Déclaration de Mme Rachida Dati, ministre de la culture, sur les ambitions initiales, les résultats obtenus et les évolutions à venir du pass Culture, au Sénat le 30 janvier 2025.

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Circonstance : Quel avenir pour le pass culture ? Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur le thème "Quel avenir pour le pass Culture ?"

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président Lafon, mesdames, messieurs les sénateurs, le groupe Union Centriste a proposé de débattre aujourd'hui de l'avenir du pass Culture, et notamment de sa part individuelle. Cette demande a fait l'unanimité au sein de votre assemblée, et je m'en suis moi-même félicitée.

Au sujet du pass Culture, beaucoup d'entre vous m'ont fait part, lors de ma première audition devant votre commission, de leur insatisfaction, voire de leurs vives critiques. Je les entends – j'en exprime d'ailleurs certaines depuis mon arrivée au ministère. Mais, comme l'a très justement rappelé M. Lafon, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Il convient de revenir à l'ambition initiale du pass Culture pour saisir tous les enjeux d'un dispositif que nous aurions bien tort de supprimer, et la manière dont il peut véritablement remplir sa mission, au service d'une culture plus démocratique.

Dès l'origine, le pass Culture a eu un double objectif : d'une part, aller chercher les jeunes les plus éloignés de la culture ; de l'autre, les inciter à diversifier leurs pratiques par la mise à disposition d'une offre qui va très au-delà de leurs habitudes et de leur univers familier.

Monsieur Lafon, vous avez qualifié le pass Culture de "totem présidentiel".

Depuis 2017, le ministère de la culture a bénéficié de plus de 1,4 milliard d'euros de crédits supplémentaires – ce n'est pas anodin ! –, précisément pour permettre au plus grand nombre de nos concitoyens d'accéder à la culture, ainsi qu'à ses métiers. Dans ce cadre, le pass Culture est conçu comme l'outil d'une politique volontariste partant à la fois des pratiques et des attentes des jeunes.

Cette ambition me semble être partagée par tous. Elle s'inscrit dans la continuité du parcours d'éducation artistique et culturelle, fondamental pour faciliter la pleine participation des jeunes à la vie culturelle, de la même manière sur l'ensemble du territoire, quels que soient leur situation ou leur milieu social.

Aujourd'hui, il convient de mesurer l'écart entre l'ambition initiale et les résultats obtenus. J'ai posé cette question dès ma prise de fonctions.

En l'état, le pass Culture n'est pas suffisamment démocratique. Sous certains aspects, il peut même alimenter la reproduction sociale.

Sur le plan quantitatif, il faut reconnaître que les résultats sont là : le volet individuel du pass Culture enregistre plus de 4 millions de bénéficiaires, soit 87 % des jeunes de 18 ans.

Pour la plupart, ces jeunes ont franchi le seuil d'une librairie pour acquérir un manga, un roman, voire le code civil, dont de nombreux achats via le pass Culture ont été relevés. Beaucoup d'autres ont acheté une place de cinéma pour aller voir le dernier Almodóvar ou un blockbuster. Au vu de ces résultats, on ne saurait parler d'échec.

Je tiens notamment à souligner le rôle des libraires, en particulier des libraires indépendants, et des cinémas d'art et d'essai, qui bénéficient de ce dispositif. Pour nombre de jeunes, ces librairies et cinémas ont été une porte d'entrée, parfois la première porte d'entrée vers le monde de la culture.

Cela étant, les écarts et les inégalités sociales demeurent très marqués. Près de neuf enfants de parents diplômés sur dix sont inscrits au pass Culture. Or la proportion tombe à moins de sept sur dix pour les enfants de parents non diplômés. La différence est tout de même notable.

Le problème réside, à l'évidence, dans la diversification des pratiques. On observe ainsi des tendances très prononcées en faveur de quelques pratiques bien identifiées : le spectacle vivant ne représente que 6 % de la consommation du pass et les musées moins de 1 %, alors qu'ils constituent l'essentiel de la dépense de la part collective. L'explication tient à un véritable déficit de médiation – cette dernière est même pour ainsi dire inexistante.

Ma première décision a été, à ce titre, de rencontrer tous les acteurs de l'éducation populaire, qui n'avaient pas été reçus au ministère depuis près de quarante ans. J'ai signé avec eux une charte assortie de moyens dignes de ce nom, afin que toutes les voies l'accès à la culture, en particulier le pass Culture, fassent l'objet d'un véritable effort de médiation.

Avec plusieurs dizaines de millions d'offres émanant de 40 000 acteurs culturels, l'application pass Culture doit être beaucoup plus éditorialisée. Sans cela, l'utilisateur s'y perd et n'y revient pas ; ou alors, il cède à la facilité et utilise la fonction recherche pour trouver ce qu'il connaît déjà. C'est le cas pour 85 % des réservations.

Je vous le confirme : la SAS pass Culture deviendra un opérateur du ministère de la culture. Nous y travaillons déjà. Pour qu'elle reste fidèle à l'esprit originel du dispositif – aller vers ceux qui en ont le plus besoin –, je lui ai demandé de mener un travail de communication et d'accompagnement renforcé, en lien avec les missions locales et les animateurs de quartier, mais aussi les foyers ruraux, pour toucher tous les jeunes, notamment ceux qui sont sortis du milieu scolaire. Il faut également renforcer les partenariats avec tous les réseaux d'éducation populaire.

En parallèle, je veux faire évoluer l'éditorialisation du pass Culture. Nous avons commencé – vous pourrez le constater –, en donnant de la place à la médiation et en valorisant tout ce qui n'est pas spontanément plébiscité. Cette évolution passe par une meilleure association des jeunes eux-mêmes, de manière à coller à leurs pratiques et à leurs attentes.

Un autre point crucial, que vous avez mentionné, est la mobilité, notamment en milieu rural. (M. Laurent Lafon acquiesce.) Je l'ai constaté lors de la mise en œuvre du plan Culture et ruralité, qui concerne 22 millions de nos compatriotes.

Nous avons ainsi souhaité que l'application soit géolocalisée : dès lors, il sera bien plus facile de connaître l'offre de proximité. Une telle fonction n'existait pas jusqu'à présent.

Au sujet de la mobilité, vous m'avez interrogée sur nos échanges avec les collectivités territoriales. Dans le Grand Est, nous avons expérimenté la convention Caravelle : les collectivités signataires s'engagent à financer la mobilité pour accompagner les jeunes vers la culture, y compris au titre de la part individuelle du pass.

Pour l'essentiel, cela concerne les départements. D'ailleurs, je signerai bientôt avec M. François Sauvadet une convention entre le ministère de la culture et l'Assemblée des départements de France (ADF), qu'il préside, pour prévenir tout désengagement de la culture et favoriser cette mobilité.

S'agissant du budget du pass Culture, vous avez mentionné les 244 millions d'euros attribués au ministère au titre de l'année 2024. Sans la réforme, la dépense s'élèverait à 249 millions d'euros en 2025 et à 254 millions d'euros en 2026. J'ai tenu à revoir tous les critères pour cibler les jeunes qui ont le plus besoin d'être accompagnés.

Sur l'ajout de conditions de ressources, j'entends les propositions émises. Pour autant, nous connaissons tous des jeunes dont les parents disposent de moyens, mais qui ne vivent plus avec eux. Il n'y a aucune raison de pénaliser ces personnes qui ne sont plus à la charge de leurs parents, en ne considérant que les revenus de ces derniers. Nous devrons donc prévoir un dispositif spécifique afin de prendre en compte ces situations.

