Déclaration de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, au Sénat le 4 février 2025.

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  • Annie Genevard - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Discussion au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (projet n° 639 [2023-2024], texte de la commission n° 251, rapport n° 250, avis nos 184 et 187).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Buis et Vincent Louault applaudissent également.)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y sommes enfin ! Plus d'un an après avoir été promis à nos agriculteurs, plus de onze mois après son dépôt en conseil des ministres, près de neuf mois après son vote en première lecture à l'Assemblée nationale, le projet de loi d'orientation agricole voit enfin s'engager son examen par le Sénat.

Il s'agit maintenant d'aller vite afin de permettre l'entrée en vigueur rapide de ce texte très attendu par le monde agricole. Il est très attendu, parce qu'il est absolument essentiel.

Dans la gigantesque tectonique des plaques qui s'est engagée dans l'ordre international, le vieux monde se meurt et emporte avec lui toutes nos certitudes : la paix, que d'aucuns croyaient perpétuellement installée en Europe, s'est fracassée sur le mur de la guerre et, tandis que la menace rampe jusqu'à nous, nos alliances d'hier paraissent plus fragiles que jamais.

Pourtant, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur où surgissent les monstres, les Français demandent les moyens de parer au vent mauvais qui souffle sur le continent.

Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, face à cette instabilité qui croît, notre priorité doit être de réancrer la France dans ce qui a été et continuera d'être le socle le plus solide et le plus fidèle de toutes les civilisations humaines : l'agriculture.

Pour qu'elle soit tout à la fois notre rempart et notre force face aux menaces qui perlent à l'horizon, il nous la faut souveraine.

Aussi, le projet de loi que vous avez désormais la responsabilité de consolider et de voter se doit d'ériger en intérêt général majeur la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture française, de la pêche et de la forêt. Il reconnaît, en outre, l'agriculture comme participant au potentiel économique de la France, constituant ainsi un intérêt fondamental de la Nation.

Il ne s'agit pas là de se payer de mots, car ce sont bien les intérêts fondamentaux – oserais-je même dire vitaux – de la Nation qui sont en cause lorsqu'il s'agit de garantir la souveraineté alimentaire et agricole.

Ces deux avancées majeures permettront, dans tous les débats à venir, que les autorités administratives ainsi que les juges prennent en compte la place particulière de notre agriculture.

Aussi est-il crucial, au titre Ier, de doter la politique en faveur de la souveraineté alimentaire de priorités et de finalités solides, ambitieuses et précises. Les débats sur ce point ont été nombreux, les propositions parfois trop bavardes. Nous devons collectivement faire preuve de pragmatisme pour que la politique de souveraineté alimentaire se concrétise avec efficacité.

L'État doit apporter un soutien ferme à nos filières, notamment les plus exposées, pour les accompagner sur le chemin de la croissance, du progrès et de la vitalité, sur le chemin de l'accroissement du potentiel agricole de notre pays pour nourrir l'ensemble de notre population et pour accroître le rayonnement de nos filières au-delà de nos frontières.

L'efficacité commande toutefois d'organiser cet effort. La programmation pluriannuelle qui avait été envisagée par l'Assemblée nationale, aussi louable soit-elle dans son principe, aurait marché sur les plates-bandes du plan national stratégique élaboré dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Elle aurait par ailleurs conduit le Gouvernement à imposer aux filières une direction trop verticale.

C'est une ligne rouge. L'avenir de nos filières se construit avant tout par et avec elles. Elles doivent déterminer souverainement leur ambition, car ce sont elles qui connaissent le mieux la réalité du terrain, ses contraintes comme ses opportunités.

C'est pourquoi je souhaite que nous fassions le pari de la confiance donnée à la profession à travers l'instauration de conférences de la souveraineté alimentaire. Celles-ci confieront aux filières le soin de définir collégialement, avec l'accompagnement de l'État, des objectifs à dix ans pour améliorer de façon substantielle le potentiel agricole de notre nation.

