Texte intégral
SONIA MABROUK
Bonjour Didier MIGAUD.
DIDIER MIGAUD
Bonjour.
SONIA MABROUK
Bienvenue à la " Grande interview sur Cnews et Europe 1. Vous êtes le garde des Sceaux. Merci d'être notre invité exceptionnel ce matin. Beaucoup de sujets à vous soumettre. Et tout d'abord, c'est l'actualité judiciaire et politique. Après les réquisitions dans le procès des emplois présumés fictifs, des assistants parlementaires du RN, procès dans lequel 5 ans d'inéligibilité ont été requis contre Marine Le PEN, assorti, je le précise, d'une exécution provisoire et puis de la prison. Cette dernière a dénoncé, hier, l'outrance de telles réquisitions et puis, une atteinte à la démocratie. Si le juge, monsieur MIGAUD, suit de telles réquisitions, ce serait, pour elle, une exclusion définitive de la vie politique. Est-ce à la justice de trancher ce qui devrait être… l'être dans les urnes ?
DIDIER MIGAUD
Vous savez que le garde des Sceaux n'a pas le droit de s'exprimer sur des affaires individuelles et à partir du moment où un procès est en cours. Donc je suis pratiquement le seul responsable politique à ne pas pouvoir commenter.
SONIA MABROUK
Mais ça tombe bien parce que je ne pose pas la question sur le champ judiciaire mais politique. Puisque l'ancien ministre de l'Intérieur, Gérald DARMANIN, a affirmé…
DIDIER MIGAUD
Oui mais vous avez un lien bien évidemment, puisque ce commentaire politique, il est à partir de réquisition. Donc je ne peux pas commenter.
SONIA MABROUK
Je vais quand même poser mes questions, monsieur le ministre. L'ancien ministre de l'Intérieur, Gérald DARMANIN, a affirmé qu'il serait profondément choquant que Marine Le PEN soit jugée inéligible. La question, là, n'est pas judiciaire. Combattre Marine Le PEN, est-ce que ça se fait dans les urnes ou est-ce que ça se fait ailleurs ?
DIDIER MIGAUD
Oui mais vous voyez bien qu'à partir du moment où je dis quelque chose, il y aura un commentaire qui sera fait. Je pense qu'il faut bien évidemment combattre les idées sur le plan politique et devant le suffrage universel. Mais une fois de plus, je ne peux pas commenter un acte de Justice.
SONIA MABROUK
Alors autre question. Quoi qu'on pense de l'opposante Marine Le PEN, elle représente quand même des millions de Français, vous serez d'accord. Si le tribunal suit les réquisitions, que vont penser ces millions de Français ? Qu'on a cherché à éliminer ou à dissoudre de l'opposition ? Qu'est-ce que vous dites et qu'est-ce que vous opposez à l'argument d'une justice politisée avec Marine Le PEN ?
DIDIER MIGAUD
Une fois de plus je ne peux pas rentrer dans votre raisonnement. Je ne peux pas m'immiscer dans un procès qui est en cours. La Justice est indépendante et les magistrats sont eux-mêmes indépendants. Et c'est un principe constitutionnel. Et le ministre peut définir une politique pénale mais il n'a pas le droit d'intervenir dans des affaires particulières. Et c'est heureux.
SONIA MABROUK
Alors vous ne me répondez pas. Et c'est heureux. Mais n'arrivant pas à combattre Marine Le PEN - quelle que soit d'ailleurs la personnalité politique - sur le plan démocratique, la justice de manière générale, vous en êtes quand même le garant, peut-elle devenir une arme justement contre la principale opposante et même la prétendante, la mieux placée à l'Elysée ?
DIDIER MIGAUD
La Justice juge et les magistrats jugent à partir de la loi qui est votée par le législateur.
SONIA MABROUK
Ça a été le cas pour ces réquisitions ?
