Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe Les Républicains, sur la fermeture des classes et la mise en place de la carte scolaire dans les départements.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il est souvent fait état de la France des 36 000 communes ; si vous me le permettez, je souhaiterais que nous parlions aujourd'hui de la France des 48 000 écoles.
Notre pays peut en effet s'enorgueillir de son maillage scolaire unique, qui comptait en 2023 pas moins de 58 900 écoles et établissements du second degré, accueillant 12,7 millions d'élèves et d'apprentis. C'est là notre fierté.
Ce réseau très dense de proximité est important pour le bien-être des élèves et des personnels de l'éducation nationale en ce qu'il leur permet de vivre près de leur école, de limiter les temps de transport et de disposer d'établissements à taille humaine.
C'est aussi un élément important de la vie quotidienne de chacun de nos territoires. Nous sommes donc attachés à le préserver autant que faire se peut.
Toutefois, vous le savez, la France doit faire face depuis plusieurs années à un phénomène inédit et structurel de ralentissement de sa démographie.
Depuis 2017, nous avons ainsi perdu près de 400 000 élèves à l'échelle nationale. Cela suppose d'adapter notre réseau, partout dans le pays.
Avec ses 48 220 écoles primaires, la France dispose d'un nombre très élevé de structures, alors que l'Allemagne, plus peuplée, en compte moins et que l'Espagne en totalise seulement 12 300.
Si ce recul démographique touche l'ensemble de notre pays, il affecte différemment les territoires : alors que la déprise est marquée dans certains d'entre eux, d'autres continuent à gagner en population, parfois très fortement.
Ces tendances aux causes diverses se vérifient à l'échelle nationale, mais aussi parfois au sein d'une même région, voire d'un même département. L'éducation nationale doit donc suivre ces tendances pour assurer à chaque élève la présence d'un enseignant face à lui, et ce dans les meilleures conditions d'apprentissage possible.
Enfin, il est important de garder à l'esprit l'effort que nous réalisons pour assurer le bon déploiement de nos politiques prioritaires.
Je pense en particulier au dédoublement des classes de grande section, de CP et de CE1 en éducation prioritaire et à leur plafonnement à vingt-quatre élèves sur le reste du territoire.
Je pense également à l'ouverture chaque année dans nos écoles de nouvelles unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis).
Ces mesures, dont l'efficacité est réelle, nécessitent la mobilisation d'une part importante de nos ressources. Il faut donc adapter notre schéma d'emploi en conséquence.
Dans ce contexte et compte tenu de ces impératifs, l'éducation nationale reste pleinement mobilisée pour maintenir sa présence dans les territoires autant que faire se peut.
Précisons-le d'emblée : les ajustements que nous effectuons chaque année pour répondre à la diminution du nombre d'élèves ne suivent pas du tout ceux de la démographie. C'est là un principe fort auquel nous sommes attachés. Au contraire, nous tâchons du mieux possible de tirer parti de cette situation pour améliorer l'encadrement des élèves et favoriser de meilleures conditions d'enseignement.
Ainsi, malgré la baisse que j'évoquais de 400 000 élèves depuis 2017, pas moins de 12 000 postes d'enseignants ont été créés sur la même période. Cet effort très important nous a permis d'améliorer sensiblement l'encadrement des élèves : nous sommes passés de 5,46 professeurs pour 100 élèves en 2017 à 6,03 à la rentrée de 2023.
Cette amélioration assez considérable du taux d'encadrement est le signe de l'importance que nous accordons à l'école, à sa présence partout dans notre pays et aux conditions de la transmission des savoirs.
Le Gouvernement est donc attaché à maintenir un maillage scolaire aussi dense qu'efficace, tout en procédant aux adaptations rendues nécessaires par le contexte démographique et les réformes mises en œuvre.
Toutefois, j'y insiste : notre objectif consiste toujours à améliorer l'encadrement des élèves pour assurer les meilleures conditions d'apprentissage possible et la plus grande réussite scolaire.
Au-delà de la simple gestion des ressources humaines, je sais combien cette question extrêmement sensible pèse sur les territoires et sur le ressenti des habitants, dont vous êtes les porte-parole, mesdames, messieurs les sénateurs.
J'ai perçu, en tant qu'ancienne rectrice, notamment à Limoges, toute la sensibilité des enjeux liés aux modifications de la carte scolaire, en particulier dans les territoires ruraux. Votre propos, monsieur le sénateur Grosperrin, en portait le témoignage.
Je souhaite rappeler que la carte scolaire constitue avant tout un outil, dont l'élaboration, fruit d'un travail continu, doit être menée en lien étroit avec les forces vives des territoires, notamment les élus, pour que chaque élève dispose de conditions d'enseignement favorables.
À ce titre, je dois remercier les services de l'éducation nationale, en particulier les Dasen, pour leur engagement dans la conduite de ces politiques difficiles, qui nécessitent une connaissance fine des territoires, une fermeté bienveillante ainsi qu'une disponibilité de tous les instants, notamment vis-à-vis des élus, dont ils sont les premiers interlocuteurs.
Je sais aussi que, malgré le travail effectué en amont, les annonces de fermeture sont souvent vécues avec beaucoup de difficulté. C'est pourquoi le Gouvernement a proposé de faire évoluer la méthode appliquée jusqu'ici ; je souhaite poursuivre cet effort.
Annoncé le 15 juin 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne, le plan France Ruralités proposait une série de mesures, parmi lesquelles la création d'une instance de dialogue et de concertation entre l'État et les élus, à laquelle je suis très attachée et dont l'objectif est triple.
Il s'agit tout d'abord de partager le constat de l'existant et de mesurer tous les paramètres à prendre en compte. Les constructions nouvelles que vous évoquiez, monsieur le sénateur Grosperrin, en font partie.
Il s'agit ensuite de favoriser la cohérence des politiques publiques en matière d'aménagement du territoire éducatif et, de ce fait, de faciliter les échanges entre l'éducation nationale, les services de l'État et l'ensemble des élus.
Il s'agit enfin d'établir avec les élus des différentes collectivités concernées une vision prospective de l'évolution de la carte scolaire sur trois ans, ce qui, vous l'avez rappelé, est très attendu.
La généralisation de cette instance, que l'on appelle souvent « observatoire des ruralités », ne permettra pas de fixer un moratoire sur les fermetures de classes. Elle doit néanmoins faciliter le partage et l'étude des données et offrir une vision prospective, dans un contexte local précis. Elle permettra ainsi d'anticiper des mesures de carte scolaire, qui sont soit envisageables, soit prévisibles, soit inévitables.
Elle encouragera aussi le développement d'initiatives nécessaires pour garantir les meilleures conditions d'apprentissage à nos élèves.
Cette visibilité est indispensable pour les élus, qui hésitent parfois à s'engager dans des travaux de rénovation du bâti scolaire, qui sont pourtant nécessaires tant d'un point de vue économique ou climatique que pour offrir un cadre épanouissant et qualitatif aux élèves comme aux personnels.
Je sais que les élus sont particulièrement attentifs à cette question. Le rapport récent sur le bâti scolaire diligenté par votre assemblée en porte le témoignage.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre. Cette instance doit aussi permettre l'expression d'une solidarité entre les territoires.
C'est évidemment dans ce cadre que pourront être développés des projets du type territoires éducatifs ruraux ou cités éducatives, lorsqu'il s'agira de villes.
Cet ensemble de travaux autour d'un même objectif partagé, la cohérence des politiques publiques de l'État et le dialogue avec les élus me semblent indispensables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colombe Brossel.
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, en 2023, à Paris, vos services ont fermé 178 classes dans les écoles primaires publiques.
Cette année encore, ils continuent d'appliquer cette stricte logique comptable. Ainsi, 137 fermetures de classes sont annoncées dans le premier degré et les collèges verront la fermeture de 58 divisions. En considérant l'ensemble du second degré, l'on arrive à 128 suppressions de postes.
Madame la ministre, vous justifiez ces décisions par la baisse démographique. Toutefois, pour l'enseignement privé parisien dans son ensemble – école, collège, lycée –, une cinquantaine de classes seulement seront déconventionnées.