Des rapports d'avancement permettront aux pouvoirs publics de suivre l'état de réalisation de ces objectifs et, si nécessaire, de mettre en œuvre des mesures pour les atteindre afin d'assurer la progression de notre souveraineté alimentaire et agricole. C'est toute la portée de ces conférences.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux périls de l'époque, il faut un changement de cap. C'est désormais l'autonomie stratégique que nous visons.

Mesdames, messieurs les sénateurs, une fois jetées les fondations de cette ambition nouvelle, il faut nous saisir à bras-le-corps de ce qui constitue la clé de voûte de la reconquête de notre souveraineté alimentaire : le renouvellement des générations.

La tendance au vieillissement de la population agricole est profondément préoccupante, l'âge moyen des agriculteurs ayant augmenté de quatre ans et demi en vingt ans.

C'est pourquoi une action massive à destination de la jeunesse doit être entreprise en renforçant significativement la formation et la découverte des métiers du vivant. Il faut, là aussi, faire preuve d'ambition. Les objectifs que nous nous fixons dans le présent projet de loi sont clairs : il s'agit notamment d'augmenter de 30 % le nombre d'apprenants dans les filières agricoles et agroalimentaires d'ici à 2030. Le défi est grand, mais pleinement atteignable.

Avant d'en venir au contenu du projet de loi proprement dit, je tiens à souligner dans cet hémicycle que l'atteinte de ces objectifs dépend aussi de nous et du discours que nous véhiculons sur le monde agricole.

L'agriculture française fait face à de nombreux défis, existentiels pour certains d'entre eux, personne ne le niera, mais elle n'est pas un champ de ruines pavé de larmes et de misère comme je l'entends dire parfois.

Les problèmes existent, il n'est pas question de les nier, mais ce pessimisme effraie et décourage jusqu'à la plus solide des vocations. Pourtant, dans une période où la jeunesse est en demande de sens, les métiers du vivant en sont une source infinie, puisqu'ils répondent aux besoins vitaux de l'humanité. En outre, ils jouent un rôle central pour relever les grands défis du siècle, celui des transitions climatique et environnementale, notamment.

Aussi, chacun d'entre nous doit être en mesure de tenir un discours positif sur l'avenir de l'agriculture, pour susciter l'envie, l'engagement. Pour ce faire, deux leviers doivent être actionnés : il faut à la fois sensibiliser les jeunes et les attirer vers les métiers agricoles.

Il nous faut tout d'abord sensibiliser les jeunes, et ce dès le plus jeune âge. Tel est l'un des objets de ce projet de loi, qui prévoit la mise en place d'un programme national d'orientation et de découverte des métiers dès l'école primaire et jusqu'au lycée.

J'attire votre attention sur un point : il est nécessaire que les filles s'engagent encore davantage dans les métiers agricoles et agroalimentaires. C'est en les sensibilisant au plus tôt qu'elles parviendront à prendre leur place dans le monde agricole.

Il faut ensuite attirer les jeunes vers les métiers agricoles.

Vous avez permis, mesdames, messieurs les sénateurs, de franchir une nouvelle étape dans le renforcement de l'attractivité de l'agriculture : un volontariat agricole est désormais créé et je m'en réjouis. Il permettra aux personnes extérieures au milieu agricole de découvrir les métiers du vivant et, nous l'espérons, de susciter des vocations.

Cette politique d'attractivité s'accompagnera d'un enrichissement des formations disponibles au sein de l'enseignement agricole. Je pense bien sûr à la création du bachelor agro, dont nous ambitionnons de faire un niveau de formation de référence dans les métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire, entre le brevet de technicien supérieur (BTS) agricole et le diplôme d'ingénieur.

