Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur les finances publiques et l'économie française, à Paris le 6 mars 2024.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Audition par les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat

Texte intégral

Bonjour à tous,

Je remercie la Commission des finances pour cette audition. Vous voulez à juste titre en faire un moment important de notre vie économique et financière, je veux en faire un moment de vérité.

Nous fêtons un triste anniversaire : depuis 50 ans, la France n'a pas présenté de budget à l'équilibre.
Le dernier budget à l'équilibre remonte à 1974.

En regardant, donc, la réalité de nos finances publiques en face, nous pouvons en tirer une conclusion simple : la France est accro à la dépense publique. Elle ne la maîtrise pas, elle la subit. Elle puise dans ses réserves vitales – les entreprises, le travail, la croissance - pour financer son addiction. Avec une part des dépenses publiques dans le PIB s'élevant à 57%, sommes-nous plus heureux collectivement qu'avec 40% en 1974 ? Non.

Pour beaucoup, la dépense publique est la solution à tous nos problèmes ; la dépense publique risque maintenant de devenir notre problème à tous.

Face à cette situation, nous devons prendre les décisions nécessaires pour rétablir à nouveau nos comptes publics, comme nous avons su le faire de 2017 à 2019. Nous devons le faire maintenant, parce que la crise du covid et la crise inflationniste sont désormais derrière nous. Nous devons le faire sans brutalité, pour préserver nos capacités d'investissement dans l'innovation, la transition climatique et les grands services publics de la Nation. Nous devons le faire avec fermeté, car nous devons sortir de cette exception française qui nous rend incapables depuis 50 ans de réduire la dépense quand la situation économique s'améliore.

L'heure des choix a donc sonné.

Ces choix, nous les ferons avec la majorité, que je remercie pour son soutien constant depuis 7 ans sur tous les budgets qui ont été présentés par le Gouvernement. Nous les ferons avec un double objectif : revenir sous les 3% de déficit en 2027 et lancer la France sur une trajectoire d'équilibre de ses finances publiques en 2032. En 2032, nos comptes publics doivent être de nouveau à l'équilibre.

Je commencerai en rappelant quelques vérités simples.

1ère vérité : la France a le niveau de dépense publique le plus élevé de tous les pays développés [slide 2].

Avec 57% de part de la dépense publique dans la richesse nationale, nous dépensons chaque année plus de la moitié de tout ce que nous produisons pour la dépense publique.

2ème vérité : Cet écart de dépense publique par rapport aux autres pays européens s'explique principalement par la dépense sociale [slide 3].

Nous dépensons 6 points de PIB de plus que la moyenne des autres pays européens sur les prestations sociales, la santé et les retraites.

3ème vérité : Conséquence de ce niveau élevé de dépense, la France a le niveau de dette publique le plus élevé de la zone euro, après la Grèce et l'Italie [slide 4].

Cela fait de nous un des tout premiers émetteurs de dette brute avec 285 milliards d'euros à lever en 2024, et le premier émetteur de dette nette avec 133 milliards d'euros prévus en 2024 [slide 5].

Pour mémoire, la France avait un niveau d'endettement public comparable à celui de l'Allemagne dans les années 2000.

En 2012, après la crise financière, nous avions décroché de 10 points. En 2017, nous avons trouvé une situation avec près de 35 points d'écart. [slide 6].

En revanche, face à la crise du covid, nous avons réagi de façon comparable.

4ème vérité : La France n'a jamais connu l'austérité depuis 50 ans. Arrêtons les fantasmes, regardons les chiffres [slide 7].

Il n'y a pas eu d'austérité hier ; il n'y a pas d'austérité aujourd'hui, il n'y en aura pas demain. Tout simplement car l'austérité n'est pas la bonne réponse à la situation économique où nous sommes.

Les dépenses publiques, c'était 760Md€ en 2000, près de 1600Md€ en 2023. Si je compte bien, la dépense publique a plus que doublé en 23 ans.

Un doublement de la dépense, ça fait cher l'austérité.

Je finirai par deux vérités plus encourageantes.

5ème vérité : La France a des finances publiques dégradées mais des résultats économiques solides.

Nous avons un niveau de croissance supérieur à celui du Royaume-Uni, de l'Italie et de l'Allemagne, en croissance cumulée depuis 2017 [slide 8]. Nous avons créé des entreprises, près de 400 000 l'année dernière [slide 9], nous avons créé 2 millions d'emplois [slide 10], dont 130 000 emplois industriels, depuis 2017, et nous avons mieux protégé le pouvoir d'achat de nos compatriotes [slide 11] que tous les pays de la zone euro.

Je voudrais remercier la majorité pour ses victoires économiques, qui ont fait de la France le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en France.