Par ailleurs, le statut de boursier pourrait être un critère de majoration : tous les jeunes bénéficieraient de la même dotation, mais les boursiers percevraient une petite somme supplémentaire.

Nous avons supprimé la part individuelle concernant les jeunes de moins de 17 ans, qui était source de confusion. En effet, la part collective fonctionne très bien. Elle agit comme un véritable outil d'accès à la culture, notamment pour les plus fragiles et les plus défavorisés, et s'étend de la sixième à la terminale. La rupture était apparente avec la part individuelle, ajoutant de la confusion.

Dans le cadre de la réforme, je souhaite que la part individuelle soit attribuée à partir de 17 ans. En procédant ainsi, l'on mettrait fin à cette anomalie. Le pass individuel concernera ainsi les jeunes de 17 et 18 ans, avec une part un peu majorée pour les boursiers.

Tels sont en substance les critères de la réforme que je vais mettre en œuvre.

Nous allons également refondre le comité stratégique et revoir la gouvernance du pass Culture – mais je vois que j'ai déjà dépassé mon temps de parole ; j'y reviendrai dans la suite du débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet passionnant est emblématique de l'accès à la culture. À mon sens, il est tout sauf secondaire.

Les actions que nous engageons permettent de réduire significativement le budget du pass Culture, comme certains élus le souhaitaient. Néanmoins, j'entends sauvegarder le dispositif : je me suis battu pour cela au cours des derniers jours, jusque dans l'enceinte de votre assemblée.

Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. En 2025, il faudra tenir compte des quelque trois millions de jeunes qui sont déjà inscrits pour bénéficier des droits ouverts. C'est pourquoi je demande le rétablissement des crédits supprimés dans le PLF pour 2025.

Pour le reste, je m'exprimerai dans le cadre du débat.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Mes chers collègues, je vous signale d'emblée que je veillerai scrupuleusement au respect du temps de parole.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la ministre, le pass Culture a été créé il y a cinq ans à partir d'une belle idée : offrir à tous les jeunes la possibilité d'accéder à des activités culturelles dans les mêmes conditions. Les premières évaluations montrent toutefois les limites du dispositif.

Ainsi, le volet individuel du pass Culture échoue à favoriser la diversification culturelle, le fonctionnement actuel de son algorithme ne permettant pas à un jeune seul de découvrir les offres culturelles les moins plébiscitées – je pense par exemple au spectacle vivant. Il n'efface pas non plus une certaine forme de reproduction sociale : vous l'avez souligné, seuls 68 % des jeunes dont les parents sont les moins diplômés ont activé leur pass.

Dans un département étendu, comme le mien, le pass Culture ne résout pas, enfin, la question des inégalités territoriales. On n'a bien sûr pas accès à la même offre culturelle quand on vit dans le Médoc, dans le sud de la Gironde ou dans la métropole de Bordeaux ; même doté d'une application géolocalisée, le pass Culture n'y changera rien. En zone rurale, les jeunes consacrent d'ailleurs une part plus importante de leur pass à l'offre numérique.

Les élus du groupe écologiste reconnaissent que le pass Culture fait désormais partie du paysage culturel et que sa suppression serait mal comprise, notamment par les enseignants, qui en font un usage formidable. Mais comment comptez-vous réduire ces inégalités territoriales ?

Plusieurs pistes sont déjà à l'étude. Dans certains établissements, notamment les petits, qui ne comptent pas de documentaliste, le volet collectif n'est pas utilisé. Nous pourrions alors proposer d'identifier un référent. En parallèle, un rapport d'octobre 2024 consacré aux enjeux de mobilité culturelle, travail qui vous a été remis, préconise d'inclure une offre de transport à l'application pour que les jeunes vivant en zone rurale accèdent plus facilement au volet individuel du pass.

Madame la ministre, envisagez-vous de mettre en œuvre ces recommandations et, dans l'affirmative, selon quel calendrier ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je confirme le constat que vous faites ; je l'ai moi-même dressé dès mon arrivée au ministère, avant la remise des rapports relatifs à cette question.

Les inégalités sociales semblent, en la matière, se réduire quelque peu. La petite expérimentation que nous avons conduite au cours du dernier trimestre révèle qu'en moins d'un an la fréquentation du spectacle vivant a augmenté de 30 %, notamment grâce à la médiation. C'est incontestablement un progrès.

Au sujet de la mobilité, une autre avancée mérite d'être saluée. J'ai envisagé d'inclure les frais dont il s'agit dans le pass lui-même. Mais, en procédant ainsi, l'on amputerait in fine la dotation dédiée à l'activité culturelle proprement dite. Or les enseignants eux-mêmes font valoir que toute diminution de cette dotation restreindrait leur accès à certains types de spectacles ou d'activités culturelles. Plutôt que de rogner la dotation du pass, j'ai donc opté pour la négociation avec les collectivités territoriales, en vue de conclure des conventions dédiées.

Vous évoquez la présence d'un référent dans les établissements scolaires. Dorénavant, tous les établissements en disposent, et les activités prises en charge par la part collective sont également mises en œuvre par ce biais. Cette fonction est d'ailleurs parfois assumée par l'enseignant lui-même.

Qu'ils exercent à Paris ou en zone rurale, les enseignants – j'en ai parlé avec eux – affirment qu'ils mettent assez peu de temps à identifier l'activité culturelle, mais bien davantage à trouver le moyen de transport. C'est donc sur ce levier qu'il convient d'agir.

La part collective relève de la responsabilité des enseignants, en qui nous avons toute confiance ; l'usage de la part individuelle doit quant à lui être éclairé par la médiation et l'accompagnement, dans lesquels il convient d'investir.

C'est pourquoi j'ai veillé à associer les acteurs de l'éducation populaire. J'entends également élargir les publics concernés en élargissant le dispositif aux élèves des lycées agricoles, à ceux des instituts médico-éducatifs (IME), ainsi qu'aux apprentis, qui n'en bénéficiaient pas.

En procédant ainsi, mon objectif est d'étendre le dispositif à un public qui n'accède pas naturellement à la culture.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel.

Mme Karine Daniel. Madame la ministre, je me réjouis que nous ayons ce débat cet après-midi ; nous avons traité de cette question en commission lors de l'examen du budget et, sur mon initiative, nous avons pu y consacrer une table ronde. Je remercie d'ailleurs les collègues sénatrices qui y ont participé,… (Exclamations amusées sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Robert. En effet, il n'y avait que des sénatrices !

Mme Karine Daniel. … ainsi que toutes les parties prenantes. Nous avons en effet invité tous les partenaires, de tous les secteurs, ainsi que des jeunes.

Cette table ronde nous a permis de bousculer certaines idées reçues : contrairement à ce que l'on peut entendre ici ou là, contrairement à ce qu'affirme tel ou tel rapport, le pass Culture ne fait pas que conforter les habitudes culturelles des jeunes.

Ainsi, les jeunes sont très attachés au principe d'universalité. La médiation a été évoquée, et elle a bien sûr toute son importance ; mais les premiers prescripteurs en matière culturelle restent les jeunes eux-mêmes. Il faut insister, à cet égard, sur les pratiques collectives favorisées par le volet individuel du pass : bien des jeunes, par exemple, vont voir un spectacle ensemble.