Il était par ailleurs indispensable de compléter les missions assignées à l'enseignement agricole afin de l'adapter aux défis de notre temps. Aux cinq missions fondamentales de l'enseignement agricole, définies dans la loi du 31 décembre 1984 portant réforme des relations entre l'État et les établissements d'enseignement agricole privés, dite loi Rocard, et dans la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, s'ajoute désormais une sixième mission : le renouvellement des générations.

À cet égard, si je comprends l'orientation que vous souhaitez donner à l'enseignement agricole, pour qu'il soit encore plus agronomique et forme davantage de chefs d'entreprise – je partage totalement cet objectif –, je regrette vivement que le volet lié aux transitions climatique et environnementale ait été supprimé du texte par la commission.

Les agriculteurs sont les premières victimes du changement climatique ; il est donc primordial que nos établissements agricoles puissent organiser des formations visant plus largement les transitions climatique et environnementale. Le texte que nous avons la responsabilité de voter doit nécessairement les intégrer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce lot de mesures en faveur de notre enseignement agricole permettra, je le pense, de renforcer l'attractivité des formations et de répondre au besoin d'adaptation aux réalités territoriales.

Si, comme je le pense, cette politique de formation nous permet d'augmenter substantiellement le nombre d'agriculteurs en devenir, il nous faut en parallèle renforcer notre politique d'installation et de transmission.

De nouveau, plutôt que de faire de grandes phrases, il faut nous fixer des objectifs chiffrés : en 2035, notre pays devra compter 400 000 exploitations et 500 000 exploitants agricoles. Vous le voyez, dans ce domaine également, notre ambition est grande.

L'atteinte de ces objectifs dépend beaucoup de la force de l'accompagnement que l'État sera en mesure d'apporter lors de l'installation ou lors de la transmission des exploitations. C'est tout le sens du diagnostic modulaire, qui, je l'espère, sera préservé. La commission des affaires économiques l'a en effet rebaptisé " diagnostic de viabilité économique et de vivabilité des projets agricoles ". Je ne vous cache pas que je m'interroge sur le mot " vivabilité " – c'est la littéraire qui s'exprime –, qui ne me semble pas suffisamment parlant pour nos agriculteurs. En outre, cette nouvelle appellation ne fait plus apparaître la notion de modularité.

Ce diagnostic va, j'en suis persuadée, devenir un outil incontournable pour les exploitants, notamment dans les périodes clés, au moment de l'installation ou de la transmission. J'ajoute que l'Assemblée nationale a beaucoup enrichi le diagnostic modulaire.

Grâce à ces diagnostics, les exploitants pourront prendre des décisions éclairées sur le pilotage de leur exploitation et asseoir leur performance économique, sociale et environnementale.

L'État continuera par ailleurs d'accompagner au mieux les agriculteurs en créant le réseau " France Services agriculture ", que vous avez renommé " France installations-transmissions ". Je regrette là aussi cette nouvelle terminologie, dont nous débattrons. France Services agriculture, je le rappelle, est un intitulé qui parle désormais à nos concitoyens et qui permettra d'attirer réellement de nouvelles personnes vers les métiers agricoles. Ce guichet unique sera le lieu de maturation des projets, que ce soit pour lancer une activité ou pour la cesser et trouver un repreneur.

Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble de ces mesures ne seront pas efficaces si nous ne renforçons pas l'attractivité des professions agricoles en sécurisant et en libérant leur exercice. Aussi, je souhaite mettre un terme à toutes les formes de stigmatisation, voire de criminalisation, de la profession, qui minent terriblement le moral de nos agriculteurs.

Les hommes et les femmes pour qui le sens d'une vie est précisément d'être connecté à la nature et à ses cycles ne peuvent décemment pas risquer des poursuites pénales pour des atteintes involontaires à l'environnement, les peines encourues allant jusqu'à l'emprisonnement.

