Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, sur la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité, au Sénat le 6 novembre 2024.

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  • Agnès Pannier-Runacher - Ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques

Circonstance : Audition au Sénat devant la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Texte intégral

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir d'entendre ce matin Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, du climat et de la prévention des risques. Madame la ministre, il s'agit de votre première audition devant notre commission depuis votre prise de fonction le 21 septembre dernier. Pour les amateurs de statistiques, c'est la quatrième fois que vous intervenez devant nous, les fois précédentes en votre qualité de ministre de la transition énergétique.

Nous partageons un constat commun, comme vous me l'avez écrit pas plus tard que la semaine dernière : la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité sont les défis de notre siècle. C'est donc pour nous l'occasion de faire un point sur l'état d'avancement des négociations internationales relatives à l'environnement et les dynamiques géopolitiques en matière de diplomatie climatique à la veille de la COP29, mais également sur la feuille de route que s'est fixée le Gouvernement en matière de priorités environnementales alors que vient d'être rendu public le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique et, bien entendu, sur les enjeux budgétaires et fiscaux en amont de l'examen du projet de loi de finances pour 2025.

Premier sujet : les négociations internationales en matière environnementale. L'actualité est particulièrement riche en la matière : la COP16 Biodiversité à Cali s'est achevée le week-end dernier et la COP29 Climat à Bakou débutera le 11 novembre prochain, sans oublier la COP16 Désertification à Riyad, qui débutera le 2 décembre, et la session de négociation de l'Assemblée des Nations Unies pour l'Environnement de Busan (Corée du Sud), qui débutera le 25 novembre et visera à négocier un traité mondial de lutte contre la pollution plastique qui soit juridiquement contraignant. Notre commission a bien entendu suivi attentivement ces rendez-vous majeurs, en organisant des tables rondes faisant intervenir des experts - sur la COP16 et la COP29 - ainsi que des réunions du groupe de suivi des négociations et des enjeux internationaux en matière de développement durable, présidé par Ronan Dantec.

Nous aimerions recueillir votre analyse de l'issue de la COP16 Biodiversité, à laquelle vous étiez présente. De nombreux intervenants parlent d'un succès mitigé, voire d'un accord en demi-teinte, notamment parce qu'il laisse en suspens la question du mécanisme des financements entre pays du Nord et du Sud, mais également celle du cadre mondial permettant le suivi et l'évaluation des progrès. Malgré tout, des avancées sont à signaler, qu'il s'agisse de l'institution d'un fonds multilatéral pour assurer le partage des bénéfices issus du séquençage des ressources génétiques (le " fonds Cali ") ou de la représentation des peuples autochtones et des communautés locales à la Convention pour la diversité biologique. L'accord obtenu en Colombie vous satisfait-il ? Prévoyez-vous des évolutions de la Stratégie nationale biodiversité à la lumière des évolutions auxquelles ont abouti les négociations en Colombie ?

Pourriez-vous également évoquer les enjeux propres aux trois autres rendez-vous internationaux en matière d'environnement, qui débuteront dans les prochaines semaines ? Quel mandat se sont fixé le Gouvernement et l'Union européenne et quels sont les enjeux et défis majeurs de ces différents rendez-vous ?

Au niveau national, l'actualité en matière environnementale est également chargée. Le Premier ministre a dévoilé à vos côtés le 25 octobre dernier le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), qui faisait l'objet de fortes attentes, alors que les événements dramatiques des derniers jours en Espagne ont de nouveau démontré l'urgence et l'impérieuse nécessité de l'adaptation au changement climatique. D'autres documents programmatiques - je pense à la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) - sont également attendus. Sans préempter ces différents documents pouvez-vous, madame la ministre, nous présenter les grands axes de la feuille de route du Gouvernement en matière de transition écologique ?

Je souhaiterais enfin évoquer le projet de loi de finances pour 2025. Le 18 octobre dernier, vous avez déclaré qu'en l'état, le budget alloué à l'adaptation et à la lutte contre le changement climatique " n'est pas à la hauteur ". Pourriez-vous revenir sur cette déclaration et détailler les moyens supplémentaires qui seraient selon vous nécessaires ? Les débats en cours à l'Assemblée nationale vous semblent-ils de nature à rehausser l'ambition des crédits budgétaires ? Quels sont vos priorités et vos combats pour favoriser un budget qui réponde aux défis de notre temps ?

Madame la ministre, je vous cède la parole pour répondre à ces questions liminaires.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui au sein de votre commission en qualité de ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. Je vais vous présenter la feuille de route et les grandes priorités de l'action du Gouvernement pour mon portefeuille ministériel.

L'urgence écologique est là, et tout d'abord, évidemment, sur le plan climatique. Il suffit de voir la répétition et l'ampleur des catastrophes naturelles qui ont notamment frappé mon département du Pas-de-Calais, celui de l'Ardèche, de l'Eure-et-Loir, de la Seine-et-Marne, du Nord, des Alpes-Maritimes et de la Gironde. J'égrène le nom de ces territoires pour montrer comment, en trois semaines, tous ces départements ont été touchés, chacun aura probablement en tête d'autres exemples. Je mentionne également le nombre de victimes impressionnant chez nos voisins espagnols, où une grande ville a été frappée.

L'urgence concerne ensuite la biodiversité. Selon le Fonds mondial pour la nature, au cours des 50 dernières années, la population d'animaux sauvages a diminué d'environ 70%, avec, par conséquent, une disparition de même ampleur de la biomasse animale. Le monde vivant est donc en danger et si nous restons inactifs, c'est la survie de notre propre espèce qui est en cause.

Nous devons mener de front ces deux combats : climat et biodiversité sont ainsi les deux priorités de mon action et les deux faces d'une même pièce. Pour agir, nous avons une méthode, la planification écologique engagée en 2022, qui porte ses fruits : en 2023, nos émissions ont ainsi diminué de 5,8%. Pour autant, face à l'urgence, nos efforts doivent se poursuivre. C'est pourquoi, comme l'a souligné le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, nous allons amplifier cette planification écologique. Je soumets actuellement à la consultation du public trois textes importants que vous avez, monsieur le président, mentionnés. Tout d'abord, le Plan national d'adaptation au changement climatique a été présenté par le Premier ministre dans le Rhône. Ce texte prévoit 51 mesures pour renforcer la protection de la population face aux effets déjà perceptibles dans nos vies du changement climatique. Il s'agit d'anticiper les difficultés, par exemple dans nos modes ainsi que nos horaires de travail ou dans la manière de fréquenter l'école avec, en particulier, la question des examens en période de canicule. Ces sujets sont très concrets, auxquels il faut ajouter celui des assurances : comment s'assurer dans un monde où le risque augmente ? Cette question de l'adaptation soulève également le problème du perfectionnement des aménagements pour nous protéger des risques supplémentaires. À ce titre, en matière d'inondations, on doit évoquer les sujets de digues, de pièges à embâcles ou d'entretien des cours d'eau. S'agissant de la canicule, il faut mettre en avant le traitement des îlots de chaleur. Tout est abordé dans ce plan national d'adaptation qui concerne tous les portefeuilles et quasiment tous les ministres autour de la table, y compris le secteur ultramarin qui appelle un plan d'adaptation climatique propre à chaque territoire en tenant compte de chaque spécificité. Plus fondamentalement, l'enjeu est de déterminer comment on développe une culture du risque face au dérèglement climatique. Je tiens à cette occasion à saluer le travail mené lors de l'examen de la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles déposée par Christine Lavarde et rapportée par Jean-François Rapin ainsi que par Pascal Martin, pour votre commission : ce travail a été évoqué en séminaire gouvernemental dans la perspective d'essayer de lui faire suivre son cours à l'Assemblée nationale.

Parmi les mesures de ce PNACC 3, 75 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour le fonds Barnier qui est porté à 300 millions d'euros en 2025, pour multiplier et accélérer les projets de prévention : c'est une première réponse à la question que vous avez posée sur le budget. S'y ajoute la priorisation des mesures d'adaptation dans l'utilisation du Fonds vert pour les communes et les collectivités conformément à l'objectif d'adaptation au changement climatique. Je mentionne également le déploiement d'une offre commune en expertise et en ingénierie par les opérateurs de l'État - au premier chef le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) et l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) : du point de vue des collectivités locales, il s'agit d'un guichet unique, qui doit permettre à une centaine de territoires de s'adapter en faisant leur diagnostic climatique et en prévoyant leur feuille de route. Ces cent premiers diagnostics permettront ensuite de travailler de manière plus transversale sur l'ensemble des territoires, l'objectif étant de généraliser le dispositif en 2025. La consultation sur ce plan est lancée pour une durée de deux mois : je vous invite évidemment à vous en saisir et à mobiliser vos concitoyens pour qu'ils y participent. En effet, l'adaptation au changement climatique est aussi l'affaire des citoyens, il est très important que cela devienne concret pour eux.

Lundi dernier j'ai lancé, avec mes collègues François Durovray et Olga Givernet, la consultation sur la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie. Ces deux textes correspondent au deuxième trépied de notre action écologique. D'un côté, nous devons nous adapter parce que le réchauffement climatique est là et qu'il nécessite de changer nos modes d'aménagement de la ruralité, de la périphérie, de la ville et également de changer nos habitudes. De l'autre côté, il ne faut pas baisser la garde dans le combat contre le dérèglement climatique et il est impératif de continuer à baisser nos émissions de gaz à effet de serre. C'est ce que fait la stratégie nationale bas carbone, secteur par secteur - l'industrie, le logement, les transports, l'énergie, l'agriculture - tandis que la programmation pluriannuelle de l'énergie en donne une traduction purement énergétique. En effet, c'est en tenant compte de tous ces éléments programmatiques qu'on peut déterminer nos perspectives à 10 ans en termes de baisse de la consommation d'énergie et de développement des énergies renouvelables ou nucléaires.

Ces deux textes ont pour spécificité d'introduire de nouvelles ambitions. Nous visons 50 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030, ce qui traduit purement et simplement l'objectif européen. Vous savez que ce dernier a été réparti de manière plus ou moins importante par pays en fonction de leur point de départ. La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit également qu'en 2030, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique soit abaissée à 42%, alors que la précédente programmation prévoyait encore une part de 60%. Cela suppose que les énergies renouvelables et le nucléaire représentent plus de la majorité de notre mix énergétique. À ce titre, je salue le travail du Sénat, avec l'adoption de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie du sénateur Daniel Gremillet, rapportée par Alain Cadec, Patrick Chauvet et Didier Mandelli. Ayant déjà beaucoup parlé de la stratégie qui gouverne la programmation pluriannuelle de l'énergie - je vous l'ai même présentée l'année dernière ici même -, je me contenterai de citer ses quatre piliers. S'agissant du premier, je précise que la sobriété est la juste utilisation des ressources et non pas la décroissance : il s'agit de se passer du superflu. On constate d'ailleurs que les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 37% en Europe depuis 1990 alors que le PIB a augmenté de 68% : il y a donc une décorrélation entre croissance et énergie, il faut se méfier de tous les oracles de la décroissance. En revanche, c'est la nature de cette croissance sur laquelle il faut s'interroger. L'efficacité énergétique est le deuxième pilier : il s'agit de continuer à accompagner les Français en matière de rénovation de leur logement et de transports décarbonés. Le troisième pilier est celui des énergies renouvelables et la relance du nucléaire, entamée il y a plusieurs mois, en est le quatrième.

J'aurai également d'autres priorités au cours des prochaines semaines et des prochains mois. En ce qui concerne la protection de la biodiversité et de l'eau, nous allons d'abord assurer le déploiement de la stratégie nationale biodiversité. On ne va pas revenir sur cette dernière, qui date d'un an, mais on va s'assurer qu'elle est correctement mise en oeuvre et vous savez que l'échéance importante est de placer 10% de notre territoire sous protection renforcée. Le deuxième axe est le lancement de la grande conférence nationale sur l'eau annoncée par le Premier ministre et qui a vocation à se décliner au niveau territorial, bassin par bassin. À cet égard, les 60 ans en décembre prochain de la loi sur l'eau seront un moment clé pour revisiter le dispositif et se demander quelle action mener dans le contexte de dérèglement climatique. Le troisième élément, plus spécifique mais important, est le plan eau pour Mayotte, pour aider cette île à faire face à la grave crise de l'eau qu'elle connaît depuis des mois. Je mentionne enfin le plan de sécurisation des captages pour garantir la qualité de l'eau. J'avais élaboré ce plan au ministère de l'agriculture et je l'emporte avec moi au ministère de la transition écologique parce que la question de la qualité de l'eau est essentielle. En particulier, vous savez qu'aujourd'hui certaines agglomérations de plusieurs centaines de milliers d'habitants ne dépendent plus que d'un captage, ce qui, en termes de gestion des risques, est problématique.

En second lieu, je serai évidemment très mobilisée au niveau international et d'abord au niveau européen. Vous pouvez compter sur moi pour continuer la mise en oeuvre du plan vert, mais - et je l'ai indiqué lors de mon premier conseil de l'environnement - avec l'absolue nécessité de le coupler avec une ambition industrielle et une politique commerciale adaptées. Pour ce faire - et cela a été évoqué à plusieurs reprises sur ces bancs ainsi qu'à l'Assemblée nationale -, nous avons besoin de " clauses miroirs " ou, encore mieux, de dispositifs miroirs, avec un système permettant aux entreprises européennes qui font des efforts de transition énergétique de ne pas se retrouver en situation de concurrence déloyale par rapport à d'autres pays.

Sur la scène internationale, plusieurs événements marquants nécessiteront un rôle actif de la France d'ici la fin de l'année. Vous m'interrogez sur mon diagnostic à l'égard de la COP16 mais je crois que vous avez dit l'essentiel, monsieur le président, en qualifiant ses résultats de mitigés. Un accord important pour la protection des océans a été conclu ainsi qu'un accord sur le lien entre climat et biodiversité : ce dernier peut donner un sentiment de déjà vu mais il est important de rapprocher la COP Biodiversité de la COP Climat. En revanche, au-delà même du défaut d'accord sur le mécanisme de financement, j'estime encore plus problématique le cadre de suivi et de rapportage des objectifs très ambitieux que s'est donnés la COP de Montréal : en particulier, je trouve préoccupant, par exemple, que certains pays ne souhaitent même pas faire oeuvre de transparence sur l'utilisation de produits phytosanitaires, ce qui est très révélateur. Dans ces conditions, l'ambition que je partage avec les pays les plus avancés en matière de lutte pour la protection de la biodiversité, c'est de ne pas mettre à la poubelle ces trois semaines de négociations : en effet, il se trouve qu'au moment d'adopter le texte sur le rapportage, un pays a levé la main pour demander si le quorum était réuni, en sachant pertinemment qu'en fin de COP et après une nuit blanche de discussions, le quorum est rarement atteint. Cette initiative a eu pour effet juridique immédiat d'arrêter la COP. C'est évidemment une forme de manoeuvre mais il faut retenir de cet épisode que le dialogue multilatéral se déroule dans un moment un peu délicat et qu'il impose d'être extraordinairement actif, assertif et présent en tant que ministre pour pouvoir porter les positions. À cet égard, je peux vous dire qu'on a énormément échangé, y compris dans la nuit : je n'étais pas présente physiquement car ce n'était pas un segment de discussion pour les ministres mais nous nous sommes mobilisés, par exemple pour appeler le commissaire européen ou la ministre suédoise pour solliciter du renfort sur tel ou tel point des accords. Je ne peux pas ici vous préciser l'origine de la demande de quorum : ce n'est pas un grand pays auquel on pense naturellement mais sa démarche est révélatrice.

