Interview de Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'Etat, chargée de la ville, à la citoyenneté et à l'intégration, à France 2 le 23 avril 2024, sur la délinquance des mineurs,

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Média : France 2

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue dans " Les 4V ", Sabrina AGRESTI-ROUBACHE.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Bonjour, Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Une partie de notre jeunesse est malade et bascule dans une délinquance devenue incontrôlable. C'est l'inquiétude numéro un, l'urgence absolue du moment. Pour y remédier, vous ambitionnez, vous, la ministre de la Ville et la Citoyenneté, de rétablir l'autorité des parents sur les adolescents. Comment comptez-vous vous y prendre ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
J'ambitionne surtout de rénover cette stratégie de la prévention de la délinquance, qui n'a pas été faite depuis maintenant quelques années. Ça, c'est la première chose. J'ambitionne... et ce n'est pas seulement la ministre qui vous parle, c'est aussi la maman d'une ado ; j'ambitionne de dire aux parents " Parents, reprenez confiance en vous. " L'Autorité, c'est vous. Le premier visage d'autorité qu'un adolescent voit et qu'un enfant voit, ce sont les parents. Donc de reprendre confiance dans l'autorité, c'est-à-dire de savoir dire " c'est bien, c'est mal ", " tu as le droit, tu n'as pas le droit. " Et je veux revenir sur quelque chose qui me frappe, ces dernières années, c'est de penser qu'un adolescent a une vie privée. Un adolescent est un mineur donc les parents ont le droit de fouiller dans le téléphone, de chercher quelque chose dans la chambre si jamais il y a des stupéfiants par exemple. Je crois qu'on a…

THOMAS SOTTO
Ils doivent se mêler plus de la vie de leurs enfants ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ils doivent s'occuper. Non mais non seulement se mêler plus, et pour les protéger. Ce n'est pas se mêler pour se mêler ; bien sûr que chacun a droit à son petit jardin secret. On parle de jardin secret…

THOMAS SOTTO
Vous fouillez dans le portable de votre ado ou pas ? Vous surveillez ou pas ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Mais moi, non seulement je surveille, non seulement je me mêle, non seulement je protège et non, je sanctionne s'il y a un problème. Ce qui est dingue, c'est qu'on a voulu démissionner les parents aussi en disant " attention, ils ont le droit à avoir leur vie privée. " Non. Moi, ce que je crois, c'est qu'il va falloir protéger, vous le voyez bien, cette jeunesse qui, par les réseaux sociaux.... Et je l'avais dit avant tout le monde : les réseaux sociaux sont une arme de destruction massive de notre Jeunesse.

THOMAS SOTTO
Oui mais ça existe... Vous avez sans doute raison sur la destruction massive, mais ça existe. Et ce que vous dites, ça marche très bien dans une famille fonctionnelle ; ça ne marche pas dans une famille dysfonctionnelle.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument. Donc si on reprend le projet de loi, la PPL de MARCANGELI, de Laurent MARCANGELI…

THOMAS SOTTO
Sur les écrans ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, la majorité numérique à 15 ans. Ça, c'est déjà une chose, il faut l'appliquer. Deuxième chose, pouvoir contrôler les réseaux sociaux, seul…

THOMAS SOTTO
Mais pardon, il faut impliquer... Vous avez vu le drame de Grande-Synthe, il y a quelques jours.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument. Je les vois tous les jours.

THOMAS SOTTO
Vous avez fait connaissance, j'imagine, comme nous, de ce site, coco.gg qui est basé à Guernevé.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument. Je le connais depuis que je suis nommée. Oui, un scandale.

THOMAS SOTTO
Ce week-end, la rédaction de France 2 s'y est inscrit pour voir ce que ça donne. En moins de 10 secondes, sans aucune vérification, on obtient tout : de la prostitution, des photos, de la drogue, tout ce qu'on veut.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument, droit international. Vous venez de le dire, c'est…

THOMAS SOTTO
La proposition de loi de monsieur MARCANGELI, elle est très bien intentionnée, mais sera-t-elle efficace ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Il faut bien démarrer, il faut bien démarrer quelque part. A un moment donné, cette stratégie va concerner aussi le niveau européen et international. Ça, c'est la première chose. On parle de stratégie de prévention de la délinquance. Moi, je parle de santé mentale, de lutte contre les conduites addictives et de lutte contre les conduites à risques. Il nous faut former - c'est une politique publique à plusieurs années, à dix ou quinze ans - plus d'addictologues, plus de psychologues, plus de psychiatres. Vous avez bien vu que ces 30 dernières années, on n'en forme plus. Donc, il va falloir repartir aussi à la base. Troisième chose : pouvoir accompagner les familles. Et ça, c'est l'un de mes combats qui me tient le plus à coeur, ce sont les familles monoparentales dans les quartiers prioritaires. Plus de 30% de familles monoparentales dans les quartiers prioritaires, majoritairement portées par des femmes. Donc pouvoir aider les parents. Quand on dit « les parents qui en ont le plus besoin » ; rappelez-vous ce que le Premier ministre avait dit. Il avait dit " tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies. "

