Texte intégral
SONIA MABROUK
Bonjour Bruno RETAILLEAU.
BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Et bienvenu à la grande interview sur CNEWS et Europe 1. Vous êtes le ministre de l'Intérieur, un ministre à Beauvau qui fait face à son premier mouvement depuis votre prise de fonction avec une colère agricole, Monsieur le Ministre, qui s'intensifie et se durcit des centrales d'achat de la grande distribution occupée, les entrées du port commercial de Bordeaux en ce moment entravées, une promesse de paralysie, et même de chaos de la part de certains à la Coordination rurale. Vous aviez prévenu, Bruno RETAILLEAU, qu'il y aurait une tolérance zéro en cas de blocage durable. Le blocage s'installe. Est-ce que vous maintenez ce matin votre position ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr que je la maintiens. Je veux dire aux agriculteurs que je connais bien. Je suis un enfant de la ruralité. Je vis dans la ferme que mon grand-père avait achetée avant la guerre et mes amis sont beaucoup d'agriculteurs. Je connais leurs problèmes et je veux leur dire que leur cause, la cause de la colère, elle est parfaitement justifiée. On les a enfermés dans une incompatibilité terrible. On a laissé entrer sur le territoire des produits qu'on interdit de cultiver en France avec des molécules interdites, c'est-à-dire qu'on suradministre, on bureaucratise, on leur met de plus en plus de contraintes en France et en même temps, on laisse passer des produits du monde entier et ça, ce n'est pas supportable.
SONIA MABROUK
Donc colère légitime ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. Par contre, je suis ministre de l'Intérieur.
SONIA MABROUK
Et donc ?
BRUNO RETAILLEAU
Ma ligne, c'est l'ordre républicain. Je ne peux pas faire deux poids, deux mesures. Parce que si j'autorisais une profession à casser, à bloquer, à faire des atteintes aux personnes, alors, ça ne tiendrait plus. Et je l'ai dit, d'ailleurs, vous avez pu observer qu'ils l'ont fait volontairement au Boulou. La porte d'entrée, si j'ose dire, de sortie Espagne et France a été libérée. Il n'y a pas eu de blocage, il n'y a pas d'enkystement au moment où je vous parle. Et à chaque fois qu'il y aura un blocage qui sera durable, on sera amené à débloquer pour les Français.
SONIA MABROUK
C'est-à-dire comment débloquer ? Très concrètement, tolérance zéro, Bruno RETAILLEAU, est-ce que ça veut dire que vous pourriez être amené à mobiliser des forces de l'ordre face à un mouvement, mais vous l'avez dit vous-même, populaire dans l'opinion, face à des paysans qui veulent vivre dignement de leur travail et face à la France qui se lève tôt ?
BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, les instructions que j'ai données encore aux préfets de zone que j'ai réunis hier après-midi, elles ont été claires. Je leur ai dit qu'ils avaient parfaitement le droit de manifester. Bien. En revanche, qu'il y avait des lignes rouges, pas d'atteinte aux biens ou personnes, pas d'enkystement. Quand je vois que sans doute un membre de la Coordination rurale a brûlé, a enflammé dans une direction du territoire la DTTM à Mont-de-Marsan, alors qu'il y avait du personnel à l'intérieur, ça n'est pas acceptable. J'ai demandé au préfet, la préfète l'a fait, que systématiquement, quand il y a ce genre d'action, il y ait un signalement à la justice pour que les fautifs soient poursuivis. Donc encore une fois, la cause est juste, la manifestation, le droit de manifester est constitutionnel, mais il y a des limites. Et les limites pour les agriculteurs sont les mêmes limites que pour l'ensemble de nos concitoyens. Je suis le ministre…
SONIA MABROUK
Je vous pose action, ça n'avait pas été le cas par rapport à l'ancien ministre de l'Intérieur, qui avait une forme de géométrie variable, une compréhension différente par rapport aux agriculteurs et d'autres mouvements.
BRUNO RETAILLEAU
Mais je ne suis pas ministre de l'Intérieur à mi-temps. Je veux dire que quand on veut rétablir l'ordre républicain, on doit l'imposer avec des règles qui sont justes, une juste fermeté, c'est tout. Et j'observe d'ailleurs qu'un grand syndicat agricole, je le vois bien, est responsable, mesure ses actions.