Sur la scène internationale, la COP29 sur le climat à Bakou se tiendra également dans les prochains jours et nous tiendrons vigoureusement la chaise dans l'enceinte onusienne. Personne n'étant naïf, je vais ici être très claire : nous avons, avec l'Azerbaïdjan, des relations complexes - ou " compliquées " en langage diplomatique - et il n'y aura aucun événement auquel participeront des officiels français qui mettrait en valeur d'une quelconque façon tel ou tel élément de la politique azérie. Il n'y aura non plus aucun contact sans lien avec la COP avec les autorités azéries. En revanche, compte tenu, d'une part, des tensions enregistrées pendant la COP27, avec l'obtention difficile d'un accord et, d'autre part, du très bon accord issu de la COP28 mais qui a été le fruit de la très forte mobilisation d'une dizaine de ministres européens l'année dernière, il nous paraît impossible de ne pas tenir la chaise dans les salles de négociation. C'est très exactement ce que nous ferons, en rappelant probablement - dans les espaces de négociation consacrés aux droits de l'homme ou à la place de la société civile - nos valeurs et en les portant haut et fort.

S'agissant ensuite des négociations de Busan sur la réduction de la pollution plastique, nous préconisons un texte ambitieux qui ne se contente pas d'augmenter l'effort de collecte et de recyclage mais qui prenne le problème à la racine en fixant des objectifs de baisse de production des plastiques. En effet, dans un monde où les experts prévoient, d'ici 2060, un triplement de la production de plastiques, améliorer la collecte et le recyclage est trop anecdotique. Je ne peux pas vous dire que je suis très confiante à ce sujet puisque, pour le moment, il n'est pas question d'organiser un segment ministériel à Busan, ce qui témoigne d'une hésitation dans la volonté de conclure un traité de haute ambition.

Enfin, la COP16 sur la désertification ainsi que le One Water Summit à Riyad - qui s'inscrit dans la séquence des sommets dont l'initiative revient au Président de la République - laissent quant à eux entrevoir des perspectives positives. Il s'agit de mettre sur la table la désertification et la ressource rare en eau avec des pays qui sont engagés sur ces sujets. Le sommet sera co-présidé par la France et l'Arabie Saoudite, en lien avec le Kazakhstan. C'est une façon d'aborder le climat et la biodiversité sous l'angle des problèmes rencontrés par un certain nombre de pays en rendant ceux-ci acteurs sur ces thématiques. Ce levier nous paraît tout à fait efficace pour le soft power de la France mais aussi pour le combat climatique que nous portons : l'ancienne ministre Barbara Pompili est à la manoeuvre pour en faire une réussite.

En matière d'économie circulaire, nous avons également un agenda chargé et je sais pouvoir compter sur le soutien du Sénat, et notamment celui de la sénatrice Marta de Cidrac, sur ces sujets. Je pense notamment à la mise en place de l'affichage environnemental des produits textiles, au travail que nous menons sur l'affichage environnemental en matière d'alimentation, à la réforme de la régulation des filières REP (responsabilité élargie du producteur) en réponse au rapport des inspections publié en juillet 2024 et au travail que nous devons mener pour inciter à l'incorporation de plastiques recyclés. Sur ce dernier point, vous connaissez nos très faibles performances en recyclage des emballages plastiques : nous sommes en 26e position européenne et nous payons 1,5 milliard d'euros de contribution à l'Europe car nous ne sommes pas au rendez-vous dans ce domaine. Au moment où nous recherchons des ressources et des économies budgétaires, il y a peut-être là une bonne piste de progrès.

J'en viens aux crédits pour 2025 de mon ministère : je ne vais pas vous rappeler le contexte de contrainte budgétaire et le fait qu'un ministère dépensier a toujours à coeur d'augmenter ses enveloppes pour avoir plus de moyens d'intervention. Factuellement, c'est un budget de 16,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement qui se situe dans la lignée de ceux de 2019 à 2021, avant le plan de relance et la crise Covid. En matière de financement, ce budget vise une meilleure efficience et une sélectivité accrue des deniers publics. Il devra être complété par davantage de mobilisation de ressources privées pour maximiser nos investissements écologiques. Ce budget comporte un certain nombre d'éléments cruciaux : je pense en particulier au chèque énergie dont je souligne qu'il est sanctuarisé et sur lequel nous devons passer d'une situation où il était automatique à la construction d'un nouveau système automatisé puisque nous ne disposons plus des bases de la taxe d'habitation postérieures à 2021. À l'évidence, les bases de cette époque ont beaucoup vieilli, puisqu'elles sont elles-mêmes fondées sur des revenus de référence encore plus anciens. Les gens ont déménagé, eu des enfants ou sont décédés ; des divorces et des mariages sont intervenus et tous ces événements rendent impossible l'utilisation des anciennes bases ; il nous faut donc reconstruire des données solides permettant à nouveau d'automatiser ce chèque énergie. Nous sommes aujourd'hui dans une phase d'entre-deux où une partie de la distribution de chèques énergie sera automatique tandis que l'autre sera quérable et, là aussi, nous aurons besoin de votre soutien pour que vos administrés soient parfaitement au courant de ce droit qu'ils peuvent solliciter.

Ce budget vise également à réduire un certain nombre de " dépenses brunes ". Je pense notamment à l'augmentation du malus automobile, à la suppression du taux de TVA à 5,5% sur l'installation de chaudières à énergie fossile et à l'augmentation de la fiscalité sur les billets d'avion. Ce budget, comme vous le savez, impacte aussi la fiscalité de l'électricité et, à cet égard, la proposition du Gouvernement repose sur deux niveaux. Le premier niveau, de nature législative, vise à revenir à une situation d'avant crise, conformément à ce qui avait été annoncé par les gouvernements précédents : c'est la fin du bouclier énergétique, soit plus de 50 milliards d'euros d'aides qui ont été apportées aux ménages et aux entreprises ces trois dernières années. Le deuxième niveau de nature réglementaire ouvre la possibilité d'aller au-delà de ce niveau - la fourchette étant bien sûr cadrée par le législateur - pour permettre de piloter finement le point d'atterrissage, ce qui permet de dire que le tarif réglementé baisserait de 9% au 1er février 2025.

Je vous précise qu'en matière de fiscalité énergétique, il faut être attentif à quatre points. Le premier est évidemment l'impératif de transition écologique : les énergies fossiles ne doivent pas devenir moins chères ou plus compétitives que les énergies décarbonées du seul fait de mesures publiques. Le second est la compétitivité de nos industries et le coût de l'énergie : je précise qu'environ 300 entreprises électro-intensives continueraient à bénéficier d'un tarif réduit de TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité) tandis que les autres seraient, en revanche, concernées par la réforme. Le troisième élément à prendre en compte est le pouvoir d'achat de ceux qui ne bénéficient pas de tarifs réglementés et, en quatrième lieu, il ne faudrait pas que notre pays devienne un des pays d'Europe avec les tarifs les moins compétitifs alors qu'historiquement c'était l'inverse. Tous ces éléments méritent des éclaircissements sur lesquels nous allons travailler.

Je ne vais pas ici prolonger mon exposé et, pour conclure, je tenais à vous dire que je me tiens à votre service pour éclairer vos débats et évaluer toutes les implications des amendements qui pourraient être proposés. S'agissant du volet dépenses, j'indique que des efforts assez considérables sont consentis. Pour s'en rendre compte, j'invite chacun, plutôt que de comparer les lois de finances initiales des dernières années, à examiner les crédits consommés en 2023 ainsi qu'en 2024 au regard de la loi de finances initiale pour 2025 car cela permet de remettre les évolutions en perspective plus objectivement. Ainsi, MaPrimeRénov' fait l'objet d'une enveloppe en augmentation entre 2024 et 2025 ; en revanche, on observe une baisse importante sur l'aide à l'électrification des véhicules. Ces évolutions ne sont pas visibles en analysant les seules lois de finances initiales et il est donc important de se baser sur les bons fondamentaux pour évaluer la dynamique. Bien entendu, certains crédits ont un très fort impact : c'est le cas du Fonds chaleur qui, avec 10 millions d'euros de crédit de paiement, permet de soutenir environ 300 millions d'euros de projets. Telles sont les métriques qu'il faut également conserver en mémoire dans les choix que vous serez amenés à faire, tout en se rappelant la règle du jeu que vous connaissez : un euro ajouté à telle enveloppe budgétaire, c'est un euro qu'il faut économiser ailleurs et c'est là que l'exercice devient difficile.

M. Jean-François Longeot, président. - C'est même parfois un exercice d'équilibriste...

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques. - En ma qualité de rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques, j'évoquerai trois points qui ont trait au projet de loi de finances pour 2025 et au Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3).

Tout d'abord, la documentation budgétaire fait état de la création pour 2025 de deux actions budgétaires spécifiquement dédiées au risque inondation et au retrait-gonflement des argiles (RGA). Or, on a beau tourner les pages du projet annuel de performance, ces deux lignes budgétaires sont manquantes. Je regrette vivement cet acte manqué qui aurait pu permettre d'accroître la lisibilité des financements à destination de ces risques, alors que les tragiques récents événements ibériques dans la région de Valence nous obligent à renforcer notre politique de prévention.

Deuxièmement, je regrette à nouveau que les crédits à destination du fonds Barnier, dont le Premier ministre a annoncé le rehaussement de 75 millions d'euros - ce dont nous nous félicitons -, portant le fonds à 300 millions d'euros pour ce budget, soient encore inférieurs aux recettes du prélèvement sous la garantie " CatNat " abondant le budget général. Ce prélèvement, dont le montant est estimé pour l'an prochain à 450 millions d'euros, avait pourtant pour finalité exclusive le financement de mesures de prévention des risques. Comment expliquez et justifiez-vous, madame la ministre, ce décalage de 150 millions d'euros ?

S'agissant enfin du PNACC 3, vous actez la trajectoire de référence pour l'adaptation au changement climatique (Tracc) de la France à + 4 degrés à l'horizon 2100 ; cependant, certains commentateurs craignent que ce nouvel ancrage conduise à délaisser l'« atténuation », au seul profit de l'« adaptation » : que répondez-vous à ces inquiétudes ?

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité et à l'expertise, l'information géographique et à la météorologie. - En qualité de rapporteur pour avis des crédits inscrits aux programmes 113 " Paysages, eau et biodiversité " et 159 " Expertise, information géographique et météorologie ", j'ai rencontré, dans ce cadre, le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), l'IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), les agences de l'eau, l'Office national des forêts (ONF), l'Office français de la biodiversité (OFB), Météo France et également les parcs nationaux.

Ma première interrogation porte sur vos ambitions en faveur d'une résilience hydrique accrue et d'une gestion durable et concertée de l'eau à travers la mission " Écologie " de ce projet de loi de finances. Les 53 mesures du " plan eau " présenté en mars 2023 visaient notamment à organiser la sobriété des usages de l'eau, optimiser la disponibilité de la ressource et préserver la qualité de l'eau potable alors que les pressions sur les milieux aquatiques s'intensifient. Ces ambitions, que nous partageons, ne se déduisent cependant pas de façon évidente de l'analyse des crédits inscrits au budget pour 2025. En premier lieu, contrairement à la trajectoire budgétaire qui avait été décidée en leur faveur pour accompagner le déploiement du plan eau, le plafond de recettes des agences de l'eau stagne tandis que leur contribution à l'Office français de la biodiversité progresse, ce qui signifie concrètement une réduction des moyens d'intervention des agences en soutien au petit cycle et à l'accompagnement de nos communes. En second lieu, le Gouvernement a déposé un amendement afin de prélever 130 millions d'euros dans la trésorerie des agences de l'eau pour abonder le budget général de l'État. On savait déjà que l'eau paie l'eau et aussi la biodiversité : ce projet de budget propose à présent que l'eau paie la dette de l'État. Qualifiée d'exceptionnelle, une telle pratique n'est pas sans précédent et c'est une facilité à laquelle des gouvernements antérieurs ont eu recours. Si l'on comprend naturellement la logique de rigueur budgétaire dans un contexte de dégradation marquée de nos comptes publics, la conjonction de ces phénomènes interroge, d'autant que la France vient d'être condamnée par la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne), le 4 octobre dernier, pour manquement dans la mise en oeuvre de la directive relative au traitement des eaux usées urbaines. Quelle feuille de route vous fixez-vous pour garantir une qualité de l'eau dans laquelle les Français puissent avoir confiance et un partage de la ressource à l'heure où la résilience hydrique ne va plus de soi ?

Je souhaite également vous interroger, dans le prolongement des propos du président Longeot, sur le bilan que vous tirez de la COP16 Biodiversité qui vient de s'achever. Vous avez déjà évoqué les difficultés de quorum, mais peut-être pouvez-vous développer les raisons de l'échec relatif de cette COP, malgré la volonté politique de la France de transcrire des engagements qui avaient été pris à Montréal il y a deux ans.

J'en terminerai avec une question relative au Fonds vert, dispositif particulièrement apprécié dans nos territoires. C'est une enveloppe budgétaire de la transition concrète au niveau local, facilement mobilisable du fait de sa gestion déconcentrée et à forte visibilité pour les élus locaux. Fortement raboté, le fonds d'accélération de la transformation de la transition écologique dans les territoires est doté de 1 milliard d'euros d'autorisations d'engagement pour 2025. Notons également l'extinction probable du dispositif l'an prochain puisqu'aucun crédit nouveau n'est inscrit en prévision pour 2026 et 2027. Quelles sont les priorités portées par le Gouvernement pour favoriser les économies d'énergie, les objectifs en matière de recyclage de friches et, de manière plus transversale, les mesures qui visent à accompagner les collectivités dans leurs projets d'adaptation au changement climatique ? Cette enveloppe budgétaire continuera-t-elle à se contracter, victime du " refroidissement budgétaire ", ou sera-t-elle au contraire pérennisée dans le temps comme le gage du soutien de l'État à la mobilisation des territoires en faveur de l'écologie du quotidien mise en oeuvre par nos élus locaux ?

