Déclaration de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, sur le projet de loi de simplification de la vie économique, au Sénat le 3 juin 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Olivia Grégoire - Ministre déléguée, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation

Circonstance : Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de simplification de la vie économique (projet n° 550, texte de la commission n° 635, rapport n° 634).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement ravie de vous retrouver ce soir pour débattre de ce projet de loi de simplification.

Ce texte, vous le savez, s'inscrit dans un plan d'action plus large qui obéit à un seul objectif : simplifier la vie et le quotidien de nos entreprises. Il s'agit de simplifier non pas pour le plaisir, même si cela peut en être un, mais pour libérer du temps utile à nos entrepreneurs, du temps pour qu'ils puissent innover, recruter, se développer – bref, du temps pour entreprendre !

Nous croyons que le rôle des pouvoirs publics en matière de politique économique est d'enlever des cailloux de la chaussure de nos entrepreneurs, et non d'en ajouter ! Alléger la charge normative, les obligations et les sanctions qui pèsent sur eux, c'est alléger leur charge mentale et leur quotidien.

Telle est l'ambition que nous portons avec le Président de la République et Bruno Le Maire depuis 2017.

Depuis cette date, nous avons fait adopter des lois importantes, comme la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi Essoc, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, ou encore, l'automne dernier, la loi relative à l'industrie verte qui a permis de renforcer notre attractivité industrielle, si cruciale au XXIe siècle.

Nous avons également allégé la fiscalité des entreprises en matière d'impôt sur les sociétés et d'impôts de production.

Ces mesures portent leurs fruits : elles nous ont permis de créer de la croissance, de devenir le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers – c'est la cinquième année que nous le sommes –, d'ouvrir de nouvelles usines, de créer deux millions d'emplois en sept ans et de faire baisser substantiellement le chômage.

Pour continuer sur cette lancée, une nouvelle impulsion était nécessaire. Nous avons donc consulté les entreprises, les fédérations et organisations professionnelles, les Françaises et les Français : six mois de consultations, 33 000 participants, plus de 730 000 votes sur la plateforme citoyenne.

Ce projet de loi vient du terrain, des entrepreneurs, mais aussi des parlementaires, dont Nadège Havet que je remercie pour les échanges que nous avons eus et la qualité de son travail. Je veux aussi saluer avec respect et sincérité la qualité du rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises et l'engagement de son président, Olivier Rietmann.

Ce texte affiche trois objectifs ambitieux.

Premier objectif : continuer de mettre l'administration au service de toutes les entreprises. La simplification – je n'aurai de cesse de le répéter devant vous –, c'est non pas un choc, mais un état d'esprit, et cela doit devenir l'esprit de l'État à chaque échelon.

Trop souvent, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entendu, comme moi, dans vos circonscriptions des entrepreneurs râler à juste titre contre la lenteur d'une administration face, par exemple, à une demande d'extension de site ou d'ouverture d'usine.

Cette remise à plat, nous souhaitons la faire sans totem ni tabou. Nous souhaitons par ailleurs inscrire ce travail dans la durée grâce à des lois annuelles de simplification et un suivi renforcé, qui passeront au peigne fin les normes applicables aux entreprises pour déceler de nouvelles marges de manœuvre.

Le cœur de ce texte, ce sont le stock et le flux de normes dont vous entendrez parler tout au long de la discussion. Nous cherchons bien sûr à abaisser le stock existant, mais des mesures plus structurelles, comme le débat annuel que nous prévoyons d'instituer ou le « test PME » que nous évoquerons à la fin de l'examen du texte, doivent permettre de nous attaquer au flux de normes de façon régulière et rigoureuse.

Deuxième objectif : soulager les acteurs économiques, en particulier les plus petits.