L'enseignement public assume quasiment à lui seul la baisse démographique à Paris. Vous contribuez, par ce type de décision, à le fragiliser.
Je vous ai déjà interpellée sur l'occasion historique que cette baisse démographique aurait pu constituer pour abaisser le nombre d'élèves par classe et faciliter ainsi l'accompagnement pédagogique et la réussite de tous les élèves.
Je vous ai également interpellée sur l'inégalité de traitement que vous continuez à entretenir entre enseignement public et enseignement privé à Paris, mais aussi, de fait, sur la ségrégation que cela contribue à alimenter.
Ma question est simple : quand et comment les fermetures de classes dans l'enseignement privé seront-elles discutées dans un cadre aussi démocratique que le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN) du premier degré pour l'enseignement public ? Quand et comment comptez-vous assurer cette transparence, notamment vis-à-vis des élus, au service d'une gestion qui ne soit pas inégalitaire et inéquitable pour l'enseignement public ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, la difficulté que nous rencontrons à Paris est liée à la baisse très importante de la démographie scolaire : à la rentrée 2024, on comptait ainsi 2 031 élèves en moins. C'est pourquoi l'académie de Paris a proposé de fermer 173 classes.
Malgré cela, le taux d'encadrement restera le troisième le plus favorable de notre pays. Les effectifs par classe dans le primaire sont passés, entre 2013 et 2023, de vingt-cinq à vingt élèves. Par ailleurs, trente-neuf ouvertures de classe sont prévues : vingt et une sont liées à la politique de dédoublement en zone d'éducation prioritaire que j'ai évoquée à l'instant et seize en raison du plafonnement du nombre d'élèves par classe à vingt-quatre. Seront aussi créés à la rentrée prochaine à Paris dix postes de personnels remplaçants.
En dépit de la baisse du nombre d'élèves, l'effort est donc maintenu dans la capitale.
Sur la question du lien avec le privé, nous fonctionnons comme nous l'avons toujours fait : c'est un dossier que je devrai traiter avec le nouveau recteur de l'académie de Paris, qui vient d'être nommé.
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, vous n'avez pas complètement répondu à ma question : quand et comment comptez-vous mettre en place un cadre qui permette de réunir l'ensemble des parties prenantes autour de la table, notamment dans le premier degré ?
Il n'est pas normal que les fermetures et les ouvertures de classe ne soient pas évoquées officiellement en CDEN : ces données ne font pas partie de celles que l'on y examine. Par ailleurs, madame la ministre, vous le savez, car vous êtes alertée par des élus de tous bords à Paris, le seuil de vingt-quatre élèves par classe sera largement dépassé après les fermetures.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Il y a Paris, certes, mais il ne faut pas oublier les régions.
Laissez-moi vous conter une histoire : il était une fois Arcey, une commune du Doubs – mais l'histoire pourrait se passer dans un autre département. Un inspecteur d'académie a demandé, voilà quelques années, aux sept communes voisines de regrouper leurs écoles. En 2018, celles-ci ont ainsi donné naissance à une seule école, et non pas un regroupement pédagogique intercommunal (RPI), à Arcey.
Voilà que cette année on leur demande de fermer une classe. Les acteurs locaux ont pris un engagement, ont fait des efforts pour le réaliser, se sont concertés et ont travaillé ensemble. Ils ont même dépensé de l'argent public, à hauteur de 1 million d'euros. Ils ont notamment perçu des crédits au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux et reçu des financements du département. Et puis patatras, le conte de fées se termine mal, comme c'est souvent le cas dans beaucoup d'écoles, dans beaucoup de régions de France.
Dans la ruralité, madame la ministre, la cible doit être adaptée. Les élus locaux sont en première ligne. Ils sont capables de travailler ensemble, je viens de le montrer. Surtout, il faut raisonner à l'échelle des bassins de vie.
Le débat que nous avons aujourd'hui est essentiel. Vous avez fait, madame la ministre, des annonces qui nous intéressent sur la mise en place du cadre de concertation triennal. Vous avez évoqué également l'installation d'observatoires des dynamiques rurales, ce qui suscite une attente chez les élus, celle que l'État s'engage à respecter un moratoire de trois ans pour les fermetures de classes. Or aucun budget pluriannuel n'est prévu. Quel sera, dès lors, le rôle de cette instance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je crois beaucoup à ces observatoires de la ruralité, là où cette problématique est particulièrement vive – mais ils pourraient être tout aussi utiles ailleurs.
Il est très important de partager avec les élus, qui connaissent leur territoire, un constat non seulement sur les données démographiques, dont on ne peut faire abstraction, mais aussi sur l'ensemble des politiques publiques conduites localement. C'est ainsi qu'il sera possible d'avoir une vision prospective.
Je suis lucide, je sais très bien que cela ne supprimera jamais le choc que constitue l'annonce d'une fermeture de classes. Mais peut-être cela conduira-t-il l'ensemble des partenaires – les élus, l'État – à mettre en œuvre des politiques construites de manière cohérente et concertée. Voilà ce à quoi je crois, raison pour laquelle nous allons proposer de mettre en œuvre cette nouvelle modalité de construction de la classe.
Je ne connais pas la situation de la commune du Doubs que vous avez évoquée, monsieur le sénateur. Je peux simplement rappeler que le Doubs connaît une baisse démographique importante. Le département comptera, à la rentrée 2024, 2 628 élèves de moins qu'en 2021, ce qui est important. Cette situation conduit à des fermetures de classes. Je conçois que cela soit difficile à accepter. Mais là encore, l'on constate que le taux d'encadrement évolue favorablement dans votre département.
J'espère que les nouvelles modalités d'élaboration de la carte scolaire, telles que je les ai présentées, et qui ont d'ailleurs déjà été mises en œuvre dans votre département, si mes informations sont exactes, permettront de développer une meilleure vision prospective.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, vous avez raison. Vous avez insisté sur le rôle des inspecteurs d'académie : ils remplissent leur rôle de manière très forte et sont très présents ; ils nous interpellent souvent.
La création d'observatoires constitue une idée intéressante, mais ma question portait sur le budget : aucun budget pluriannuel n'est prévu. Il existe une contradiction : certaines écoles perçoivent des crédits au titre de la DETR, avec l'accord des préfets, mais certaines d'entre elles voient leurs effectifs baisser. Les maires sont en plein désarroi. Je voulais vous alerter sur ce point.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. En milieu rural, les familles sont les premières victimes des fermetures de classes, ce qui les oblige parfois à réaliser de longs trajets.
Quand une classe ou une école ferme, les petites et les moyennes communes souffrent irrémédiablement d'une perte d'attractivité et de vitalité. Diminuer l'offre éducative, c'est condamner un territoire au déclin.
Les jeunes ruraux sont directement pénalisés par la mise en place de la carte scolaire, qui a des répercussions profondes et directes sur la vie du territoire et l'avenir des enfants.
Des inégalités territoriales flagrantes apparaissent, dont nous font part régulièrement les maires démunis, lesquels font déjà face à des difficultés de financement et à un manque de personnel.
Cela est d'autant plus vrai pour les jeunes. Les inscriptions à l'école sont du ressort du maire. Même si les enfants de moins de 3 ans ne sont pas comptabilisés dans les effectifs scolaires, certains inspecteurs d'académie donnent des consignes aux directeurs d'établissement pour qu'ils n'acceptent pas ces enfants.
Ainsi, quand le petit dernier n'est pas scolarisé, c'est toute une fratrie qui peut se trouver obligée de partir dans une autre école, parfois dans un établissement privé. La famille est même parfois contrainte de déménager vers une plus grande ville. C'est un cercle vicieux, qui transforme nos territoires ruraux en déserts éducatifs.
Nos enfants méritent mieux que cette logique comptable, fondée sur des statistiques démographiques et des chiffres déshumanisés. Ils méritent une éducation de qualité, accessible et équitable, où qu'ils vivent.