Les libraires nous ont vivement interpellés : ils constatent l'arrivée de nouveaux jeunes, grâce au pass Culture. Et souvent ces derniers repartent avec autre chose que ce qu'ils étaient venus chercher, ce qui me paraît très positif.

Il y a évidemment des améliorations à apporter au pass, d'autant que l'heure est aux économies. Mais, maintenant que le dispositif est lancé, mieux vaut selon nous cibler le fonctionnement de la SAS que les crédits destinés aux jeunes.

Enfin, il faut que le secteur de la création soit en mesure de répondre aux demandes exprimées par les jeunes eux-mêmes au sujet du pass Culture. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j'abonde dans votre sens. D'ailleurs, j'ai moi-même dressé ce constat lors de mon audition. Nos conclusions convergent, et j'ai comme vous la volonté de préserver la part individuelle du pass Culture.

Je l'avais souligné : les libraires nous font savoir que, grâce au pass Culture, les jeunes franchissent souvent leur porte pour la première fois et repartent avec des ouvrages différents de ceux qu'ils avaient initialement en tête. C'est aussi le rôle de la médiation : recommander certains ouvrages aux jeunes, leur faire découvrir d'autres littératures et, plus largement, d'autres lectures.

D'autres utilisateurs se servent du pass pour acquérir des manuels qu'ils n'auraient pas les moyens d'acheter autrement.

Que l'on parle de la librairie, du cinéma ou du spectacle vivant, la prescription émane de l'acteur culturel ; mais, vous avez raison, elle est aussi le fait des jeunes eux-mêmes.

C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'éditorialisation et sur les jeunes ambassadeurs, qui, au même titre que la géolocalisation, ont été récemment ajoutés à l'application. Un jeune Marseillais souhaite connaître les activités culturelles proposées près de chez lui, non celles qui se trouvent à Paris. Il s'agit là, indéniablement, de nouvelles avancées.

Au sujet des frais de fonctionnement, vous avez raison. C'est bien pourquoi nous souhaitons transformer la SAS pass Culture en opérateur.

J'ai réformé de fond en comble la gouvernance de cet acteur, y compris le comité stratégique, que vous connaissez mieux et depuis plus longtemps que moi. Je ne voyais pas le lien de certains de ses membres avec l'accès à la culture.

Puisqu'il faut cibler les populations les plus éloignées de la culture, je vais faire venir au comité stratégique des représentants des lycées professionnels et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). La Défenseure des droits avait fait des recommandations en ce sens. Vous le constatez, nous sommes totalement d'accord !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe Union Centriste d'avoir demandé la tenue de ce débat.

Je connais bien le pass Culture, qui a bénéficié à plus de 4 millions de jeunes, et je fais miens les propos de Mme la ministre et du président Laurent Lafon.

Ce dispositif suscite un certain nombre de critiques. Je pense notamment au niveau de rémunération du personnel chargé de sa mise en œuvre. Je pense aussi à la croissance non maîtrisée des crédits budgétaires de la part individuelle, qui sont passés de 92 millions d'euros en 2021 à 244 millions d'euros en 2024.

D'autres dysfonctionnements encore ont été signalés. Ainsi, 16 millions d'euros ont bénéficié à des jeux d'évasion. On déplore, en parallèle, que le pass Culture ne touche pas suffisamment les classes populaires.

Pour ma part, je tiens à insister sur les inégalités territoriales. En effet, le pass Culture semble se heurter aux réalités du monde rural, marqué par le manque d'infrastructures culturelles, les difficultés d'accès au numérique et les problèmes de mobilité. Les jeunes ruraux n'ont pas accès aux mêmes offres que les jeunes citadins, vivant près des grands centres culturels.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les actions prévues spécifiquement pour les jeunes des territoires ruraux, afin de favoriser l'égalité dans l'accès à la culture ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, si le budget du pass Culture a augmenté, c'est parce que le nombre de bénéficiaires a été multiplié par trois !

Nous avons entrepris de lisser le dispositif. Il ne s'agit pas d'exclure tels ou tels jeunes, mais d'opérer une distinction plus claire entre la part collective, destinée aux collégiens et lycéens, laquelle fonctionne bien, et la part individuelle, qui s'adresse aux jeunes de 17 à 18 ans. Ainsi, un montant important reste alloué à la part individuelle, sans déperdition pour la tranche qui bénéficie de la part collective.

Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'interroger des jeunes à ce sujet. Tous le soulignent : c'est au moment où ils ont le plus besoin de ce dispositif qu'ils n'y ont plus accès ! Nombre d'entre eux ne l'ont pas utilisé les premières années, et, lorsqu'ils veulent s'en servir, la part est réduite. C'est pour cela que nous voulons cibler les 17-18 ans, en leur donnant une part un peu plus importante.

Comme vous le savez, les salaires des personnels chargés de la mise en œuvre du pass Culture sont fixés par Bercy. Quant aux frais de fonctionnement, ils sont, à ce jour, inférieurs à 10 %.

Le changement de statut entraînera la refonte du comité stratégique. Cette réforme permettra probablement d'améliorer la gouvernance, en vue d'une plus grande efficacité. Ainsi, ce dispositif bénéficiera davantage aux jeunes pour favoriser leur accès à la culture.

Enfin, vous m'avez interrogée sur les dispositifs d'accès à la mobilité et à l'offre culturelle en milieu rural. Mais l'offre culturelle est bien présente dans ces territoires !

Je me suis récemment rendue dans un territoire extrêmement rural. Les jeunes que j'y ai rencontrés me l'ont dit : il leur est parfois plus facile de se rendre à Disneyland, en prenant le TGV, que d'aller voir une pièce de théâtre jouée par une petite compagnie non loin de chez eux.

Ainsi, en favorisant l'accès à la culture au travers de la part collective ou individuelle, nous consoliderons les petites structures culturelles locales. Des compagnies de théâtre nées dans le Jura, financées et soutenues localement, soulignent qu'elles vivent grâce au public scolaire et aux jeunes locaux.

Renforcer la mobilité est aussi un moyen de faire venir les jeunes.

Mme la présidente. Madame la ministre, il faut conclure.

Mme Rachida Dati, ministre. À cet égard, nous agissons en partenariat avec les collectivités territoriales, ainsi que dans le cadre du plan Culture et ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Encore merci à nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, que je sais particulièrement engagés sur ces sujets. (M. Cédric Chevalier acquiesce.)

Madame la ministre, vous le savez : le soutien à la ruralité, l'équité entre tous les territoires, urbains comme ruraux, font partie de nos priorités. (Mme Monique de Marco applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Madame la ministre, le 17 janvier dernier, lors des débats budgétaires, j'ai appelé votre attention sur la mise à l'écart de certains spectacles pourtant plébiscités par le public.

À cette occasion, je vous ai interpellée sur les modalités d'éligibilité des manifestations et spectacles au dispositif du pass Culture. J'ai notamment pointé du doigt l'entre-soi que trahit le choix de spectacles retenu. Vous m'avez répondu que les membres du comité de stratégie entretenaient parfois une "certaine reproduction sociale", avant d'ajouter que, "à la limite, ils se font plaisir".

C'est certain : ces dirigeants usent trop souvent de leurs responsabilités pour se faire plaisir. Est-ce vraiment leur rôle d'imposer leurs goûts personnels comme règle de droit, en omettant trop souvent les attentes réelles du public ? Est-ce vraiment leur rôle d'exposer de la sorte le pass Culture à des polémiques qui dégradent l'image d'une initiative pourtant appréciée des Français ?