SONIA MABROUK
Vous parlez de la FNSEA.
BRUNO RETAILLEAU
Et j'avais rencontré d'ailleurs la semaine dernière son président, Arnaud ROUSSEAU, pour donner les limites, évidemment.
SONIA MABROUK
Au sujet de l'immigration à présent, Bruno RETAILLEAU, les derniers chiffres révélés par le JD News montrent une fermeté qui porte déjà ses fruits : augmentation des expulsions de 586%, les éloignements augmentent aussi de près de 44 %, les refus de délivrance de titres pour motifs de trouble à l'ordre public augmentent de 14%. Ce sont des chiffres de comparaison, je le précise, entre fin septembre 2023 et fin septembre 2024, lors de votre arrivée à Beauvau. Alors ça va dans le sens de la fermeté, il peut y avoir aussi l'héritage de l'ancien ministre. Malgré tout, est-ce que c'est le signe qu'il y a une clarté dans les directives données au préfet ?
BRUNO RETAILLEAU
La clarté, je pense que c'est le début de l'action politique. Il y a eu le texte sur l'immigration qui a été très contesté, vous vous souvenez et je pense que ce texte nous a donné beaucoup beaucoup d'outils. Il faut aller plus loin. Moi, j'ai donné des consignes très précises au préfet. J'ai déjà fait une circulaire de pilotage. Je leur ai dit que mon objectif était de faire reculer, bien entendu, l'immigration. On lutte contre l'immigration irrégulière et il faut donner des titres de séjour au compte-gouttes. Je pense que c'est une demande des Français. L'an dernier, vous vous rendez compte qu'on a accueilli, tout compris immigration régulière et irrégulière, à peu près la population de la ville de Lyon ? Plus d'un demi-million d'étrangers sur le sol français. Vous savez, aujourd'hui, nos compatriotes, qu'ils soient de droite ou de gauche, ils ont la même demande. La demande, c'est d'être fermes, de reprendre le contrôle d'un mouvement migratoire qui nous a largement échappés et qui crée du désordre en France.
SONIA MABROUK
Alors, ces bons chiffres, en tout cas ces premiers chiffres dans le vert, ne doivent pas masquer aussi ce qui manque, ce qui pêche, ce sont les OQTF. Est-ce que vous pouvez nous affirmer ce matin, Monsieur le Ministre, que vous arriverez à obtenir la révision de la fameuse directive de retour européenne, justement ?
BRUNO RETAILLEAU
C'était ma priorité. J'ai un plan pour l'immigration qui est un plan qui est très articulé, une défense de l'avant à l'international pour empêcher des flux de venir, c'est pour ça que je multiplie... Nous multiplions des accords bilatéraux. Par exemple, il y a quelques jours, avec le Kazakhstan, pour éloigner évidemment des Afghans, par exemple. Ensuite, l'Europe, on a une directive retour. Vous l'avez souligné. Elle est mal nommée, c'est une directive anti-retour. Elle nous empêche les éloignements des étrangers. J'en ai fait ma priorité. Je peux vous l'annoncer aujourd'hui. Au dernier conseiller ministre de l'Intérieur, les 27 ministres de l'Intérieur européen, j'ai mis le dossier sur la table et à la quasi-unanimité, nous l'avons décidé et donc, ce sera sous la présidence polonaise. La Pologne prend la présidence de l'Union à partir du mois de janvier prochain. Ce sera vraiment la priorité des priorités et nous obtiendrons la modification de cette directive retour pour rendre beaucoup plus faciles les éloignements. Ce sera une grande victoire qui va nous permettre de reprendre cet outil juridique en main qui est essentiel pour les éloignements.
SONIA MABROUK
Encore faut-il qu'il y ait les laissez-passer consulaires de l'autre côté, c'est toujours le même sujet.
BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais avec les accords bilatéraux, par exemple, il suffira de montrer que quelqu'un a transité ou a séjourné dans un pays, même si ce n'est pas son pays d'origine, et nous pourrons le renvoyer. Je viens d'organiser dans les dernières semaines d'ailleurs deux vols groupés qu'on appelait Charter avant, Géorgie, et puis avec des Albanais et je pense que cette politique, je la poursuivrai.