En milieu urbain ou rural, partout l'école républicaine doit répondre à ses promesses. Des efforts ont été faits pour les réseaux d'éducation prioritaire (REP). Pourquoi ne pas faire de même pour les zones rurales ? Une cour de récréation sans enfants, c'est la mort de la commune.
Madame la ministre, quelles sont vos ambitions à ce sujet ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. La scolarisation des enfants de 2 ans constitue un enjeu important, notamment en matière d'égalité des chances.
À la rentrée 2024, grâce à la scolarisation de ces enfants, soixante nouvelles classes de toute petite section ont pu être ouvertes, principalement dans les écoles des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Notre objectif est d'augmenter encore le nombre d'enfants de 2 ans qui soient scolarisés. Il s'agit d'un objectif complexe, notamment parce qu'il faut établir un rapport de confiance avec les familles.
Le nombre d'élèves de 2 ans scolarisés a légèrement augmenté entre 2020 et 2022 : ils étaient 72 700 en 2022, alors même que la démographie scolaire en maternelle est en baisse. Le taux de scolarisation de ces enfants est de près de 10 % – 9,9 % exactement. Il est plus élevé dans les zones d'éducation prioritaire, où il s'établit à 17 %, contre 8,2 % en dehors. Bien évidemment, il est un peu moins élevé dans la ruralité.
Toutefois, j'y insiste, nous voulons scolariser les enfants de moins de 2 ans aussi bien dans les quartiers de la politique de la ville que dans la ruralité. Je comprends mal que l'on puisse refuser la scolarisation d'un enfant de 2 ans. J'imagine, monsieur le sénateur, que vous avez une situation précise en tête…
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Madame la ministre, il faut faire passer ce message dans la commune d'Oisy, dans le Nord, puisqu'un inspecteur d'académie s'est permis de venir au conseil d'école, où il a donné consigne au directeur de ne pas accueillir les enfants de moins de 3 ans. Cinq maires m'ont saisi à ce sujet. J'ai été quelque peu choqué et ai écrit à la rectrice, Mme Cabuil, pour évoquer le problème.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la ministre, les fermetures de classes dans nos territoires entraînent de profondes remises en cause et un bouleversement en profondeur de la vision et des orientations des élus sur le long terme : elles remettent en question leurs investissements financiers, qui concourent à la pérennisation et au développement de l'école, mais également leur engagement républicain pour préserver un service public essentiel de qualité.
L'élaboration de la carte scolaire ne peut plus être dictée par de simples considérations comptables et administratives.
Il est totalement paradoxal, contradictoire et épuisant pour les équipes locales de s'inscrire dans les dispositifs mis en place par l'exécutif pour redynamiser les territoires et de devoir faire face, en matière d'accueil scolaire, à ces couperets sans appel que sont les effectifs moyens par classe.
Quelle est la logique qui préside à la décision de fermer une classe à un instant t, alors que celle-ci pourrait très bien être rouverte un ou deux ans après ?
Il devient urgent et vital, madame la ministre, de développer une concertation plus humaine et pragmatique entre le déconcentré et le décentralisé, pour aboutir à une approche fine et différenciée des tenants et des aboutissants locaux.
À ce titre, plusieurs leviers méritent d'être mis en place pour élaborer des réponses mieux adaptées aux territoires.
Pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que l'engagement qui avait été pris par vos prédécesseurs, étudié au Sénat et soutenu par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) de définir une carte scolaire stable pendant trois ans à partir de 2024 aboutira effectivement ? Et selon quelles modalités ?
Pouvez-vous vous engager à privilégier plus efficacement les partenariats entre le Dasen, les conseils départementaux, les présidents d'intercommunalité et les maires ? Dans les faits, les chiffres masquent des réalités bien différentes. Dans certains cas, le plafonnement systématique du nombre d'élèves s'avère être une absurdité.
Pouvez-vous enfin prendre l'engagement de vous affranchir de la stricte application d'une logique démographique pour justifier de nombreuses fermetures de classes et celui de privilégier l'amélioration des conditions d'exercice lors de la prochaine rentrée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, la logique arithmétique n'est pas la seule que nous prenons en compte.
Lorsque nous répartissons les moyens et les emplois entre académies, nous prenons bien évidemment en considération la démographie, mais aussi d'autres paramètres liés à la situation socioprofessionnelle des personnes et des élèves que nous avons à prendre en charge, à l'éloignement et aux conditions socio-économiques. Ensuite, les équipes des académies doivent se pencher sur les éléments plus fins auxquels vous faites référence.
Je tiens à rappeler que si nous avons perdu 400 000 élèves depuis 2017, 12 000 postes d'enseignants ont été créés sur la même période. Il n'y a donc pas eu de diminution mécanique du nombre d'emplois.
Je partage votre volonté d'instaurer un dialogue mieux organisé, mais cela n'aboutira pas à un moratoire pour les trois ans qui viennent. Cela n'est pas possible : nous ne pourrions pas l'assumer.
En revanche, s'agissant des partenariats que vous appelez de vos vœux, je souhaite que l'on arrive à définir une méthodologie claire et contractualisée avec l'AMF – j'en ai déjà parlé avec ses représentants – pour parvenir sur le terrain à une meilleure cohérence des politiques publiques et à un dialogue soutenu avec les élus. Telle est mon ambition.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
M. Claude Kern. Madame la ministre, je compte sur vous pour faire passer le message, car, localement, il n'est pas toujours interprété de la même manière…
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, le code de l'éducation dispose : « L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales. »
Aujourd'hui, pourtant, plus rien ne laisse penser que l'éducation est le levier qui permet d'endiguer ces inégalités.
L'équité territoriale repose en particulier sur la carte de l'éducation prioritaire. Or celle-ci présente un double écueil : d'une part, elle date de 2015 et ne correspond plus complètement aux bassins de pauvreté ; d'autre part, elle est fondée uniquement sur l'indice de positionnement social des zones de rattachement aux collèges.
Plusieurs communes paupérisées alertent aussi sur l'exclusion de certaines écoles, qui mériteraient d'être accompagnées.
En Gironde, par exemple, les écoles d'Ambès ne sont pas classées en REP, alors que les populations concernées sont en grande difficulté. Ces écoles sont sous-dotées en moyens : leurs classes sont surchargées et elles ne bénéficient d'aucun dédoublement.
Pourtant, il serait possible de prendre en compte un indice de positionnement social à l'échelle de l'école. Une telle expérience a été réalisée en Gironde.
Le personnel éducatif et les parents d'élèves alertent également sur les nombreuses suppressions de postes : dans mon académie, quarante postes sont supprimés pour le seul premier degré, dont dix-sept en Gironde.
Ces baisses de moyens se traduisent par des fermetures de classes dans des quartiers prioritaires ou dans des zones rurales fragiles. Dans ces conditions, l'éducation nationale n'est plus en mesure d'endiguer les inégalités sociales et territoriales.
L'école de la République est tenue à bout de bras par celles et ceux qui font la classe au quotidien.
Madame la ministre, c'est un cri d'alarme que je vous adresse. Comptez-vous enfin réviser la carte de l'éducation prioritaire pour prendre en compte la réalité sociale des territoires ? Pouvez-vous proposer un moratoire sur la fermeture des nouvelles écoles dans les quartiers prioritaires ou dans les zones rurales fragiles ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Tout le monde parle de réviser la carte de l'éducation prioritaire, mais peu s'y attellent…
Le Premier ministre m'a demandé, dans une lettre de mission, de retravailler cette carte. Je vais donc le faire, mais sans doute pas pour la rentrée prochaine. Ce travail, qui suppose un dialogue avec les élus et les personnels, doit en effet être mené très en amont.
Lorsque l'on envisage d'ouvrir des collèges ou des écoles, tout va bien ; s'il s'agit d'en fermer, cela devient plus compliqué ! On ne doit donc toucher à cette carte qu'avec des pincettes. Je vais m'y atteler, en prenant le temps de le faire bien et avec l'idée d'aller vers une plus grande mixité scolaire et sociale.
Vous avez évoqué les fermetures de classes en Gironde. Je vous épargnerai la litanie des chiffres : la baisse du nombre d'élèves devrait se traduire par trente-six fermetures.