Lors du débat budgétaire, vous avez déclaré vouloir réorganiser ce comité et son mode de fonctionnement. Vous venez de nous indiquer les voies de transformation de ce dispositif et de ce comité. Cela va dans le bon sens. (M. Francis Szpiner acquiesce.) Il était également nécessaire d'affiner les critères d'éligibilité.

Toutefois, les membres du nouveau comité seront-ils bien conduits à s'ouvrir à l'ensemble des manifestations culturelles, y compris celles qui peuvent leur déplaire ? Les modalités d'éligibilité sont-elles bien revues et explicitement énumérées pour préserver le pass Culture de toute polémique à l'avenir ? Pouvez-vous nous donner des précisions quant au calendrier de ces évolutions ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, pour le spectacle dont nous avons parlé la dernière fois, une première demande d'éligibilité avait été émise, couvrant l'ensemble du parc en question. Une réponse défavorable avait été apportée, les parcs d'attractions n'étant pas éligibles au pass Culture, contrairement aux spectacles. Ce parc avait alors adressé une nouvelle demande, sans obtenir de réponse.

Je me suis engagée à étudier ce cas. Je peux désormais vous annoncer que le spectacle du Puy du Fou est éligible au pass Culture. La réponse est donc claire. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Colombe Brossel. Ça valait le coup d'organiser un débat…

Mme Rachida Dati, ministre. On peut vous inviter… (Sourires.)

Mme Sylvie Robert. Allons-y ensemble !

M. Adel Ziane. J'y suis allé quinze fois !

Mme Rachida Dati, ministre. Mais pour nous tous, le pass Culture, c'est trop tard ! (Nouveaux sourires.)

À propos des critères d'éligibilité, vous avez raison, la transparence et l'objectivité doivent être renforcées. Ces critères seront revus en ce sens et pourront vous être communiqués, en toute transparence.

Le comité stratégique sera également refondu.

Enfin, vous évoquez le calendrier. Le changement de présidence a eu lieu, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ayant récemment rendu la décision que nous attendions. Quant à la refonte du comité stratégique, elle est en cours. Ces évolutions sont donc imminentes.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Madame la ministre, merci des changements apportés au pass Culture et de vos réponses très précises relatives au calendrier. Comme quoi, les débats budgétaires au Sénat ont leur utilité ! Quant aux sourires appuyés que j'ai vus à la gauche de l'hémicycle, ils renvoient à cet entre-soi dont nous avons parlé ensemble…

Mme Rachida Dati, ministre. Vous n'avez pas totalement tort !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la ministre, 2024 restera une année record, non seulement pour le cinéma français, mais aussi pour le tourisme, grâce aux jeux Olympiques et à notre patrimoine.

En 2023, on a vendu dans notre pays plus de livres qu'au cours des années qui ont précédé le covid-19. Jamais il n'y a eu tant d'intermittents qu'en 2022. Or ces derniers font notamment vivre les festivals dans nos départements.

Le pass Culture, qui s'inscrit dans le champ des politiques de soutien au secteur culturel, a connu un certain nombre d'ajustements depuis son expérimentation.

Dans un rapport de décembre 2024, le président de la Cour des comptes constatait son "appropriation massive par les jeunes", en soulignant que "l'objectif de démocratisation culturelle reste, en revanche, à atteindre". Les 16 % de jeunes non entrés dans le dispositif correspondent aux publics les moins familiers des pratiques culturelles.

Le Sénat a lui-même observé que, si 20 % des jeunes sont non scolarisés, les intéressés ne représentent que 7 % des utilisateurs du pass. Il existe donc des déséquilibres sociaux.

En Bretagne, territoire d'expérimentation du pass Culture dans sa phase d'amorçage, le taux de couverture des plus de 18 ans s'élève à 90 %. Au titre de la part collective, près de 95 % des établissements scolaires y sont engagés dans une action au moins. C'est là le fruit d'un dialogue entre élus, directions régionales des affaires culturelles (Drac) et rectorat.

Dans cette région, dont je suis l'élue, les bénéficiaires sont les grandes librairies indépendantes et, bien entendu, le festival des Vieilles Charrues, à Carhaix. À cet égard, les résultats obtenus sont remarquables. Toutefois, des disparités, territoriales cette fois, existent aussi. Elles restent, pour notre groupe, un point de vigilance que Bernard Buis a déjà évoqué ici même lors des débats budgétaires.

Alors que les grandes villes concentrent l'essentiel des offres, la problématique de la mobilité culturelle s'impose aux jeunes ruraux.

À l'heure où vous engagez la réforme du pass Culture, ne vous paraît-il pas primordial de faciliter l'accès aux lieux culturels eux-mêmes pour les jeunes qui en sont les plus éloignés ? Vous avez évoqué des formes de coopération avec les collectivités territoriales pour la prise en charge des transports. Sont-elles déjà mises en œuvre ? Si oui, dans quels territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. La première région pour l'utilisation du pass Culture, c'est la Bretagne.

Mme Sylvie Robert. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, ministre. Or la Bretagne regroupe de nombreux territoires ruraux.

Je l'ai dit, en matière de mobilité, des conventions sont conclues avec les collectivités territoriales.

Au cours de mes déplacements, j'ai pu mesurer la richesse de notre vie culturelle locale. À ceux qui prétendent que certains territoires sont dépourvus d'offre en la matière, je réponds : c'est faux ! Il n'y a pas de désert culturel.

Par ailleurs, en favorisant la mobilité, on garantit la soutenabilité financière et matérielle de l'offre culturelle ; on renforce donc l'offre culturelle. La géolocalisation nous permettra en outre d'identifier les lieux où il est nécessaire de soutenir la mobilité.

Nous avons par exemple découvert que des plateformes de covoiturage locales étaient expérimentées, avec de bons résultats. Nous souhaiterions les généraliser. Certains jeunes, en particulier, proposent du covoiturage en période de festivals. C'est un autre moyen de développer la mobilité.

Si j'en crois les dernières évaluations, 66 % des jeunes ont découvert une nouvelle pratique culturelle grâce au pass Culture. Nous devons donc renforcer toutes les dimensions du dispositif qui ont fait leurs preuves. À ce titre, la géolocalisation, le développement de la mobilité et le soutien des acteurs culturels locaux, notamment en milieu rural, jouent un rôle indispensable. Indépendamment du pass Culture, ces chantiers bénéficient d'un accompagnement dédié dans le cadre du plan Culture et ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Depuis sa création en 2019, son élargissement et sa généralisation en 2021, le pass Culture a été plébiscité par les jeunes. Plus de 50 % des jeunes de 15 ans et 84 % des jeunes de 18 ans l'utilisent.

La gratuité auquel ce dispositif donne droit permet de s'ouvrir à d'autres horizons culturels. On le constate surtout pour la part collective. Même s'il n'a pas permis, à lui seul, de corriger les inégalités liées à la catégorie socio-professionnelle, le pass Culture contribue à une certaine démocratisation culturelle.

Les libraires, notamment, indiquent qu'un nouveau public est apparu avec le pass Culture, lequel leur reste fidèle par la suite, même lorsque les crédits du pass sont épuisés.

Néanmoins, plusieurs reproches sont adressés au pass Culture. Certains critiquent notamment une reproduction des habitudes de consommation ; d'autres déplorent que la part collective soit insuffisamment utilisée ou connue.