M. Fabien Genet, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat. - Je voudrais tout d'abord saluer l'action de la délégation française, mais également votre investissement personnel lors des négociations de la COP16 Biodiversité à Cali en Colombie. J'ai pu observer ces efforts sur place avec notre collègue Ronan Dantec et sur les conseils avisés de notre spécialiste de la biodiversité au Sénat, Guillaume Chevrollier.

J'interviens en ma qualité de rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs à la transition énergétique et au climat, sur trois enjeux majeurs de ce projet de loi de finances pour 2025.

Vous avez rapidement fait allusion au premier enjeu : le budget accordé au Fonds chaleur. Après plusieurs années d'augmentation, ce Fonds chaleur, qui contribue au développement de la chaleur renouvelable, connaît une baisse sans précédent, passant de 820 millions d'euros en 2024 à 540 millions d'euros en 2025. Ce fonds est pourtant un exemple de dépense publique efficiente : les projets candidats sont nombreux et le coût des émissions de gaz à effet serre évitées est faible. Je souhaite vous alerter - tout en vous sachant déjà sensibilisée - sur les conséquences de cette baisse qui remet en cause de nombreux projets de réseaux de chaleur portés par les collectivités territoriales, au moment où nous arrivons en fin de mandat pour les communautés de communes et où il est donc important que ces projets ne soient pas freinés sans quoi nous perdrions plusieurs années dans leur réalisation.

Le deuxième enjeu est celui du soutien à la rénovation énergétique des logements. Le Premier ministre a indiqué que le logement était une priorité ; or les crédits de MaPrimeRénov' diminuent considérablement, passant de 4 milliards d'euros en 2024 à 2,5 milliards d'euros en 2025. Cette diminution, qui s'explique en partie par une sous-consommation chronique des crédits, ne risque-t-elle pas de remettre en cause l'atteinte par l'État des objectifs de rénovation énergétique des bâtiments, alors même que la réforme récente de MaPrimeRénov' n'a pas encore déployé tous ses effets ? Les choses étant en train de se mettre en place, n'y a-t-il pas un risque d'arrêter cette dynamique qui est réelle sur le terrain ?

Enfin, je souhaite évoquer l'enjeu de la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. La loi de programmation pour les finances publiques prévoyait le dépôt d'une telle stratégie à partir de 2024, alors que les besoins de financement de la transition écologique sont colossaux. La première stratégie déposée insiste sur la nécessité d'une mobilisation du secteur privé, pour augmenter les investissements bas carbone et vous venez d'y faire allusion. Quels leviers le Gouvernement identifie-t-il pour mobiliser l'investissement privé en faveur de la transition écologique ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le rapporteur Pascal Martin, je réponds tout d'abord à ce qui apparaît comme une remarque - plus encore qu'une question - relative à deux actions qui ne correspondent pas à des moyens budgétaires identifiés dans la nomenclature. Cela me permet de souligner que le risque d'inondation ainsi que le retrait-gonflement d'argile sont pour nous des priorités : c'est sans doute comme cela qu'il faut interpréter la maquette budgétaire, même si ces actions ne sont pas " substantifiées " - si l'on peut dire - par des montants de crédits sur des lignes correspondantes.

S'agissant des crédits du fonds Barnier, vous savez que la déconnexion entre recettes et prélèvement " CatNat " ne date pas de ce budget mais de 2021. Nous sommes effectivement dans la continuation du choix effectué à cette époque et cette affirmation peut s'étendre à l'enveloppe globale que nous examinons et qui est le reflet d'efforts budgétaires. Par conséquent, en examinant les crédits ligne à ligne, nous pouvons tous trouver des choses à redire, et moi la première, car tout ministre animé d'un certain nombre d'ambitions a envie d'avoir les moyens de les porter jusqu'au bout, on peut imaginer de nombreuses autres initiatives. Aujourd'hui, le défi est de parvenir à resserrer les moyens financiers et de les allouer là où ils auront le plus d'impact sur l'année 2025. Il faut également se demander quelles actions peuvent être prolongées jusqu'en 2026 ou en 2027 pour ne pas freiner la dynamique que nous avons entamée de transition écologique et énergétique. La question est aussi de savoir comment on mobilise le secteur privé, sachant que certains sujets sont devenus plus matures qu'ils ne l'étaient il y a deux, trois, quatre ou cinq ans. Tel est le réglage fin qu'il nous appartient de réaliser.

Je reviens sur le retrait-gonflement de l'argile : l'un des enjeux majeurs pour moi, en tout cas à ce stade, est d'accélérer la capacité à trouver une solution technologique de prévention. Des pistes se dessinent, notamment au Cerema, et ne généreraient pas de dépenses considérables : on évoque le chiffre de 15 000 euros par maison, ce qui est bien inférieur à un coût de reconstruction de plusieurs centaines de milliers d'euros. Nous cherchons donc les moyens d'activer la prévention en essayant de discuter de ce sujet avec les assureurs. La Caisse centrale de réassurance nous a communiqué un chiffre intéressant, calculé sur le passé et donc probablement appelé à augmenter : pour un euro investi en prévention, on économise 8 euros en coût évité de réparation ou « coût du sauvé », comme vous le mentionnez. Cela doit nous faire collectivement réfléchir, je n'ai pas de solution définitive dans l'immédiat.

S'agissant des 4 degrés d'augmentation de la température, vous faites ici allusion à un débat vif au moment où mon prédécesseur Christophe Béchu avait annoncé ce chiffre et plusieurs précisions sont nécessaires. Avant tout, je vous rassure, l'augmentation de 4°C ne concerne pas l'ensemble de la planète mais particulièrement la France qui se réchauffe plus vite que le reste du monde. En réalité, derrière ce + 4°C, c'est plutôt une trajectoire à + 2,7°C qui correspond à la dérivée que nous donne aujourd'hui le Giec. Pourquoi, dès lors, nous basons-nous sur + 4°C ? D'abord parce que quand on construit des équipements pour 50 ans, on se dit qu'il serait embêtant de les abandonner au bout de 20 ans parce qu'ils ne résisteraient pas à un vent extrême, une inondation, une submersion marine ou à des variations de température majeures. Il faut donc placer la barre à un niveau suffisamment élevé pour investir de façon efficace et sécurisée. Je rappelle que le sénateur Ronan Dantec a présidé la commission spécialisée du conseil national de la transition écologique (CNTE) qui a rendu un avis unanime en faveur de la cible de + 4°C. Au final, lorsqu'on tire le fil de la discussion, on conclut que s'adapter au réchauffement ne signifie pas renoncer à le combattre et telle est la position de ceux qui sont au coeur de cette lutte ainsi que des experts de ces sujets. Comme vous le savez, siègent au CNTE à la fois des ONG environnementales, des représentants de toutes les strates de collectivités locales, des parlementaires, des représentants du monde de l'entreprise et des citoyens. En fin de compte, ils se sont accordés pour affirmer que pour lutter contre la mal-adaptation, il faut se donner cette trajectoire responsable de + 4°C. Mais, dans le même temps, on ne lâche pas le combat qui consiste à maintenir un rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 5% par an ; et la première bonne nouvelle, c'est qu'on a réussi à le faire l'année dernière, et même au-delà de 5%. La deuxième bonne nouvelle, c'est que contrairement à ce qui m'avait été prédit, les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas rebondi après la crise énergétique. Tel n'a pas été le cas et, à la différence d'autres pays européens, on a constaté une baisse des émissions en 2021, 2022, 2024 et celle-ci se poursuit. Certes, les émissions baissent plus facilement au début qu'à la fin de la courbe, la difficulté a donc tendance à augmenter chaque année. Il faut cependant prendre en compte le fait qu'en raison du réchauffement climatique, les hivers sont plus doux, mais ce facteur fait partie de l'équation et le réchauffement ne peut pas avoir que des désavantages. Dans l'ensemble, et conformément à mon souhait, on a bien, de façon concomitante, le Plan national d'adaptation au changement climatique d'un côté, la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie de l'autre.

Monsieur le rapporteur Chevrollier, s'agissant du plan eau, je vous indique d'abord que le Président de la République lui-même me réclame un point d'étape pour savoir où on en est et comment on le déploie. C'est donc une priorité essentielle au plus haut niveau de l'État et je veux rendre hommage au travail réalisé par mon prédécesseur sur ce sujet. Vous avez raison de mentionner le plafond de recette des agences de l'eau. Le rehaussement de ce plafond ne m'inquiète pas outre mesure, car la cadence des projets que nous observons et la consommation des crédits nous permettent de faire face aux besoins jusqu'en 2026. Vous avez également mentionné le prélèvement de moyens sur l'OFB (office français de la biodiversité) et je vous précise que cette ponction permettrait de financer le plan eau de Mayotte : certes, il s'agit d'un recyclage financier mais qui serait mis au service du rehaussement de notre résilience en matière d'eau.

Vous avez ensuite évoqué le prélèvement de 130 millions d'euros de trésorerie sur les agences de l'eau. Cette mesure est assez délicate à mettre en oeuvre et nous y travaillons pour essayer de trouver les équilibres adéquats. Elle a été introduite par amendement gouvernemental dans le train de mesures de 5 milliards d'euros d'efforts supplémentaires.

S'agissant de ma feuille de route en matière de captage, vous avez raison de mentionner la condamnation de la France par la CJUE et la nécessité d'accélérer les progrès dans ce domaine. Pour y parvenir, nous allons réunir tous les acteurs autour de la table lors d'une grande conférence nationale sur l'eau, courant 2025 ; celle-ci sera déclinée par territoire et devra se poser un certain nombre de questions : quel est le prix de l'eau, qui la paie et qui doit financer les investissements sous-jacents ? Vous avez à juste titre fait allusion aux nécessaires investissements de grande ampleur pour lutter contre les fuites, rehausser la qualité de l'eau, dépolluer et installer - le cas échéant - de nouveaux captages auxquels s'ajoutent d'autres investissements de protection. Il y a énormément de besoins et nous ne sommes qu'au début de la trajectoire. Je mentionne ici une difficulté supplémentaire : le dérèglement climatique entraîne aussi le bouleversement du cycle de l'eau et va donc créer des phénomènes problématiques avec des sécheresses, des difficultés à s'approvisionner en eau potable et même des concentrations plus élevées de polluants en raison de la diminution du volume d'eau. Ce sont tous ces sujets qu'il va falloir aborder.

S'agissant de la COP16, je souligne d'abord que la France joue un rôle moteur dans les COP Biodiversité. Nous sommes un des premiers pays à avoir publié notre stratégie nationale biodiversité en ligne avec le référentiel de Montréal. Nous sommes également un des seuls pays à avoir atteint l'objectif de protection de 30% de notre territoire terrestre et marin. Nous avons étendu à l'espace atmosphérique cette idée de zone de protection renforcée et nous y travaillons sur le territoire français. J'ajoute que Sylvie Goulard et Dame Amelia Fawcett ont produit un travail très intéressant sur les crédits de biodiversité de haute intégrité : il s'agit d'un moyen d'attirer les financements privés, non pas pour se procurer des droits à polluer mais pour mesurer de façon intègre les actions sur la biodiversité. Cette initiative vise notamment à répondre à deux catégories d'usages qui traduisent un engagement en faveur de la biodiversité. Il en va ainsi des crédits ou des fonds privés philanthropiques alloués par des agents qui veulent disposer de mesures et de paramètres scientifiques adossés aux actions qualitatives qu'ils mènent. Par ailleurs, certaines entreprises commencent à travailler sur la résilience de leurs chaînes d'approvisionnement. Sachant que 44 % de notre PIB dépend de ressources naturelles, ces entreprises ont intérêt à sécuriser ces ressources si elles veulent poursuivre leur activité à un horizon de dix, vingt ou trente ans. Tout ceci doit déboucher sur des demandes d'investissement de qualité et non pas sur de nouvelles opérations sans impact.

En ce qui concerne les raisons de l'échec relatif de la COP16, l'une des principales est imputable aux tensions entre, d'un côté, les pays les plus vulnérables ainsi que les pays émergents qui appartiennent au groupe des 77 et, de l'autre, les pays développés. Le groupe des 77 considère que les pays développés ne financent pas suffisamment la transition écologique. Les pays émergents jouent ici un rôle un peu intermédiaire puisque d'une certaine manière - je rappelle que la Chine, les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et le Brésil font partie de ces pays émergents -, ceux-ci peuvent avoir les moyens d'accompagner leur transition écologique, ou en tout cas un peu plus que les pays les plus vulnérables. En même temps, les pays émergents captent une assez grosse partie des crédits consentis par le Nord pour accompagner les transitions : telle est la difficulté à résoudre. Dans les discussions, les pays n'ont pas les mêmes intérêts ; or les décisions doivent être prises par consensus, c'est-à-dire qu'il suffit qu'un pays s'oppose à l'accord pour y faire échec. Comme il est, au regard de l'opinion publique, difficile de s'opposer à un accord, on peut, par exemple, demander une vérification de quorum. Vous l'avez compris, tout ceci reflète les difficultés inhérentes au multilatéralisme mais, pour ma part, je conserve beaucoup d'espoir : ainsi, la COP28 était loin d'être gagnée d'avance, on a pourtant réussi à conclure un très bel accord. Il faut donc maintenir ce dialogue au niveau multilatéral car c'est le seul endroit où on arrive à aligner les positions de quasiment tous les pays. Je rappelle - c'est important - que les États-Unis ne participent pas à la COP Biodiversité, et qu'ils ne sont donc pas venus à Cali.

S'agissant du Fonds vert, je ne vais pas m'exprimer à la place de ma collègue Catherine Vautrin ; j'indique cependant qu'elle a mentionné devant le Parlement la réflexion qui est envisagée sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et le Fonds vert. Un travail est donc engagé sur la façon de verdir l'ensemble de ces enveloppes et peut-être de réaménager ces instruments.

Par ailleurs, pour financer les collectivités locales, il y a, dans mon budget, un gisement important de 6 milliards d'euros qui se rattache aux certificats d'économie d'énergie (CEE). Mon travail va consister à utiliser ces certificats d'énergie au mieux pour accompagner notamment la rénovation thermique des bâtiments publics qui, au passage, fonctionne assez bien.

S'agissant des friches, qui relèvent du Fonds vert, je vous invite ici encore à comparer l'évolution budgétaire sur la base des crédits consommés. Pour MaPrimeRénov' les crédits consommés en 2024 se situent entre 1,7 et 1,8 milliard d'euros et donc l'enveloppe pour 2025 est en augmentation assez sensible. De plus, si vous regardez la consommation de 2023, qui était une période assez faste en termes budgétaires, on se situe à peu près dans le même étiage, à peine au-dessus. Ce n'est donc pas un budget qui a été écorné, et on peut même - en prenant une vue d'ensemble - se poser la question de savoir si ce n'est pas l'inverse au regard des enveloppes allouées au secteur du logement social pour la rénovation.