SONIA MABROUK
Sur la scène européenne et sur la scène nationale, bien sûr, il y a une perspective d'une nouvelle loi immigration. Mais d'abord, parlons, Bruno RETAILLEAU, de la précédente. Sur le site de l'Assemblée nationale – et j'invite nos téléspectateurs et auditeurs à y aller –, on découvre que seuls 27% des décrets de la loi immigration ont été promulgués. En clair, un tiers de la loi immigration, seulement est en application. On entend ce matin votre discours au volontariste. Qu'est-ce que vous comptez faire pour remédier et accélérer les choses à ce niveau-là ?
BRUNO RETAILLEAU
Vous avez raison. Ces chiffres, lors de mon arrivée, je les ai découverts et beaucoup de décrets n'ont pas été publiés pour des raisons qui tiennent au contexte politique, sans doute. Simplement, j'ai demandé à mon administration de ce que, pour les décrets qui concernent le ministère de l'Intérieur, tout soit réalisée, finalisé, publié avant la fin de cette année et ça le sera.
SONIA MABROUK
Avant la fin de cette année ? Tous les décrets, la loi…
BRUNO RETAILLEAU
Avant la fin de cette année, les décrets qui dépendent de mon ministère. Il y en a qui dépendent, par exemple, du ministère du Travail, de la Santé et je veillerai, aussi assurer que mes collègues puissent prendre en charge cette rapidité, cette réactivité, parce qu'on ne peut pas comprendre... Lorsqu'il y a une loi qui s'applique, il faut que les décrets suivent, sinon…
SONIA MABROUK
Il faut qu'on demande une autre loi.
BRUNO RETAILLEAU
Évidemment.
SONIA MABROUK
Dans la lutte contre la délinquance du quotidien, Bruno RETAILLEAU, les chiffres ce matin de la grande enquête VRS Vécu et ressentie en matière de sécurité, du ministère de l'Intérieur, parlent d'eux-mêmes. Le ressenti sur l'insécurité... Je vais donner quelques chiffres rapidement : plus 14% dans son domicile, plus 10% dans les transports. Et puis ce chiffre, 10% des interviewés... C'est comme si c'était une grande enquête. 200 000 personnes interrogées renoncent à sortir de chez eux. C'est une forme de capitulation par rapport à une violence qui devient incontrôlable ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est une violence qui s'épand sur tout le territoire. C'est une violence qui devient de plus en plus désinhibée et c'est une violence qui touche de plus en plus des jeunes, de plus en plus de jeunes sont des victimes. Et de plus en plus de jeunes sont des tueurs, sont des auteurs, c'est dramatique. Ça n'est pas seulement une question de sentiments, c'est une réalité. Toutes les vingt minutes, un refus d'obtempérer et tous les jours, au moins mille agressions, c'est la raison pour laquelle, j'ai réuni les préfets, les policiers, les responsables des départements, les gendarmes à l'école de guerre dans l'amphi Foch, il y a quelques jours pour leur donner des instructions qui sont claires. Je vais leur donner plus de liberté. Je vais leur dire... Écoutez, les préfets de département, les directeurs de la police des départements, les colonels chargés des groupements de gendarmerie des départements : " Je vais vous donner cette liberté, parce que ce qui se passe en Vendée n'est pas sans doute la même chose qu'il s'y passe dans le Val-de-Marne ou ailleurs. Donc vous allez me faire des plans de rétablissement de cette autorité au quotidien. Je vous donne de la liberté, mais en contrepartie, c'est des résultats que j'attends. Et vous allez mettre aussi, vous allez travailler dans ce plan de restauration de l'ordre public au niveau quotidien ". Les maires, les élus dans le coup, c'est fondamental.
SONIA MABROUK
C'est très important, d'ailleurs, vous serez au congrès des maires tout à l'heure. Les maires face à l'insécurité aussi. Le plan, pardonnez-moi, Monsieur RETAILLEAU, le plan d'action, c'est pour le 15 janvier. Vous leur donnez plus de liberté pour plus de résultats et vous voulez un diagnostic territoire par territoire, mais qu'est-ce que vous demandez précisément, mis à part des résultats ? Qui ciblez-vous ?