On parle souvent de justice sociale. J'ai travaillé un certain temps en entreprise – dans des petites, des moyennes et une grande – et j'ai même eu l'impertinence de créer la mienne il y a maintenant dix ans. Je peux vous dire qu'il m'est arrivé de râler parce que les TPE ou les PME – vous le savez bien au Sénat – ne sont pas outillées comme les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou les grandes entreprises pour mettre en œuvre ou exécuter les nouvelles normes, pour s'y adapter.

Nous ne sommes pas tous égaux devant la norme selon que l'on soit une petite PME de dix salariés ou une grande ETI dotée d'une équipe spécialisée. Face à la complexité administrative, les entreprises ne sont donc pas égales entre elles ; c'est un véritable enjeu d'égalité économique.

Laissez-moi vous rappeler les chiffres de l'excellent rapport du Sénat relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises : 8 heures par semaine, c'est le nombre d'heures consacrées par un tiers des chefs d'entreprise à l'administratif ; 50%, c'est la part des entreprises qui renoncent à des aides publiques pour cause de complexité. J'y insiste, une entreprise sur deux renonce à une aide, effrayée par la démarche à effectuer pour la demander !

Le non-recours aux prestations sociales est un enjeu majeur de justice ; il est souvent le fait des plus fragiles ou des plus isolés. Force est de constater que c'est un peu la même chose dans le champ de l'entreprise : les plus petites sont parfois isolées et convaincues qu'il est trop compliqué de demander une aide. Ce non-recours est un problème important pour les toutes petites entreprises. C'est pourquoi nous proposons dans ce texte trois mesures qui leur sont destinées.

Il s'agit, tout d'abord, de rapprocher le droit des professionnels et le droit des particuliers en matière de banque et d'assurance pour que les professionnels soient mieux protégés. Concrètement, il faut prévoir la possibilité pour les entreprises de procéder à la résiliation à tout moment de certains contrats d'assurance et de raccourcir les délais d'indemnisation des assurés dans le cadre des dommages aux biens – j'espère qu'il sera de six mois pour les professionnels comme pour les particuliers.

Il s'agit, ensuite, de simplifier les démarches complexes, notamment l'installation et l'exploitation des commerces dans les galeries marchandes et les centres commerciaux, qui nécessitent jusqu'à quatre mois – autant de temps et de chiffre d'affaires perdus pour le commerçant.

Il s'agit, enfin, de libérer la trésorerie pour les entreprises en adaptant le bail commercial, avec notamment la mensualisation des loyers qui permettra de rendre environ 2 milliards d'euros de trésorerie aux commerçants. Ce sujet a émergé à la suite des travaux du Conseil national du commerce (CNC), que j'ai créé il y a maintenant deux ans. Sur ce point, je souhaite saluer l'accord de place historique qui a été trouvé sur les baux commerciaux sous l'égide du CNC et sur lequel j'aurais le plaisir de revenir en détail lors de nos débats.

La simplification des procédures du quotidien, c'est le nerf de la guerre. C'est pour cela que nous proposons également la suppression des formulaires Cerfa à horizon 2030 et de 80% d'entre eux d'ici à 2026.

J'entends naturellement – j'étais députée avant d'être ministre – votre réticence à donner au Gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance sur ce sujet, mais, si cette habilitation est large, c'est que la matière est très foisonnante : même si nous ne sommes pas d'accord sur la méthode, vous reconnaîtrez que supprimer 1 800 formulaires au Parlement serait un exercice titanesque et une utilisation bien peu respectueuse par le Gouvernement du temps parlementaire.

Bien sûr, le Gouvernement vous rendra des comptes : c'est la moindre des choses ! L'article 1er prévoit qu'un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.

Troisième objectif : continuer à faciliter et à accélérer les transitions écologique, énergétique et numérique. C'est un enjeu de compétitivité et une question de bon sens. Mes collègues Marina Ferrari et Roland Lescure auront l'occasion de défendre ces mesures devant vous.