Sur le fonds chaleur, vous avez bien rappelé les enjeux. Le coût d'abattement de la tonne de carbone est de 40 euros et, effectivement, il y a un vivier de projets très important dans les collectivités locales : elles sont prêtes à agir et donc tout crédit supplémentaire sera immédiatement consommé.

S'agissant des leviers pour mobiliser les fonds privés, je viens d'évoquer les certificats d'économie d'énergie. S'y ajoute le tiers financement qui, pour le moment, a le mérite d'exister mais n'a pas été suffisamment sollicité. Je mentionne également, outre les crédits consacrés à la biodiversité, les crédits carbone sur lesquels on doit aujourd'hui monter en niveau avec des labels carbone. Plus généralement, il nous est demandé de stabiliser le cadre juridique pour que les entreprises puissent construire leur modèle économique. Effectivement, l'instabilité normative au cours des dernières années est un des grands reproches qui nous a été fait car les entreprises ne savaient plus très bien comment positionner leurs offres. Il nous faut donc peut-être apporter une réponse simplifiée ou clarifier le cadre normatif. Les entreprises ne peuvent pas construire leurs offres en deux mois ; il leur faut parfois y consacrer 18 mois à 2 ans, ce qui est plus difficile dans un contexte d'instabilité normative.

Tels sont les principaux éléments que je peux partager avec vous. J'ai aussi d'autres pistes sur les assureurs et la mobilisation des investisseurs ou des financeurs. Beaucoup d'inquiétudes s'expriment sur la quantité de données à fournir en matière de reporting extrafinancier, en application de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), mais il y a là aussi une opportunité très importante de développement des modèles d'affaires et des financements de transition écologique. Pour les grandes entreprises, c'est un fil à tirer et j'ai un certain nombre de propositions dans ce sens : attention, donc, à ne pas casser les outils qu'on est en train de mettre en place.

Mme Marta de Cidrac. - J'interviens en ma qualité de présidente du groupe d'études « économie circulaire ». J'appelle tout d'abord à votre attention un sujet d'inquiétude pour nos élus locaux : la consigne pour réemploi et recyclage des emballages. En juillet 2023, dans un rapport d'information pour lequel j'étais rapporteure, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait démontré que la consigne constituait un dispositif peu performant et porteur de nombreux effets pervers environnementaux, tout en étant économiquement irrationnelle ainsi que socialement et territorialement injuste. En septembre 2023, votre prédécesseur Christophe Béchu avait choisi d'enterrer le dispositif et nous avions salué sa décision. Vous avez rappelé, madame la ministre, le montant que paie la France à l'Union européenne en raison de nos faibles taux de recyclage. Le 17 octobre dernier, dans le cadre de la convention des intercommunalités de France, vous avez pourtant déclaré que " la consigne fait partie des solutions. Si vous en avez une autre, apportez-la moi ". Permettez-moi ici de vous indiquer que nous avons de nombreuses autres propositions de solutions pour améliorer les performances de la France en matière de collecte tirée pour recyclage : elles sont détaillées dans le rapport d'information précité. Je souhaite ainsi vous alerter, madame la ministre, sur les risques associés à la mise en place de la consigne à laquelle le Sénat reste opposé.

J'aimerais également évoquer le rapport interinspections relatif à la performance et à la gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur que vous avez également mentionné dans votre propos introductif, demandé par la Première ministre Élisabeth Borne. Publié en juin dernier, ce rapport dresse un bilan mitigé des filières REP. Ces dernières ont permis de réaliser des progrès en matière de collecte et de recyclage tout en présentant, selon le rapport, d'importantes marges de progrès dans un contexte de trajectoire d'objectifs très ambitieux. Partagez-vous le constat de ce rapport interinspections et quelle suite allez-vous y apporter madame la ministre ?

M. Didier Mandelli. - Je voudrais, juste avant d'accompagner le président Longeot à la Conférence des présidents, vous poser deux questions qui, globalement, se rejoignent et n'appellent que des réponses par oui ou par non, peut-être pourrez-vous y répondre instantanément.

Votre ministère avait précédemment mis en place deux groupes de travail. L'un sur l'érosion du trait de côte, le Conseil national du trait de côte (CNTC) - qui est une émanation du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) - et l'autre sur la fiscalité des énergies renouvelables, dans le prolongement de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. C'est un engagement que vous aviez pris et tenu ; j'ai participé à ces deux groupes de travail pendant plusieurs mois et ma question est simple : entendez-vous poursuivre, recréer, reconstituer ces groupes de travail pour apporter des solutions sur ces deux sujets ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vous réponds oui sur le groupe de travail relatif au trait de côte. S'agissant du groupe consacré à la fiscalité des énergies renouvelables, il revient à ma ministre déléguée en charge de l'énergie de le porter ; je m'y étais engagée et c'est un sujet dont il faut nous saisir, d'autant, comme vous l'avez suggéré, qu'il existe des connexions entre les deux sujets et vous savez que vos collègues députés ont déposé des amendements qui font le lien entre les deux.

M. Sébastien Fagnen. - Initialement je souhaitais vous interroger sur le recul du trait de côte, mais nous aurons le plaisir de vous accueillir demain dans le département de la Manche sur ce sujet en particulier et pourrons en discuterons avec les élus locaux ainsi que les services de l'État.

Ma question porte sur l'hydrolien et le soutien de l'État à cette filière puisque comme vous l'avez rappelé, nous avons récemment débattu au Sénat de la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet sur la programmation et la simplification dans le secteur économique de l'énergie. Il était prévu, dans la rédaction initiale de l'article 5 de ce texte, l'ouverture d'appels d'offres à un horizon extrêmement proche pour une puissance installée d'un gigawatt à l'horizon 2030. Ce dispositif a cependant fait l'objet d'un amendement de la part du Gouvernement : la ministre déléguée en charge de l'énergie, qui était alors présente dans l'hémicycle, a proposé une réécriture visant simplement à examiner et à explorer le potentiel de l'hydrolien en supprimant tout objectif chiffré et en renvoyant ce débat à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Comme vous l'avez indiqué, le texte de cette programmation a été formalisé par le Gouvernement et envisage, pour l'hydrolien, une puissance installée de 250 mégawatts à l'horizon 2030. Autant dire que vos ambitions sont bien moindres que le consensus qui semblait se dessiner au Sénat sur le soutien au développement de l'hydrolien. On constate également, dans l'écriture de la programmation pluriannuelle de l'énergie, une certaine incohérence, avec un écart entre la valeur cible portée à 120 euros par mégawattheure contre 150 euros par mégawattheure quelques lignes plus loin, la valeur plafond étant fixée à 180 euros. Tout cela explique que les industriels soient aujourd'hui relativement inquiets. J'étais d'ailleurs à leur côté hier au salon Euronaval, notamment avec HydroQuest et CMN (Constructions Mécaniques de Normandie) qui sont prêts à s'engager pleinement mais sur des volumes plus conséquents que ceux prévus par la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Madame la ministre, ma question, qui rejoint une démarche transpartisane initiée par ma collègue députée de la Manche Anne Pic, est la suivante : quelles sont les réticences aujourd'hui, de la part de l'État, à s'engager fermement et sur des volumes plus importants pour qu'enfin la filière de l'hydrolien en France puisse prendre son envol, à l'instar de ce que nos voisins britanniques ont pu accomplir ?

Mme Sylvie Valente le Hir. - Je souhaite vous interroger en ma qualité de rapporteure sur la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile. Ce texte, adopté à l'Assemblée nationale à l'unanimité le 30 janvier dernier, vise à lutter contre " l'ultra fast-fashion ", un nouveau modèle économique de l'industrie textile particulièrement polluant, développé notamment par les entreprises asiatiques Shein et Temu et basé sur un nombre très élevé de références à prix très bas. La proposition de loi prévoit notamment l'interdiction de la publicité pour cette pratique commerciale et une plus grande modulation des écocontributions en fonction de la performance environnementale de la fabrication de vêtements. Le 30 octobre dernier, le président Longeot, que je remercie, a demandé au président du Sénat, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi consensuelle et fortement attendue par les acteurs du secteur.

Durant la cérémonie de passation de pouvoirs du 23 septembre 2024, le ministre Christophe Béchu a évoqué la lutte contre la fast-fashion parmi les travaux en cours. Je souhaiterais connaître le regard que vous portez sur cette proposition de loi. Souhaitez-vous poursuivre l'action de votre prédécesseur visant à diminuer l'impact environnemental de l'industrie textile ? La proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale permet-elle selon vous d'atteindre sa cible et de lutter efficacement contre l'" ultra fast-fashion " ? Certaines dispositions du texte s'appuient sur l'affichage environnemental de l'industrie textile, en cours de finalisation. Pouvez-vous détailler l'état d'avancées de cet affichage environnemental ?

- Présidence de Mme Marta de Cidrac, vice-présidente -

Mme Nicole Bonnefoy. - D'ici à 2050, les inondations seront le principal risque qui pèsera sur notre pays. Tous les rapports d'experts le démontrent, le changement climatique entraîne des catastrophes extrêmes à répétition que nous constatons dès à présent en France et plus largement en Europe : inondations de plaine ou par remontée de nappes, crues torrentielles, inondations par ruissellement ou encore submersions marines. En effet, comme vous l'avez évoqué hier matin lors de votre interview sur France Inter, le dérèglement climatique n'est pas une chose abstraite. Cela nous concerne toutes et tous. Si nous désinvestissons dans la prévention et dans le rétablissement des écosystèmes, nous serons en décalage avec le niveau de risque.

L'un des points de fragilité de notre territoire réside dans l'artificialisation et donc l'imperméabilité des sols. Vous connaissez la sensibilité du Sénat sur cette question. Je crois, pour ma part, qu'il faut veiller à une application très attentive du principe du ZAN (Zéro artificialisation nette) qui doit permettre de conserver la fonction d'éponge naturelle des sols. Certains territoires ont d'ailleurs fait la preuve de leur adaptation à ce principe, je pense notamment à la Loire-Atlantique. Aussi, madame la ministre, je souhaitais connaître votre avis sur les assouplissements de l'objectif ZAN envisagés par le Premier ministre et le Gouvernement, qui auraient pour contrepartie inévitable de renforcer notre exposition aux phénomènes climatiques. N'est-il pas contre-productif de toujours reculer face aux difficultés d'adaptation ?

M. Joshua Hochart. - Le débat sur la transition énergétique est central pour la vie de notre pays ; pour autant, certaines questions continuent de diviser et tel est notamment le cas des éoliennes. Comme vous le savez, beaucoup de Français, en particulier dans les territoires les plus ruraux, s'opposent à leur prolifération que nous considérons au sein du Rassemblement national comme une solution inefficace, coûteuse et qui défigure nos paysages. Cependant, des éoliennes existent et ma question porte sur la fiscalité des éoliennes déjà installées, tant elle est désastreuse. J'aimerais revenir sur l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer). La répartition des recettes issues de cette fiscalité n'est pas favorable aux communes qui possèdent des éoliennes. En effet, elle est insuffisamment perçue par de nombreuses communes depuis la loi de finances de 2019. Je rappelle que l'Ifer est réparti comme suit : la commune en perçoit 20%, contre 50% pour l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ; c'était encore pire avant 2019 puisque 70% des recettes étaient allouées à l'établissement public et les 30% restants au département. Ne pensez-vous pas qu'il serait légitime de revoir la clé de répartition de cette fiscalité pour la rendre plus équitable avec, par exemple, 35% à la commune et 35% à l'EPCI. Le moment n'est-il pas venu de repenser ce modèle en tenant compte du fait que l'éolien, loin de constituer une solution durable et rentable, suscite une opposition grandissante sur notre territoire ?

En second lieu, je voudrais aborder avec vous le projet d'usine de recyclage de batteries à Dunkerque qui, comme vous le savez, a récemment été suspendu. Ce projet est censé s'inscrire dans votre stratégie nationale de développement des filières industrielles vertes et, pour autant, cruciales, notamment en termes d'emploi dans un bassin géographique déjà durement touché par la désindustrialisation. La France, qui ambitionne de devenir un leader dans le domaine de l'économie circulaire et de la production de technologies vertes, ne peut pas se permettre de voir des projets aussi stratégiques retardés ou bloqués, alors même que nos concurrents étrangers, y compris européens, avancent à grands pas. Pouvez-vous nous expliquer les raisons exactes de cette suspension ? Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à la reprise rapide de ce projet ? Comment comptez-vous rassurer les acteurs économiques et les industriels face à cette incertitude et éviter que ces projets cruciaux en termes d'emploi ne subissent des retards qui pourraient nuire à notre compétitivité sur la scène internationale ?

M. Saïd Omar Oili. - Les événements survenus en Espagne dans l'agglomération de Valence soulignent l'importance de deux volets de la politique publique face aux conséquences de réchauffement climatique : d'une part, la nécessité de la prévention ainsi que de l'information des populations et, d'autre part, l'impératif d'une bonne préparation de gestion des risques avec les citoyens. Ces deux éléments ont une acuité accrue dans les territoires d'outre-mer, en raison des moyens limités sur place, de l'éloignement géographique et de leur caractère insulaire - à l'exception de la Guyane. Toutes les études et les observations démontrent aujourd'hui que nos territoires sont fortement percutés par le changement climatique : en témoignent les cyclones plus intenses, comme aux Antilles et dans l'océan Indien, et la crise de l'eau à Mayotte. S'y ajoutent les surcrises en cas d'événements sismovolcaniques. L'éruption de la Soufrière en Guadeloupe en 1976 a duré près de deux années, pendant lesquelles l'île a en plus subi un cyclone. À la suite de cet événement majeur, Haroun Tazieff avait été nommé secrétaire d'État chargé de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs en 1984. Aujourd'hui, dans nos territoires ultramarins qui subissent de très forts changements climatiques, l'administration de l'État doit, comme dans les années 1980, s'adapter et intégrer cette augmentation des risques et des crises. Or je reste interrogatif quand je regarde l'organigramme de la direction générale des risques : seule une petite mission est dédiée aux risques dans les outre-mer. Madame la ministre, ma question est très simple : votre administration est-elle préparée face aux enjeux majeurs liés au changement climatique dans les territoires ultramarins ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. -Madame la sénatrice Bonnefoy, je rejoins votre propos : il faut être très précautionneux sur le ZAN. La raison est assez simple et je l'observe concrètement, par exemple, dans le Pas-de-Calais : lorsque vous prenez de la hauteur sur ce territoire, vous voyez à quel point les inondations sont aussi liées à des phénomènes de ruissellement, à la fois sur des zones qui sont artificialisées et sur certaines terres où le ruissellement est particulièrement intense, ce qui soulève également la question de la conservation et de l'entretien des sols.