BRUNO RETAILLEAU
Je cible d'abord ce qu'on appelle les délinquants d'habitude, ceux qui pourrissent la vie des Français. Pour être clair, on a une statistique qui est terrible, entre 5 et 10% de ces délinquants d'habitude, ce qu'on appelle les multirécidivistes, les multiréitérants, entre 5 et 10% sont à l'origine, causent à peu près au moins 50% des actes de délinquance. Donc moi, ce que je veux, c'est que ces gens-là, on les appréhende. On les mette à l'ombre. Ensuite, il faut que la justice fasse son travail, parce qu'une fois qu'on a une baisse, vous voyez, de 50% des actes de délinquance, on respire un peu plus, donc on va mieux cibler. Ça ne sert à rien de partir et de se disperser dans tous les sens. Je pense qu'il faut cibler et c'est ce que je leur demande dans ce plan. Ils connaissent bien le terrain et ils auront des résultats.
SONIA MABROUK
Et il faut que la justice fasse son travail. On aura noté votre phrase. Il ne sert à rien d'avoir un plan aussi ferme, soit-il s'il n'y a pas la composante du système.
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. D'abord, on ne peut pas me demander d'avoir des résultats si l'ensemble du continuum et le continuum de sécurité, c'est la police, c'est la gendarmerie, c'est le ministère de l'Intérieur, ce sont les élus locaux avec les polices municipales. Je vais conclure ce matin une table ronde avec des maires, des élus, pour voir comment on peut aller plus loin, pour mieux équiper, pour donner plus de pouvoir aux policiers municipaux. Et puis il y a la justice, j'étais à Meaux dans la ville dont le maire est Jean-François COPE. Il y a un travail remarquable et on voit bien que quand l'État, quand la justice, le procureur, le président du tribunal étaient là, fantastique, vraiment, c'était remarquable. Il y a des résultats.
SONIA MABROUK
Vous parlez justement des polices municipales, ce Beauvau des polices municipales, ce sondage, Bruno RETAILLEAU, que je vous livre ce matin sur CNEWS/Europe 1, sondage CSA pour notre chaîne, le JDD Europe 1 : 66% des Français estiment qu'il faut systématiser le port d'armes pour les policiers municipaux. À Poitiers, la maire écologiste fait de la résistance. Il y a un appel à la grève des policiers municipaux qui réclament le droit d'être armés après une énième fusillade. Quel sursaut ? Que faut-il faire ? Systématiser ce port d'armes ?
BRUNO RETAILLEAU
Moi, je suis attaché, puisque j'ai été élu local, à la liberté des élus locaux, parce que la police municipale exprime le pouvoir de police du maire, donc, c'est au maire de voir et de décider. Mais ce que je dis au maire, et y compris à la maire de Poitiers, c'est qu'aujourd'hui, les policiers municipaux sont confrontés à cette ultra-violence. En les armant, on les protège, mais en les armant, ça permet de protéger beaucoup mieux nos concitoyens. Encore une fois, j'ai cité l'exemple de Meaux. Je pourrais citer l'exemple de Metz. J'étais chez François GROSDIDIER, qui est maire de Metz, il y a quelques jours. À chaque fois, vous voyez, il y a des résultats, donc il n'y a pas de fatalité. Quand vous avez ce continuum, cette continuité, l'État, les maires, la justice, ça fonctionne et on obtient des résultats.
SONIA MABROUK
Alors sur les peines, faut-il des peines de prison ferme, par exemple, Monsieur RETAILLEAU, pour ceux qui menacent de mort des enseignants, des chefs d'établissement ? On vient de voir ce qui s'est passé avec la décision de justice autour de celui qui avait menacé le proviseur du lycée Maurice Ravel. 600 euros d'amende et un séjour de citoyenneté. Le parquet, il est vrai, a fait appel, mais est-ce que là, il faut automatiser le passage par la case prison, sachant que nous n'avons pas de peine plancher ?
BRUNO RETAILLEAU
Ça reviendra à cela si vous dites " automatisation ".
SONIA MABROUK
Vous y êtes favorable, mais…
BRUNO RETAILLEAU
J'ai toujours été favorable, aux peines plancher, mais les peines plancher ne sont pas dans l'arsenal dont dispose la justice.