Toutefois, un effort important sera réalisé en faveur de l'ouverture inclusive : six classes seront ouvertes dans ce secteur, dont trois unités localisées pour l'inclusion scolaire.
Une attention forte sera portée à la ruralité, puisque quinze mesures de sauvegarde sont prévues.
Nous verrons comment ce plan se traduira à la rentrée. Je crois qu'un dialogue a été mené avec les élus dans votre département. L'observatoire de la ruralité s'est réuni et le Dasen a partagé l'ensemble des informations dont il disposait.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. Gérard Lahellec. Madame la ministre, dans les Côtes-d'Armor, le retrait de dix-neuf postes en 2023 s'est soldé par quarante-six fermetures de classes en primaire. Pour la rentrée 2024, quarante-cinq nouveaux retraits de postes sont prévus. Certes, des ajustements ont été apportés, mais ils restent assez marginaux.
Ces révisions successives de la carte scolaire ont pour effet de déstabiliser le financement d'un service éducatif de qualité. Elles aboutissent à une remise en cause des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), qui présentaient l'avantage de conserver une offre éducative de qualité, adaptée aux besoins de la population, et elles ne tiennent pas compte des investissements communaux. Ainsi, il arrive que la suppression d'un poste oblige la collectivité à réaliser de nouvelles dépenses d'investissement, pour aboutir à un service dégradé, alors que les structures en place ne sont pas encore amorties financièrement.
Il n'est donc pas concevable que les élus locaux ne soient pas associés aux décisions.
Il convient de se poser la question de la qualité de l'offre éducative avant de réfléchir à une baisse de la dépense publique. Dans mon département, par exemple, un établissement rural sur cinq est concerné par des faits de violence de la part des élèves, dès le plus jeune âge. Drôle de réponse à cette situation que celle qui consiste à supprimer des emplois…
Enfin, à force de diminuer l'offre publique, c'est aussi la laïcité que l'on contrarie, puisque cette évolution tend à remettre en cause la loi de 2019 pour une école de la confiance, dite loi Blanquer, qui a pourtant consacré opportunément le principe de scolarisation des enfants à partir de 3 ans.
Je plaide donc pour que soient définies des modalités nouvelles par lesquelles un enseignement de qualité, laïque, pourrait être dispensé à toutes les familles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Dans les Côtes-d'Armor, la baisse de la démographie que vous évoquez entraînera des fermetures de classes.
Je suis particulièrement attentive aux RPI. Nous avions d'ailleurs eu l'occasion d'en parler ensemble. Dans votre département, le rectorat a souhaité revenir sur la suppression de l'un d'entre eux, à Lohuec, et va même en ouvrir un nouveau, à Plusquellec. (M. Gérard Lahellec acquiesce.) C'est le signe de l'importance que nous attachons à cette modalité de regroupement des écoles, que nous cherchons à soutenir, lorsque cela est possible.
Nous souhaitons bien évidemment que les élèves bénéficient toujours du meilleur accompagnement possible, en nous adaptant au plus près aux réalités. Ainsi, le taux d'encadrement – je ne donnerai pas les chiffres, j'en ai déjà fourni beaucoup – ne baisse pas dans votre département ; il compte même parmi les plus élevés de l'académie. C'est la marque de l'attention que nous portons à la qualité de l'accueil des élèves.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez évoqué la laïcité. Celle-ci constitue à mes yeux un principe fondateur de l'école. Aucun enseignement efficace n'est possible sans elle, car elle constitue ce terrain neutre sur lequel nous pouvons avancer ensemble. Nous serons intransigeants en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Madame la ministre, l'éducation n'est certes pas une compétence régalienne, mais chacun s'accorde à souligner le caractère fondamental que revêt la formation de nos enfants, futures forces vives de notre pays.
Voilà une mission difficile dans une société en perpétuelle évolution. C'est d'ailleurs pour relever ce défi complexe que le Président de la République et le Premier ministre n'ont de cesse de mobiliser les énergies au service de ce qui est aujourd'hui une véritable cause nationale.
Pourquoi sommes-nous confrontés, de manière récurrente, à tant de difficultés, quand il s'agit d'élaborer la carte scolaire ?
Pourquoi décider de fermetures de classes au seul trébuchet d'indicateurs démographiques, sans prendre attache avec ceux qui ont une connaissance fine, presque scientifique, du territoire et de sa population ? Oui, ceux-là mêmes sur lesquels le Gouvernement s'est appuyé lors de la pandémie de covid-19 : je veux parler des maires.
Proches des parents, qui sont leurs administrés, au contact des équipes pédagogiques, ils sont trop souvent mis devant le fait accompli.
Madame la ministre, si je me félicite des moyens substantiels que l'État a décidé de consacrer aux écoles de Marseille, qui en avaient le plus grand besoin, je souhaite vous alerter sur les méthodes qui président à la mise en œuvre de la carte scolaire dans les Bouches-du-Rhône en vous invitant à venir à Mouriès, commune située au cœur de la ruralité, qui est touchée par la fermeture d'une classe, alors même que des logements y sont en construction.
Vous pourrez ainsi constater concrètement les effets délétères de cette pratique qui consiste à fermer et à ouvrir des classes au gré des statistiques, loin de la vie quotidienne de ceux qui ont aujourd'hui le sentiment désagréable d'être tenus pour quantité négligeable, parce qu'ils vivent dans cette France des villages et des campagnes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je connais bien Mouriès, madame la sénatrice, car je n'habite pas très loin…
Le département des Bouches-du-Rhône a perdu plus de 5 000 élèves entre 2018 et 2023. Cette baisse aurait dû entraîner, si nous avions, comme vous le dites, opéré des retraits mécaniques, selon une logique purement arithmétique, une perte de 234 emplois ; or, sur cette même période, l'État en a créé 360.
Nous avons dédoublé la totalité des classes de grande section, de CP et de CE1 en éducation prioritaire et nous plafonnons progressivement les effectifs des autres classes. Le taux d'encadrement s'est nettement amélioré. Nous avons également créé 95 emplois pour les élèves en situation de handicap.
Tout cela ne supprime pas les difficultés auxquelles sont confrontés les habitants de Mouriès, mais je tenais à rappeler ces éléments.
À la rentrée 2024, selon nos prévisions, nous devrions compter 1 800 élèves de moins – 1 799 exactement. Cette situation aurait dû entraîner 82 retraits de poste ; or la dotation du département a été sanctuarisée, ce qui signifie que le taux d'encadrement sera encore amélioré. La réalité est que nous essayons de mettre en place des moyens importants.
En ce qui concerne la situation précise de Mouriès, malgré le programme de construction de logements que vous évoquez, madame la sénatrice, la commune a perdu 47 élèves depuis 2018, soit l'équivalent de deux classes. En dépit de ces deux retraits d'emploi, le taux d'encadrement est resté stable dans l'école, ce qui montre que la qualité éducative et l'attractivité du village ont été maintenues.
J'espère toutefois, pour répondre à votre interrogation, que les nouvelles modalités d'élaboration de la carte scolaire permettront de mieux prendre en compte l'évolution des besoins de la commune.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la ministre, assurer à tous les élèves un accès à une école publique de proximité, favoriser la diversité des publics au sein des établissements scolaires, répartir les élèves de manière équitable entre les écoles : autant d'objectifs fixés lors de la création de cet outil essentiel qu'est la carte scolaire.
Élu d'un territoire riche dans sa diversité et régulièrement interpellé par des maires ruraux soucieux d'offrir aux habitants de leurs communes un service public d'éducation de qualité, à l'instar de M. Solaro, maire de Gommecourt, petite commune yvelinoise de 639 habitants, qui désespère du risque de fermeture d'une des trois classes de l'école de sa commune, mon intervention – une fois cette carte postale et la demande subliminale subséquente envoyées… – (Sourires.) portera sur le plan pour les territoires ruraux présenté voilà tout juste un an.
Outil essentiel pour garantir l'égalité des chances entre tous les élèves, quel que soit leur lieu de résidence, ce plan ambitieux, articulé en trois axes, vise à améliorer durablement la qualité du service public de l'éducation en milieu rural. Il a mobilisé des moyens importants et a suscité un grand intérêt auprès des acteurs locaux.