Madame la ministre, vous avez annoncé vouloir que les usagers du pass se tournent davantage vers les libraires indépendants, la presse écrite et le spectacle vivant, en prévoyant qu'une partie de la somme du pass soit réservée à ce dernier domaine. Or certains jeunes vivent dans des zones dites blanches, où peu d'infrastructures culturelles existent. Ils évoquent l'obstacle que représentent la faiblesse et le coût de l'offre de transport.

Vous avez déjà partiellement répondu à ma question. Néanmoins, au-delà des crédits évoqués, qu'envisagez-vous pour remédier aux difficultés matérielles d'accès à la culture ?

La différenciation du montant du pass, selon la condition économique de l'utilisateur, compte parmi les pistes avancées. Pour ma part, il me semble nécessaire de préserver l'universalité et l'unicité du dispositif : ce faisant, on évitera le non-recours aux aides par peur d'une stigmatisation.

C'est aussi parce qu'il est égalitaire que le pass fonctionne. Surtout, il constitue pour certains la première expérience de gestion d'un budget et une liberté d'expression culturelle, à l'abri de tout regard condescendant.

Pouvez-vous nous assurer que vous continuerez à défendre le pass Culture ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur moi pour continuer à le défendre, tout comme l'accès à la culture en général. C'est d'ailleurs un combat qui dépasse mon seul ministère.

L'accès à la culture, c'est aussi l'accès aux droits fondamentaux.

À ce propos, j'échangeais ce matin avec les directeurs généraux et chefs de service du ministère de la culture. Ma récente annonce relative aux actions culturelles dans les campings a pu faire sourire, alors qu'il s'agit du lieu d'hébergement préféré des Français pendant leurs vacances. Certains semblent se pincer le nez, et je le déplore… Comme dirait votre collègue Max Brisson, j'y vois un entre-soi quelque peu méprisant. Les campings sont des lieux de vie et de villégiature : c'est une réalité. Il faut donc que la culture y soit présente aussi.

Dans un tout autre ordre d'idées, les femmes, notamment les plus jeunes, manquent trop souvent d'information sur l'avortement et la contraception. Les centres de protection maternelle et infantile (PMI), où elles se rendent pour être accompagnées, doivent eux aussi devenir des lieux d'accès à la culture, ne serait-ce qu'en proposant des livres ou des documentaires rappelant à ces jeunes femmes leurs droits.

J'indiquais que certains étudiants en droit utilisent le pass Culture pour acheter le code civil. Il faut encore y ajouter divers documents d'accès aux droits fondamentaux. J'y insiste, le combat dont nous parlons dépasse largement le champ culturel, considéré stricto sensu.

Nous ne pouvons pas flécher de crédits vers les libraires indépendants. Toutefois, la géolocalisation pourra leur bénéficier. Les jeunes ne connaissent pas forcément toutes les petites librairies du coin : dès lors, ils ont souvent tendance à aller vers les grandes enseignes. La géolocalisation nous aidera à renforcer l'information.

Enfin, le règlement européen relatif aux aides à la presse ne permet pas, pour l'heure, que la presse soit éligible au pass Culture. J'y suis néanmoins favorable, et nous y travaillons.

Notre réforme devrait donc répondre à vos différentes préoccupations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je suis arrivée ici pleine de certitudes acquises en commission des finances. J'avais en tête le coût du pass Culture, le nombre d'équivalents temps plein (ETP) que ce dispositif représente, le manque de compléments de financement ou encore l'orientation de certains choix rappelés par M. Brisson. Mais après avoir écouté le président Lafon, puis vous-même, défendre ce dispositif avec vigueur, je me dis que les chiffres ne sont pas tout. Peut-être faut-il bien prolonger le pass Culture, que vous soutenez avec tant d'énergie !

En outre, je tiens à le rappeler, il n'y a pas qu'en Bretagne que le pass Culture est utilisé. Catherine Morin-Desailly et Sonia de La Provôté, comme moi élues de Normandie, vous confirmeront que le pass Culture a été développé par notre belle région. (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, tout à l'admiration que m'inspire votre énergie, je dois changer mon fusil d'épaule. (Mme Sonia de La Provôté sourit.) Vous avez répondu par avance à toutes les critiques que j'adressais à ce dispositif, en expliquant que vous entendiez revoir le comité stratégique, faire évoluer les financements et lutter contre les inégalités territoriales.

Telle la cigale de la fable, vous me voyez prise au dépourvu : je n'ai plus de reproche à adresser au pass Culture ! (M. Pierre Ouzoulias sourit.) Ma question est donc, tout compte fait, la suivante : comment entendez-vous coordonner le nouveau dispositif avec les régions et les départements ?

M. Max Brisson. Très bonne question !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, il ne s'agit pas d'engagements que je prends, mais d'actions d'ores et déjà engagées.

Nous nous connaissons depuis un certain temps : vous le savez, je m'empresse toujours de faire ce que je préconise, soucieuse d'agir aussi vite que possible.

Ainsi, en 2024, avant de modifier la gouvernance, le comité stratégique et les critères, nous avons lancé plusieurs expérimentations. Mes déplacements m'ont aussi permis de nouer des partenariats. En témoigne le premier contrat de territoire que j'ai signé avec le département de Charente-Maritime.

Le plan Culture et ruralité va dans le même sens. Il inclut même le patrimoine : il renforce non seulement les effectifs, mais aussi les financements de diverses structures chargées de le protéger, comme les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap). Plus vous protégez les sites patrimoniaux, qui sont aussi des lieux de culture, plus vous en élargissez l'accès.

Un certain nombre de points ont été critiqués, à juste titre ; mais ils ont tous été revus. Nous avons une nouvelle présidente. La composition du comité stratégique est en train d'être affinée et nous avons expérimenté un certain nombre de critères.

Nous avons également consacré des expérimentations aux nouvelles formes de mobilité, pas en Normandie, où le dispositif fonctionne très bien, mais dans le Grand Est…

M. Cédric Chevalier. Merci !

Mme Rachida Dati, ministre. … et en Bretagne, pour ne citer que ces deux régions. Elles vont du soutien aux plateformes de covoiturage à la création de dispositifs dédiés aux festivals.

C'est pour cela que les contrats de territoire sont faits sur mesure et dotés des moyens nécessaires. Sinon, tout cela reste de beaux principes… Or je ne vous parle pas de principes, mais d'actions.

L'ensemble de ces mesures ont été longuement expérimentées. Si je me suis battue pour éviter toute réduction de la part individuelle du pass, c'est précisément pour déployer ces nouvelles dispositions. En un seul trimestre, elles ont favorisé l'accès à la culture des jeunes qui en ont le plus besoin, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, où, bien que l'offre soit plus dense, certains publics sont moins faciles à atteindre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, j'espère que vous voudrez bien associer les parlementaires à la réforme du pass Culture. Cette collaboration me semble extrêmement importante. La commission des finances, en particulier, sera ainsi mieux éclairée.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Nous avons associé les élus locaux, notamment les départements et les régions. De fait, nous ne pouvions rien faire sans eux !

Comme vous le savez, je m'efforce depuis 48 heures de rattraper la petite coupe budgétaire… Si le coup de rabot voté était confirmé, je ne pourrais plus financer le dispositif que pour les jeunes ayant eu 18 ans en 2024. Les nouveaux entrants, qu'il s'agisse des jeunes de 17 à 18 ans ou des jeunes les plus en difficulté, comme les décrocheurs scolaires, ne pourraient pas faire l'objet des actions prévues.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je vous remercie de cette seconde réponse. (Sourires.) J'ajoute que d'autres ressources pourraient être recherchées : si le pass Culture continue de se développer, sans doute faudra-t-il, en particulier, se tourner vers le mécénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, mes collègues vous le diront : jusqu'à présent, j'ai toujours voté contre le pass Culture. En effet, j'estimais que la culture manquait avant tout de médiation. Le président Lafon l'a d'ailleurs souligné lui-même.