SONIA MABROUK
Et vous le regrettez ?
BRUNO RETAILLEAU
Un, je le regrette. Très franchement, la décision et la sanction, elle est trop légère. J'ai été révolté il y a quelques jours à Marseille.
SONIA MABROUK
Qu'est-ce que ça symbolise ?
BRUNO RETAILLEAU
A Marseille, je vais vous donner un autre exemple qui m'a vraiment révolté. Le 11 novembre dernier, deux individus, sans doute reliés à la DZ de mafia, veulent extorquer des fonds à un commerçant, 8 000 euros et ils tabassent l'employé. Heureusement, nos policiers anticriminalités tombent dessus, comparution immédiate, malheureusement, ils sont remis en liberté, certes, sous contrôle judiciaire. Ils seront jugés, bien entendu, au mois de janvier, mais est-ce que vous vous rendez compte ? Le commerçant, lui, qui a dénoncé ces individus, qui sans doute sont reliés à la DZ de mafia, il vit dans quel état aujourd'hui ? Est-ce qu'il faut le protéger ? Donc, il faut vraiment que chacun assume ses responsabilités au mieux. On est dans un état où l'ultra-violence est en train de gangrener nos villes, mais nos campagnes, il y a le narcotrafic. Et ça, je suis fondamentalement engagé, parce que là encore, c'est une des causes racine de cette ultra-violence.
SONIA MABROUK
Quand j'ai posé la question, il y a quelques jours, ici même, à votre place, sur CNEWS et Europe 1, au garde des Sceaux, il m'a dit qu'il n'y a pas de laxisme de la justice. Il n'y en a pas.
BRUNO RETAILLEAU
Moi, ce que je constate d'ailleurs, le procureur, d'ailleurs le procureur qui est encore relié, j'espère que ça durera à la chancellerie ou au garde des Sceaux, a fait appel de la décision de justice à Marseille. Donc, attention, il ne faut pas généraliser. Simplement, moi, parce que j'ai des policiers, des gendarmes qui sont en première ligne, ils ont des familles. Ils risquent gros et quand ils arrêtent des individus qui, otages pour les antécédents judiciaires, ont dix, vingt, etc., ça les déprime. Je ne veux pas qu'ils soient démobilisés. On a besoin de tout le monde, mais je sais que, très franchement, les magistrats font leur travail et eux aussi, ils subissent un poids, une contrainte de la lourdeur des procédures. Vous savez, les mafias qui ont d'excellents avocats, ils se faufilent, plus il y a de complexité dans la procédure judiciaire, plus ça profite, non pas au plus faible.
SONIA MABROUK
Donc, la complexité, ce n'est pas de l'idéologie ?
BRUNO RETAILLEAU
Ah, il peut y avoir de l'idéologie. Il peut y avoir de l'idéologie, ça, c'est clair. On le sait très bien.
SONIA MABROUK
Alors, que fait-on ? Parce que vous avez quand même le verbe, si je puis dire, " haut " sur certains sujets par rapport aux mafias. Allez-y, Monsieur RETAILLEAU, vous avez parlé de mexicanisation, qui signifie aussi, puisque, rappelons, le poids des mots est important, un système quand même de corruption qui pourrait être généralisé dans les ports, auprès des gardiens de prison, dans nos institutions.
BRUNO RETAILLEAU
Généraliser, pas encore, mais je l'affirme à ce micro.
SONIA MABROUK
Pas encore, il pourrait l'être ?