Nous devons maintenant faire la même chose pour les finances publiques, en retrouvant l'esprit de 2017.

Nous sommes à la croisée des chemins.

Nous avons trois options :

Nous pouvons ne rien faire et laisser filer les dépenses et la dette comme les autres majorités avant nous ; ce serait irresponsable ; cela se traduirait immédiatement par un écart de taux plus important avec nos voisins européens et par une augmentation du coût du crédit pour les ménages, pour les entreprises et pour les administrations. En bref, ce serait jeter l'argent par les fenêtres.

La deuxième option est d'augmenter les impôts. Cette option est une impasse. Pour une raison qui est simple : nous avons le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de toute l'Union européenne [slide 12].

La troisième option est celle que je vous propose : rétablir sans délai nos finances publiques ; je veux rompre avec cette fatalité, qui veut qu'à chaque sortie de crise, une dépense exceptionnelle devienne une dépense ordinaire. Si bien qu'à chaque fois nous atteignons un nouveau plateau de dépenses publiques dont nous n'arrivons pas à redescendre. En France, chaque dépense publique de crise devient une dépense courante ; le provisoire devient du permanent, nous atteignons par conséquent des sommets toujours plus hauts de dépenses. [slide 13]

En matière de dépenses publiques, la France monte toujours l'escalier ; elle ne le descend jamais. On pense que c'est un progrès ; c'est une défaite.

Comment est-ce que cela se décline ?

Cela se décline en une stratégie à 4 piliers.

1er pilier de cette stratégie : réduire la dépense publique.

Nous devons d'abord supprimer les dépenses de crise, liées au covid ou à l'inflation.

Notre majorité a eu le courage de débrancher les dispositifs exceptionnels mis en place depuis deux ans, elle a eu la sagesse de le faire progressivement, c'est tout à son honneur.

Nous avons retiré le bouclier tarifaire sur le gaz en janvier dernier. Nous avons commencé à sortir du bouclier tarifaire sur l'électricité en février 2024.

Je tiens à dire merci une nouvelle fois à la majorité qui a su faire bloc alors que toutes les oppositions ont rejeté ces propositions.

2e pilier de cette stratégie : l'Etat doit montrer l'exemple.

C'est tout le sens des 10 milliards d'économies que nous avons fait avec Thomas Cazenave.

On nous dit : rabot ; je réfute cette critique.

Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage.

Quand on veut tuer une économie sur la dépense publique, on parle de " coup de rabot ".

La formule " coup de rabot " est la formule passe partout pour rendre impossible toute réduction de la dépense publique. Comme aurait dit Lapalisse, quand on coupe une dépense publique, on coupe une dépense publique.

Je suis bien obligé de constater une chose depuis 7 ans : quand on fait une économie, ce n'est jamais le bon moment, ce n'est jamais la bonne dépense, ce n'est jamais la bonne méthode.

Pourquoi avons-nous décidé ces économies dès février ?

J'entends les critiques sur des économies annoncées deux mois seulement après l'adoption de la loi de finances pour 2024.

Il se trouve que des éléments concordants ont amené une dégradation brutale de la conjoncture budgétaire dans les premières semaines de 2024 : une situation géopolitique plus tendue, un ralentissement de la croissance en Chine, comme en Allemagne, qui ont pesé sur la croissance française, induisant des recettes fiscales moins fortes.

Ces éléments ont amené tous les instituts de conjoncture internationaux à réviser la croissance début 2024 : FMI, OCDE, Commission européenne.

A la suite de ces révisions, les Etats européens ont aussi révisé leur croissance : l'Allemagne, le 21 février dernier, a révisé de 1,3% à 0,2% sa prévision de croissance pour 2024 ; la Commission européenne a aussi révisé en février sa prévision pour la zone euro en 2024 : de 1,2% prévus en novembre 2023, elle est passée à 0,8%.

J'ai fait le choix de réviser la croissance le 18 février, de 1,4% à 1,0%, exactement au même moment que nos partenaires européens. Les choses doivent être claires pour tous : il y a moins de croissance donc nous devons faire plus d'économies pour tenir notre objectif de finances publiques.

Pourquoi sommes-nous passés par la voie réglementaire ?

La loi organique sur les finances publiques donne la possibilité au Gouvernement de réduire les crédits de l'Etat jusqu'à 1,5 % de ceux ouverts par le projet de loi de finances ; nous nous sommes saisis de ce droit. Il nous permet, conformément à l'esprit de la loi organique, de faire preuve de réactivité face à une situation imprévue.

Je rappelle qu'en raison de la situation géopolitique et du ralentissement de la croissance, notre déficit public sera significativement au-dessus de 5% en 2023.