Il y a donc vraiment une nécessité de retravailler sur l'aménagement. À cet égard le Premier ministre, dans une très jolie formule, a indiqué qu'il fallait se demander comment " ménager " la nature de façon à ce qu'elle ne reprenne pas ses droits. Ce qui est très frappant dans un certain nombre de cas d'inondations - et tel est le cas à Valence - c'est que les fleuves retrouvent leur cours historique, ce qui peut entraîner des événements tout à fait effrayants. Je ne vous apprends rien en soulignant que c'est donc un travail qu'il faut reprendre car ce n'est pas la même chose quand un drame arrive une fois tous les 100 ans ou tous les 5 ans. Il faut avoir en tête que le Pas-de-Calais, d'après le rapport d'inspection, a été frappé par l'équivalent de 1,5 fois la crue centennale. Nos référentiels de crues centennales, cinquantennales ou décennales ont donc explosé : l'Ardèche a subi une année de précipitations en 48 heures et Valence six mois de précipitations en quatre heures. La science nous apprend également que les solutions fondées sur la nature sont les plus efficaces. Nous allons recalibrer notre action et je pense qu'il faut tirer très froidement et très cliniquement les enseignements de ces différents épisodes ainsi que des retours d'expérience pour pouvoir agir dans l'aménagement futur et accompagner l'existant. Le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) m'a par exemple indiqué, en substance, qu'un quartier de Cannes est situé dans un endroit surveillé au titre du risque inondation depuis 200 ans, les décisions prises ne datent donc pas de la semaine dernière. J'entends parfaitement ses propos : il faut à la fois gérer les risques historiques et accompagner l'évolution des risques. Vous connaissez, à cet égard, le rôle du fonds Barnier : par exemple, dans le Pas-de-Calais, à un certain moment, on reconnaît qu'à certains endroits il n'est plus légitime d'habiter car on s'expose à un rythme tellement resserré d'inondations que cela devient invivable. On propose alors aux habitants de prendre en charge leur maison - dont la valeur s'effondre - et de les reloger ailleurs. Il y a eu une soixantaine de cas de cette nature suite aux inondations du Pas-de-Calais, c'est une des actions du fonds Barnier.

Il faut donc, comme vous l'indiquez, faire attention à l'artificialisation, ce qui ne veut pas dire, dans le même temps, qu'il faut adopter un comportement normatif, standard, descendant et vertical. Une telle attitude est contestée sur le terrain et beaucoup d'élus me disent qu'ils souhaitent qu'on tienne compte des efforts qu'ils ont consentis. Ceux qui ont des projets voudraient qu'on les examine sur une maille un peu plus large que certaines parties de leurs communes. Je pense donc qu'il faut trouver un juste équilibre en maintenant l'objectif global de diminution de l'artificialisation, tout en aménageant des souplesses pour agir intelligemment. Je sais que mon prédécesseur y a travaillé et j'ai beaucoup de remontées de terrain à ce sujet : on m'expose des situations où je comprends la colère des maires et, inversement, on me présente des cas où je n'ai pas du tout envie d'artificialiser, pour des raisons objectives de protection des populations et de prévention des risques.

J'ajoute qu'il faut également renaturer : c'est un autre levier de prévention des inondations. La renaturation donne des résultats assez intéressants : on n'arrive pas à chiffrer le retour sur investissement parce que les bénéfices sont extra-financiers et sans lien direct avec des activités économiques. Cependant, en termes de risques évités, de capacité d'absorption ou de résilience d'un territoire, de qualité du cadre de vie ou encore de santé, les retombées de la renaturation sont assez évidentes. Il faut donc s'équiper et s'outiller pour renaturer de la manière la plus scientifique, rationnelle, professionnelle et sérieuse possible, si je peux utiliser ce terme.

Madame la sénatrice de Cidrac, s'agissant du plastique, je rappelle que deux solutions ont été évoquées ces dernières années. La première - historiquement - c'est la consigne plastique et la deuxième serait de mettre en place un bonus-malus. Je rappelle que nous sommes le vingt-sixième pays européen sur 27 en termes de collecte et de recyclage : c'est inacceptable. Je note que les performances sont très différentes d'une région à l'autre : de mémoire, le taux de recyclage est supérieur à 70% en Bretagne et aux alentours de 30% en Île-de-France ainsi qu'en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). La question posée est de savoir comment atteindre notre objectif de 80% en 2026. Pour ce faire, on va se nourrir de tous les travaux récents sur le sujet qui révèlent clairement une préférence exprimée par les territoires en faveur du système du bonus-malus et une inquiétude sur les conséquences d'un éventuel échec si on n'atteint pas l'objectif fixé. Je rappelle que notre performance insuffisante en matière de recyclage nous coûte 1,5 milliard d'euros, ce qui est problématique au plan budgétaire.

Mme Marta de Cidrac. - Permettez-moi de rebondir sur votre réponse. Je sais que vous regardez ce sujet de près et je vous en remercie. Toutefois, je me permets d'insister puisque les objectifs que vous évoquez portent sur les plastiques en général. Or, la consigne dont nous parlons concerne les PET (polyéthylène téréphtalate), à savoir un type de plastique un peu particulier. Il faut conserver en mémoire cette précision et n'hésitez pas à vous inspirer des solutions que nous vous proposons dans le rapport d'information qui a été fait en 2023 : je ne prétends pas que nos préconisations vont apporter une solution simple et immédiate mais elles nous permettraient, en tout cas, de nous inscrire dans une trajectoire qui, je pense, portera ses fruits. Nous sommes un petit peu insistants, au Sénat, sur ce point, mais comprenez aussi que la gestion des déchets est une tâche ardue.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - S'agissant du rapport des inspections sur la responsabilité élargie des producteurs (REP), nous sommes assez en ligne avec une partie du diagnostic qu'il établit, notamment sur les moyens et l'insatisfaction relative qu'on peut avoir sur l'efficacité de ces systèmes. Je suis en revanche plus réservée sur le fait de mettre en place une autorité administrative indépendante, l'objectif final est de créer des moyens ainsi que des compétences supplémentaires, auquel cas rien n'empêche de le faire dans l'administration. À mon avis, il faut interpréter cet aspect du rapport comme une façon d'exprimer un besoin de compétences et de ressources en les mobilisant à un seul endroit. Telle est la piste qu'il convient de privilégier car je ne pense pas - et le rapport ne dit pas l'inverse - que ce soit le statut des personnes qui explique le défaut de résultat satisfaisant. Ce n'est pas la nature administrative de leur rattachement mais bien le manque de compétences et de moyens qui est en cause.

S'agissant, monsieur le sénateur Fagnen, de l'hydrolien, je rappelle que j'avais soutenu une des premières initiatives dans ce domaine : il s'agit du projet FloWatt de ferme hydrolienne d'une puissance de 17,5 mégawatts dans le Raz Blanchard, au large de la Normandie, porté par le chantier naval des Constructions mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg. Cette installation doit être mise en service en 2026 et j'ai pris la décision de la soutenir financièrement en 2022-2023. Au regard de ces 17,5 mégawatts, vous voyez que l'objectif de 250 mégawatts à l'horizon 2030 n'est pas complètement absurde. Nous avons inscrit cette cible car aujourd'hui on n'a pas encore, dans l'hydrolien, de technologie qui soit établie à un prix totalement robuste. Je ne préciserai pas les conditions de financement négociées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), mais disons qu'on se situe encore dans une technologie en recherche de maturité et d'industrialisation. Elle est cependant prometteuse et c'est ce qui nous a conduits à la financer : il y a, en général, une courbe d'apprentissage et de convergence industrielle qui nous amène à penser que cette filière pourra atteindre un niveau de prix de production de l'électricité conforme à nos objectifs de décarbonation et de compétitivité-prix. C'est pourquoi nous avons pris le risque d'accompagner cette installation et nous financerons au cas par cas les projets de cette nature dans les années qui viennent, comme on l'a fait il y a quelques années pour d'autres technologies. Il y a 20 ans, les éoliennes ont été développées avec des prix d'accompagnement assez élevés avant de progresser énormément dans la réduction des coûts. C'est aujourd'hui une trajectoire similaire que nous envisageons pour l'hydrolien et Olga Givernet est à votre disposition pour en discuter ; la vision que nous portons toutes deux de la transition énergétique est de coupler industrie et décarbonation : derrière chaque technologie, on cherche à avoir la filière la plus solide possible dès son lancement. Ensuite, on doit faire preuve de continuité, de consistance et de cohérence dans la durée, ce qui n'est pas toujours évident.

La sénatrice Valente Le Hir m'a interrogé sur la fast-fashion. Nous lançons la consultation sur l'étiquetage environnemental dans le textile avec des propositions : par exemple, faut-il indiquer le nombre de tonnes de CO2 émises pour fabriquer un vêtement ? Nous nous demandons s'il est préférable de rapporter les émissions au kilogramme de vêtements ou d'établir des comparaisons entre des vêtements de même nature, si tant est que la production d'un manteau diffère de celle d'un t-shirt. Le choix est également proposé entre l'affichage d'une performance brute ou d'une performance relative matérialisée par un visuel vert, orange ou rouge : nous sommes plutôt favorables à la première solution qui préciserait la quantité de CO2 générée par tel ou tel vêtement car vous composez votre garde-robe avec certains vêtements que vous allez garder 10 ans et d'autres moins longtemps ; il est donc opportun de pouvoir comparer des vêtements fast-fashion avec ceux qui sont plus durables. L'idée est d'introduire de la pédagogie dans le choix des consommateurs et surtout de faciliter leur accès à l'information. La proposition de loi sénatoriale s'appuie sur un tel affichage : c'est une première étape importante et nous soutenons plutôt le principe qui sous-tend ce texte mais il comporte un problème d'articulation avec le droit européen, ce qui ne vous a sans doute pas échappé.

S'agissant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), le groupe de travail qui a été mentionné précédemment a abordé la question des installations d'énergies renouvelables terrestres et de l'Ifer : c'est donc l'instance adéquate pour prolonger la discussion. Je pense que vous pouvez assez aisément déduire les propositions qui avaient été faites en vous référant à la composition du groupe de travail, qui a réuni des parlementaires ainsi que des élus locaux. La région est a priori plutôt en charge des sujets énergétiques et de développement économique et pourrait à ce titre percevoir l'Ifer. Cependant, selon les remontées des discussions au sein de ce groupe de travail, le lien entre région et Ifer n'est pas suffisant. En revanche, il a été suggéré que le bloc communal pouvait être plus légitime pour percevoir l'Ifer, tandis que le lien entre Ifer et département apparaît plus ténu. Les travaux en sont restés là, l'État s'étant limité à un rôle d'observateur et de facilitateur dans ce groupe de travail réunissant des collectivités locales et traitant de sujets portés par les parlementaires. En conséquence, je vous invite à solliciter ma ministre déléguée pour reprendre ces travaux parce que d'une manière ou d'une autre, les sujets traités vont revenir et il est préférable de les anticiper. En effet, la production d'énergie renouvelable va augmenter et donc le potentiel fiscal lié à ces énergies renouvelables devrait susciter beaucoup d'intérêt, notamment au niveau des collectivités locales.

Vous avez mentionné les oppositions aux éoliennes : elles sont bien réelles mais, lorsque j'avais en charge ce portefeuille en tant que ministre de l'énergie, j'ai été frappée de recevoir beaucoup plus de courriers qui revendiquaient une accélération de l'instruction des dossiers d'éoliennes par mes services que de courriers qui demandaient l'arrêt de projets d'éoliennes : statistiquement, je pense le ratio était de cinq contre un. N'oublions donc pas les projets d'éoliennes qui sont les bienvenus mais dont on n'entend pas parler parce qu'ils sont bien montés avec le soutien des collectivités locales et une concertation avec les citoyens. Comme dans tous les domaines, il y a projet et projet...

S'agissant du projet de recyclage des batteries à Dunkerque, j'ai un peu sursauté en entendant vos propos, et j'espère qu'il en va de même pour le sénateur Dhersin : en effet, il me semble qu'on est tout de même dans une logique de réindustrialisation à Dunkerque. Notre problème est de savoir comment accueillir les futurs emplois que nous sommes en train de créer et nous avons des sueurs froides sur l'aménagement du territoire, le logement, les parkings et les mobilités. Nous sommes donc bien loin d'être dans un moment de désindustrialisation massive et je parle sous le contrôle des experts ainsi que des territoriaux.

Deuxièmement, on observe, dans l'ensemble de l'Europe, un moment de temporisation sur les projets de batteries électriques : il en va ainsi en Allemagne ainsi qu'en Suède où Northvolt a très clairement annoncé des arrêts de construction d'usines. Ce phénomène est lié, d'une part, à la montée en charge de la production de voitures électriques et, d'autre part, à des politiques globales, notamment en Allemagne qui est un grand pays producteur mais aussi consommateur de voitures : c'est le pays le plus peuplé de l'Union européenne et il a revu drastiquement à la baisse ses aides à l'achat de voitures électriques, ce qui, au niveau du marché allemand, a créé un gros trou d'air. Ce n'est pas du tout un reproche mais un constat car tous les pays ont des problèmes budgétaires et effectuent des choix.

S'ajoute l'incidence de la concurrence étrangère sur la production, puisque les chaînes de fabrication intègrent batterie et montage : c'est d'ailleurs ce qui a amené la Commission européenne à rehausser son niveau d'exigence sur la concurrence déloyale. Ma conviction est donc qu'il est absolument nécessaire de resserrer les rangs et d'avoir le plus de cohérence possible, à la fois sur l'offre et la demande. Peut-être faudra-t-il revoir légèrement à la baisse le calendrier et le déploiement de la production mais l'essentiel est de s'assurer qu'on protège nos industries de façon logique et justifiée car la France produit des batteries électriques en utilisant une électricité à 90% décarbonée : seuls trois pays peuvent réaliser une telle performance - la Finlande, la Suède et la France - et cet atout doit être valorisé. Il me paraît très important de pouvoir à l'échelle européenne, revendiquer cette performance environnementale, ce qui suppose qu'un certain nombre de contraintes environnementales soient imposées à nos entreprises. Celles-ci ne doivent pas être confrontées à une concurrence qui n'est pas soumise aux mêmes exigences, sans quoi cela soulève un problème de cohérence collective, je pense que ce sujet est maintenant bien compris au niveau européen. Encore faut-il mettre en oeuvre les outils avec la rapidité d'exécution adéquate sur ce sujet de commerce international, où il est normal de constater des rapports de force entre les pays.