BRUNO RETAILLEAU
La corruption, oui, c'est pour ça qu'on me comprenne bien. Pourquoi je fais de cette cause, de la lutte contre le narcobanditisme, la criminalité organisée, je veux qu'on en fasse une cause et un combat national et de ce point de vue-là, avec Didier MIGAUD, on est parfaitement alignés et avec le Premier ministre, Michel BARNIER. Ce qui est fondamental de comprendre, c'est qu'aujourd'hui, tous les territoires sont gangrenés, tous. Le rapport sénatorial a été très très clair. Et on a bien vu qu'un certain nombre de professions, publiques comme privées, commençaient à être atteintes par des phénomènes de corruption. Donc, il faut prendre le taureau par les cornes, il y aura un texte qui sera examiné au Sénat, qui est le fruit d'ailleurs du travail de la commission d'enquête, que j'avais moi-même, quand j'étais président du groupe LR au Sénat, diligenté. Je crois qu'on va se donner les mêmes instruments qu'on s'est donnés il y a dix ans avec le terrorisme, c'est la même chose. Moi, je veux que le sursaut que l'on a eu, le réarmement de l'État régalien, qu'on a opéré pour lutter contre le terrorisme, cette année, on aura sans doute une petite dizaine d'attentats qu'on aura déjoués, peut-être que demain, il y en aura, mais croyez-moi, on n'en est plus du tout au même point. Je veux maintenant qu'on réarme l'État aussi pour et contre la lutte.
SONIA MABROUK
On peut noter d'ailleurs que dans cette lutte, vous avez à vos côtés peut-être des soutiens inattendus comme des maires communistes. Je pense aux maires communistes de Montreuil qui a dit qu'il y avait certaines idées positives que vous portiez. Est-ce que vous pourriez aussi, Bruno RETAILLEAU, vous inspirer de certains pays dans le monde ? Alors évidemment, il y a un côté autoritaire qu'il faut mettre de côté, voire antidémocratique, mais par exemple, pourquoi le Salvador a-t-il réussi justement à lutter et à mettre fin à certains trafics en Amérique ?
BRUNO RETAILLEAU
J'observe déjà, vous citez le maire de Montreuil, je suis persuadé que sur ce texte, sur cette lutte contre la criminalité organisée, on aura une forme d'unité nationale. Combat national-unité nationale. Je l'espère vraiment.
SONIA MABROUK
Mais certains sont pour la légalisation du cannabis du côté de la France Insoumise.
BRUNO RETAILLEAU
Je sais, je sais, mais vous voyez qu'un maire communiste comme beaucoup d'autres, j'ai reçu des témoignages de soutien de maires de gauche, vous voyez, sur l'action que je mène, qui est une action de fermeté. Bien sûr, il y a l'exemple que vous citez, il y a aussi l'exemple italien. Un seul, un seul point on sait…
SONIA MABROUK
Pardonnez-moi, quand vous dites, bien sûr, l'exemple que vous citez, le Salvador peut-être…
BRUNO RETAILLEAU
Non, l'Italie.
SONIA MABROUK
L'Italie.
BRUNO RETAILLEAU
Par exemple, le statut des repentis. On sait qu'on n'a pas ce statut-là en France. Il le faut parce que c'est comme ça que l'Italie a gagné des points contre les mafias. Un autre exemple, moi, j'ai un commissaire de police qui a failli être condamné, il y a quelques semaines. Pourquoi ? Parce qu'il y avait eu un travail avec des indicateurs. Il faut donner un cadre, un cadre légal, parce que si nos policiers et nos gendarmes ne peuvent pas travailler avec des indicateurs, jamais on n'arrivera précisément à porter des coûts fatals sur ces réseaux qui sont extrêmement puissants.
SONIA MABROUK
Alors, vous nous direz tout à l'heure si vous avez les moyens politiques de vos ambitions, Bruno RETAILLEAU, mais tout d'abord, est-ce que, comme le ministre de l'Économie, ce matin dans le Parisien, Antoine ARMAND, vous dites au Premier ministre : " Attention, attention à l'impôt de trop " ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais bien sûr.
SONIA MABROUK
Ça met quand même une pression sur le Premier ministre.
BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas une pression. Simplement, Michel BARNIER, en quinze jours, il a dû faire un des budgets les plus exigeants qu'on ait jamais fait sous la Ve République.
SONIA MABROUK
Vous le qualifiez d'exigeant ou vous le qualifiez d'équation totalement insoluble aujourd'hui ?