DIDIER MIGAUD
Pas les réquisitions mais les peines. Les peines sont dans la loi. Et le juge utilise les possibilités que lui donne la loi, que lui donne le législateur.
SONIA MABROUK
L'exécution provisoire ne vous choque pas ?
DIDIER MIGAUD
Le juge ne se substitue pas au pouvoir politique. Il n'en a pas le pouvoir. Vous avez une indépendance entre les pouvoirs. Vous avez la séparation des pouvoirs mais le juge n'est pas… C'est une autorité judiciaire d'ailleurs, ça n'est pas un pouvoir au sens des pouvoirs publics traditionnels tels qu'on les conçoit dans notre constitution. Et le juge applique la loi.
SONIA MABROUK
Mais Marine Le PEN inéligible. Monsieur MIGAUD garde des Sceaux mais aussi responsable politique, est-ce que ça c'est une question politique ?
DIDIER MIGAUD
Mais vous pouvez me poser dix fois la même question, je vous ferai toujours la même réponse. Je ne peux pas… Je comprends votre obstination à me faire parler mais là je ne peux pas m'exprimer.
SONIA MABROUK
Ce n'est pas tant de l'obstination que des questions que se posent les Français. Là, peut-être que vous aurez une réaction, monsieur.
DIDIER MIGAUD
Ils ont un ministre de la Justice. Les principes sont importants. Si le ministre de la Justice se met à commenter un certain nombre d'actes ou de réquisitions tant du parquet que de décisions du juge, la Justice n'est plus indépendante.
SONIA MABROUK
J'entends mais puisque vous parlez des principes, est-ce qu'elle est vraiment indépendante ? Est-ce que, là, il y a de telles réquisition…
DIDIER MIGAUD
Je pense qu'elle est totalement indépendante.
SONIA MABROUK
Et avec une exécution provisoire.
DIDIER MIGAUD
Et je dois garantir l'indépendance de la magistrature.
SONIA MABROUK
Avec une exécution provisoire contre une responsable politique prétendante à l'Elysée, vous dites qu'elle est indépendante ?
DIDIER MIGAUD
Oui, la loi le permet. Alors on peut contester que la loi le permette et que ça remette en cause des principes mais la loi le permet.
SONIA MABROUK
Peut-être que vous pourriez réagir sur cela parce qu'une phrase de la procureure a suscité la colère et l'indignation. Pas seulement de Marine Le PEN ; cette phrase a été certifiée par nos journalistes également. Sur l'un des prévenus, la procureure ou l'une des procureurs a lancé au sujet d'un contrat. Donc lors de ce procès, je cite, " je n'ai aucun élément mais je ne peux pas demander la relaxe, ça me fait trop mal. " Monsieur le garde des Sceaux, est-ce qu'une procureure peut dire cela ?
DIDIER MIGAUD
Je n'ai pas de commentaire à faire.
SONIA MABROUK
Est-ce qu'une procureure peut dire cela ? Si cette phrase…
DIDIER MIGAUD
Je n'ai pas de commentaire à faire. Il y a des procédures qui permettent de récuser un juge, de faire appel. Le conseil supérieur de la magistrature peut être saisi.
SONIA MABROUK
Mais est-ce que Marine Le PEN est en droit de saisir avec le supérieur hiérarchique de cette procureure ?
DIDIER MIGAUD
Mais le justiciable a des droits et c'est heureux.
SONIA MABROUK
Donc elle pourrait vous saisir vous-même puisque vous êtes son supérieur hiérarchique, à cette procureure. Est-ce que c'est possible, monsieur le garde des Sceaux ?
DIDIER MIGAUD
Une fois de plus, les membres du parquet sont libres quant à leur expression.
SONIA MABROUK
Mais le parquet n'est pas indépendant.
DIDIER MIGAUD
Le parquet est indépendant dans ses réquisitions sur des affaires individuelles.
SONIA MABROUK
Certes, mais quand il peut entrer à caractère personnel comme cette phrase-là, est-ce qu'il reste indépendant ?