Puis un jour Benoît, mon libraire de Bourg-la-Reine, m'a glissé à l'oreille que le pass Culture représentait 10 % de son chiffre d'affaires. Cette confidence m'a fait réfléchir. Il m'a également parlé de ces gamins qui viennent chez lui avec le pass Culture. Un certain nombre d'entre eux achètent certes des mangas, mais à cette occasion – et c'est là l'essentiel – ils mettent pour la première fois le pied dans une librairie ; et, une fois qu'ils ont désacralisé le lieu, ils se tournent parfois vers d'autres lectures.

Mme Rachida Dati, ministre. Eh oui !

M. Pierre Ouzoulias. À l'évidence, le libraire est un magnifique médiateur culturel. Il peut tout à fait guider les jeunes dans leurs lectures. (M. Laurent Lafon acquiesce.) C'est pour cette raison que je n'ai pas voté contre le pass Culture cette année : on peut changer d'avis ! (Sourires.)

J'ai néanmoins une profonde inquiétude quant au prix unique du livre. Amazon, dont le poids est encore renforcé par la nouvelle administration américaine, va certainement partir à l'assaut de cette disposition. Or, si l'Europe cède sur ce sujet, il n'y aura plus de médiation culturelle dans les librairies, tout simplement parce qu'il n'y aura plus de librairies.

Pour défendre le dispositif que vous nous proposez, non sans raison, il faut donc une action très forte, notamment à l'égard de l'Europe, pour protéger le prix unique du livre. Cette disposition est constitutive d'une certaine politique de la culture. Elle reflète notre vision du réseau des librairies au service de la culture pour tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je suis ravie que nous nous rejoignions sur cette position. Peut-être en sera-t-il de même pour Notre-Dame de Paris : je ne désespère pas ! (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. Sur le musée d'art et d'histoire du judaïsme, peut-être…

Mme Rachida Dati, ministre. Nous en avions parlé : j'ai tenu mon engagement !

M. Pierre Ouzoulias. Et je vous en remercie !

Mme Rachida Dati, ministre. Comme chacun sait, il y a bien longtemps que je me bats pour l'accès à la culture ; j'ai commencé bien avant ma prise de fonction. Comme chacun d'entre nous, je sais en effet d'où je viens, et nos combats sont aussi dictés par notre histoire personnelle.

Je comprends bien les doutes que vous évoquez. Je les ai d'ailleurs exposés moi-même lors de mon audition en commission. C'est pour cette raison, aussi, que j'ai voulu les lever.

Comme vous, j'adressais certaines critiques au pass Culture, que l'on peut considérer comme un vecteur de reproduction sociale et qui, en l'état, n'est certainement pas parfait. Mais il faut conserver ce qui marche bien : le Pass culture favorise à l'évidence l'accès à la culture et notamment à la lecture.

Rappelez-vous : certains voudraient que l'application du pass Culture serve aussi de moyen de paiement. Or je m'y oppose, car je veux que les jeunes puissent se rendre en librairie.

J'ai dit que l'enseignant devenait médiateur culturel via la part collective du pass Culture. Le libraire joue également ce rôle. Les jeunes viennent acheter un manga : pourquoi pas, si cela leur permet de lire ? En outre, ils sortent peut-être de la librairie avec un autre livre ! Et quand ils reviennent, c'est aussi pour autre chose.

Je vous ai exposé mon plan en faveur de la médiation. J'ai reçu l'ensemble des acteurs de l'éducation populaire. En zone rurale comme urbaine, j'ai accordé les moyens nécessaires pour accompagner le nouveau dispositif.

J'entends votre juste inquiétude au sujet du prix unique du livre. Vos collègues Laure Darcos et Sylvie Robert ont formulé la même observation lors de ma dernière audition devant la commission de la culture.

Nous avons saisi le médiateur du livre sur ce sujet. En outre, nous devrons nous battre collectivement, aux échelles européenne et nationale. L'Europe et les États-Unis ne sont clairement pas seuls en cause : c'est aussi un sujet de politique nationale. Nous avons donc besoin de tout le monde pour préserver le prix unique du livre et protéger nos librairies.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, les membres de la commission de la culture et plus largement les élus de cette assemblée souhaitent à l'évidence, comme vous, améliorer le pass Culture pour le rendre plus utile et encore plus démocratique. C'est bien normal, quand on sait que cet outil représente 25 % du programme dédié à la démocratisation culturelle.

Néanmoins, si nos débats font l'objet d'une dépêche de l'Agence France-Presse (AFP) ou d'une mention par Public Sénat, ce sera sans doute avant tout pour signaler que le Puy du Fou…

M. Laurent Lafon. Le spectacle !

Mme Colombe Brossel. … est désormais éligible au pass Culture…

Mme Rachida Dati, ministre. Vous ne pouvez pas vous en empêcher…

Mme Colombe Brossel. C'est certainement la grande victoire obtenue au titre de l'action "Transmission des savoirs et démocratisation de la culture" du programme 361… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Rachida Dati, ministre. Seul le spectacle est éligible, soyez précise !

Mme Colombe Brossel. Mais revenons-en au pass Culture.

À ce titre, l'un des péchés originels, c'est le choix de recourir à une SAS : les modalités de contrôle s'en trouvent, de fait, réduites. Personne n'étant formellement chargé du contrôle, personne ne le fait – sauf la Cour des comptes, qui nous a informés que 16 millions d'euros avaient été utilisés pour des escape games, à notre grande stupéfaction.

Lors des débats budgétaires, nous avons eu le plaisir de vous entendre dire que vous souhaitiez transformer cette SAS en opérateur public. Ce faisant, l'on garantira un contrôle tant sur le budget que sur les modalités mêmes du pass Culture.

Mes deux questions sont très précises. Premièrement, quel est le calendrier de mise en œuvre de cette réforme ? Deuxièmement, quels seront ses effets sur le budget et le personnel ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice Brossel, c'est tout de même curieux : vous ne pouvez pas vous empêcher de polémiquer. Pourtant, nous pouvons nous détendre, nous ne sommes pas au Conseil de Paris ! (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Colombe Brossel. Vous ne répondez pas à ma question !

Mme Rachida Dati, ministre. Nous sommes entre gens civilisés et, pour une fois, personne ne m'énerve : tout va bien ! (Nouveaux sourires.) On ne saurait faire au Sénat comme à l'Hôtel de Ville, où l'on peut dire n'importe quoi… Ce n'est pas le Puy du Fou qui est éligible au pass Culture, c'est le spectacle du parc.

M. Max Brisson. Absolument ! Le spectacle !

Mme Rachida Dati, ministre. Soyons précis.

Mme Colombe Brossel. Répondez à ma question !

Mme Rachida Dati, ministre. Je suis précisément en train de le faire.

La réforme est lancée, et elle sera entièrement opérationnelle après le vote définitif du budget. Une nouvelle présidente a été nommée, le comité stratégique est en cours de renouvellement et les réformes sur les nouveaux critères sont intervenues il y a quelques mois, bien avant le 1er janvier 2025. Tout cela prendra donc son plein… Comment dire ?