Il permet notamment de renforcer l'attractivité des métiers de l'éducation en milieu rural, mais aussi d'améliorer l'offre éducative et pédagogique ou encore de dynamiser les territoires ruraux par l'école.
Un an après son lancement, je vous serais reconnaissant de partager avec nous les premiers résultats concrets auxquels ce plan a permis d'aboutir. Pouvez-vous nous préciser les avancées réalisées, notamment en matière de développement des territoires éducatifs ruraux (TER) qui sous-entend une extension du dispositif à tous les départements ruraux d'ici à 2026 ou encore le financement de projets éducatifs locaux coconstruits avec les acteurs du territoire ?
En outre, madame la ministre, je souhaite vous interroger sur les perspectives d'évolution du plan pour les années à venir. Quelles sont les priorités que vous entendez fixer pour poursuivre l'amélioration de l'éducation en milieu rural ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, je suis très attentive au plan France Ruralités présenté voilà neuf mois par Mme Élisabeth Borne. Il contient des solutions qui sont adaptées à ces territoires.
J'ai d'ailleurs eu l'occasion de dire que je crois beaucoup à la mise en place de la nouvelle instance de dialogue : elle peut apporter de la cohérence dans les politiques publiques et des échanges fructueux avec les élus. Elle a déjà été mise en place dans un certain nombre de départements ; dans d'autres, ce n'est pas tout à fait le cas. Dans les Yvelines, je crois qu'il faut y apporter une attention soutenue… Globalement, son déploiement est assez inégal sur le territoire et je serai particulièrement attentive à ce que tous les départements en bénéficient l'année prochaine – c'est une priorité.
Le dispositif des territoires éducatifs ruraux est un véritable succès : 190 ont déjà été installés sur l'ensemble du territoire et un peu plus de 200 – 112, je crois – sont en cours de déploiement.
Il s'agit d'une modalité de travail entre les écoles et le collège d'un territoire rural qui permet de déployer différents dispositifs afin de mieux prendre en charge, avec les collectivités, les enfants sur le temps scolaire et périscolaire pour des activités culturelles et sportives. Je crois que tout cela donne des résultats intéressants en matière éducative. Nous travaillons à ce que ce dispositif soit généralisé dans tous les départements ruraux.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, ministre. Nous avons également des projets relatifs aux internats d'excellence, car certains jeunes issus de la ruralité sont freinés : ils n'ont pas l'audace d'aller plus loin chercher la formation qui leur conviendrait. Les internats d'excellence peuvent être une réponse à ce type de difficultés.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Adel Ziane. Madame la ministre, je veux d'abord vous remercier d'avoir répondu positivement à l'invitation des sénateurs de Seine-Saint-Denis d'échanger sur les sujets qui concernent votre ministère ; nous avons pu le faire cet après-midi.
Nous nous retrouvons maintenant dans l'hémicycle pour évoquer la question des fermetures de classes.
Depuis le 26 février, professeurs, parents et élèves se mobilisent à l'appel de l'intersyndicale contre le manque de moyens et les inégalités croissantes qui affectent l'école publique dans notre département de la Seine-Saint-Denis.
Un constat alarmant que corrobore le rapport de novembre 2023 des députés Stéphane Peu et Christine Decodts, que je cite : en Seine-Saint-Denis, « l'école en crise peine à tenir la promesse républicaine ».
La fermeture de 227 classes contre l'ouverture de 198 classes dans le premier degré, un mouvement acté en début d'année, exacerbe les inquiétudes.
La décision du rectorat de Créteil d'allouer 40 postes à la Seine-Saint-Denis sur les 130 pour l'ensemble de l'académie, avec 15 postes pour les brigades de remplacement REP+, apparaît sous-dimensionnée et de nature à compromettre les efforts de rattrapage en matière d'éducation, qui sont pourtant indispensables dans notre département.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en Seine-Saint-Denis, 35 % des absences n'étaient pas remplacées en octobre 2023 dans le premier degré contre 22 % au niveau national. Derrière cette statistique, il y a une réalité : en Seine-Saint-Denis, un élève à l'approche du baccalauréat aura cumulé tout au long de sa scolarité un an de cours en moins en raison des déficits de remplacement de ses professeurs.
Cette situation met en lumière un problème profond : la France est l'un des pays dans lesquels l'origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Cela a de lourdes conséquences dans notre département, où près de 60 % des élèves relèvent de l'éducation prioritaire contre 20 % au niveau national.
Or l'on sait que le développement d'une politique volontariste en matière de mixité scolaire, comme la sectorisation appliquée en Haute-Garonne, produit de très bons résultats.
Madame la ministre, aux côtés d'autres élus de Seine-Saint-Denis, j'ai appelé à un « choc d'égalité » face au manque de moyens alloués à l'école publique. Ainsi, je souhaite savoir si vous prévoyez de mettre en place un tel plan d'urgence pour remédier à cette situation.
Par ailleurs, votre prédécesseur avait déclaré que « la pédagogie pouvait renverser la sociologie ». Je voudrais connaître votre position sur le besoin de mixité sociale et scolaire et sur la nécessité d'un brassage social établi dans la durée. La carte scolaire est-elle pour vous un outil adéquat pour favoriser une telle mixité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, nous venons en effet de nous rencontrer, voilà quelques heures seulement, autour de la question spécifique de la Seine-Saint-Denis.
Je répondrai d'emblée à votre dernière question : oui, la décorrélation entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires est pour moi une priorité et je souhaite prolonger et développer les éléments positifs qui ont été mis en place en faveur de la mixité scolaire.
Différents paramètres peuvent être activés, qu'il s'agisse d'une offre de formation qualifiée, de la sectorisation – vous citiez la Haute-Garonne qui, je crois, a fait beaucoup de choses en ce sens –, etc. Nous devons utiliser plusieurs outils, comme sur une palette, pour favoriser la mixité scolaire. C'est pour moi quelque chose de vraiment essentiel.
Sur les autres points que vous évoquiez, je vous rappelle que, dans le premier degré, 1 500 postes ont été implantés en Seine-Saint-Denis depuis 2017 pour mettre en place les politiques publiques dont nous avons parlé, ce qui est tout à fait important.
Pour la rentrée prochaine, 1 240 élèves en moins sont prévus tandis que, dans le premier degré, quarante moyens d'enseignement nouveaux seront implantés – décharges de direction, scolarisation des élèves en situation de handicap, plafonnement à vingt-quatre, dédoublement des classes, accueil des nouveaux élèves allophones, etc. Vous le voyez, il y a un réel effort pour traiter la singularité de la Seine-Saint-Denis et, numériquement, les conditions d'enseignement peuvent apparaître comme extrêmement favorables.
Mon engagement est très fort en faveur de la mixité scolaire ; je le redis devant vous sans aucune hésitation.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren. Madame la ministre, à Paris aussi, la situation est gravissime, puisque les familles vont subir une vague de fermetures sans précédent.
En 2023 déjà, Paris était l'académie la plus touchée de France avec 178 classes fermées et plus de 330 postes supprimés. En 2024, nous continuons de battre des records : 134 classes et plus de 125 postes d'enseignants en moins dans le premier degré.
Le second degré n'est pas épargné avec 78 postes supprimés dans les collèges – plusieurs sont d'ailleurs menacés de fermeture définitive.
La baisse démographique de Paris ne justifie pas une telle saignée. Alors que les effectifs diminuent moins cette année qu'en 2023, conserver ce rythme insoutenable de suppressions est un choix absolument disproportionné.
Les parents et les personnels sont très inquiets. Ils vous demandent de rompre avec cette logique statistique, qui fait tant de mal sur le terrain.
Avec le maire du XVe arrondissement, je vous ai d'ailleurs écrit au sujet de l'école Falguière, qui risque de devoir créer trois classes de double niveau CE2-CM1, avec vingt-huit élèves par classe.
Madame la ministre, ces fermetures sont d'autant plus graves que, cette année, elles ont principalement lieu dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements, là où se trouvent beaucoup d'élèves socialement et scolairement fragiles.