DIDIER MIGAUD
Je ne peux pas, en tout cas, porter une appréciation devant vous comme ça. Il faut être saisi, ça mérite une instruction, ça mérite des vérifications. La Justice doit conserver et respecter un certain nombre de formes.
SONIA MABROUK
Mais si tel était le cas, vous me confirmez qu'un procureur ne peut pas faire état de caractère personnel ?
DIDIER MIGAUD
Je n'ai rien dit du tout, je ne veux pas commenter.
SONIA MABROUK
Mais pourquoi tant de prudence ? Parce que si un procureur dit ça, il n'en pas normalement la possibilité ni le droit.
DIDIER MIGAUD
Sonia MABROUK, la Justice ne se fait pas sur un plateau de télévision.
SONIA MABROUK
Est-ce que la justice politisée parfois se fait au tribunal ?
DIDIER MIGAUD
La Justice n'a pas à être politisée. La justice, une fois de plus, applique le droit. Et le droit, ce sont des politiques, c'est le Parlement.
SONIA MABROUK
Vous réfutez, monsieur le garde des Sceaux, qu'une partie de la justice soit politisée ?
DIDIER MIGAUD
Mais la Justice n'a pas à être politisée. La Justice fait son travail et elle doit appliquer la loi et respecter la loi.
SONIA MABROUK
Alors expliquez-nous… J'entends bien. Pourquoi alors, un exemple parmi d'autres, le syndicat de la magistrature est-il politisé ou pas ? Quand ce syndicat publie un communiqué affirmant que l'autorité judiciaire n'est pas au service d'une répression sociale ? C'était lors des manifestations contre la réforme des retraites. Quand ce syndicat de la magistrature participe activement à la fête de l'Huma pour une table ronde sur les violences policières et le racisme systémique. Vous estimez que ce syndicat n'est pas politisé ?
DIDIER MIGAUD
Il y a une liberté syndicale. Les magistrats, ensuite, dans leur travail, doivent se montrer indépendants de toute opinion politique.
SONIA MABROUK
Alors de la liberté, monsieur le garde des Sceaux, d'affirmer qu'il y a un racisme systémique et de s'opposer à la police ?
DIDIER MIGAUD
Vous n'entendrez jamais de ma part un discours contre la police. Il y en a qui parfois opposent police et justice. Nous avons un rôle complémentaire. Et en ce qui me concerne, je joue plutôt cette complémentarité. Je rends hommage d'ailleurs au travail des policiers, de la même façon qu'on doit rendre hommage aussi au travail des magistrats qui font leur travail dans des conditions souvent extrêmement difficiles. On aura l'occasion d'y revenir…
SONIA MABROUK
Et il faut le faire. Mais quand certains sont syndiqués et participent activement à cette fête.
DIDIER MIGAUD
Il y a des procédures qui permettent de mettre en cause le côté partisan des choses. Vous avez le Conseil supérieur de la magistrature, mais pas seulement. Vous avez des procédures d'appel. Le justiciable peut bien évidemment utiliser l'ensemble de ces procédures.
SONIA MABROUK
Dans l'actualité, monsieur Didier MIGAUD, on a appris hier l'arrestation d'un individu camerounais suspecté de plusieurs tentatives d'homicide, dont un acte d'une grande barbarie, d'une grande sauvagerie sur un SDF. Ce suspect est sous OQTF. En réagissant à cette affaire hier, votre collègue de l'intérieur Bruno RETAILLEAU a déclaré ceci : " On a construit un droit trop protecteur pour ceux qui menacent les Français. " Il a raison ?
DIDIER MIGAUD
Un droit trop protecteur… Ce droit, il existe. Après, je suis pour une extrême fermeté quand des personnes ne respectent pas les règles de la société. Et on doit être extrêmement sévère quant à ses comportements. La Justice, là aussi, doit raisonner de façon objective. Vous avez une personne qui commet un délit, un crime. Eh bien, il doit être poursuivi et puis, il doit être condamné, sanctionné.
