Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France 2 le 22 mars 2024, sur le plan eau et les économies budgétaires dans le domaine de l'environnement.

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Média : France 2

Texte intégral

GUILLAUME DARET
Bienvenue dans Les 4V, Christophe BECHU. On a appris hier soir le décès de l'ancien ministre de la Culture, Frédéric MITTERRAND. Qu'est-ce que vous retiendrez de lui ?

CHRISTOPHE BECHU
Une anecdote personnelle à Angers, au Musée de la tapisserie contemporaine Jean LURÇAT, où j'avais eu l'immense joie de pouvoir échanger avec lui et où sont son élégance, sa culture avaient illuminé le moment. Il y a comme ça des gens qui, pas simplement par ce qu'ils disent mais par la manière dont ils disent, par la façon dont il est, par ce qu'ils incarnent, font partie de notre paysage, de notre quotidien, et Frédéric MITTERRAND a été de ceux-là.

GUILLAUME DARET
Alors, vous êtes le ministre de la Transition écologique. Il y a un an, vous avez lancé le plan eau. Un an après, c'est l'heure du premier bilan. Où est-ce qu'on en est ? L'objectif, c'est de faire 10% d'économies à horizon 2030.

CHRISTOPHE BECHU
53 mesures. Elles sont toutes engagées à des degrés… Pour certaines, c'est voté, fini, budgété. Pour d'autres, c'est en cours. On va aujourd'hui avec Roland LESCURE braquer les projecteurs sur la partie industrielle du plan.

GUILLAUME DARET
Vous êtes venu avec une carte d'ailleurs ce matin.

CHRISTOPHE BECHU
Je vous confirme.

GUILLAUME DARET
On va essayer de voir si on réussit à la diffuser. Vous nous l'avez amenée.

CHRISTOPHE BECHU
C'est celle qu'on va rendre publique aujourd'hui. Ce sont les 51 sites industriels qui représentent à eux seuls 25 % de la consommation d'eau de toute l'industrie française. Et ces 51 sites, ils se sont engagés à baisser de plus de 10% leur consommation avant 2030, et puis davantage au-delà. Et on va aller avec le ministre de l'Industrie, Roland LESCURE, aujourd'hui, visiter l'un de ces sites, parce que ça fait aussi partie de la manière de produire de manière écologique.

GUILLAUME DARET
Qu'est-ce qu'il y a comme grandes entreprises, par exemple, qui sont concernées ?

CHRISTOPHE BECHU
On va typiquement aujourd'hui dans une entreprise qui n'est pas forcément très connue du grand public, mais qui s'appelle NOVACARB, qui fait des produits qui sont cruciaux, en particulier pour l'industrie automobile ou pour la pharmacie. Vous avez un site qui s'appelle APERAM, qui travaille dans le domaine de l'acier dans le Nord. Vous avez des quantités de sites, pas tous, qui s'adressent directement aux consommateurs, mais tous qui ont un impact sur notre souveraineté et sur notre capacité à produire dans notre pays. Le deuxième chiffre que je veux vous donner, parce que pour moi il est crucial, c'est qu'il y a un an, on avait insisté sur le fait qu'il y avait deux sources de gaspillages principales.

GUILLAUME DARET
Les fuites d'eau notamment.

CHRISTOPHE BECHU
Les fuites et le fait qu'on ne réutilisait pas l'eau en France.

GUILLAUME DARET
Les fuites d'eau, on en est où ?

CHRISTOPHE BECHU
Les fuites, on avait identifié 171 communes où les taux de fuites étaient supérieurs à 50%.

GUILLAUME DARET
C'est-à-dire que 50% de l'eau était perdue dans les tuyaux ?

CHRISTOPHE BECHU
Entre l'usine d'eau et le consommateur, on avait plus d'un litre sur deux qui partait dans la nature.

GUILLAUME DARET
On en est où ?

CHRISTOPHE BECHU
On a 93 de ces 171 sites où le problème est réglé ? et on en a 80 sur lequel on est en train de continuer à faire les travaux. Et puis, il y a la réutilisation des eaux usées.

GUILLAUME DARET
On n'était pas très bon en France là-dessus.

CHRISTOPHE BECHU
On était très mauvais. Moins de 1% de notre eau seulement en France était réutilisée. On avait que 33 stations d'épuration qui réutilisaient l'eau d'une manière. On est à plus de 700 en seulement un an, alors qu'on s'était fixé un objectif. Le président de la République avait dit : il en faut 1 000 dans les quatre ans. 700 en une seule année, ça, c'est vraiment un chiffre qui montre une prise de conscience et d'investissement, notamment de la part des collectivités territoriales sur le sujet qui est assez spectaculaire.