En ce qui concerne les outre-mer, je vous rassure : ce n'est pas parce que mon ministère abrite un bureau ou une cellule spécifiquement dédiée aux outre-mer que tous les autres services ne s'occupent pas de ces territoires. Par principe, il est tenu compte des spécificités ultramarines mais l'outre-mer est en soi un territoire qui doit bénéficier des prestations de l'ensemble de l'administration ; ainsi toute la direction générale de la prévention des risques (DGPR) a vocation à travailler aussi bien pour l'Hexagone que pour les outre-mer. Parmi les principaux risques ultramarins qui sont aujourd'hui couverts et sur lesquels on travaille, je citerai d'abord le risque sismique via le plan séisme Antilles (PSA), qui occupe la deuxième place en termes de mobilisation du fonds Barnier, derrière le risque inondation. Nous approfondissons ce sujet sismique pour nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique et faire le lien avec le risque de submersion marine. Nous travaillons également sur les risques cycloniques. Je souligne d'ailleurs qu'en termes de culture du risque, les outre-mer ont des choses à apprendre à l'Hexagone, car les ultramarins sont extrêmement bien formés à la gestion d'un épisode cyclonique : les habitants ainsi que les enfants savent comment se comporter et les réflexes de base sont en place. Nous devons ainsi adapter ce schéma à l'Hexagone.

Avec mon collègue, le ministre chargé des outre-mer François-Noël Buffet, nous souhaitons également élaborer un plan spécifique couvrant tous les enjeux. Pour ma part, je gère des compartiments d'un tel plan sur des sujets absolument majeurs puisque les outre-mer connaissent des problèmes d'eau, d'assainissement, de déchets et de fourniture d'électricité à des niveaux de gravité inacceptables pour la France. Ces quatre difficultés doivent être prises en compte en plus de la gestion des risques : cela fait partie de la feuille de route portée conjointement avec mon collègue et je l'ai assuré de toute ma disponibilité pour réexaminer systématiquement ces points dans chacun des territoires ultramarins. J'ai mentionné le plan eau à Mayotte et je souligne que la Guyane subit des difficultés de salinisation de l'eau avec des biseaux salins qui remontent à certains moments de l'année. S'ajoutent aux problèmes de qualité de l'eau les difficultés portant sur les déchets avec des maladies imputables à des décharges sauvages mal traitées. Nous considérons que tous ces sujets ultramarins sont des priorités au même titre que les défis qui sont, sous nos yeux, à relever dans l'Hexagone.

M. Jacques Fernique. -Vous avez parlé de la réduction des dépenses brunes, ce PLF pour 2025 s'apprête ainsi à actionner un peu plus le malus automobile pour favoriser les véhicules sobres, peu émetteurs et plus légers. On connaît, à ce sujet -, et on l'a vu en allant au salon international de l'automobile - l'opposition et l'intense pression, un peu à courte vue, de certains acteurs. On retrouve d'ailleurs les mêmes réflexes de refus vis-à-vis d'autres dispositifs de ce PLF qui accentuent un peu la sortie des fossiles. Le Gouvernement est-il déterminé à maintenir cette mesure - d'autant qu'à mon sens il faudra être plus impactant - ou se prépare-t-il à reculer ?

S'agissant du dégonflement des aides à l'électromobilité, comme vous l'avez indiqué, l'enveloppe consacrée à l'électrification des véhicules perd de la consistance. Si j'ai bien compris, c'est la prime à la conversion qui paraît la plus compromise. Pourtant, le bilan environnemental positif de cette prime est avéré, avec 45 000 bénéficiaires auxquels elle a apporté des solutions de mobilité en 2023. Je voulais vous rendre attentive au fait que si cette prime devait s'étioler, le dégât collatéral serait l'impossibilité de mettre en oeuvre la loi n° 2024-310 du 5 avril 2024 visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires. C'est une raison de plus pour maintenir la prime à la conversion.

Vous avez déjà fait allusion aux négociations en Corée du Sud sur le plastique et vous avez de nouveau évoqué ce sujet en répondant à une question de notre vice-présidente Marta de Cidrac. Vous avez également rappelé la pénalité fondée sur notre part insuffisante d'emballages plastiques non recyclés, qui ajoute 1,5 milliard d'euros à notre contribution européenne. Nous sommes les tristes champions européens en la matière, il faut noter que la situation s'aggrave depuis 2021 : la part des plastiques non recyclés dans notre pays augmente de façon continue. Plutôt que de faire peser la charge de cette défaillance sur les contribuables et aussi, tout particulièrement, sur les collectivités qui paient lourdement la gestion des déchets de ces plastiques, n'est-il pas temps de mettre en place une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) amont, notamment sur les plastiques qui n'entrent dans aucune filière REP ? En effet, comme vous l'avez indiqué, sur le plastique, c'est d'abord à la racine et en amont qu'il faut agir.

Enfin, en ce qui concerne le site souterrain de déchets toxiques Stocamine en Alsace, le Sénat a envoyé l'an passé un message très clair lors de l'examen du PLF pour 2024 en adoptant deux amendements de ma collègue Sabine Drexler en faveur d'un déstockage des déchets toxiques. La semaine dernière, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté un amendement transpartisan porté par quatre députés alsaciens qui prévoient d'allouer 31 millions d'euros pour financer ce déstockage. Votre Gouvernement va-t-il évoluer sur ce point ou va-t-il maintenir avec obstination la position qui date du ministère Barbara Pompili ? Allez-vous intégrer au budget pour 2025 les amendements favorables au déstockage, conformément à la volonté exprimée par les deux chambres ?

M. Hervé Gillé.- Il faut faire attention aujourd'hui à ne pas cultiver un paradoxe ou une ambiguïté dans ce projet de loi de finances. Vous avez précisé les enjeux financiers en indiquant que la prévention présente une forte efficacité budgétaire. Or le fonds Barnier finance principalement la prévention et cette dernière est donc, en définitive, un peu sacrifiée, malgré tout, dans ce budget. Vous voyez donc là qu'il y a une forme de paradoxe. Certes, vous répondez que le budget augmente de 75 millions d'euros mais, comme cela a été dit, le prélèvement sur la surprime catastrophes naturelles devrait dégager 450 millions d'euros de recettes. On voit bien que ce n'est pas une bonne politique - de supprimer ces fonds qui interviennent dans la prévention et bien sûr dans l'investissement de protection, notamment à travers les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) ainsi que dans le cadre de l'exercice de la compétence gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Or, madame la ministre, vous constatez qu'il y a beaucoup de retard dans ce domaine car il est très complexe, par exemple, aujourd'hui, pour les collectivités compétentes, de mettre en place des systèmes d'endiguement. Je rappelle qu'un kilomètre de digue coûte un million d'euros, le fonds Barnier ne suffit pas pour mobiliser les sommes nécessaires. De plus, il faut revoir le modèle économique de la Gemapi sur ce qu'on appelle les enjeux majeurs. Telle est aujourd'hui la situation, avec des cabinets d'études qui sont le dos au mur et n'arrivent plus à répondre à la demande, des délais qui sont en train de s'étirer et des élus qui sont en train de s'épuiser sur le sujet. Il faut donc s'activer et cela nous ramène encore à la mobilisation du fonds Barnier.

Par ailleurs, vous avez mentionné une diminution de 5,8% de nos émissions de gaz à effet de serre : très bien, mais, là aussi, attention à l'ambiguïté car nous sortons d'une année particulièrement douce avec peu de consommation d'énergie et c'est donc bien la trajectoire pluriannuelle qu'il faut examiner - au demeurant cette dernière n'est pas si mauvaise que ça.

Je terminerai sur l'ambiguïté budgétaire à propos de MaPrimeRénov'. Vous l'avez expliqué, et j'ai bien écouté votre interview sur France Inter dans laquelle vous avez repris l'argument selon lequel on n'a pas besoin de maximiser l'inscription budgétaire initiale parce qu'on a sous-consommé les crédits de l'année précédente. Mais il faut s'interroger sur les raisons de cette sous-consommation : c'est peut-être parce que la demande n'était pas au rendez-vous mais c'est surtout parce qu'il y a une complexité dénoncée par tous les acteurs, avec des normes qui évoluent en permanence. J'espère que cette forme de sous-consommation n'est pas cultivée au niveau du Gouvernement, mais tout le monde constate aujourd'hui la complexité de l'accès aux différentes aides et du système dans son ensemble qui alimente une sous-consommation des crédits. J'aimerais bien avoir votre avis sur ce sujet.

M. Franck Dhersin. - Les entreprises, notamment industrielles, ont vraiment besoin de visibilité sur les prix de l'énergie. Je parle évidemment en connaissance de cause depuis mon territoire dunkerquois où le prix de l'électricité est absolument déterminant pour les industries électro-intensives. La fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) est donc un facteur d'incertitude pour nos entreprises. Le Gouvernement et EDF avaient passé un accord en novembre 2023 au sujet de la régulation du nucléaire post-Arenh. Cet accord portait sur 100% de la capacité nucléaire et prévoyait un prix de 70 euros par mégawattheure. Le Gouvernement a tenté d'introduire ce mécanisme, si j'ai bien compris, à l'article 4 du projet de loi de finances, ce qui me semble un peu baroque tant ce sujet mérite, à mon sens, un véhicule législatif à part entière, avec un débat plus long et plus structuré. Nous entendons certains bruits laissant penser qu'à la faveur de la baisse des prix de l'électricité, le Gouvernement souhaiterait réviser certaines modalités de cet accord, à commencer par le fameux prix de 70 euros le mégawattheure. Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement sur ce sujet et revenir sur les grandes lignes de cet accord, notamment les mécanismes de taxation par l'État en cas de prix de vente élevé ?

Mme Audrey Bélim. - La stratégie nationale pour la biodiversité, qui prévoit que 10% du territoire national soit sous protection forte d'ici 2030 et que 100% des récifs coralliens ultramarins soient protégés d'ici l'an prochain, voit ses crédits divisés par deux. Comment allons-nous faire plus avec moins ? On entend souvent dire que les outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité de la France mais nous sommes loin de concentrer 80% des financements publics ! Que pensez-vous d'une réallocation des dépenses en se basant sur le nombre gigantesque d'essences d'arbres et d'espèces animales ou végétales qu'abritent nos territoires ? Je tiens à rappeler que lorsque nous protégeons le Pétrel de Barau - qui fait partie des espèces menacées - c'est parce que les Réunionnaises et les Réunionnais ont conscience que si cet oiseau marin disparaît de La Réunion, il disparaîtra de la planète toute entière.

Madame la ministre, il est vrai que des financements européens existent et peuvent être alloués à nos projets. Cependant, les fonds nationaux sont trop faibles pour le fonctionnement habituel des structures comme le parc national, l'office national des forêts (ONF) ou encore la réserve marine. Nous avons besoin de pérenniser les dotations de ces grands établissements publics ou encore de ces associations de protection de la biodiversité. Leur action participe à limiter les effets des changements climatiques, et je rappelle que moins de biodiversité, c'est moins d'air et moins d'eau de bonne qualité. J'ajoute que la moitié du patrimoine végétal de La Réunion est aujourd'hui valorisé dans la médecine ou les cosmétiques. Que pouvez-vous nous proposer pour faire face à ces réalités et lutter contre les menaces qui pèsent sur cette biodiversité ?

Par ailleurs, le Gouvernement avait oublié les outre-mer lors de la mise en oeuvre du leasing social sur les véhicules électriques et il s'était engagé à y remédier pour 2025. Pouvez-vous nous confirmer cet engagement ? Ne faudrait-il pas finalement prévoir un quota particulier pour les outre-mer afin de compenser l'oubli en 2024 ? Je vous rappelle que les acteurs s'étaient déjà mobilisés sur place avant que l'on stoppe ce dispositif pour les outre-mer. Encore une fois, la transition du parc automobile vers l'électrique suppose également de nous confronter urgemment au problème des déchets de batterie électrique et je m'inquiète des conditions actuelles de leur stockage sur nos territoires.

Je souligne également que nous nous félicitons d'avoir réussi la transformation de nos usines de production d'énergie mais le sujet de la souveraineté énergétique reste tout de même posé et il est important qu'on nous accompagne dans ce domaine. Il est vrai que notre production ne se concentre plus que sur de l'énergie fossile, mais, pour fabriquer des biocarburants, la graine de colza ne pousse pas à La Réunion et les pellets de bois viennent du Canada. Il faut donc réellement soutenir nos efforts et pousser la réflexion pour aller vers la souveraineté énergétique. Je rappelle à ce sujet le récent conflit social intervenu dans les centrales électriques alimentées par de biomasse d'Albioma et qui a impacté la production d'énergie sur différents territoires ultramarins.

M. Michaël Weber. - Madame la ministre, nous vous écoutons attentivement depuis le début de cette intervention et avant d'aborder des sujets budgétaires très précis, j'indique qu'on a un peu le sentiment qu'il y a vraiment un décalage entre l'ambition que vous affichez - qui semble sincère - et les moyens à votre disposition pour relever ces défis immenses.

Je voudrais, tout d'abord, rebondir sur deux sujets que vous avez évoqués. Le premier est celui de l'objectif de 30% d'aires protégées, dont 10% de zones de protection forte. Outre le fait qu'on n'atteint pas ces 10%, je souligne le déséquilibre territorial existant. Vous savez très bien que sur les aires marines ou les territoires d'outre-mer, on atteint des taux de protection forte importants mais, en France métropolitaine, il y a des secteurs avec très peu de protection forte. De surcroît, tout cela est inefficace s'il n'y a pas de lien entre les zones de protection forte car si l'on veut aider les espèces et les essences à survivre au changement climatique, il faut absolument aménager des corridors entre ces différentes zones de protection. De ce point de vue, non seulement vous n'atteignez pas le niveau qui était indiqué ou espéré, même si on peut discuter des chiffres, mais, de surcroît, il subsiste un vrai déséquilibre.

Mon second sujet prolonge les propos tenus par Hervé Gillé et qui me semblent importants. Vous avez parlé des 6 milliards d'euros liés aux certificats d'économie d'énergie (CEE) : ce ne sont pas des fonds publics et il s'agit effectivement d'un dispositif extrêmement intéressant. Mais aujourd'hui, dans l'ensemble, les acteurs sont très insatisfaits de l'utilisation de ces fonds - c'est ce que l'on entend sur le terrain - pour les raisons suivantes : la modification des règles du jeu de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), le fait qu'on n'utilise pas totalement la prime rénovation, la question du ratio entre le coût d'investissement et le coût de l'énergie économisée et, enfin, la fraude qui met à mal ces dispositifs.

Je souhaitais enfin rebondir sur deux propos que vous avez eus tout à l'heure en apportant des précisions importantes.