SONIA MABROUK
Là, en l'état ?
DIDIER MIGAUD
Le rôle de la justice, c'est à la fois de protéger les citoyens, c'est aussi de les sanctionner quand ils doivent l'être et puis, c'est de réparer aussi, d'accompagner les victimes.
SONIA MABROUK
Bien sûr, les principes et les faits. Ce suspect sous OQTF a pu voyager aux quatre coins de la France et de l'Europe au mépris de nos lois, tout comme le meurtrier présumé de Philippine, libéré par un juge des libertés de la détention, qui estimait, et je cite simplement l'ordonnance, monsieur le garde de Sceaux, datée du 3 septembre, qu'il y avait pourtant, pour ce Marocain multirécidiviste, le risque de réitération de faits délictueux. Est-ce qu'on peut interroger la responsabilité des…
DIDIER MIGAUD
Attention, vous savez, c'est caricatural. Une fois de plus, la Justice ne le fait pas sur les plateaux…
SONIA MABROUK
Je ne fais que lire…
DIDIER MIGAUD
Non… Oui, mais vous ne connaissez pas le contexte.
SONIA MABROUK
Non.
DIDIER MIGAUD
Vous n'avez pas la totalité du dossier.
SONIA MABROUK
J'ai lu simplement l'ordonnance datée du 3 septembre.
DIDIER MIGAUD
Non, c'est beaucoup trop facile de faire ce type de commentaire. Il y a des règles, il y a des lois. Peut-être…
SONIA MABROUK
Sont-elles respectées par tous ?
DIDIER MIGAUD
Non, mais quand elles ne sont pas respectées, il faut pouvoir agir, bien évidemment.
SONIA MABROUK
Mais vous estimez que le juge a agi comme il le fallait ?
DIDIER MIGAUD
Mais le juge agit dans le cadre de la loi. Alors est-ce que la loi doit être changée, notamment pour ce qui concerne les conditions d'une libération lorsque vous êtes au niveau d'une quatrième demande de prolongation d'une rétention dans un centre de rétention administrative ? Oui, peut-être que la loi peut être modifiée pour permettre au juge des libertés, justement, d'analyser à la fois les faits sur les dernières semaines, mais également à partir de la personnalité-même de la personne et ce pourquoi elle a été condamnée. On peut tout à fait…
SONIA MABROUK
Et on peut demander, monsieur le garde des Sceaux, si nos lois sont adaptées à cette ultraviolence. Est-ce qu'il est possible d'adapter l'Etat de droit et de changer à la marge ?
DIDIER MIGAUD
L'Etat du droit.
SONIA MABROUK
Alors, l'Etat du droit…
DIDIER MIGAUD
L'Etat du droit. Il faut faire une distinction entre l'état de droit, avec un certain nombre de principes qui s'appliquent à nous et qui sont protégés par la Constitution, qui sont dans la Constitution et qui sont protégés par le Conseil constitutionnel, qui sont protégés aussi par des conventions internationales qu'a signées la France et l'Etat du droit qui peut effectivement être modifié.
SONIA MABROUK
Donc, est-ce qu'on peut adapter l'état des lois du Parlement, du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel et des cours européennes qui, parfois, peuvent aller à l'encontre de notre souveraineté populaire et nationale ?
DIDIER MIGAUD
Ça, c'est votre point de vue…
SONIA MABROUK
C'est une question ; vous avez remarqué.