GUILLAUME DARET
Alors on a parlé des industries. L'un des gros consommateurs d'eau, c'est aussi le secteur de l'agriculture. Est-ce que vous êtes favorable à la construction de nouvelles bassines ou méga-bassines ? C'est ce que demande notamment la FNSEA qui doit revoir le Premier ministre et le président de la République dans les jours à venir. Oui ou non à des nouvelles méga-bassines pour stocker l'eau ?

CHRISTOPHE BECHU
Rien que la manière dont vous posez la question en disant " est-ce que vous êtes favorable à des méga-bassines… "

GUILLAUME DARET
À des bassines.

CHRISTOPHE BECHU
Oui. La FNSEA, elle demande des retenues. Ce que je veux dire, c'est que derrière le débat sémantique - il n'est pas du tout anodin - On a des centaines de milliers de points d'eau dans ce pays. Plus de 300 000 qui font plus de 1 000 mètres carrés et qui servent à l'agriculture. Qu'on en ait besoin de nouveaux au moment où les scientifiques nous disent " vous aurez plus d'eau l'hiver, vous aurez moins d'eau l'été ", c'est une évidence. Ensuite, il faut projet par projet regarder ceux sur lesquels il y a matière à accélérer et ceux sur lesquels il peut y avoir des débats. Et pour être clair, nous avons besoin de davantage de retenue. C'est en particulier vrai dans les zones de montagne, parce que la diminution de la neige, elle menace à terme les troupeaux et l'abreuvement des troupeaux en montagne, et ça participe à nos équilibres écologiques.

GUILLAUME DARET
Les Pyrénées Orientales, c'est le département le plus touché par la sécheresse en France. Vous y étiez hier. Il y a notamment un projet de golf qui fait polémique à Villeneuve-de-la-Raho, près de Perpignan. Vous avez dit hier que c'était un peu anachronique. Très concrètement, est-ce que le gouvernement est favorable ou non à ce projet ?

CHRISTOPHE BECHU
Très concrètement, c'est un projet communal. C'est un projet sur lequel un préfet, il y a dix ans, avait fait part de l'opposition de l'Etat et sur lequel le juge a donné raison à l'aménageur et à la maire.

GUILLAUME DARET
Aujourd'hui, vous êtes favorable ou défavorable ?

CHRISTOPHE BECHU
Aujourd'hui, dans quinze jours, la maire de Villeneuve-de-la-Raho et l'aménageur seront dans mon bureau pour que je leur fasse part de mon analyse, de mes critiques et des points sur lesquels j'attends des explications…

GUILLAUME DARET
Vous êtes favorable ou défavorable à ce projet, le gouvernement ?

CHRISTOPHE BECHU
Guillaume DARET, quand je dis quelque chose, c'est parce que je non seulement je le pense mais je sais ce que je vais faire. Ce que je vous dis ce matin, sur un projet sur lequel la première responsabilité est communale, c'est que la maire de Villeneuve-de-la-Raho est convoquée dans mon bureau avec l'aménageur dans quinze jours. Je m'exprimerai après.

GUILLAUME DARET
Donc vous ne soutenez pas ce projet.

CHRISTOPHE BECHU
Je ne soutiens pas ce projet.

GUILLAUME DARET
Ç'a le mérite d'être, clair. Justement, sur cette question des réserves d'eau, on disait il y a les Soulèvements de la Terre qui ont annoncé de nouvelles mesures et de nouvelles actions à partir d'aujourd'hui. Qu'est-ce que vous leur répondez ? Ils veulent mener de nouvelles actions sur le plan de l'écologie.

CHRISTOPHE BECHU
Si leur enjeu c'est de sensibiliser l'opinion, super. Si c'est de recommencer une partie des débordements extrêmement violents qui ont conduit à blesser des dizaines de femmes et d'hommes qui travaillent pour la police ou la gendarmerie en venant avec des cocktails Molotov ou des boules de pétanque, comme ç'a été le cas il y a quelques mois, qu'ils s'abstiennent parce qu'ils ne rendent pas service à l'écologie.

GUILLAUME DARET
La situation des finances publiques est bien plus mauvaise que ce qu'on pensait encore il y a quelques semaines. Vous étiez autour du chef de l'Etat mercredi soir à l'Elysée pour réfléchir sur cette question des finances publiques. Il va falloir faire des économies, probablement plus de 20 milliards l'an prochain. Est-ce que ça veut dire que le budget de l'écologie va être sacrifié ? Est-ce que vous allez devoir faire de nouvelles économies ?

CHRISTOPHE BECHU
1/ Nous commençons cette année 2024, malgré les coupes budgétaires, avec 7 milliards d'euros de plus pour la transition écologique que l'année dernière à la même époque. 2/ Quand j'entends parler d'austérité dans un pays qui a un niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés au monde et qu'on fait comme si on était sur le point d'arrêter des choses qui étaient essentielles pour la nation tous les matins, je pense qu'il faut raison garder.

GUILLAUME DARET
Est-ce qu'il y aura des coupes budgétaires dans le budget de l'écologie ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y a eu 10 milliards d'euros de coupes budgétaires qui ont été rendues publiques il y a quelques jours.