Aussi la dépénalisation de ces actes est-elle un impératif majeur. Grâce à ce texte, nous substituerons à des sanctions pénales lourdes, résultant d'une surtransposition du droit européen, une obligation de remise en l'état, bien plus cohérente d'un point de vue humain et environnemental. Celle-ci sera assortie d'une contrepartie, un stage ou une amende, que nous déterminerons durant nos débats.

Nous devons également poursuivre le travail que j'ai entamé en matière de simplification de la vie des paysans. Car la simplification doit être le maître mot de notre politique agricole à court terme. Il s'agit de faire en sorte que les agriculteurs passent plus de temps dans leur exploitation que devant leur ordinateur.

C'est pourquoi nous créerons un régime unique de la haie. La prolifération et la complexité des réglementations en vigueur nuisent à l'objectif de protection de la biodiversité. Cette simplification suscite, je pense, un consensus transpartisan. Je compte désormais sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la graver dans le marbre.

Poursuivre l'entreprise de simplification, c'est aussi réduire les délais des recours contentieux contre les projets agricoles ou les ouvrages hydrauliques, dont les durées de traitement, de plus de cinq ans aujourd'hui, sont une source d'insécurité majeure pour nos agriculteurs. Aussi le délai contentieux sera-t-il ramené à vingt-quatre mois au maximum. La procédure, quant à elle, sera simplifiée.

Telles les principales mesures prévues dans ce texte afin de simplifier le quotidien des agriculteurs.

Enfin, la sécurisation du statut jurisprudentiel du patou est une avancée essentielle pour nos éleveurs, qui doivent lutter au quotidien face à la prédation du loup.

Vous avez souhaité enrichir les dispositions sur la protection des troupeaux en y intégrant la reconnaissance de la non-protégeabilité de certains troupeaux, notamment bovins et équins. Pour venir d'une région agricole bovine, je sais très précisément ce que recouvre la notion de non-protégeabilité.

Nous avions déjà travaillé sur ce point au niveau réglementaire et votre proposition, sur laquelle je reviendrai, car elle suppose des explications juridiques complexes, permettra de sécuriser les arrêtés en préparation. J'y suis donc favorable. Le Gouvernement avait pris des engagements à cet égard, ainsi que sur la réparation des dommages indirects liés à la prédation, dans le nouveau plan national d'actions 2024-2029 sur le loup et les activités d'élevage.

Sur la réparation, nous avançons aussi : le principe d'indemnisation est acté et les services des ministères de l'écologie et de l'agriculture travaillent à établir les grilles financières d'indemnisation. Le Gouvernement tient donc ses engagements pour accompagner nos éleveurs face à la prédation.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je ne peux pas m'abstenir d'évoquer devant vous un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l'accroissement de la place des femmes en agriculture. Leur engagement dans le monde agricole, aujourd'hui substantiel, n'est pas suffisamment reconnu, alors même que leur place est et sera centrale dans le renouvellement des générations.

L'amélioration du statut de nos agricultrices lui paraissant essentielle, le Gouvernement proposera d'amender l'article 1er du projet de loi afin d'y inscrire que l'objectif de notre politique agricole est, d'une part, de favoriser l'accès des femmes au statut de chef d'exploitation, ce statut étant plus protecteur, et, d'autre part, d'améliorer les modalités de calcul de leurs droits à la retraite afin que leur engagement soit pleinement reconnu.

Au-delà de ces grands principes, qui devront se concrétiser, cette ambition suppose d'agir dès le plus jeune âge, dans le cadre du programme national d'orientation et de découverte des métiers, et de sensibiliser les petites filles de notre pays afin qu'aucune d'entre elles ne puisse se dire : " Ça n'est pas pour moi ! "

Le bonheur que procurent les métiers du vivant et le sens qu'ils donnent doivent être accessibles à tous, sans distinction de sexe. Cette conception de l'agriculture doit pénétrer tous les esprits. C'est la raison pour laquelle les maîtres de stage et d'apprentissage seront eux aussi sensibilisés à la nécessité de recruter des filles.