Sur le fond, je vous ai entendue lors de votre passation de pouvoir, insister sur la question de l'adaptation au changement climatique et vous avez parlé du réchauffement de 4°. Vous venez d'essayer de nous convaincre en expliquant que le chiffre à retenir n'est pas exactement celui de 4° mais, pour ma part, je m'interroge. Tout d'abord, quel sens cela a-t-il que l'État continue à subventionner ou à laisser faire tout ce qui engendre des atteintes au climat ? L'an dernier, lors des travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur Total, on a vu le nombre de cas où des subventions sont allouées à des investissements dans les énergies fossiles et on a constaté le défaut de sanction des banques qui financent les énergies fossiles : ce sont des sujets essentiels et je pense qu'il y a aussi des moyens peut-être financiers à mettre en oeuvre pour remédier à cette situation.

Je reviens sur le chiffre de 4° : c'est quand même un signe négatif qui est donné, y compris à nos concitoyens, qui laisse penser que finalement on n'a pas les moyens ou que les pouvoirs publics, en quelque sorte, ont renoncé à atténuer effectivement le réchauffement climatique et qu'on se limite à des mesures d'adaptation. L'adaptation pour qui ? Pas pour la biodiversité mais pour les humains. Et si on accepte cette adaptation - et peut-être même trouverait-on des solutions pour une planète qui deviendrait invivable à 4° - au final, la biodiversité, pour sa part, ne serait absolument pas protégée et, de ce point de vue, je pense qu'il y a un vrai décalage.

Pour finir, le 29 août 2023, vous étiez sur le plateau du Medef, dans le cadre de vos fonctions précédentes, et il y avait avec vous, sur ce plateau, Patrick Pouyanné et Jean Jouzel, le premier interpellant le second en mettant en avant le principe de réalité. Or je considère que la réalité c'est plutôt qu'il est assez hypocrite de prétendre s'adapter à un monde devenu invivable parce qu'on n'aura rien fait pour atténuer drastiquement le réchauffement et qu'on aura laissé la catastrophe se produire. En définitive, j'aurais tendance à vous demander si vous êtes plutôt Jean Jouzel ou Patrick Pouyanné ?

M. Alain Duffourg. - Ma question concerne la politique de l'eau. Le Premier ministre a annoncé dans son discours de politique générale une conférence nationale sur l'eau. La question de l'eau est effectivement un pilier de votre ministère et l'organisation d'une telle conférence est aujourd'hui très importante et urgente. Avez-vous madame la ministre un calendrier sur ce sujet et, notamment en matière d'irrigation agricole, pensez-vous que nous puissions améliorer et faciliter les dispositifs de mise en oeuvre des retenues collinaires ?

Ma deuxième question porte sur l'électrification rurale. Les syndicats d'énergie départementaux s'alarment de la réforme du compte d'affectation spéciale dédié au financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (CAS-Facé). En effet, le PLF pour 2025 prévoit de supprimer la contribution des gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité au CAS-Facé pour la remplacer par une fraction de l'accise sur l'électricité. Or cette réforme risque de mettre en cause le financement des syndicats d'électrification. Je souhaite connaître votre position sur ce point car ces syndicats sont aujourd'hui assez interrogatifs.

M. Pierre Jean Rochette. - J'ai deux questions sur l'article 8 du projet de loi de finances, relatif au durcissement du malus poids et du malus CO2. Je voudrais avoir votre avis sur ce point car je crains que cette mesure desserve un peu le secteur automobile français. S'agissant du malus CO2, je pense qu'il y avait, sur les émissions de grammes de CO2 par kilomètre, une anticipation faite par les industriels français d'une norme de diminution de 5 grammes de CO2 par kilomètres, nous demandons maintenant une accélération pour atteindre 7 grammes de CO2 par kilomètres. Je redoute que cela handicape un peu nos constructeurs français et il en va de même pour le durcissement du malus poids - avec un abaissement de son seuil de déclenchement. Quel est votre avis à ce sujet ?

De plus, l'enveloppe allouée au verdissement du parc est en baisse : elle passerait de 1,5 milliard d'euros à un milliard d'euros avec des changements ainsi que des suppressions d'éligibilité. Je voudrais en connaître les raisons et je me demande plus généralement si on ne devrait peut-être pas se concerter avec les constructeurs automobiles sur ces deux points.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Fernique, sur le malus automobile, deux points de vue différents se sont parmi vous exprimés, ce qui permet d'alimenter le débat. Je rappelle que le malus automobile concerne les véhicules neufs, c'est-à-dire une partie assez modeste de notre parc et de l'acquisition de véhicules puisque les Français achètent plutôt des véhicules d'occasion. De plus, le dispositif ne concerne pas les flottes automobiles, sachant que pour ces dernières, on travaille sur des avantages fiscaux incitatifs à leur électrification. Par ailleurs, le malus s'applique à tous les véhicules immatriculés en France, quel que soit leur producteur : ainsi, les véhicules produits en Chine, en Allemagne, en Espagne ou en France sont concernés. Le fait qu'aucun biais ne favorise tel ou tel site de production ou nationalité du siège social du producteur garantit la totale neutralité du dispositif selon les fabricants. Le deuxième élément est que la mesure proposée a, comme vous l'indiquez, un effet de pentification : effectivement, le malus s'accélère, mais on donne de la visibilité à trois ans, ce qui est inédit, avec l'affichage du barème pour 2025, 2026 et 2027. Je fais observer que l'enjeu, c'est bien entendu de ne pas payer le malus et plutôt d'utiliser le bonus pour acheter un véhicule électrique. Tel est bien le sens de la manoeuvre : moins l'enveloppe du malus sera mobilisée et plus nous aurons réorienté l'achat des Français vers des véhicules ayant une empreinte carbone plus faible : c'est, au fond, la bonne nouvelle. Ainsi, en accompagnement du malus il y a un bonus : c'est l'enveloppe d'électrification sur laquelle mon collègue Marc Ferracci est évidemment en contact avec les constructeurs pour en définir les éléments avec une vision industrielle. Pour avoir été ministre en charge de l'industrie et de l'énergie, je connais parfaitement ce processus qui repose sur des méthodes de concertation éprouvées. Certes nos moyens budgétaires contraints amènent à resserrer les dotations, sachant que les choses se passent en deux temps avec, d'abord, la définition de l'enveloppe et ensuite l'élaboration des critères entre le bonus, la prime à la conversion et le leasing.

J'en profite pour indiquer au passage que le leasing était parfaitement ouvert à l'outre-mer : rien n'empêchait d'en bénéficier mais vu le succès qu'a eu le leasing, au moment où des Ultramarins étaient prêts à conclure, ça ne s'est pas fait.

Mme Audrey Bélim. - En réalité, les Ultramarins n'ont pas pu bénéficier de ce dispositif auprès des concessionnaires en raison de procédures administratives impossibles dans les délais requis.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous avons eu des cas où nous aurions pu financer le leasing mais on avait épuisé l'enveloppe prévue. Je comprends que certains acteurs sont probablement partis avec un temps de retard et ont dû se structurer de façon différente en cours d'opération. Je souligne qu'il n'y a évidemment aucune différence de traitement prévue par la loi : votre formulation aurait pu être interprétée comme une exclusion des outre-mer mais ce n'est pas le cas ; c'est plutôt la mise en oeuvre pratique qui n'a pas emprunté les mêmes circuits et retardé les possibilités d'accéder au dispositif pour les Ultramarins.

Sur la prime à la conversion, je rappelle que le coût d'abattement de la tonne de CO2 est assez élevé dans ce dispositif. La prime à la conversion permet surtout de réduire les émissions de particules fines : c'est une mesure destinée à réduire la pollution de l'air plutôt que de décarbonation. En tout cas, c'est une mesure bien moins efficace en décarbonation que le bonus écologique ou le leasing pour l'achat de véhicules électriques. Dans le registre de la pollution de l'air, avec les zones à faibles émissions - mobilités (ZFE-m), vous savez comme moi qu'un certain nombre de villes ont pu améliorer la qualité de l'air et sont donc aujourd'hui hors situation de devoir exclure les véhicules classés Crit'Air 3. Aujourd'hui ce sujet concerne essentiellement les deux métropoles de Paris et Lyon qui mènent d'ailleurs une politique d'accompagnement assez importante en matière d'électrification et d'amélioration de la qualité de l'air. Vous avez par ailleurs raison d'indiquer qu'opérationnellement, la réduction de l'enveloppe consacrée à la prime à la conversion pose un problème quant à l'application de la loi sur les garages solidaires.

S'agissant du recyclage des plastiques, je prends bonne note de votre proposition d'élargissement de la TGAP.

En ce qui concerne Stocamine, la position constante - mais pas obsessionnelle - qu'a prise le Gouvernement ne se rattache pas à une question financière mais de gestion des risques. Toutes les études que nous avons pu faire réaliser sur ce sujet montrent qu'il est plus risqué de vouloir déstocker que de vouloir consolider le stockage en le protégeant. C'est un pur sujet de gestion des risques. Je sais qu'intellectuellement ça a été beaucoup discuté mais sincèrement, et vous le savez comme moi, il y a eu plusieurs analyses sur ce sujet-là qui ont montré à quel point un déstockage était dangereux. Pour ma part, je prends le dossier tel qu'il a été abondamment documenté par toute une série d'analyses qui ne sont pas politiques mais qui portent uniquement sur la gestion des risques.

S'agissant du fonds Barnier, je veux tout de même souligner que la ligne budgétaire augmente factuellement en 2025 par rapport à 2024, que vous preniez la loi finance initiale ou les crédits consommés. Cette augmentation va au-delà de l'épaisseur du trait puisqu'on passe de 225 millions d'euros à 300 millions d'euros. Si j'avais des enveloppes qui augmentent de 30 % sur toutes mes lignes budgétaires, je serais très satisfaite et j'aurais l'impression d'être en 2023. L'effort consenti en faveur du fonds Barnier est donc important et, par ailleurs, il n'épuise pas tous les crédits orientés vers l'adaptation au changement climatique puisque le Premier ministre a indiqué que le Fonds vert devait consacrer une partie importante de ses moyens à l'adaptation au changement climatique. Ce sont donc bien ces deux éléments qui sont mobilisés pour la gestion des risques.

Sur la question des Papi, des délais et du Gemapi, l'analyse que vous faites est exacte : je le constate aussi dans mon département du Pas-de-Calais qui, en quelque sorte, a un peu fait l'objet d'une expérimentation pour le compte de tous, puisqu'on a subi quatre, cinq ou six inondations successives, suivant les territoires. On a, dans ce département, des wateringues, des dispositifs mis en oeuvre au titre de la compétence Gemapi ou inscrits dans des Papi, des allocations du fonds Barnier et on a recherché comment accélérer les travaux. Il y a donc vraiment un retour d'expérience à faire et nous allons notamment nous appuyer sur le rapport de vos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux consacré aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024. S'y ajoutent le rapport d'inspection qui a été remis, le rapport du maire de Saint-Omer, François Decoster, de parangonnage qui décrit notamment les actions menées aux Pays-Bas et le retour d'expérience de 15 mois durant lesquels nous avons dû réaliser des travaux d'urgence, des travaux structurants et définir des plans tout en recherchant des financements. Tout ceci fournit des éléments très précieux pour améliorer notre stratégie sur d'autres territoires et c'est un des enjeux de l'adaptation de changement climatique. Les mêmes questions se posent pour les inondations en Seine-et-Marne et en Eure-et-Loir. Une des principales difficultés porte sur l'activation de la solidarité nationale ainsi que sur la mise en oeuvre d'une péréquation entre les territoires, car ils sont tous vulnérables et je n'en vois aucun qui n'aurait pas besoin d'utiliser ses ressources pour ses besoins propres. Telle est la limite des idées qui ont été exprimées dans le Pas-de-Calais de récupération de financement en provenance d'autres territoires.

S'agissant de la diminution de 5,8% de nos émissions de CO2, j'ai assorti mon propos d'une mise en garde en indiquant que ce chiffre - certes satisfaisant - s'inscrit néanmoins dans une trajectoire qui doit être répétée chaque année et qui devient de plus en plus difficile à respecter. J'observe cependant que, depuis 2018, les gouvernements successifs tiennent leur trajectoire carbone. Nous avons formalisé la stratégie nationale bas carbone et nous sommes en ligne avec ses exigences ; il me semble me souvenir que le Gouvernement précédent ne l'avait pas fait. Vous voyez donc qu'il y a du progrès et c'est plutôt une bonne nouvelle dont on peut se réjouir.

Sur MaPrimeRénov', cela fait plusieurs années qu'on travaille à améliorer le dispositif en changeant ses paramètres, en particulier pour faire plus de rénovations globales et pas seulement du monogeste. Ce sujet revient régulièrement dans les débats parlementaires et, en réalité, on navigue entre deux pôles : d'un côté, on cherche à aller vers la rénovation globale mais c'est compliqué et on souhaite lutter contre la fraude, ce qui implique plus de contrôles. De l'autre côté, on s'efforce de simplifier en proposant aux personnes de réaliser des travaux qu'ils comprennent bien et pour lesquels ils disposent de la trésorerie disponible : dans ce cas de figure, il ne s'agit pas de réaliser d'un seul coup une rénovation à 30 000 euros mais d'égrener des travaux successifs monogeste très simples et sans modification. Depuis 2020, nous sommes tiraillés entre ces deux pôles avec des modifications qui naviguent d'un bord à l'autre.

Le choix que nous faisons en 2025 est de ne rien changer, dans un souci de stabilisation. On reste donc dans une prédominance du monogeste mais cela rassure et nous donne le temps de retravailler le sujet. Ma collègue Valérie Létard tient beaucoup à cette démarche de stabilisation et de réexamen des offres, en temps masqué, avec la Capeb (confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) et la FFB (fédération française du bâtiment). Je précise ici que l'idée qui revient régulièrement est de mettre au point des offres couplées d'isolation et d'installation de nouveaux moyens de chauffage. Sur ces nouvelles bases, on pourrait alors modifier le dispositif, mais pas immédiatement.

Cependant, je ne peux pas vous laisser dire que notre action débouche sur un manque de projets : en effet, on a enregistré pendant certaines années 400 000 à 500 000 demandes avec des budgets à peu près au même niveau que celui qui est proposé pour 2025. L'Anah a ainsi accompli un travail gigantesque.

M. Hervé Gillé. - Je rappelle que vous avez justifié le montant inscrit dans votre budget pour 2025 en indiquant qu'on avait sous-consommé les crédits de l'année précédente.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Certes, mais j'examine les chiffres sur plusieurs années : en 2022 on en était à 1,9 milliards d'euros de crédits, 2,4 milliards en 2023 et je présente un budget qui s'établit à 2,3 milliards d'euros pour 2025. Vous voyez donc bien qu'il y a eu des moments de freinage et d'accélération mais on est plutôt en augmentation significative par rapport à 2022, sachant que ce dispositif date de 2020 et qu'antérieurement les crédits de même nature étaient bien moindres. Nous nous situons donc tendanciellement à un niveau élevé d'intervention. Cela dit, il revient à chacun de se demander quelles sont les priorités au moment où on doit recentrer nos enveloppes budgétaires et c'est une des questions qui vous sera posée au moment du budget : faut-il redéployer certaines allocations ou peut-on considérer que la copie budgétaire du Gouvernement est parfaite et mérite d'être adoptée comme telle ? C'est tout à fait possible aussi...