GUILLAUME DARET
Dont 2 milliards chez vous.

CHRISTOPHE BECHU
Dont 2 milliards chez moi que j'assume parce qu'il n'y a pas de chez moi ou de chez nous. Il y a un chez nous tous. On est tous contribuables de ce pays, on est tous citoyens. Il faut investir dans la transition écologique pour les générations futures mais il ne faut pas non plus laisser aux générations futures une dette qui se traduirait demain par une…

GUILLAUME DARET
Mais est-ce que l'écologie est sanctuarisée oui ou non, ce budget ?

CHRISTOPHE BECHU
Quand je vous dis qu'on est à plus 7 milliards sur le budget de l'écologie, ce n'est pas que c'est sanctuarisé, c'est que c'est le budget qui progresse le plus.

GUILLAUME DARET
Mais vous n'excluez pas qu'on vous demande de nouvelles économies.

CHRISTOPHE BECHU
Pas sur l'année 2024.

GUILLAUME DARET
Peut-être sur l'année 2025.

CHRISTOPHE BECHU
On travaillera sur un budget 2025 de manière collective. Mais sur l'année 2024, les sommes que nous avons déjà rendues, de mon point de vue, elles doivent être à peu près à la hauteur de l'effort dont on a besoin.

GUILLAUME DARET
Pourquoi ne pas augmenter les impôts ? C'est ce que demandent certains, y compris dans votre majorité, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël BRAUN-PIVET.

CHRISTOPHE BECHU
Vous savez, à ce stade, le sujet ce n'est pas le concours Lépine de comment on fait face à un chiffre que nous ne connaîtrons que mardi. C'est 1/ nous avons une situation budgétaire qui s'est dégradée et 2/ on n'a pas attendu la publication des chiffres de l'INSEE puisqu'il y a déjà eu 10 milliards d'euros de coupes budgétaires qui, précisément, ont été engagées à l'instant où on a appris qu'on ne tiendrait pas le déficit prévu en 2024.

GUILLAUME DARET
Mais augmenter les impôts, c'est tabou ?

CHRISTOPHE BECHU
Ça ne l'est pas. Vous savez très bien qu'il y a, sur le sujet, des discussions à l'intérieur de la majorité. Ensuite, le simple fait de venir sur un plateau de télé pour dire « si on augmentait les impôts dans tel domaine, si on baissait les dépenses dans tel autre », vous alimentez une espèce de truc qui fait qu'à la fin, vous avez un débat budgétaire sur les plateaux alors qu'un débat budgétaire, ça se fait d'abord de manière sérieuse en regardant la réalité économique et les mesures. Parce qu'y compris quand vous parlez d'impôt, selon que vous jouiez sur le flux ou sur le stock, pour être clair, ce n'est pas la même chose de dire pour les gens qui vont acheter quelque chose de nouveau, on va modifier les paramètres ou on va changer les règles fiscales sans que vous puissiez vous-même tenir compte de ces évolutions budgétaires.

GUILLAUME DARET
Est-ce que vous allez demander aux collectivités locales et territoriales de faire des efforts budgétaires elles aussi ?

CHRISTOPHE BECHU
Il y aura dans quelques jours, au début du mois d'avril, un Haut conseil des finances publiques locales qui sera l'occasion de faire avec elles le bilan comptable de l'année écoulée. Elles ont été confrontées, comme tous les acteurs économiques, à une explosion des dépenses énergétiques, à une augmentation liée à l'inflation des charges de personnel, à une augmentation des frais liés à leurs dettes financières. C'est tout ça qu'on doit regarder avec elles parce qu'on a, quand on regarde, des mauvaises nouvelles du côté de l'Etat et puis on a, du côté des collectivités locales, plus de dépenses que ce qui avait été anticipé au budget il y a un an.

GUILLAUME DARET
Elles dépensent trop ou pas ces collectivités ?

CHRISTOPHE BECHU
Je ne dis pas ça. Je dis : on a dans quelques jours un moment de faire un point global. On est en train de parler de 36 000 collectivités différentes. Vous avez de tout. Vous avez des départements qui sont confrontés à l'explosion des dépenses de l'ASE ; vous avez des communes qui, dans certains endroits, se retrouvent à dépenser plus d'argent alors qu'elles ont moins d'habitants et que ça peut sembler étonnant ; et puis vous en avez d'autres qui ont investi dans la transition écologique. Donc il nous faut le bilan consolidé, et le bilan consolidé pour les collectivités locales, il n'arrive qu'au début du mois d'avril, quand tous les budgets sont votés à la fin du mois de mars et quand on a un recul sur l'année écoulée qui est de l'ordre d'un trimestre.

GUILLAUME DARET
Merci beaucoup, Christophe BECHU


source : Service d'information du Gouvernement, le 2 avril 2024