DIDIER MIGAUD
Le Parlement, c'est lui qui fait la loi, une fois de plus. La loi est votée par l'Assemblée nationale et le Sénat. Et les lois peuvent être ajustées. Je ne suis pas contre, je l'ai dit, pour un certain nombre de dérogations concernant, par exemple, la justice des mineurs - on y reviendra peut-être - tout en respectant l'Etat de droit. La justice des mineurs ne peut pas être la même que la justice des majeurs. Là, il y a un certain nombre de principes qui s'imposent aussi à nous. Mais dans un certain nombre de situations, des dérogations sont tout à fait possibles. Et j'y suis, pour ma part, favorable. S'agissant de la criminalité organisée - on y reviendra peut-être - je suis, là aussi, pour une extrême fermeté, y compris dans la revisite d'un certain nombre de procédures. On s'aperçoit que dans un certain nombre de procédures, il y a des avocats qui abusent de ces procédures. Donc, il faut pouvoir trouver les moyens, tout en respectant, bien sûr, un certain nombre de principes, de faire en sorte qu'on ne dévoie pas les procédures
SONIA MABROUK
On va y revenir. Et face à l'ultraviolence que vous dénoncez… D'ailleurs, dans notre société, un récent sondage publié en septembre dernier indiquait, monsieur le garde des Sceaux, que 80% des Français estimaient que la Justice était trop laxiste, quelles que soient leurs opinions politiques, je le précise. Quasiment au même moment où vous avez déclaré, c'est important comme phrase, « le laxisme de la Justice n'existe pas. » Alors, est-ce qu'une écrasante majorité de Français a tort ou est-ce qu'elle a un sentiment d'impunité ?
DIDIER MIGAUD
Ce n'est pas facile pour le ministre de la Justice d'expliquer que non, la justice n'est pas laxiste, elle fait son travail. Mais je suis tout à fait conscient de l'opinion des Français à ce sujet. Lorsque vous regardez la durée moyenne des condamnations, aujourd'hui, elle est supérieure à celle qui pouvait exister, il y a quelques années. Il n'y a jamais eu autant de détenus dans les prisons. Donc, ça montre bien…
SONIA MABROUK
Compte tenu du nombre de places, ce n'est pas étonnant.
DIDIER MIGAUD
Oui, mais on n'a jamais eu autant, c'est un record.
SONIA MABROUK
Il y a aussi peu de prisons.
DIDIER MIGAUD
Non, on a quand même un nombre de détenus, aujourd'hui, qui est record, donc La justice fait son travail. En revanche, oui, je suis conscient que la justice peut être considérée comme trop lente. Il y a un vrai sujet d'exécution de la peine et d'un délai parfois trop long entre le prononcer de la peine et l'exécution de la peine. J'ai mis en place un groupe de travail. Je suis conscient de ça et les magistrats sont conscients de cela.
SONIA MABROUK
Est-ce qu'on peut affirmer ce matin que dès qu'une peine est prononcée en France, parce qu'elles le sont, il y a la certitude de son exécution sans de multiples aménagements qui la vident souvent de sa substance ?
DIDIER MIGAUD
Il faut veiller à ce que les peines soient exécutées, y compris d'ailleurs, les peines alternatives. On met, aujourd'hui, trop de temps dans l'exécution des peines et ça c'est un sujet qu'il faut que je puisse traiter. Je comprends tout à fait le sentiment que peuvent avoir les Français.
SONIA MABROUK
Un sentiment d'impunité ou une réalité ? C'est comme le sentiment d'insécurité monsieur le Garde des Sceaux.
DIDIER MIGAUD
Oui, mais on voit tout de suite…
SONIA MABROUK
C'est une question importante.
DIDIER MIGAUD
Oui, c'est une question importante, mais on voit tout de suite les commentaires qui peuvent être faits par rapport…
SONIA MABROUK
Je sais que vous êtes au-dessus des commentaires. Vous nous dites ce que vous pensez ce matin sur CNEWS et EUROPE 1, c'est un sentiment d'impunité.
DIDIER MIGAUD
Oui, bien sûr, je dis ce que je pense. Oui, il ne faut pas que des délits, des infractions soient impunies. Et ça, en tant que ministre de la Justice, que garde des Sceaux, je suis pour une politique pénale ferme. Je suis pour une réponse pénale ferme.