Monsieur le sénateur Dhersin, il est important de préciser que nous parlons non pas de toutes les entreprises industrielles mais d'environ 300 groupes français électro-intensifs : ce sont les plus gros consommateurs d'électricité et je précise qu'ils ne sont pas totalement exposés au marché car ils ont la possibilité de se sourcer à moyen terme. Parmi ces 300 entreprises je comprends que certaines, assez emblématiques sur votre territoire, ont réussi à conclure des accords qui leur convient ; d'autres en cherchent encore parce qu'à ce stade elles n'ont pas trouvé un terrain d'entente satisfaisant. En tout état de cause, ce que permet aujourd'hui l'accord conclu entre l'État et EDF, c'est d'abord un mécanisme de « refroidissement » lorsque le prix d'électricité franchit le cap de 78 euros par mégawattheure en se basant sur les prix de 2022. L'accord comporte un deuxième mécanisme de plafonnement : au-delà du seuil de 110 euros par mégawattheure - en base 2022 et en prix moyen - 90% des sommes excédentaires seront reversées aux consommateurs. Par la suite, ces variables feront l'objet d'un travail de mise à jour en fonction des coûts de production ainsi que de l'inflation. Vous savez que la CRE est associée à ces travaux et ce n'est donc pas le Gouvernement qui improvise un accord dont je précise qu'il découle du contrat initial. L'intérêt de cet accord est de prévoir un refroidissement des prix si ces derniers s'envolent, tout en permettant à un marché de moyen terme de s'installer. L'accord prévoyait une clause de revoyure à six mois qui a été reportée à un an et nous nous préparons à cette échéance. Très factuellement, ce qui nous intéresse est de savoir combien de térawattheures ont été contractés, si les conditions satisfont ou pas les intéressés, quels secteurs industriels s'y retrouvent et quels sont ceux qui pourraient ne pas s'y retrouver. Sur ces bases, et avec mes collègues Olga Givernet et Marc Ferracci qui sont à la manoeuvre en première ligne, nous allons vérifier si le mécanisme convient ou s'il faut éventuellement l'ajuster. Pour le moment, nous disposons d'un reporting assez régulier qui nous montre l'avancée des discussions en fonction des nouvelles installations et des nouveaux accords ou prises de contact : nous pourrons ainsi juger de la bonne mise en oeuvre ou pas du dispositif global. Tout le monde aura compris que l'objectif n'est pas d'enclencher une négociation de marchands de tapis où, dans une conjoncture industrielle difficile, les uns ou les autres chercheraient à tirer les marrons du feu. Il faut fonder ce mécanisme sur une réalité industrielle à base de coûts, de situation du marché et d'impératifs de compétitivité. J'invite également chacun à penser aux autres, c'est-à-dire à ceux qui ne sont pas électro-intensifs mais tout de même électro-sensibles. En effet, au-delà d'éventuelles discussions dans lesquelles on se chamaille sur 5 euros du mégawattheure, on peut, par ailleurs, réfléchir sur la fiscalité de l'électricité avec des sommes beaucoup plus importantes en jeu. Ainsi, lorsqu'on taxe les installations nucléaires de base (INB), on taxe l'électricité et cela entraîne une différence de 1 à 3 euros par mégawattheure. Je mentionne aussi le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) : tous les acteurs ne paient pas le tarif le plus élevé du Turpe, mais cela a également un impact. Il faut donc bien prendre en compte tout l'empilement des coûts et analyser ce qui dépend à 100% de l'État, d'EDF - notamment à travers sa performance industrielle - et ce qui dépend enfin d'une logique de marché. Sur ces trois paramètres, ma première préoccupation, en tant que ministre en charge avec Olga Givernet des sujets énergétiques - et encore une fois c'est elle qui est à la manoeuvre - c'est d'abord la performance d'EDF qui est déterminante pour faire baisser les coûts. Il en va de même de la performance des réseaux qui est également un facteur de baisse des coûts si on l'optimise. Telles sont les deux priorités de notre pilotage. Par ailleurs, la fiscalité est un sujet qui relève à la fois de la problématique budgétaire et de la décision collective : quels signaux doit-on, par exemple, envoyer pour arbitrer entre les prix de telle ou telle l'énergie, ou entre tel ou tel pays ? Enfin, s'agissant des conditions de marché, la bonne nouvelle est que, par rapport au moment où on a passé l'accord, les prix sont revenus dans une zone beaucoup plus acceptable. Encore une fois, je ne parle pas ici des particuliers qui bénéficient de tarifs réglementés, mais des prix de marché et ces derniers sont, pour les électro-intensifs, aujourd'hui plus compétitifs que dans d'autres pays, grâce à une taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) qui est tirée vers le bas. Ces prix sont également compétitifs, du point de vue de la fourniture d'électricité, avec les pays qui sont les plus compétitifs, à savoir l'Espagne et les pays du Nord. Le point essentiel que nous allons examiner est ici le suivant : est-on en capacité aujourd'hui en France d'acheter de l'électricité à l'horizon 2027, 2028, 2029, et donc à moyen long terme ? Y a-t-il, pour ce faire, suffisamment de volume, est-ce que ce marché commence à être animé et peut-on, sur ces bases, renforcer la compétitivité des industriels qui ont besoin de sécuriser leur approvisionnement - à deux, trois ou quatre ans - grâce à une profondeur de marché suffisante ? C'est ce défi que nous allons travailler à relever.

Madame la sénatrice Bélim, j'ai répondu rapidement à l'une de vos questions et je vous remercie d'avoir évoqué le point très précis des concessions automobiles. Ensuite, et en écho avec les interrogations du sénateur Weber, je rappelle que nous dépassons l'objectif de 30 % d'aires protégées et je précise que les aires à protection forte font l'objet d'une « ambition » et non pas d'un objectif. Autrement dit, la stratégie nationale biodiversité 2030 ne programme pas 10% d'aires à protection forte ici et maintenant ; elle invite à un travail de mise en place d'aires à protection forte dans un calendrier établi. Cela ne peut donc pas se faire du jour au lendemain et c'est assumé. Vous savez qu'un texte en cours d'élaboration vise à définir les aires à protection forte et qu'aujourd'hui nous nous situons aux alentours d'un taux de protection de 4%, avec pour objectif d'atteindre progressivement 10%.

Je rejoins votre affirmation selon laquelle on a beaucoup d'aires protégées dans les outre-mer, précisément pour la raison que vous mentionnez, à savoir que les outre-mer abritent 80% de notre biodiversité. L'enjeu est bien de protéger les réserves là où elles se trouvent : on pourrait protéger fortement un carré de Dunkerque mais j'ai peur que ce soit moins intéressant du point de vue de la biodiversité... On choisit aussi les aires de protection forte et c'est un des enjeux de la cartographie maritime que nous établissons en fonction des différents usages : certaines zones sont propices à installer des éoliennes marines et dans d'autres la biodiversité doit être protégée. Je veux vous rassurer sur les crédits alloués à ces actions : ils sont finalement plutôt stables, alors que nous espérions une hausse que nous n'avons pas obtenue. Par rapport à d'autres enveloppes, ces budgets enregistrent globalement une diminution plus réduite.

Par ailleurs, on ne mobilise pas suffisamment le programme européen de financement Life. Je suis preneuse de vos recommandations en fonction des remontées de terrain qui vous parviennent en termes de besoins d'accompagnement. Monter un dossier pour accéder aux allocations de ce programme n'est pas si simple et nous sommes prêts à vous aider ainsi qu'à mettre au point des stratégies pour prendre notre part, voire au-delà, dans ces programmes.

Sur le leasing social relatif aux véhicules électriques, j'ai bien entendu votre demande de rattrapage pour les outre-mer. De plus, s'agissant du volet énergie de votre intervention, je rappelle qu'il y a une PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie) par zone non interconnectée, et donc pour chaque outre-mer ainsi que pour la Corse : là encore, c'est un travail que nous devons poursuivre avec le ministre des outre-mer. Je note d'ailleurs qu'un certain nombre de PPE ultramarins ont pris de l'avance par rapport à la PPE hexagonale au cours des deux dernières années.

Monsieur Weber, à propos des certificats d'économie d'énergie, vous mentionnez les cas de fraude et les insatisfactions liés à certaines complexités mais il y a aussi beaucoup de gens qui sont très contents, tout de même, de ce dispositif. Un très intéressant rapport qui vient d'être remis montre justement les secteurs où cela fonctionne très bien et ceux où il y a un peu plus d'interrogations. Là aussi, la contrainte budgétaire nous oblige à mieux travailler sur la fraude, sur les fiches et peut-être faudra-t-il resserrer le type d'intervention sur certains points en l'élargissant sur d'autres. Le transport ne représente qu'un pour cent de l'utilisation des CEE alors que ce secteur génère beaucoup d'émissions de CO2 et il y a donc une forte marge de progression dans ce domaine ; c'est aujourd'hui le bâtiment qui mobilise la plus grande part de ce dispositif.

S'agissant du thème de l'adaptation à un réchauffement de 4°, je serais presque tentée de vous suggérer de faire un séminaire avec votre collègue Ronan Dantec qui est le premier à revendiquer les + 4° et qui est le premier à dire que notre décision d'adaptation à + 4° est enfin une décision digne d'un Gouvernement qui prend ses responsabilités et regarde les yeux grands ouverts la question du dérèglement climatique. Je souligne que ce réchauffement de 4° n'est pas celui de la planète ; Jean-Jouzel, que vous citez, raisonne au niveau du Giec dont le sixième rapport prévoit + 2,7° de réchauffement planétaire. La trajectoire de + 4° que nous utilisons au titre de l'adaptation en France dérive de ce + 2,7° global, compte tenu des trajectoires qui sont annoncées par le Giec. C'est donc la réalité de l'action mondiale, à date, sachant que l'Europe prévoit d'atteindre la neutralité climatique en 2050. Ainsi, vous ne pouvez pas mettre sur le même plan + 4° à l'échelle de la planète, ce qui serait effectivement un scénario épouvantable, et + 4° à l'échelle de la France qui se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale au risque de nourrir la confusion et le climatoscepticisme d'un certain nombre de personnes. Il faut donc faire attention au discours que l'on tient, d'autant que notre choix de prendre comme hypothèse + 4° a donné lieu - de mémoire de ministre depuis six ans - à un des seuls avis unanimes de la part du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Nous avons donc mené un travail sérieux, scientifique, et j'aimerais qu'on le salue en rendant hommage à ceux qui y ont contribué. Par ailleurs, la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie ont été élaborées conformément à une trajectoire de baisse des émissions de 50% à l'horizon 2030, conformément au Pacte vert européen qui est un des plus ambitieux au monde, à présent que le Royaume-Uni a baissé sa trajectoire pour la ramener au niveau européen. Vous me dites que cette trajectoire a du plomb dans l'aile mais j'affirme que nous la respectons : l'Europe baisse ses émissions de gaz à effet de serre de 8,6%. Je suis désolée de vous dire que je ne fais pas partie des oiseaux de mauvais augure mais, au contraire, de ceux qui se battent pour progresser. Les premiers ne font pas avancer le « schmilblick » : leur attitude nourrit l'anxiété dans la population et cela conduit à 'une forme de découragement, que nous constatons constamment sur le terrain. Je pense qu'il ne faut pas tenir ce discours pessimiste car la transition écologique doit être désirable et populaire. Dire qu'on va tout rater et que l'on n'est pas sur la bonne trajectoire, c'est catastrophique et ce n'est pas une façon de mobiliser les gens.

Vous me demandez si je suis plutôt Jean Jouzel ou Patrick Pouyané : dans ce débat, j'avais pris parti pour Jean Jouzel car ce dernier porte la voix du Giec, c'est-à-dire la vision scientifique. Qui plus est, ce n'est pas la vision d'un scientifique isolé puisque le rapport du Giec fait la méta-analyse de toutes les analyses disponibles dans le monde, reprend les plus sérieuses, les consolide et les met à la disposition des décideurs pour faire en sorte que chacun nous puisse nous en servir sans avoir à relire toute la documentation scientifique produite sur la planète. C'est donc un travail de consolidation qui ne prend pas parti, contrairement à ce qu'on peut entendre : c'est un travail de photographie de ce qu'on sait scientifiquement le mieux, avec un risque d'évoluer dans deux, trois ou quatre ans, parce qu'on aura des faits scientifiques complémentaires qui nous permettront d'évoluer. On ne peut donc pas être contre Jean Jouzel et on doit constater qu'il pose le problème.

Ensuite, dans l'action, je suis la ministre qui a obtenu, à la COP28, la rédaction du « transitioning away from fossil fuels » : je peux vous dire que j'ai fortement pesé dans cette rédaction qui a nécessité le rejet préalable du texte initial proposé un fameux lundi par les Émirats arabes unis. L'initiative de l'introduction de ce passage sur la transition hors des énergies fossiles dans l'accord revient peut-être à cinq ministres européens et autant de ministres extra-européens. Sans cette dizaine de personnes, cette rédaction ne figurerait pas dans le texte final. Je le dis de manière très simple mais, à titre professionnel, c'est un des sujets dont je suis assez fière.

Monsieur le sénateur Duffourg, la conférence sur l'eau sera lancée au moment de l'anniversaire de la loi sur l'eau, autour du 16 décembre prochain, avec une déclinaison territoriale qui a vocation à travailler bassin par bassin dans les mois qui suivront, plutôt au premier semestre 2025 ou jusqu'en septembre - octobre de la même année.

Ensuite, le sujet des retenues collinaires est bien sur la table, en lien avec le plan eau ainsi qu'avec tout le travail de simplification que nous avons mené face à la crise agricole : il s'agit de parvenir à être plus efficace dans les dispositifs de protection, de mise à disposition et de régulation de l'eau.

Mme Marta de Cidrac, présidente. - Madame la ministre, merci beaucoup pour ces deux heures et demie d'échanges pour une première audition dans vos nouvelles fonctions au sein du Gouvernement. On vous connaissait par le passé sur les questions d'énergie et nous sommes ravis de pouvoir continuer à travailler avec vous sur les sujets environnementaux ainsi que sur la transition écologique. Un certain nombre des questions sont restées en suspens, nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour continuer nos discussions.


Source https://www.senat.fr, le 25 novembre 2024