L'accroissement de la place des femmes en agriculture passe non seulement par la formation, mais également par la promotion des installations féminines : il n'est pas normal que les femmes ne représentent aujourd'hui que 34% des chefs d'exploitation.

Je propose ainsi que l'accès au statut de chef d'exploitation soit facilité, que l'État se dote d'une stratégie pour lever les obstacles de toute nature aux projets d'installation des agricultrices et que le futur réseau France Services agriculture veille particulièrement à ce que les femmes, qui s'installent plus tard que les hommes, puissent bénéficier dans les faits de programmes d'accompagnement, lesquels facilitent grandement l'installation.

Une reconnaissance explicite de leur rôle dans la loi, couplée à une action forte en matière de formation et d'installation : tels sont les outils qui nous permettront d'accroître concrètement la place des femmes en agriculture, mesdames, messieurs les sénateurs.

Avec ce texte, nous semons les premières graines de la reconquête de notre souveraineté alimentaire. Elles germeront, j'en suis convaincue.

Cette entreprise immense est une nécessité pour notre pays, elle est tout autant une nécessité humaine. Car en redonnant à notre agriculture la place qui lui est due, ce sont nos agriculteurs qui retrouvent leur rang, leur dignité. Il s'agit là de la seule voie possible pour substituer au vent de colère qui s'est engouffré dans leur cœur un vent d'espoir et de foi retrouvée en l'avenir.

Alors que nous entamons plusieurs jours de débats, qui s'annoncent passionnants en votre compagnie, mesdames, messieurs les sénateurs, je forme le vœu que de notre travail commun puisse ressortir une agriculture plus forte, plus résiliente et plus souveraine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite ajouter quelques mots avant que nous n'entamions ensemble un long périple, ainsi que l'examen de multiples amendements, afin de vous donner mon sentiment sur vos interventions.

Vous avez rappelé, madame Bellamy, que ce texte était le fruit d'une volonté ministérielle autre que la mienne. Son auteur, Marc Fesneau – à tout seigneur, tout honneur ! –, a souhaité présenter ce texte à la suite des mouvements agricoles que vous connaissez, avec deux ambitions : donner un cap clair et adapter nos politiques agricoles, en particulier pour renforcer notre souveraineté alimentaire – ce sujet sera souvent évoqué au cours du débat. Je souscris à vos propos et vous en remercie, car il est bon de rappeler l'origine de ce projet de loi très attendu.

Vous avez souligné, monsieur Médevielle, que nous aurions davantage de temps pour en débattre que si nous avions procédé à son examen au mois de juin. Je vous remercie pour ce commentaire positif !

Ce texte, je le répète, est attendu par les agriculteurs. En effet, il est toujours bon de prendre son gain. Or il y a justement dans ce projet de loi des gains pour les agriculteurs ; eux-mêmes le disent !

Vous avez dit, madame Jacquemet, que des solutions concrètes étaient attendues. Il est vrai que l'article 1er pose des orientations qui n'ont pas de déclinaisons programmatiques opérationnelles. Mais il s'agit d'un projet de loi d'orientation, et il nous faut bien définir les axes de la politique que nous allons mettre en œuvre dans les années qui viennent.

Lorsque nous disons que l'agriculture est d'" intérêt général majeur " en tant qu'elle garantit « la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux », ce ne sont pas seulement des mots ! Ces termes vont en effet trouver une traduction juridique. Or, vous le savez, le monde agricole est extrêmement judiciarisé.

M. Vincent Louault. Exactement !

Mme Annie Genevard, ministre. L'introduction de ces éléments sera donc fondamentale dans les débats administratifs et juridiques qui ne manqueront pas – n'en doutons pas ! – de survenir. Vous ne devez donc pas sous-estimer la portée de cet article.

La question de l'enseignement me paraît également très importante.