SONIA MABROUK
On entend votre fermeté avec, évidemment, la justice. Je n'ai pas posé la question, tout à l'heure, concernant le syndicat de la magistrature ou alors l'association Anticor. Est-ce que vous savez combien de magistrats font partie soit du syndicat de la magistrature soit appartiennent à une association comme Anticor ?
DIDIER MIGAUD
Vous focalisez là-dessus, une fois de plus, la justice, d'ailleurs, le plus souvent, ce sont des décisions collégiales. Si quelqu'un peut éventuellement se voir reprocher une approche partisane, vous avez les deux autres magistrats qui sont dans la collégialité. Je connais bien la collégialité. Je suis moi-même magistrat financier. J'étais à la Cour des comptes, la collégialité, je la connais.
SONIA MABROUK
La question, vous l'avez compris, c'est comment dépolitiser la justice ? Je pense que vous y tenez beaucoup.
DIDIER MIGAUD
On ne peut pas considérer que la justice est politisée.
SONIA MABROUK
Alors, ça, ce n'est pas ce que disent les syndicats, 30%.
DIDIER MIGAUD
Une fois de plus, c'est la liberté syndicale.
SONIA MABROUK
Cela relève de la liberté d'avoir des opinions ?
DIDIER MIGAUD
Vous avez le conseil supérieur de la magistrature qui a exprimé ce qu'une organisation syndicale pouvait dire et ne pas dire. Il y a des règles, il faut les respecter et tout le monde doit pouvoir les respecter.
SONIA MABROUK
Votre fermeté, vous l'affichez sur un sujet important et délicat qui est celui de la justice des mineurs qui se rendent parfois coupables d'actes d'une grande sauvagerie. Vous avez récemment déclaré que vous n'étiez pas hostile à l'atténuation de l'excuse de minorité et sur l'idée d'une comparaison immédiate. Il y a eu des protestations, on peut le dire, des principaux syndicats de la magistrature. Est-ce que vous allez aller au-delà ?
DIDIER MIGAUD
Une fois de plus, c'est le Parlement qui vote la loi. On peut entendre les réactions. La justice des mineurs, une fois de plus, ne peut pas être la justice des majeurs. Là, c'est un principe fondamental, mais il peut y avoir des dérogations encadrées, notamment en cas de récidive, en cas de crime. Tout cela doit pouvoir être débattu au niveau du Parlement. En ce qui me concerne, je suis ouvert à des dérogations par rapport, à la fois à l'excuse de minorité, et par rapport au principe de comparution immédiate qui s'intitule d'une autre façon en s'agissant des mineurs.
SONIA MABROUK
D'ailleurs, ces mineurs qui sont utilisés par des adultes, parfois des mineurs isolés, est-ce que vous faites le lien ?
DIDIER MIGAUD
Oui, j'ai pu voir, si vous voulez, sur ce que l'on appelle la criminalité organisée, sur les trafiquants de stupéfiants, combien les mineurs pouvaient être utilisés.
SONIA MABROUK
Pourquoi ? Parce que les adultes savent que les mineurs auront une peine plus légère ?
DIDIER MIGAUD
Non, parce que vous avez des pressions sur ces mineurs, des pressions qui sont exercées sur les familles. Nous étions à Marseille avec le ministre de l'Intérieur. Nous avons eu des réunions de travail avec la police judiciaire, avec les magistrats. Ce qu'ils nous remontent est horrible. Nous avons changé de dimension au niveau de cette criminalité organisée, avec des délinquants qui utilisent la torture, la barbarie sur un certain nombre de personnes, sur les familles. On a changé de dimension. Donc il faut que l'État s'arme davantage pour lutter contre cette criminalité organisée. Ce sont les magistrats, d'ailleurs, de Marseille qui ont dit que, devant la commission d'enquête qui avait été mise en place au niveau du Sénat,…
SONIA MABROUK
On était en train de perdre la guerre.
