce soir-là, qui ont soutenu cette jeunesse et cette jeunesse qui se bat toute seule parce que cette plateforme, elle fonctionne toute seule et comme elle peut. Et moi d'ailleurs, je les ai invités au ministère parce que je souhaiterais évidemment un peu plus les aider, parce que cette culture-là, c'est une vraie culture, c'est de la culture française, ça n'est pas. Et donc, cette reconnaissance-là, au sein de la culture française, c'est important, c'est important. Le Hip-Hop et le rap, ça contribue à la culture française. Ce n'est pas une culture qui déteste la France, bien au contraire, elle la fait aussi grandir.

GUILLAUME ERNER
Alors ça dépend quel rappeur, Freeze CORLEONE, une réaction.

RACHIDA DATI
Mais comme vous avez eu d'autres artistes dans d'autres secteurs musicaux, dans d'autres champs musicaux qui ont pu….

GUILLAUME ERNER
Bien sûr mais là en l'occurrence j'évoquais un nom controversé.

RACHIDA DATI
Je ne le connais pas et il n'y était pas ce soir-là.

GUILLAUME ERNER
Il n'y était pas ce soir-là. Vous voyez à peu près ce qu'on lui reproche à Freeze CORLEONE.

RACHIDA DATI
Il n'était pas là. Non mais pourquoi vous voulez l'associer à moi ?

GUILLAUME ERNER
Non, je ne veux pas d'association à vous, je veux une réaction de la ministre de la Culture à un problème qui est un problème récurrent qui a été le cas avec Médine, avec Freeze CORLEONE, et il est plus avec des rappeurs qu'avec d'autres gens.

RACHIDA DATI
D'accord avec certains rappeurs vous avez raison, est ce qu'il faut condamner le rap, monsieur ?

GUILLAUME ERNER
Non, non.

RACHIDA DATI
Alors pourquoi vous ne me parlez pas d'autres artistes qui sont peut-être plus conventionnels, qui sont peut-être de votre classe sociale et qui sont….

GUILLAUME ERNER
Non, ne commencez pas comme ça parce que ça, ce n'est pas…

RACHIDA DATI
Non, je ne commence rien et je ne finis sur rien. Je vous dis simplement que….

GUILLAUME ERNER
J'écoute du rap, je n'ai aucun problème avec ce genre musical. J'ai un problème avec l'antisémitisme et avec le racisme.

RACHIDA DATI
Moi je n'ai pas un problème avec l'antisémitisme, c'est un délit, Monsieur, j'ai été magistrat et j'ai été Garde des Sceaux.

GUILLAUME ERNER
C'est ce que je voulais vous entendre dire.

RACHIDA DATI
Parce que vous en doutiez ?

GUILLAUME ERNER
Non, je n'en doutais pas. Mais avec Freeze CORLEONE, c'était le débat qui avait eu lieu.

RACHIDA DATI
oui mais quand vous l'associer, quand vous me dites je ne le connais pas et je crois qu'il y a une procédure judiciaire et c'est normal. C'est comme l'art, vous savez, la liberté de création, elle est absolue. Mais la pédocriminalité, ce n'est pas un art. Voilà, si vous voyez ce que je veux dire. C'est exactement, nous sommes dans le même registre.

GUILLAUME ERNER
Effectivement ce que vous voulez dire. Et justement, comme vous vous êtes plusieurs fois effectivement exprimée là-dessus, comme il y a aussi d'autres questions sur les oeuvres qu'il faut montrer ou ne pas montrer, vous étiez évidemment la grande fête du cinéma français, et là aussi il y a une question qui se pose. Suite donc à des accusations, le film de Jacques DOILLON a été, disons, sera projeté à une date ultérieure. Rachida DATI, qu'en pensez-vous ?

RACHIDA DATI
Alors moi, je vais vous dire, c'est ma position. D'abord, lutter contre les violences sexuelles et sexistes comme les violences conjugales, moi, c'est un combat que je mène et souvent j'ai été très seule il y a quelques années. C'est des combats que nous menons, que j'ai mené beaucoup avec Simone VEIL. D'ailleurs, je rappelle que sa robe de magistrat, la robe de magistrat de Simone VEIL, elle me l'a offerte. J'ai rendu la justice au nom du peuple français dans sa robe. C'est un combat que nous menons depuis très longtemps et qui est un combat pour moi. Je dirais un combat de vie. C'est un combat qui m'a amené à la politique et donc il faut ne rien laisser passer. La nouveauté, c'est qu'enfin nous entendons la parole des femmes. Il faut l'entendre, il faut la reconnaître. Mais ça va plus loin parce qu'il n'y a pas que des femmes victimes. Il n'y a pas que des femmes, il y a des enfants, il y a des jeunes hommes. Et donc, c'est d'entendre la parole de ces victimes. Il faut l'entendre. Alors, il ne faut pas la sacraliser, mais il faut l'entendre. Et donc il ne faut rien laisser passer. C'est pour ça que je disais la liberté de création doit être absolue. Mais la pédocriminalité, ce n'est pas un art. Les violences sexuelles, ça n'est pas de l'art. Et donc il faut être très clair là-dessus. Ensuite, sur, évidemment, comment, sur le fait….

GUILLAUME ERNER
Qu'est-ce qu'on fait du film de Jacques DOILLON par exemple ?

RACHIDA DATI
Moi c'est mon avis personnel, je vais vous dire. Un livre par exemple, c'est une oeuvre individuelle. Vous pouvez très bien sanctionner un auteur. C'est une sanction individuelle. Sur un film, c'est une oeuvre collective. Est ce qu'on doit punir, sanctionner tous les autres talents, tous les techniciens, les maquilleurs, les secrétaires, les régisseurs, ceux qui investissent aussi dans ce film ? Moi, je suis plus gênée par rapport à la sanction collective. Nous sommes un pays. Je parlais du droit tout à l'heure, vous savez je ne suis pas devenu magistrat par hasard parce que nous sommes dans un pays de responsabilité individuelle, pas de responsabilité collective. Et donc je suis plus gênée de punir tout un film, de punir toutes, tous les artistes sous diverses formes, en raison d'un comportement inapproprié ou illégal, pénal, pénalement répréhensible d'une personne. Ça c'est mon avis personnel.

GUILLAUME ERNER
Merci beaucoup Rachida DATI, ministre de la Culture d'avoir été avec nous ce matin.

RACHIDA DATI
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2024