L'enseignement agricole est une pépite française. Tous les pays européens ne disposent pas d'un enseignement d'une telle qualité. Ceux d'être vous qui sont des spécialistes du sujet et se penchent sur les indicateurs pourront constater que, en matière d'insertion professionnelle, l'enseignement agricole est une école de la réussite. Il faut le dire et le répéter !

Toutes les dispositions du projet de loi relatives à l'enseignement, en particulier celle relative à la création du bachelor agro, sont de nature à répondre en partie au problème de la déprise de l'emploi agricole.

Concernant l'installation et la transmission – des questions absolument fondamentales –, si le présent texte n'apporte pas de réponses à tous les enjeux, il y répond pour partie, notamment au travers de la simplification que représente l'instauration du guichet unique France Services agriculture, que vous avez renommé France installations-transmissions. Nous y reviendrons pour débattre de ce point majeur.

Lorsque j'étais députée, j'ai beaucoup travaillé sur ce projet de loi. Je tiens donc à saluer, à mon tour, le travail de la commission que vous présidez, chère Dominique Estrosi Sassone, et en particulier celui des deux rapporteurs, comme de nombreux orateurs l'ont fait, à juste titre, lors de la discussion générale.

Vos homologues députés ont également beaucoup travaillé. Pendant près de quinze jours, en séance, et, me semble-t-il, tout aussi longtemps en commission, le texte a été largement réécrit.

Il s'agit, un peu comme en archéologie, d'extraire des strates successives la substantifique moelle. Ce travail de simplification, vous l'avez fait, et je l'accomplirai aussi avec vous durant ce débat.

Le guichet unique, qu'on le nomme France Services agriculture ou France installations-transmissions, vise, au fond, une seule et même ambition : la simplification.

D'autres dispositions, elles aussi tout à fait importantes, concernent la dépénalisation des atteintes involontaires à l'environnement. Je tiens à battre en brèche une idée reçue : ce n'est pas l'agroécologie que l'on assassine, contrairement à ce que certains d'entre vous ont affirmé ! Il ne s'agit ici que d'une surtransposition du droit européen. (On opine sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Kristina Pluchet. Bien sûr !

Mme Annie Genevard, ministre. En droit européen, je le rappelle, les atteintes involontaires à l'environnement ne sont pas pénalisées. Quant à la dépénalisation prévue dans le projet de loi, elle est bornée : seules les atteintes circonstanciées sont concernées, et non les atteintes définitives, les préjudices graves et les préjudices irréparables. Il faut donc ramener les choses à leurs justes proportions. Ce point du texte n'est pas négligeable.

Sans détailler entièrement le projet de loi, je souhaite citer quelques exemples pour vous montrer qu'il a de la substance, même s'il ne contient pas tout ce que l'on peut en attendre. Vous avez en effet été nombreux à insister sur ce qui manquait dans le texte.

Pour ce qui concerne le foncier agricole, je puis vous dire, pour l'avoir souvent évoqué lorsque j'étais députée, qu'il s'agit d'un sujet en soi. L'introduire dans une loi d'orientation telle que celle-ci aurait donc été, selon moi, une erreur stratégique puisque la question essentielle du foncier aurait alors probablement été rabotée – c'est un mot de circonstance ! –, du fait de sa spécificité et de la multiplicité des thèmes que nous allons aborder.

Cette question mérite aussi d'être revisitée à l'aune d'un certain nombre d'études qui ont été faites, notamment dans mon ministère par le CGAAER, sur le poids du foncier dans la reprise agricole.

J'étais ainsi persuadée, avant de lire ce rapport, que le foncier constituait une part essentielle dans le coût d'une reprise agricole. Vous seriez surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, par les chiffres figurant dans l'analyse du CGAAER ! Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Vous avez identifié un autre manque : la question du revenu agricole, laquelle englobe trois sujets.

Le premier sujet recouvre les charges qui pèsent sur l'exploitation agricole. Mes chers amis sénateurs – j'allais dire, par réflexe " mes chers collègues "… (Sourires.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Lapsus révélateur !