Madame la ministre, comptez-vous réviser le fonctionnement de la carte scolaire à Paris pour limiter l'ampleur de ces fermetures de classes dans les écoles et collèges ? (Mme Colombe Brossel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, j'entends votre émotion liée aux fermetures de classes à Paris, mais je voudrais vous rappeler l'exigence d'équité territoriale : je sais distinguer la réalité humaine de celle des chiffres, mais le fait est que, dans le premier degré, Paris a le meilleur taux d'encadrement de France, et de très loin ! Il est meilleur qu'en Corse.
Or nous sommes évidemment tenus par la nécessité d'assurer une équité entre l'ensemble des élèves de notre pays, tout en prenant en compte la singularité de chacun des territoires. C'est d'ailleurs pour cela que je ne parle pas d'égalité, car s'appuyer sur cette notion pourrait avoir des conséquences douloureuses.
En ce qui concerne Paris, les élus ont été associés aux travaux qu'a conduits l'académie. J'ai reçu des parents d'élèves, notamment des XVIIIe et XIXe arrondissements, et je sais que certaines situations méritent d'être regardées : c'est ce que nous faisons dans le cadre des politiques d'éducation prioritaire et de l'attention qui doit être portée aux élèves en situation fragile.
Voilà ce que je voulais vous dire, madame la sénatrice. Nous essayons de maintenir entre les territoires une équité, ce qui me semble tout à fait indispensable.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, pour la réplique.
Mme Agnès Evren. Merci, madame la ministre, pour votre réponse. Nous savons bien que trop de déterminisme social pèse encore sur le système éducatif. L'objectif était de ne pas dépasser vingt-quatre élèves par classe ; or nous sommes à vingt-huit.
Si l'on se donne pour ambition de relever le niveau général de nos élèves, il faut de la vigilance et du discernement pour les arrondissements considérés comme plus fragiles.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. L'article 25 de la loi pour une école de la confiance impose de comptabiliser dans les effectifs des établissements scolaires les élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif Ulis. Cette disposition a été introduite par amendement au Sénat.
Depuis 2019, les élèves bénéficiant dudit dispositif doivent systématiquement être pris en compte dans les effectifs globaux des écoles. Pourtant, force est de constater que, depuis cinq ans, cette disposition légale est loin d'être appliquée dans tous les établissements.
C'est notamment le cas pour une école primaire des Sables-d'Olonne. Dans un courrier adressé aux parents d'élèves, il est indiqué que « le handicap des élèves orientés en Ulis ne permettant pas d'envisager une scolarisation individuelle continue dans une classe ordinaire, ils ne sont pas comptabilisés dans la masse globale de l'école, mais sur la base d'un groupe de douze ».
Cette affirmation est alarmante, parce que les élèves Ulis de cet établissement passent plus de 80 % de leur temps scolaire dans leur classe aux côtés de leurs camarades et que la loi n'est pas appliquée – il lui est substitué une circulaire obsolète datant de 2015 !
La perspective de voir des classes surchargées suscite chez les parents d'élèves et les enseignants des inquiétudes et une colère légitimes.
L'article L. 351-1 du code de l'éducation a plusieurs fois été clarifié par le ministère de l'éducation nationale. Le caractère obligatoire de la prise en compte des élèves Ulis dans les effectifs globaux a été confirmé. Cette application de la loi, à géométrie variable en fonction des départements et des régions, n'est donc pas acceptable.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour remédier à ce système de comptage illégal et faire enfin appliquer la loi que nous avons votée ici même en 2019 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous soulevez une question récurrente. Vous avez rappelé la règle, vous l'avez adoptée ici même et elle est claire : les élèves Ulis doivent être comptabilisés dans les effectifs des classes, tant dans le premier que dans le second degré.
Vous avez eu raison de rappeler que la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance qu'avait défendue mon prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, a modifié l'article L. 351-1 du code de l'éducation en y introduisant l'obligation de comptabiliser dans les effectifs de l'école ou de l'établissement scolaire les élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif Ulis.
La règle est tout à fait claire, mais je vous rejoins sur le fait que, dans certaines académies, il arrive qu'elle ne soit pas appliquée de manière conforme à la loi.
Même si plusieurs rappels ont déjà été faits, je vais reprendre mon bâton de pèlerin, peut-être par missive interposée, pour rappeler de nouveau la règle et redire la manière dont doivent être comptés les élèves qui bénéficient d'un dispositif Ulis.
Toutefois, nous estimons qu'à ce jour ces problèmes de comptabilisation ne subsistent que pour quelques cas résiduels – Les Sables-d'Olonne en font peut-être partie… Toujours est-il que je m'engage à attirer l'attention des services académiques et départementaux sur la nécessité d'une comptabilisation correcte.
Je voudrais tout de même rappeler, pour que les choses soient claires, qu'un dispositif Ulis bénéficie d'un enseignant spécialisé en plus et d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires, qui vont prendre en charge les élèves pendant un temps donné, hors de la classe ordinaire. Cela ne change rien au fait qu'il faut respecter l'article L. 351-1 du code de l'éducation.
M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Karine Daniel. Madame la ministre, à la rentrée 2023, la balance entre les ouvertures et les fermetures de classes faisait apparaître la suppression de 2 250 classes. Ce chiffre alarmant sera également atteint, sinon dépassé, pour la rentrée prochaine.
Partout dans le pays, parents d'élèves, syndicats, personnels scolaires et élus se mobilisent contre ces fermetures, qui vont amplifier la dégradation de l'enseignement et l'abandon de territoires ruraux, ainsi que de quartiers prioritaires.
En Loire-Atlantique, quatre-vingt-sept classes sont menacées de fermeture. Comment ces dernières sont-elles décidées ? Quelles sont les bases de calcul ?
Ces fermetures semblent parfois s'appuyer sur des chiffres en décalage avec les remontées faites aux autorités académiques par les directions d'établissement. Dans mon département, par exemple, une classe de quatrième du collège Auguste Mailloux du Loroux-Bottereau est menacée de fermeture sur la base de chiffres faisant disparaître seulement quelques élèves.
Dans le secondaire, ces arbitrages sont assumés par les chefs d'établissement et les cadres de l'éducation nationale, qui doivent faire des choix difficiles entre des activités et des fermetures de classes – ils se retrouvent en quelque sorte entre le marteau et l'enclume…
L'on sait que le taux d'encadrement est particulièrement élevé en France par rapport à d'autres pays de l'Union européenne. Qu'est-ce qui justifie d'augmenter les effectifs par classe, alors que l'on constate une augmentation constante des troubles du comportement et du nombre d'enfants en situation de handicap non accompagnés, abandonnés aux familles sans solution de scolarisation, que le nombre des classes Ulis est insuffisant et que le décrochage scolaire et la phobie scolaire progressent ?
Les familles et les enseignants vous alertent, ils nous alertent, ils ne se sentent pas écoutés. Par le dédoublement des classes dans certaines zones, vous reconnaissez que les effectifs réduits sont un plus pour l'enseignement. En parallèle, les effets du dédoublement font que moins de professeurs sont disponibles pour d'autres zones, notamment dans la ruralité.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Karine Daniel. Les maires sont exposés. Nous demandons que des rééquilibrages soient opérés, que ces fermetures massives soient stoppées et que l'on reprenne la carte pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je ne reviens pas sur la méthode, que j'ai déjà évoquée.
Votre département a perdu presque 1 500 élèves à la rentrée 2023 et il en perdra encore 700 à la rentrée 2024. Il devra donc rendre 25 postes et il y aura 87 fermetures et 39 ouvertures – ce dernier chiffre n'est pas négligeable.
L'observatoire des dynamiques rurales s'est réuni au mois de janvier. Des réflexions ont été partagées, sachant que près de 22 % des communes de votre département sont rurales, ce qui est tout à fait important. Un dialogue s'est instauré avec les élus et les représentants des personnels et une attention particulière a été apportée à des écoles rurales isolées.