BRUNO RETAILLEAU
Exigeant. C'était insoluble et la copie, elle n'est pas parfaite, ce n'est même pas moi qui le dis. J'utilise les mots même du Premier ministre. On est bien conscients, deux tiers d'économie, un tiers de dépenses, est-ce que tout cela nous réjouit ? Non. Simplement, si ça n'était pas ça, c'était la crise financière. On va voir dans quelques jours, une grande agence de notation va donner une note en matière de dettes françaises, mais croyez-moi, si Michel BARNIER n'avait pas eu ce courage de prendre là encore le taureau par les cornes et d'avoir un budget très très très exigeant, la crise financière... J'ai regardé ce qu'il en avait été en Grèce, c'est moins 20 à moins 50% pour les retraites publiques ou privées, c'est une baisse de salaire qui touche les plus petits salaires de moins 15 à moins 20 à moins 30%.
SONIA MABROUK
Le budget, donc, s'il ne passe pas, la crise financière…
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, n'en doutez pas, n'en doutez pas.
SONIA MABROUK
Hier, le ministre des Affaires étrangères a affirmé sur ce plateau que si Marine Le PEN votait la motion de censure, ce serait la chienlit. La chienlit ? Ce n'est pas déjà le cas ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est la crise politique, mais c'est immédiatement la bascule dans une crise financière.
SONIA MABROUK
C'est vous ou le chaos, Monsieur le ministre de l'Intérieur ?
BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas ça du tout, mais ce que je peux dire, et je l'affirme à ce micro, c'est que demain, si le Gouvernement tombait sur le budget, il y aurait immédiatement une crise financière et les mécanismes de crise financière, je les ai étudiés, on voit comment ça se passe. Ne croyez pas que la France soit exempte, justement, et puisse être à l'écart de tout cela.
SONIA MABROUK
On veut comprendre : crise financière et crise de régime ?
BRUNO RETAILLEAU
Crise financière et crise politique, mais vous savez que la dissolution...
SONIA MABROUK
De régime ou de politique, oui ?
BRUNO RETAILLEAU
De régime et politique. Pourquoi ? Parce que la dissolution, on ne peut en faire une nouvelle que dans un an, enfin, qu'à l'été prochain, avec des élections au mois de septembre. Ça sert à quoi de faire tomber un Gouvernement sur un budget ? Ça sert précisément à mettre le chaos financier.
SONIA MABROUK
A bon entendeur Marine Le PEN, c'est-à-dire Marine Le PEN, si elle met sur le bouton, elle met le chaos, c'est elle qui serait comptable de la situation financière ? C'est rocambolesque.
BRUNO RETAILLEAU
Moi, je respecte, mais chacun sa propre politique, mais faire tomber le Gouvernement, très bien, pour mettre un Premier ministre de gauche ? Pour mettre à ma place Madame PANNOT comme ministre de l'Intérieur ? C'est ce que veut le Rassemblement national ? Faire tomber un Gouvernement où il y a des gens de bonne volonté ? C'est l'union des bonnes volontés. Tout n'est pas parfait. J'en suis parfaitement conscient. Les Français nous ont donné une situation qui est compliquée. Il n'y a pas de majorité au Parlement.
SONIA MABROUK
Et vous avez imprimé votre marque, Bruno RETAILLEAU, au ministère de l'Intérieur. Votre nom est désormais cité comme potentiel présidentiable, reste à savoir si vous aurez les moyens de vos ambitions. Si tel n'était pas le cas, est-ce que vous assumeriez de dire : " Je ne peux pas agir comme je souhaite. Je ne peux pas tenir les promesses que j'ai faites, notamment, sur CNEWS et Europe 1 ce matin. Je quitte donc mes fonctions. "
BRUNO RETAILLEAU
Ah non, mais je pense que la règle est claire. Je crois que quand Michel BARNIER m'a choisi pour ce poste qui est un poste très exigeant, très difficile de Beauvau, il a choisi un style, il a choisi des convictions, il a choisi un homme. Chacun sait que je n'ai jamais reculé sur mes convictions. Chacun sait, et vous l'imaginez, que si demain, on m'entraverait, on m'entraverait, et si demain, on me demandait ou on m'imposait des contraintes qui rendraient impossible la politique, le cap que le Premier ministre lui-même m'a donné, d'ailleurs, j'en tirerais les conséquences. Évidemment.
SONIA MABROUK
N'êtes-vous pas en train de préparer les conditions de votre départ ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais non.
SONIA MABROUK
Ne vaut-il pas mieux partir seul, choisir son départ, que partir emporté par une motion de censure ?