Mme Annie Genevard, ministre. Quand on est parlementaire, on le demeure !

M. Cabanel a insisté sur la question du budget de l'agriculture et des moyens que l'on y consacre. Ce budget prévoit presque un demi-milliard d'euros d'allégements de charges pour les agriculteurs. Nous sommes loin de l'épaisseur du trait, vous en conviendrez !

Je puis vous dire que j'ai jalousement protégé ce demi-milliard depuis le premier jour qui a suivi la censure, car je savais ce qu'il en coûterait aux agriculteurs. Aujourd'hui encore, j'ai défendu des allégements menacés par une éventuelle censure, notamment la mesure de défiscalisation en faveur des éleveurs bovins. Et je veux remercier mes collègues de Bercy, Éric Lombard et Amélie de Montchalin, qui ont, eux aussi, protégé ces crédits, ce qui fut tout à fait déterminant.

Je veux répondre à tous ceux qui considèrent, comme M. Ravier, que la politique agricole commune et l'Union européenne sont mauvaises pour les agriculteurs, que pas un seul agriculteur ne pense comme eux !

Les agriculteurs savent ce qu'ils doivent à l'Union européenne en termes de revenus. Le premier pilier de la PAC, je le rappelle, porte notamment les mesures de soutien aux revenus des exploitants agricoles. Et il s'agit de revenus directs ! Il faut donc faire attention à ce que l'on dit.

Le deuxième sujet relatif au revenu est celui de la production.

Il faut pouvoir produire si l'on veut tirer un revenu de son exploitation, ce qui pose la question des moyens de la production agricole, c'est-à-dire la terre, l'eau et la protection des productions, qu'elles soient animales ou végétales. Ce sujet, énorme, est en partie couvert par celui de la souveraineté alimentaire.

Le troisième sujet est celui des prix.

Ne demandez pas à ce texte ce qu'il ne peut vous donner ! Tout ce qui concerne les prix agricoles relève en effet des lois Égalim. Deux textes vous seront prochainement présentés : une proposition de loi relative à la prolongation de l'application du dispositif de seuil de revente à perte de 10% (SRP+10) ; et un projet de loi que vous aurez à examiner, en vous référant aux excellents rapports sur les lois Égalim de vos collègues Mme Loisier et M. Gremillet, et des anciens députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard.

Nous allons donc travailler, sur la base de ces travaux parlementaires, à ce projet de loi, qui aura un impact direct sur les prix.

Il n'est pas possible d'introduire dans le présent projet de loi un chapitre consacré au revenu des agriculteurs parce que ce sujet est traité, à la fois, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le projet de loi de finances, les dispositifs de la PAC, la loi Égalim, une future loi foncière et une future loi sur l'eau dans l'agriculture – autre grande question.

Ne sous-estimez donc pas l'importance que nous attachons aux thèmes, nombreux, que vous avez évoqués.

Je vous remercie d'avoir abordé, au travers de vos diverses interventions, à peu près toutes les questions agricoles. Les discussions générales sont très intéressantes, car elles permettent de couvrir l'ensemble du champ d'un sujet. Je reviendrai sur vos différents propos dans la suite du débat.

Pour autant, je souhaite répondre dès à présent à votre intervention relative aux retraites agricoles, chère Pascale Gruny. Vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, et je tiens à vous en remercier publiquement.

Nous avons été très attentifs à ce que la loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses soit applicable dès le 1er janvier 2026, et nous serons vigilants sur la question des polypensionnés.

Je souhaite, pour ma part, porter une attention particulière à la question de la retraite des femmes agricultrices. Si le dossier des retraites devait être ouvert de nouveau, j'aimerais que ce point soit pris en compte et je vous invite à y apporter votre expertise, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet et M. Yves Bleunven applaudissent également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.


Source https://www.senat.fr, le 14 février 2025