Je ne vis pas dans votre département et je vous donne les informations que l'on m'a transmises : cette attention portée à des écoles rurales isolées s'est traduite, pour la rentrée 2024, par le maintien en l'état de structures, en dépit d'effectifs très faibles. Par exemple, cinq fermetures n'ont pas été prononcées dans des écoles de six classes ou moins, alors qu'elles auraient pu l'être si l'on avait choisi une réponse purement arithmétique.
Je rappelle en outre qu'en tout état de cause une phase d'ajustement permet toujours, au mois de juin, de faire évoluer la situation.
Madame la sénatrice, j'entends ce que vous me dites et j'espère que la méthode que nous mettrons en place à partir de l'année prochaine nous permettra de mieux appréhender encore les différentes situations afin d'atteindre nos objectifs communs.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Ce débat est bienvenu tant nos territoires ruraux – le Cantal en est une parfaite illustration – sont en attente de réponses concernant la rentrée scolaire de septembre. L'espoir est faible, surtout après avoir entendu vos propos introductifs déconnectés de la réalité de terrain, mais il est encore là, avant, s'il était déçu, de laisser place à la seule colère.
Surtout, ne me répondez pas au regard du taux d'encadrement ou des moyens budgétaires ! Ce n'est pas le débat. Nous pouvons redéployer des moyens humains qui ne sont pas devant des élèves et nous ne pouvons pas, dans nos territoires de montagne, raisonner en termes de P/E, le ratio donnant le nombre de postes d'équivalents temps plein (ETP) pour cent élèves.
Le dispositif France Ruralités devait permettre d'instaurer un réel dialogue et d'inscrire enfin la préparation de la carte scolaire dans une perspective pluriannuelle pour sortir du psychodrame qui se joue chaque année, ruinant les efforts des communes et mettant à mal enseignants, parents et élèves. Il n'en a rien été.
En conséquence, madame la ministre, ma question est simple : allez-vous respecter la parole du Gouvernement et, dans l'attente, mettre en œuvre un moratoire pour éviter toute suppression de classe non concertée à la rentrée prochaine ? C'est une question de respect et de confiance. C'est une question démocratique d'aménagement du territoire, qui dépasse la seule question pédagogique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, puisque je suis complètement déconnectée du terrain, je vais vous donner une réponse qui, forcément, ne vous satisfera pas…
Malgré tout, je voudrais ici faire remarquer que l'observatoire des dynamiques rurales s'est bien réuni dans votre département, et cela à deux reprises : le 18 décembre 2023 et le 12 janvier 2024. L'inspectrice d'académie et le préfet ont ainsi pu présenter un certain nombre d'éléments.
Monsieur le sénateur, je ne raisonne pas uniquement en termes de chiffres. Pour moi, ce sont des indicateurs et ils ne traduisent pas une politique qui, par définition, doit être humaine. Je voudrais tout de même en utiliser un pour votre département : après les retraits et les implantations de classe qui auront lieu l'année prochaine, le nombre d'élèves par classe sera de dix-sept. J'ajoute qu'aucune école ne comptera plus de vingt élèves par classe.
M. Jacques Grosperrin. Il faut tenir compte de la distance !
Mme Nicole Belloubet, ministre. Je le redis, aucune école du Cantal n'aura plus de vingt élèves par classe.
Je peux comprendre qu'à tel ou tel endroit il y ait des difficultés et je redis clairement, monsieur le sénateur, que je souhaite vraiment qu'un dialogue s'instaure. Mais celui-ci doit s'appuyer sur un partage des chiffres, notamment démographiques, dans une vision prospective ; il doit aussi être cohérent avec les politiques de l'État. C'est un point essentiel pour que nous puissions dessiner ensemble les perspectives d'avenir de tel ou tel territoire – ce n'est d'ailleurs pas nécessairement au niveau départemental que les choses peuvent se dessiner au mieux.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Je ne voulais pas vous offusquer, madame la ministre, mais alors que vous parlez de cohérence, de dialogue et de concertation, je suis désolé de vous dire qu'il n'y a rien de tout cela !
Pis, il y a rupture totale de la confiance, puisque les communes qui ont joué le jeu du dialogue, de l'anticipation, des regroupements pédagogiques ou des réseaux territoriaux d'éducation prioritaire sont concernées de la même manière par les coupes brutales qui tombent sur notre département.
J'entends votre argument sur les dix-sept élèves par classe, mais si vous vouliez nous mettre à vingt-quatre, je vous y encouragerais : vous pourriez sans doute récupérer quatre-vingt-cinq postes dans le département du Cantal !
Mais la réalité de nos territoires de montagne, c'est l'éloignement, la distance. Tout à l'heure, j'entendais parler de fracture et de sélection sociales, mais chez nous c'est la fracture et la sélection territoriales ! Il faut que vous l'entendiez, madame la ministre.
Et cela dépasse le seul cadre scolaire : l'ensemble des services publics sont concernés. France Ruralités, qui devait apporter des réponses, est une très grande déception. C'est pourquoi je vous demande, d'ici au mois de juin, de nous écouter et d'envoyer des signaux à notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Allez dans le Cantal, madame la ministre !
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Madame la ministre, à la rentrée prochaine, quatre-vingt-cinq classes fermeront dans le Loiret ; elles viendront s'ajouter aux cinquante-sept de l'année précédente.
Parmi les écoles concernées, beaucoup se situent en zone rurale. Si l'on ne peut contester une baisse des effectifs sur l'ensemble du territoire, il n'en reste pas moins que ces fermetures suscitent l'incompréhension et la colère, car l'école est souvent l'un des derniers services de proximité présents dans la commune.
C'est pour cela que de nombreux élus de nos territoires ruraux investissent considérablement pour apporter les meilleures conditions de travail aux élèves. Ainsi, ils font l'effort financier nécessaire pour mettre leur école aux normes et préserver ce service public essentiel à la vie de leur village.
Or ces fermetures privent les territoires ruraux de perspectives d'implantation de nouvelles familles et nuisent à l'attractivité de la commune.
La logique, essentiellement comptable et statistique, qui guide chaque année les travaux de la carte scolaire aboutit à un déséquilibre dans le primaire entre, d'une part, la poursuite – louable – du dédoublement des postes en zone urbaine dense et, d'autre part, l'accélération des suppressions de classes en milieu rural, alors même que les indices de positionnement social y sont souvent très dégradés.
Pour ces différentes raisons, il paraît urgent de mettre en place un moratoire sur les fermetures de classes en zone rurale, et ce afin de préserver l'égalité des chances et le droit de bénéficier d'une école de proximité – un droit fragilisé dès lors que des contraintes excessives de déplacement sont imposées aux familles.
Madame la ministre, êtes-vous prête à envisager une modulation plus large des critères de la carte scolaire en milieu rural afin d'éviter des fermetures et de préserver ainsi la survie des territoires ruraux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, il est un élément que je n'ai pas encore évoqué : toutes les évaluations montrent que les élèves des territoires ruraux réussissent globalement mieux – cela montre l'intérêt de ces écoles. Leurs résultats aux examens sont plutôt supérieurs à la moyenne nationale et nous pouvons nous en féliciter.
Il nous faut travailler sur l'orientation de ces élèves. Il existe en effet des freins dans leurs choix d'orientation – nous en avons parlé –, notamment l'éloignement. Et je réponds aussi, par là même, à M. Sautarel : j'ai parfaitement conscience que nous devons prendre en compte la question de l'éloignement, que ce soit pour le Cantal ou pour d'autres territoires ; c'est d'ailleurs pour cela que les dotations académiques intègrent des indices liés à cette question.
Je le redis, si les élèves de la ruralité réussissent plutôt mieux, nous devons faire attention aux questions liées à l'orientation pour lever les freins qui existent aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons développer et encourager toute une série de dispositifs que j'ai évoqués voilà quelques instants comme, par exemple, les territoires éducatifs ruraux, qui permettent, au-delà même des enseignements, de déployer tout un parcours pour les élèves, y compris d'un point de vue culturel ou pour leur orientation, et cela en lien avec plusieurs établissements.