THOMAS SOTTO
Oui, oui, mais ce sont des formules, tout ça.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, non, mais tu défis l'Autorité, on t'apprend à la respecter. Et moi, je rajoute : vous avez besoin, vous êtes en difficulté, on peut vous accompagner et on doit vous accompagner. Donc de dire que ces familles sont plus fragiles…

THOMAS SOTTO
Mais comment concrètement ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Concrètement.

THOMAS SOTTO
Je ne doute pas de votre sincérité, on l'entend.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, je sais bien.

THOMAS SOTTO
Mais là, vous avez lancé le Conseil national de la refondation de la jeunesse, de la prévention de la délinquance.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je lance le premier à Nîmes. C'est un symbole. Je le lance à Nîmes, le 25, jeudi prochain, dans le Gard, premier Conseil national de refondation sur la prévention de la délinquance.

THOMAS SOTTO
On a l'impression que ce Gouvernement passe son temps à consulter, à prendre des avis, à organiser des grands débats, à faire des Grenelles.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Si j'imposais des mesures, vous me diriez exactement le contraire en me disant que vous arrivez avec des mesures toutes faites. Non, Moi, je veux de la concertation.

THOMAS SOTTO
Mais il était temps d'avoir des mesures toutes faites…

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Eh bien oui. Alors, si vous en voulez…

THOMAS SOTTO
... vu la situation du pays.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Vu la situation du pays ; et vous avez raison. Quand le Président de la République, en 2017, décide - de 2017 à maintenant - plus de 10 000 policiers. Vous pensez que ce n'est pas concret ? Quand on a plus de 1 000 magistrats, vous pensez que ce n'est pas concret ? Quand on a plus de 1 000 greffiers, ce n'est pas du concret ? Oui, c'est du concret.

THOMAS SOTTO
C'est concret, oui, c'est concret. Mais ça ne répond pas à la situation qui inquiète les Français aujourd'hui ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Mais parce qu'on en a besoin...Je répète, Thomas SOTTO, on a besoin de l'aide, Il faut que les parents s'impliquent. " Parents, reprenez confiance en vous " ça veut dire quoi ? Cela veut dire que seuls - les pouvoirs publics et la puissance publique - ne peuvent pas tout. Donc la première chose, de pouvoir renouer le couple maire-préfet avec les habitants et avec toutes les associations concernées par la prévention de la délinquance sur des mesures simples. Quand on annonce le 8h - 18h, vous pensez que ce n'est pas concret, le 8h – 18h ? Pouvoir dire aux parents " vous pouvez, vous avez la possibilité de laisser vos adolescents au collège de 8h à 18h avec des activités. "

THOMAS SOTTO
Moi, j'ai une autre question sur une autre partie de la journée, la nuit. Le maire de Béziers, Robert MENARD, a lancé depuis hier un couvre-feu dans certains quartiers de la ville pour les moins de 13 ans, et c'est jusqu'au 30 septembre. En gros, interdiction de sortir seul de 23h à 6h du matin.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Vous savez que c'est juste la loi. Un mineur ne doit pas être seul la nuit. C'est juste la loi.

THOMAS SOTTO
Oui, ben vous savez que la loi n'est pas respectée alors.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument, mais le problème…

THOMAS SOTTO
Est-ce que c'est une bonne mesure alors, de durcir ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je ne sais pas si c'est une bonne mesure. Ce que je crois, c'est de dire aux parents déjà la première chose. J'aime bien quand on revient aux fondamentaux. Il faut dire aux parents qu'un mineur, un enfant n'a pas à être seul la nuit dehors. Et si jamais un parent ne s'en sort pas avec son gamin, et c'est la réalité, il peut venir voir…

THOMAS SOTTO
Oui, mais pardon Madame. Pardon. La mère de famille, le père de famille qui a un gamin, qui l'aura totalement échappé, il va dire : " Dis-donc, ce matin, j'ai entendu Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, elle a dit un truc super intéressant, tu ne sors plus. "

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, ce n'est pas ça que je veux dire.

THOMAS SOTTO
" Tu es gentille, maman ", et il claque la porte.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Très bien. Alors qu'est-ce qu'on fait ?