BRUNO RETAILLEAU
Je veux démontrer. Non, non. Très franchement. D'abord, vous avez parlé de la présidentielle. Moi, ma force, c'est ma liberté. Moi, je ne suis pas dévoré par le virus de la présidentielle. Je ne suis pas dans le coup d'après ce qui me donne une forme de force et de liberté.
SONIA MABROUK
Vous êtes une anomalie, alors, dans la presse politique, M. RETAILLEAU ?
BRUNO RETAILLEAU
Peut-être, mais en tout cas, je suis là pour accomplir une mission. Pour moi, la politique, c'est un idéal, c'est un idéal. Cet idéal, je m'y consacre et je veux montrer, et je le montrerai, si j'ai du temps, je le montrerai, que la politique, elle peut faire quelque chose aujourd'hui.
SONIA MABROUK
Oui. Si vous avez du temps, vous avez tout dit. Est-ce qu'il y a des lignes rouges ? Je pense, par exemple, et je connais, on connaît vos convictions depuis très longtemps sur l'euthanasie, sur le suicide assisté. Si le Gouvernement ne tombe pas avant, est-ce que vous pourriez rester au sein d'un exécutif qui fait passer une telle loi ?
BRUNO RETAILLEAU
Un projet de loi, ça me poserait des questions. C'est clair.
SONIA MABROUK
Des questions existentielles, je suppose sur ces sujets.
BRUNO RETAILLEAU
Des questions qui sont importantes. Encore une fois, j'ai des convictions et qu'on ne me demande pas de les changer. Je me suis déjà exprimé à multes reprises. Je pense que l'objectif et la priorité, ça doit être de permettre aux Françaises, aux Françaises, au moment où ils vont mourir, de les soulager, mais on peut les soulager avec des soins palliatifs, c'est ce que je veux. Je pense que le Gouvernement serait bien inspiré d'avoir un grand plan massif, de déploiement des services de soins palliatifs, parce qu'il y a, au moment où je vous parle, vingt départements qui en sont privés, des centaines de personnes qui vont mourir sans qu'on puisse soulager la douleur. C'est ce que moi, je veux et je pense que l'euthanasie est une mauvaise solution.
SONIA MABROUK
Qui est le chef de la Droite aujourd'hui, Monsieur RETAILLEAU ? Vous serez demain en déplacement avec Laurent WAUQUIEZ. Évidemment, cette image va beaucoup faire parler.
BRUNO RETAILLEAU
Alors, je suis très heureux de me rendre en Haute-Loire, exactement.
SONIA MABROUK
J'imagine, ma question, c'est qui le chef de la droite ?
BRUNO RETAILLEAU
Laurent WAUQUIEZ est le patron de notre groupe, LR à l'Assemblée nationale.
SONIA MABROUK
Et qui est le patron du patron ?
BRUNO RETAILLEAU
Le patron du patron, aujourd'hui, il y a un parti qui n'a pas de président. Vous savez pourquoi ? Je pense que Laurent peut jouer à l'avenir un rôle important.
SONIA MABROUK
Et vous aussi ? J'imagine que les Français vous voient comme candidat potentiel et présidentiable, ça doit aussi…
BRUNO RETAILLEAU
Non, je ne suis pas sûr qu'ils me voient… Moi, les Français, j'en suis sûr, parce que je suis moi-même surpris du soutien de mes mesures de fermeté. Parfois, j'ai pu créer des polémiques, je m'en fiche, c'est en fait, en réalité, ce que pensent par bon sens les Français.
SONIA MABROUK
Un homme d'action, donc ?
BRUNO RETAILLEAU
Totalement. Je veux démontrer que la politique n'est pas impuissante, qu'on peut bousculer la fatalité. Et ça, c'est fondamental, qu'on soit de droite ou qu'on soit de gauche, on devrait essayer de croire encore à la politique. Pour croire en la politique, il faut des actes et des résultats, mais j'en aurai, si on me donne du temps.
SONIA MABROUK
Merci, Monsieur RETAILLEAU, c'était votre grande interview. Je vous dis à bientôt sur CNEWS et Europe 1.
BRUNO RETAILLEAU
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 novembre 2024