Nous souhaitons également développer les internats d'excellence ruraux, des crédits étant inscrits dans la loi de finances à cet effet, ainsi que les cordées de la réussite, un dispositif que vous connaissez sans doute et qui est destiné aux collégiens et aux lycéens en éducation prioritaire de zones rurales et isolées. Ce dispositif fonctionne remarquablement bien. Nous souhaitons enfin travailler sur le raccordement à l'internet à haut débit.
Tout cela pour vous dire que nous tenons compte des questions d'éloignement et de positionnement pour essayer de donner les meilleures chances à nos élèves dans les zones rurales.
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Madame la ministre, j'entends vos arguments, mais ce n'est pas vraiment ce que je constate dans mon département. Il existe un traitement différencié, personne ne peut le nier, entre l'écolier urbain et l'écolier rural. Je considère qu'il s'agit d'une injustice scolaire, sociale, territoriale. Selon l'Insee, un tiers de la population française vit en milieu rural, où il y a moins ou pas de services, privés ou publics, de médecins, d'écoles, et où les déplacements sont difficiles.
Savoir lire, écrire, compter, respecter est une priorité ; la survie de nos écoles de campagne en est également une. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, la pédagogie étant l'art de la répétition, ne nous gênons pas ce soir… (Sourires.)
Je vous épargnerai l'énumération de toutes les communes de mon département de l'Allier auxquelles, cette année encore, on a annoncé la suppression de postes d'enseignant ou la fermeture de classes. C'est un fait incontestable : depuis soixante ans, l'Allier perd des habitants et sa population vieillit.
Pour autant, faut-il continuer indéfiniment à fermer des classes pour accompagner ce mouvement ? Nous ne pouvons nous y résoudre.
Il y a en France une vingtaine de départements très ruraux qui, malgré le travail remarquable des élus pour maintenir l'activité, perdent de la population chaque année. Leur situation particulière doit résolument vous alerter.
En comparaison, beaucoup d'efforts et de crédits ont été déployés dans les zones urbaines avec la politique de la ville et ses quartiers prioritaires. Loin de moi l'idée d'opposer banlieues et campagnes, mais la ruralité aussi concentre beaucoup de secteurs défavorisés.
C'est pourquoi je vous demande, madame la ministre, de mettre en place l'équivalent des quartiers prioritaires de la politique de la ville pour la ruralité, avec des moyens importants alloués à l'école. Dans ces zones fragilisées, les postes d'enseignants doivent être préservés. C'est une mesure d'égalité républicaine pour donner à ces enfants les mêmes chances que ceux des autres territoires.
Vous l'aurez compris, je souhaite que « QPV » puisse aussi bien signifier « qualité pour nos villages » que « quartier de la politique de la ville ».
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. Bruno Rojouan. Avec les associations de maires, nous vous demandons de mettre en place un moratoire de trois ans sur les suppressions de postes dans la ruralité. C'est une garantie minimale que vous pouvez donner à ces territoires, dont on parle peu, mais qui ont tant de besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, je vais être très claire : il m'est impossible d'installer un moratoire durant trois ans. Je l'ai dit d'emblée, je suis prête à changer la méthode, à dialoguer, à donner, en matière de carte scolaire, des réponses cohérentes avec des politiques publiques et des actions que voudraient conduire l'État ou des maires. Cependant, je ne peux ici m'engager à renoncer à toute fermeture pendant un temps. Je vous mentirais si je vous disais le contraire.
J'y insiste, je vais m'atteler à installer un dialogue sérieux à même d'engager l'ensemble des services du ministère de l'éducation nationale, notamment les inspections académiques.
Vous soulevez l'idée de dessiner des quartiers de la ruralité sur le modèle des quartiers de la politique de la ville. J'ai envie de dire que ce que nous construisons autour des territoires éducatifs ruraux a un peu la même vocation, sans avoir exactement les mêmes modalités. En effet, l'idée est bien d'arriver à stabiliser sur un territoire un nombre suffisant d'élèves, d'être attentif à l'évolution des effectifs, si possible en offrant des perspectives de parcours, qu'il s'agisse de parcours culturels, éducatifs, sportifs, d'orientation.
Nous ne pouvons dupliquer strictement le dispositif des QPV, d'autant que les résultats obtenus dans les écoles rurales ne le justifient pas forcément. Cependant, je le répète, autour des territoires éducatifs ruraux, nous avons la même ambition d'accompagner les résultats de nos élèves.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.
M. Bruno Rojouan. J'allais dire : « Ah ! Le fameux taux d'encadrement mis en avant pas les ministres de l'éducation nationale successifs… »
Mme Nicole Belloubet, ministre. Je n'en ai pas parlé ! (Sourires.)
M. Bruno Rojouan. Mais c'est un cercle vicieux : comment attirer de nouvelles populations, notamment de jeunes familles, s'il n'y a pas d'école ? Tel est le défi à relever dans ces territoires.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, ancrée dans l'espace du Rhin supérieur, l'académie de Strasbourg soutient le développement du bilinguisme, avec, pour des raisons historiques, géographiques, culturelles, linguistiques et économiques, une priorité donnée à l'enseignement de l'allemand.
Je souhaite évoquer les effets de bord de cette politique à la fois sur la carte scolaire et sur le budget des communes de ce territoire, en prenant l'exemple du regroupement pédagogique concentré (RPC) de Ferrette, dans le Jura alsacien, qui illustre bien les problèmes auxquels sont confrontées nos collectivités.
L'école de Ferrette, qui réunit sept communes, propose à la fois un enseignement bilingue et monolingue, et un accueil périscolaire de sept heures quinze à dix-huit heures trente, qui drainent de nombreux élèves originaires de communes voisines qui, elles, ne font pas partie du syndicat scolaire.
En tant qu'élue de ce territoire, on attire mon attention sur les conséquences de cette attractivité, qui met actuellement en péril le précaire équilibre budgétaire des communes membres du syndicat, puisque celles-ci prennent à leur charge exclusive l'intégralité des frais de fonctionnement du RPC, alors qu'un tiers des élèves qui y sont scolarisés n'y résident pas.
Pour rappel, les communes de résidence ne sont pas tenues de contribuer à la prise en charge des frais de fonctionnement des écoles publiques bilingues hors de leur territoire si elles ne le souhaitent pas. Et dans la grande majorité des cas, elles ne contribuent effectivement pas, arguant du fait – et on les comprend – qu'elles financent déjà le fonctionnement de leur propre école et qu'elles ne se voient pas payer pour des élèves scolarisés ailleurs, sachant que cet exode entraînera de facto des fermetures de classes, voire d'écoles, sur leur territoire.
Madame la ministre, ma question est simple : que faire pour soulager les communes membres de ce type de syndicat sans mettre en péril l'équilibre de la carte scolaire du secteur ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Sabine Drexler, pour être franche, je ne suis pas certaine d'avoir la réponse à votre question.
Si je comprends bien, du point de vue scolaire, la commune de Ferrette présente deux caractéristiques. D'une part, elle accorde une attention prononcée au bilinguisme, ce qui se comprend tout à fait dans cette région. Cela s'est traduit par la création d'un RPC, qui me semble très dynamique et apporte une réelle plus-value à l'enseignement. D'autre part, on y constate une déprise démographique, comme dans toute la zone du Sundgau.
Le RPC attire les élèves des communes limitrophes intéressés par le bilinguisme. Mais les maires de celles-ci, déçus de voir leurs effectifs scolaires diminuer au profit du RPC, refusent de contribuer aux charges induites.
L'État n'a évidemment pas les moyens d'imposer une contribution desdites communes à la mise en place de ce RPC, qui a vocation à accueillir jusqu'aux limites de ses capacités. Je crois donc qu'un dialogue entre maires doit s'installer. Je pense plus particulièrement à l'observatoire des dynamiques rurales, dont nous avons déjà parlé, qui me semble être le lieu idoine pour qu'un tel dialogue s'engage entre les édiles, en présence de l'État et des services académiques. C'est en tout cas l'espoir que je forme pour ce RPC, qui mérite d'être soutenu.
Source https://www.senat.fr, le 15 avril 2024