Mme Sylvie Robert. Son plein essor ! (Sourires.)

Mme Rachida Dati, ministre. Merci, madame la sénatrice : j'enrichis mon vocabulaire ! (Nouveaux sourires.)

Tout cela prendra son plein essor au cours de l'année 2025.

En réalité, tous mes engagements sont déjà mis en œuvre. À présent, j'ai besoin des parlementaires.

Pourquoi y mets-je autant d'énergie, pour reprendre les mots de Mme Goulet ? Non seulement parce que j'y crois, mais aussi parce que des résultats ont été obtenus sur un public qui n'a pas spontanément accès à la culture, notamment à la lecture ou au spectacle vivant.

Mes engagements sont tenus, les actions sont lancées et elles prendront leur plein essor en 2025.

Pour conclure, je répète une fois encore que c'est le spectacle du Puy du Fou qui est éligible au pass Culture.

M. Max Brisson. Nous l'avions bien compris ; et il en est de même pour les spectacles de la fête de L'Humanité…

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.

Mme Colombe Brossel. Faut-il en déduire qu'au 31 décembre 2025 il n'y aura plus de société par actions simplifiée, mais un opérateur public ?

Par ailleurs, madame la ministre, je n'ai pas compris votre réponse quant aux moyens budgétaires et en personnels que nécessitera la transformation de la SAS en opérateur public.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Madame Brossel, j'ai déjà répondu sur ce point : la SAS va devenir un opérateur public. Cette transformation, qui est en cours, aboutira avant le 31 décembre 2025. Et, de même que je viens d'enrichir mon vocabulaire, je tiens à enrichir vos connaissances, en vous signalant qu'une SAS peut être un opérateur public culturel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Je vous remercie de ces enrichissements mutuels, madame la ministre ; ils sont délicieux… (Sourires sur les travées du groupe SER.) Cela signifie-t-il que l'ensemble des personnels seront transférés et que le budget sera exactement le même que dans le cadre de la SAS ?

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial.

M. Cédric Vial. Avant de vous poser ma question, madame la ministre, je tiens à vous rappeler ces leitmotivs du Sénat : simplification et décentralisation. (Mme la ministre opine.)

Nous approuvons évidemment les objectifs du pass Culture : l'accès des plus jeunes à la culture, la médiation et la démocratisation.

La part individuelle de ce pass a certes son intérêt. Mais les actions qu'elle recouvre sont souvent déjà prises en charge d'une façon ou d'une autre par les départements, lesquels proposent tous une carte Collégien ou une carte Jeune, ou par les lycées, qui ont leurs propres cartes.

Sans parler de doublons, et sans entrer dans le débat que vous avez eu avec votre collègue du Conseil de Paris sur l'organisation du dispositif, il est légitime de se demander si l'État, plutôt que de créer son propre dispositif avec son propre opérateur, et donc d'ajouter une couche administrative supplémentaire, ne pourrait pas accompagner les collectivités territoriales de manière décentralisée, via les opérateurs de l'État et les institutions, afin de remplir cette mission. (Mme Sylvie Robert opine.)

J'y ajoute une question subsidiaire à propos des bénéficiaires du pass Culture. Actuellement, pour y être éligible, il faut être âgé de 15 à 18 ans. Pourquoi ne pas choisir plutôt le critère de la scolarisation ? En effet, certains jeunes qui ont sauté une classe se retrouvent au lycée, en seconde ou en première, avant l'âge de 15 ans, et n'ont pas accès au pass Culture, contrairement à leurs camarades.

J'en viens à la part collective du pass Culture. Il faut reconnaître qu'elle constitue une véritable réponse : grâce à elle, des jeunes découvrent le spectacle vivant ou d'autres secteurs culturels vers lesquels ils ne se tourneraient pas d'eux-mêmes.

Pourquoi, au titre de cette part collective, faut-il passer par la création d'un opérateur de l'État qui travaillera, pour la réalisation de cette mission, avec le ministère de l'éducation nationale ? Ce dernier ne pourrait-il gérer directement le dossier, en liaison avec les établissements placés sous sa tutelle, dans le cadre de ses prérogatives et de son budget ? Cela simplifierait beaucoup de choses.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Vial, vous souhaiteriez que le volet collectif du pass Culture soit géré en quelque sorte en régie directe, par le ministère de l'éducation nationale. C'est impossible, car cela reviendrait à recloisonner !

Actuellement, il existe une continuité de l'offre culturelle, qui permet de savoir ce que l'on propose aux écoles et en dehors du cadre scolaire. Ce choix, qui garantit une complémentarité, me semble plus cohérent.

Vous déplorez, sans le dire, l'existence de doublons, et vous avez raison. En tant que maire du VIIe arrondissement de Paris, dont la richesse patrimoniale est considérable et qui compte de nombreux établissements culturels, j'avais proposé un pass culturel avant que le pass Culture ne soit créé. J'avais ainsi passé un accord avec les représentants de ces établissements afin que les enfants des écoles de l'arrondissement puissent y accéder.

Vous pourriez me rétorquer que les enfants du VIIe arrondissement n'ont besoin de bénéficier ni de la part individuelle ou de la part collective du pass Culture… Certes ; mais il se trouve que tous les territoires – régions, départements, communes – ne disposent pas d'un tel dispositif culturel. Le pass Culture permet, dès lors, une universalité.

Vous avez raison de rappeler que, dans certains endroits, l'offre culturelle est très dense – pour autant, je précise qu'il n'y a jamais de suroffre culturelle. Les contrats de territoire passés entre le ministère et les collectivités territoriales, par le truchement des directions régionales des affaires culturelles (Drac), permettent à cet égard d'éviter les doublons.

Ainsi, lorsqu'un département dispose déjà d'un dispositif culturel dédié et adapté, le pass Culture y est forcément moins utilisé. Ce dernier, qui n'est pas mis en œuvre depuis le ministère de la culture, rue de Valois, mais à une échelle de proximité, est donc assez équilibré.

L'ensemble de ces partenariats relèveront de la convention que je vais signer avec l'ADF : c'est un autre moyen d'éviter les doublons. En effet, les équipements culturels et le secteur du spectacle n'ont rien à y gagner, puisqu'ils ne touchent pas d'aide en double. Il n'y aura donc pas de gaspillage.

Pour résumer, là où il n'existe pas de dispositif culturel, le pass Culture permet de pallier cette absence ; et, là où il y en a, il permet aux collectivités territoriales de s'adapter.

Enfin, j'indique à M. Ouzoulias que le médiateur du livre rendra son rapport en février prochain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Au vu des rapports pour le moins sévères auxquels le pass Culture a donné lieu, il était en effet plus qu'urgent, madame la ministre, de reprendre en main ce dispositif, afin de justifier son maintien et l'importante dépense publique y afférente.

J'insisterai sur deux critiques, émises notamment par la Cour des comptes : l'absence de sélectivité des offres et l'absence de sélectivité des bénéficiaires.

La première critique, qui porte sur l'absence de sélectivité des offres, a déjà été évoquée. Pour ma part, j'ai été très surprise de découvrir que 16 millions d'euros avaient été dépensés dans des escape games. Je n'ai rien contre les jeux intelligents et les nouvelles technologies, mais il ne faut pas confondre culture et divertissement.