DIDIER MIGAUD
On était en train de perdre la guerre.
SONIA MABROUK
Vous ne l'admettez pas, si je puis dire.
DIDIER MIGAUD
Non, je ne l'admets pas. Je reconnais... Je suis heureux que les magistrats se soient exprimés librement et qu'ils aient pu dire…
SONIA MABROUK
Il y a eu quelques remontrances après.
DIDIER MIGAUD
Oui, elles ne sont pas de mon fait, parce que je préfère la vérité. Je préfère qu'on puisse constater la réalité parce qu'à partir du moment où vous constatez la réalité, vous pouvez mieux la combattre. Et pour moi, c'est indispensable, justement, de se donner les moyens, de faire en sorte que l'État puisse se réarmer face à cette délinquance.
SONIA MABROUK
La réalité, mise en garde.
DIDIER MIGAUD
Et là, ils trouveront un garde des Sceaux qui sera d'une extrême fermeture.
SONIA MABROUK
Et on l'entend.
DIDIER MIGAUD
Et c'est pour cela que je souhaite, bien sûr, que les propositions qui ont été faites aussi bien par l'Assemblée nationale que par le Sénat. Il y a une commission d'enquête qui a au Sénat remarquablement travaillé, formulé des propositions. Cette proposition de loi…
SONIA MABROUK
Qui a dénoncé une narco-étatisation de notre pays.
DIDIER MIGAUD
Oui, je suis tout à fait... J'ai dit que j'étais tout à fait d'accord pour qu'on puisse travailler à partir de cette proposition de loi. Elle est inscrite en janvier, elle sera inscrite en mars prochain au niveau de l'Assemblée nationale. Donc j'espère que nous pourrons trouver les solutions pour armer davantage l'Etat. Mais, en attendant, je me suis battu pour qu'un certain nombre de mesures immédiates soient prises. On ne peut pas considérer...
SONIA MABROUK
C'est de votre pouvoir, d'agir tout de suite.
DIDIER MIGAUD
Oui, on ne peut pas considérer que c'est un problème gravissime et dans le même temps attendre le résultat de la loi. Donc c'est pour cela que je mets en place, je renforce un parquet national qui existe au niveau de la procureure de Paris. Je souhaite qu'il y ait une coordination nationale. Je souhaite imposer les échanges d'informations entre l'ensemble des juridictions parce qu'il y a telle ou telle situation qui montre que l'origine d'un problème peut se trouver dans une absence d'échanges d'informations. Donc il faut renforcer les moyens d'investigation. Il faut renforcer les moyens de juger. Et il faut que ces criminels, lorsqu'ils sont condamnés, puissent être isolés dans des quartiers spécifiques, dans des cellules isolées pour qu'on puisse brouiller toute possibilité de discuter avec l'extérieur.
SONIA MABROUK
Monsieur le Garde des Sceaux, on entend votre détermination. Est-ce que vous faites le lien entre ultra-violence et immigration hors de contrôle ?
DIDIER MIGAUD
Non, parce que, d'ailleurs, les faits montrent qu'on ne peut pas toujours le faire. Bon, il y a bien sûr…
SONIA MABROUK
Est-ce que parfois on peut le faire ?
DIDIER MIGAUD
Parfois on peut le faire, bien évidemment. Vous avez donné un exemple. Mais est-ce que c'est quelque chose qui est systématique ? Non, mais il faut lutter avec…
SONIA MABROUK
Quand les mineurs isolés sont utilisés, la question se pose.
DIDIER MIGAUD
Il faut lutter avec la même fermeté s'agissant de l'immigration clandestine et irrégulière. Et là, vous aurez aussi un garde des Sceaux qui sera ferme là-dessus.
SONIA MABROUK
Il nous reste vraiment quelques secondes. Est-ce que la victime est au centre de notre justice, de notre système judiciaire ? Parce qu'elle doit l'être.