Nous souhaitons poursuivre le travail en matière de raccourcissement des délais et d'allégement des conditions d'installation des usines et des centres de données. Nous voulons lever les barrières qui nous empêchent encore d'atteindre notre plein potentiel en matière de géothermie, d'éolien en mer, de stockage du carbone et de biogaz. Nous voulons aussi encourager l'exploitation minière de lithium et de cuivre dans notre sous-sol pour alimenter nos gigafactories de batteries électriques.

Je tiens à préciser que nous serons également favorables aux amendements visant à prolonger le mandat de La Poste comme prestataire du service universel postal et à lui permettre de continuer de contribuer au recensement de la population opéré par l'Insee. Simplifier la vie des Français, c'est aussi garantir un accès équitable à ce grand service public sur tout le territoire ; ces amendements y contribueront.

Je le redis, ce projet de loi a vocation à enlever des cailloux de la chaussure de nos entrepreneurs. Car – soyons lucides – le temps que nous examinions ce texte, une dizaine de normes nouvelles seront peut-être entrées en vigueur !

C'est la raison pour laquelle la simplification doit devenir une hygiène du quotidien, d'abord pour l'exécutif : nous devons nous attaquer non seulement au stock de normes, mais aussi au flux ; sinon, nous risquons de réinventer le mythe de Sisyphe.

C'est dans cet esprit que le projet de loi met en place une nouvelle méthode pour mieux appréhender les effets concrets sur les entreprises, TPE et PME.

Nous voulons que tous les projets de loi qui concerne les entreprises, mais également les textes réglementaires lorsque le Gouvernement l'estimera utile, fassent l'objet d'un test PME. La loi en posera les principes grâce à l'intégration des propositions de la remarquable délégation sénatoriale aux entreprises dont je salue de nouveau le travail.

Avant de conclure, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire que le Gouvernement prend bonne note des craintes exprimées lors des travaux de la commission spéciale – certaines sont légitimes.

Je pense notamment à celle relative à la simplification du bulletin de paie. La situation actuelle ne satisfait personne : l'élaboration du bulletin de paie est coûteuse pour l'entreprise et celui-ci est peu lisible pour le salarié. (M. Thomas Dossus s'exclame.) Nous souhaitons inverser cette logique : le bulletin de paie de demain doit comporter moins d'informations, mais de meilleures informations.

C'est un travail de longue haleine, à n'en pas douter, qui commence par l'établissement d'un nouveau format de bulletin par voie réglementaire, auquel nous travaillerons avec les partenaires sociaux d'ici à 2027 ; notre cible étant de parvenir à quinze lignes, les principales, comme c'est le cas chez nos voisins européens.

Pour autant, soyons clairs, le salarié continuera, s'il le souhaite, d'avoir accès à toute l'information : l'entreprise la gardera à sa disposition, comme c'est déjà le cas, mais sous le format le plus simple pour elle, et le salarié pourra la consulter avant 2030 sur le portail national des droits sociaux. Le Gouvernement attache en effet une importance primordiale à ce que cette réforme ne se traduise pas par une charge supplémentaire pour l'employeur. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est désormais entre vos mains, et je ne doute ni de votre soutien à cette ambition de simplification ni de votre capacité à améliorer le texte. Je remercie de nouveau les rapporteurs et la commission spéciale pour le sérieux de leurs travaux.

Il n'est pas un aboutissement, c'est un point de départ. Comme je le disais, la simplification est non pas un choc, mais un état d'esprit, et elle doit devenir l'esprit de l'État. Nous devons y travailler chaque année – c'est pourquoi nous proposons un débat annuel – et elle doit sous-tendre chaque projet de loi qui concerne nos entrepreneurs : nous en débattrons à l'article 27 avec le test PME.

Le défi est immense, nous en sommes conscients. Léonard de Vinci le disait bien mieux que moi : « La simplicité est la sophistication suprême. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)


source https://www.senat.fr, le 12 juin 2024