Il était donc indispensable de réagir vite et fort.

Par ailleurs, ces décisions d‘économies sont réfléchies ; elles n'ont rien à voir avec la purge que certains voudraient présenter [slide 14] :

- Sur la mission Travail : les crédits ont augmenté de 40% entre 2017 et 2024. Après annulation, ils auront encore augmenté de 34%. Dans un contexte où nous avons créé 2 millions d'emplois et où le chômage a baissé de deux points : moins de chômage, plus de crédits pour la mission Travail, voilà la réalité des chiffres.
- Sur l'Aide publique au développement : les moyens ont augmenté de 111% entre 2017 et 2024 (ils sont passés de 7,5 à 15,8 Md€). Est-il vraiment illégitime de modérer l'augmentation de ces crédits ? Après annulation, ils auront encore doublé sur cette période.
- Sur la mission Ecologie : les crédits ont augmenté de 64% entre 2017 et 2024. Après annulations, ils augmentent encore de 41%.

3ème pilier de notre stratégie : faire des choix de politique publique est nécessaire.

Je rappelle les ordres de grandeur : la dépense publique, c'est 50% de dépense sociale, 30% de dépense de l'Etat, 20% de dépense des collectivités locales.

Tout le monde doit donc participer au rétablissement des finances publiques. Au-delà de ces 10 Md€ d'économies indispensables, nous devons interroger toutes nos politiques publiques ; nous devons aussi travailler sur l'organisation de l'Etat, sur le nombre de strates administratives locales et nationales et sur nos choix de politiques sociales.

Quelques questions à ce sujet :

Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que nous remboursions l'intégralité des transports médicaux pour 5 milliards d'euros par an ?
Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que notre protection sociale soit intégralement financée par ceux qui travaillent ?
Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que le nombre de jours d'absence parmi les personnels des collectivités locales soit de 17 par an, quand il est de 12 dans le privé, et de 10 dans les services de l'Etat ?
Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre de garder un tel empilement d'échelons d'administrations locales ?

Toutes ces questions sont des questions politiques au sens le plus noble du terme ; elles exigent des choix, comme toute dépense publique, mais gouverner c'est choisir. Je souhaite que tout le Parlement soit associé à ces choix, car chacune des dépenses que je viens de citer fait l'objet d'une revue de dépenses publiques.

4ème pilier de la stratégie : un calendrier clair.

La première étape, c'était la sortie progressive des dispositifs exceptionnels.

La deuxième étape, ce sont les 10 milliards euros d'économies.

La troisième étape, cela pourrait être un PLFR cet été si cela est nécessaire.

La quatrième étape, ce sera le budget 2025 qui sera nourri par les revues de dépenses publiques.

Je viens mettre cartes sur table, je vous l'ai dit. Voici donc la liste des revues de dépenses en cours : aides aux entreprises, dispositifs en faveur de la jeunesse, politiques de l'emploi, formation professionnelle et apprentissage, dispositifs médicaux, affections de longue durée, aides au secteur du cinéma, absentéisme dans la fonction publique, mesures de maîtrise de la loi de programmation militaire, dépenses immobilières des ministères sous loi de programmation.

Au regard des nouveaux chiffres de croissance, les 12Md€ d'économies prévus pour le budget 2025 afin de tenir notre trajectoire, ne seront pas suffisants. Ces économies sont la condition pour repasser sous l'objectif de 3% de déficit en 2027.

5ème pilier de la stratégie : relancer la croissance.

Plus de croissance, cela donne moins de dette.

Cela passe par des réformes de structures.

Tous ceux qui ont voté pour la réforme des retraites, pour la réforme de l'assurance chômage, pour la réforme de la formation professionnelle, ont voté pour le désendettement.

Tous ceux qui ont voté contre la réforme des retraites, contre la réforme de l'assurance chômage, contre la réforme de la formation professionnelle, ont voté pour le surendettement.

Nous voulons continuer ces dépenses de structure, nous voulons simplifier la vie des entrepreneurs, supprimer les rentes qui existent dans le modèle économique français, renforcer l'attractivité de notre pays.

La croissance, c'est d'abord des réformes. Je persiste et je signe : à modèle social constant, vous ne parviendrez pas au plein emploi en France. Et si nous arrivons au taux d'emploi de l'Allemagne en France, nous n'aurons plus de problème de finances publiques.

Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Voilà ce que je vous propose. La croissance, l'investissement, le travail et l'innovation sont les vraies solutions face à une dépense publique qui n'apporte pas les réponses attendues.

Nous avons besoin d'une cure de désintoxication de la dépense publique : elle a commencé.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 7 mars 2024