THOMAS SOTTO
Je ne sais pas, c'est vous qui êtes aux affaires.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ben oui, moi, je suis aux affaires, et je dis justement, les parents, quand ils n'y arrivent plus, ils doivent…

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il faut être plus sévère ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Et c'est une évidence.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il faut taper sur les allocations familiales ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, ça, je ne crois pas. Vous savez…

THOMAS SOTTO
Non ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, on ne rajoute pas de la misère à la misère. Ecoutez, je suis née dans le quartier le plus pauvre d'Europe, ce n'est vraiment pas quelqu'un comme moi qui va venir porter ce genre de mesure. Absolument opposée à ce genre de mesure. Par contre, dire aux parents : " Quand vous avez une difficulté… ". Vous parlez justement de ces jeunes qu'on n'arrive plus à gérer. Hier, on était à Nice avec le Premier ministre, et il y a, par exemple, des stages de rupture qui sont pris…Donc ce sont des stages dans des internats où les parents, sur la base du volontariat, sont venus dire au département, à l'école, à la communauté éducative : " Je n'y arrive plus. "

THOMAS SOTTO
« Je ne m'en sors plus, aidez-moi. »

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ça arrive, ça arrive. Vous savez, penser que c'est une histoire de classe sociale, c'est se tromper de diagnostic, ça concerne tout le monde.

THOMAS SOTTO
Il y en aura combien, des internats comme ça ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors déjà, 50 000 places qui sont disponibles sur les politiques de la ville. Avec ma collègue Catherine VAUTRIN, sur le travail, on a sanctuarisé 10 millions d'Euros, vous voulez une mesure concrète, pour créer des EPI, donc des Etablissements Pour l'Insertion dans l'emploi. Ça concerne les 17-25 ans, et où on prend pendant huit mois un jeune, on le réinsère évidemment dans l'emploi, on réapprend les bases de la, dire " Bonjour ", " Merci ", " Au revoir ", respecter les codes, on fait passer le permis de conduire sans demander aucun moyen aux parents.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il faut se reposer la question du service militaire ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Vous savez, je ne suis pas très passéiste, je ne crois pas que se dire : " Oui, le service militaire… ", je ne crois pas du tout. Je pense que les jeunes de maintenant… Vous savez, on aurait été les mêmes jeunes si on avait eu les mêmes outils qu'eux. Pensez que nous, à notre époque, on aurait été mieux ou qu'on était mieux, ce n'est pas vrai. Par contre, ce qui est vrai, c'est que, je reviens sur les réseaux sociaux, cette arme de destruction massive…

THOMAS SOTTO
Rappelez-moi, parce qu'après, j'ai une dernière question à poser.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Bien sûr ! C'est que les parents sont les premiers à pouvoir agir sur les réseaux sociaux avec leurs enfants, donc leur dire : " Vous avez le droit de prendre vos téléphones, de mettre les contrôles parentaux ". Et déjà, c'est une base. " Et vous avez le droit de les interdire ", ce que je viens de faire.

THOMAS SOTTO
Et quand vous voyez TikTok qui veut rémunérer les gens qui regardent les vidéos ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
C'est un scandale. Enfin, moi, écoutez, moi, les réseaux sociaux, je vais… Si vous me demandiez, par exemple, si j'avais une baguette magique, je ferais disparaître les réseaux sociaux.

THOMAS SOTTO
Dernière question, la lutte contre le trafic de drogues.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Tout n'est pas impossible, attention ! A croire qu'on a déjà perdu le combat, pas du tout.

THOMAS SOTTO
Vous voulez proposer un statut de Repenti aux mères nourrices, ces femmes qui stockent, de gré ou de force, des stocks de drogues dans leurs appartements, parce que les trafiquants le leur demandent, de gré ou de force encore une fois. Comment ça peut fonctionner, ce Repenti ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Dans la plupart du temps, de force. Il suffit de discuter avec n'importe quel policier, n'importe quel membre de la justice, évidemment que ce sont des femmes qui sont forcées dans les trafics de drogues. Vous savez, penser que les criminels ont une espèce de vertu, une espèce de générosité… Ils sont sans foi ni loi, ils créent des dettes fictives à ces femmes-là. Ils mettent les petits, les jeunes garçons en Chouf, donc en guetteur en bas de leur immeuble, et les filles, les trois quarts du temps, finissent dans les réseaux de prostitution. Donc je voudrais qu'on s'émancipe de la dimension morale par un vrai statut…

THOMAS SOTTO
Mais comment vous voulez protéger, derrière, ces femmes ? Parce qu'ils sont en quartier, tout ceux…

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non. Et c'est pour ça qu'il faut l'en sortir. Donc quand je demande un statut pour les mères nourrices sur la base du statut du Repenti, c'est de dire : " On les extrait, on les protège, on trouve une autre identité, on leur crée une nouvelle vie pour qu'elles puissent avoir l'espoir de s'en sortir, elles et leurs enfants. "

THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Sabrina AGRESTI-ROUBACHE d'être venue dans Les 4V, et bonne journée à vous !

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Merci à vous


source : Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2024