DIDIER MIGAUD
Oui, en tout cas, je n'oublie pas que le garde des Sceaux, le ministre de la Justice, est aussi le ministre des victimes. Donc nous devons accompagner les victimes. Nous devons faire en sorte de les accompagner, plus que nous le faisons. Vous savez, avec Bruno RETAILLEAU, nous avons rencontré les familles des victimes à Marseille. C'était un moment bouleversant. Et nous avons trouvé des personnes d'une dignité remarquable. Mais il faut pouvoir faire davantage en leur direction, et je le souhaite. Nous allons là aussi prendre un certain nombre d'initiatives, et je souhaite que la loi, qui sera, je l'espère, votée par le Parlement, ait aussi des dispositions concernant les victimes.
SONIA MABROUK
On va conclure, mais je vais revenir à ma première question, monsieur le garde des Sceaux, parce qu'on entend votre détermination. Vous êtes aussi dans un combat politique. C'est tout à fait normal qu'une opposante comme Marine LE PEN, et quelle que soit ce qu'on pense de cette opposante, soit inéligible dans notre pays.
DIDIER MIGAUD
Je respecte tous les élus du suffrage universel.
SONIA MABROUK
Vous la respectez aussi ? Vous respectez son parcours ?
DIDIER MIGAUD
Je respecte tous les élus du suffrage universel.
SONIA MABROUK
Qu'il puisse s'arrêter dans quelques semaines, ne vous pose aucun problème ?
DIDIER MIGAUD
Je respecte tous les élus du suffrage universel. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs, d'inviter tous les députés et sénateurs des commissions des lois, quelle que soit leur sensibilité. J'ai été moi-même député. Je respecte le suffrage universel.
SONIA MABROUK
Pas plus, pas moins, concernant la prétendante de l'Elysée, qui pourrait se voir interdire…
DIDIER MIGAUD
Pas plus, pas moins, c'est la bonne formule.
SONIA MABROUK
D'être candidate à la présidentielle. Reconnaissez, Monsieur MIGAUD, que ça interroge dans une démocratie.
DIDIER MIGAUD
Vous me ramenez à votre première question, et je vous ai répondu que je ne pouvais pas commenter un acte de justice.
SONIA MABROUK
Mais vous avez un avis personnel en tant que responsable politique.
DIDIER MIGAUD
Mais je n'ai pas à vous en faire part.
SONIA MABROUK
Mais en tant que responsable politique.
DIDIER MIGAUD
Mais une fois de plus, je suis un responsable politique qui a une responsabilité particulière au sein du Gouvernement. Je suis le ministre de la Justice. Je dois veiller à l'indépendance et garantir cette indépendance à la fois vis-à-vis des magistrats, vis-à-vis des citoyens aussi, et des responsables politiques aussi.
SONIA MABROUK
Et vous avez dit ministre des victimes également, c'est important
DIDIER MIGAUD
Je suis aussi le ministre des victimes.
SONIA MABROUK
Pour rétablir la confiance avec les Français.
DIDIER MIGAUD
Et on doit apporter toute l'attention. Mais vous savez, c'est une de mes préoccupations. La crise de défiance des citoyens envers les institutions, y compris envers la justice. Et lorsque, dans une démocratie, vous avez une telle défiance vis-à-vis des institutions et de la justice, il y a un problème. Donc il faut pouvoir le traiter. Et mon rôle, et je considère, en tout cas, que c'est mon rôle, c'est justement de faire en sorte que la confiance des citoyens dans la justice soit plus forte qu'elle ne peut l'être aujourd'hui. Et j'essaierai de leur démontrer qu'ils peuvent faire confiance dans la justice.
SONIA MABROUK
Merci Didier MIGAUD. Merci d'avoir été notre invité ce matin pour la grande interview. Je vous dis à bientôt avec grand plaisir.
DIDIER MIGAUD
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 novembre 2024