Je suis choquée, en outre, de constater que nos structures de spectacle vivant bénéficient peu, par effet domino, du pass Culture. Compte tenu de l'érosion des budgets ces dernières années, elles ont les plus grandes difficultés à maintenir, dans le cadre de leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM), des programmes d'éducation artistique et culturelle. C'est un véritable sujet. (Mmes Colombe Brossel et Sylvie Robert, ainsi que M. Pierre Ouzoulias, opinent.)

Le rapport de la Cour des comptes sur l'éducation artistique et culturelle, que j'attends avec impatience, pourra nous éclairer sur ce point. Vous avez déclaré que le pass Culture était une étape du parcours d'éducation artistique et culturelle : peut-être pourra-t-on corréler les deux sujets et faire un nouveau tour d'horizon de ce qui est, en définitive, proposé aux jeunes ?

La seconde critique porte sur l'absence de sélectivité des bénéficiaires.

Si les droits culturels avaient été inscrits dans les présupposés du dispositif, la loi aurait clairement prévu que ce dernier devait toucher tous les publics, y compris ceux qui sont éloignés de la culture géographiquement, intellectuellement ou économiquement.

Quant aux personnes handicapées, personne n'en parle, pas même la Cour des comptes ! Je n'ai trouvé aucune mention de l'accessibilité universelle à la culture. Or nous allons bientôt fêter les 20 ans de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Et je ne parle pas seulement de l'accessibilité des fauteuils roulants. Je pense aussi aux personnes malentendantes et à tous ceux qui n'ont pas les moyens intellectuels d'accéder d'eux-mêmes à la culture.

Pouvez-vous vous engager, madame la ministre, à élargir la part collective du pass Culture à certains établissements qui font de la médiation pour emmener ces jeunes au spectacle ou encore au concert ?

Et si le pass Culture doit être mobilisé…

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, ma chère collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, les rapports publiés ne renferment pas que des reproches à l'encontre du pass Culture. Vous m'accorderez qu'ils mentionnent dans leurs conclusions l'intérêt de ce dispositif, y compris de sa part individuelle, pour favoriser l'accès à la culture des publics qui en sont éloignés.

Les chiffres que j'ai cités, et que le président Lafon a lui aussi rappelés, l'attestent : le pass Culture a favorisé un plus large accès à la culture de jeunes qui en avaient toujours été éloignés. Je parle, par exemple, à ces jeunes qui n'avaient jamais mis les pieds dans une librairie. C'est tout de même une avancée, et je ne veux pas me priver de ce dispositif.

Même si dix jeunes seulement étaient concernés, ce serait toujours dix jeunes de plus.

D'autres enjeux s'y ajoutent. Nous souhaitons tous lutter contre le séparatisme et le communautarisme, dont on connaît les ravages – certains ont d'ailleurs nié leur existence pendant trop longtemps – et qui conduisent à radicalisation. J'ai déjà travaillé sur ces sujets. Dans d'autres enceintes, j'ai même rapporté des textes qui en traitaient.

Que disent les jeunes radicalisés, qui, aujourd'hui, sont pour une bonne part derrière les barreaux ? Ils expliquent que la première étape de la radicalisation est de couper tout lien avec la culture, ce qui implique l'interdiction des livres, de la musique et des sorties, donc la fin des contacts et de la socialisation. En ce sens, le pass Culture me semble de force à rompre l'isolement des personnes concernées, ou de contrer les organisations qui les incitent à penser que la culture est dangereuse.

Nous devons donc améliorer la part individuelle du pass Culture, afin de toucher des publics qui n'ont pas l'habitude des pratiques culturelles.

L'accès à la lecture et au spectacle vivant – j'y insiste – est très important.

L'accès au spectacle vivant s'est élargi au cours du dernier trimestre, grâce au fléchage et à la médiation que nous avons mis en place. J'ajoute que les jeunes fréquentent beaucoup ce type de spectacles, en dehors même de l'utilisation du pass Culture. Il faut amplifier cette pratique, la renforcer et l'améliorer dans ce cadre.

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Madame la ministre, je souhaite revenir un instant sur le spectacle du Puy du Fou.

Quand ce sujet a été évoqué, vous avez en effet pu observer quelques sourires de notre côté de l'hémicycle. Pour autant, il s'agissait non pas de l'expression d'une quelconque ironie, mais d'une réaction à la manière somme toute très discrète dont notre collègue Brisson a formulé sa question.

M. Max Brisson. Toujours le sens de la nuance ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Adel Ziane. Nous savions bien, en effet, qu'il était question du Puy du Fou !

Pour ma part, je me suis rendu quinze fois au Puy du Fou, en raison de mes attaches familiales dans la région. Je connais par cœur tous les spectacles qui ont pu y être créés au fur et à mesure des années. Vous ne sauriez nous soupçonner d'un quelconque entre-soi ; nous n'exprimons que notre curiosité et nos questionnements… L'habit ne fait pas le moine, et nous avions envie de parler de ce sujet.

En tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis et conseiller municipal de Saint-Ouen, je m'interroge sur un objectif bien précis du pass Culture : rendre la culture accessible à tous les jeunes, sans distinction sociale ou géographique – ce sujet a également été abordé par Marc Laménie.

Un premier bilan dressé par la Cour des comptes montre que le taux d'inscription flatteur de 84 % camoufle une réalité bien différente : seuls 68 % des jeunes issus des milieux populaires ont activé le pass. Loin de corriger les inégalités, ce dispositif tendrait donc à intensifier les pratiques culturelles de jeunes qui disposent d'un fort capital culturel familial.

Parmi les critiques adressées au pass Culture par la Cour des comptes, on peut citer les suivantes : une diversité culturelle limitée ; le faible taux de réservations, plus précisément 0,63 %, pour le spectacle vivant ; ou encore l'absence de médiation culturelle et de propositions gratuites.

Nous devons donc renforcer les partenariats avec les acteurs locaux – je pense à la fois aux librairies indépendantes, évoquées à plusieurs reprises au cours de ce débat, aux compagnies de théâtre et aux structures culturelles.

Vous avez reconnu les limites du dispositif et proposé des pistes pour avancer. Il nous semble que le ciblage des bénéficiaires est impératif. Comment accepter que le pass Culture, censé corriger les inégalités, échoue sur ce point ? Que comptez-vous faire pour qu'il devienne un levier de démocratisation culturelle, notamment dans les territoires les plus fragiles, comme les quartiers populaires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce constat. Vous êtes élu d'un département que je connais bien, où je me suis en outre rendue – vous le savez – pour soutenir et pérenniser des dispositifs culturels aux côtés des élus locaux.

Vous avez raison de parler des chiffres, et je vous rejoins au sujet de la reproduction sociale. À n'en pas douter, certains jeunes accèdent plus facilement que d'autres à la culture. On le constate déjà pour l'utilisation de l'application.

Ce taux de 68 %, sur lequel vous insistez, et qui est également cité par la Cour des comptes, correspond au nombre de jeunes issus des milieux populaires ayant activé le pass ; mais il prend pour base le niveau de diplôme des parents. Or la Cour précise que, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), 87 % des jeunes utilisent la part individuelle du pass Culture.

Ce taux est certes flatteur, mais la réalité est très inégale. Ce sont les jeunes qui bénéficient de l'environnement familial le plus favorisé qui y ont le plus recours.

Nous devons impérativement mettre un terme à cette inégalité. La réforme, que nous avons lancée avant le 1er janvier 2025, commence à porter ses fruits et je souhaite qu'elle prenne cette année son plein essor. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin.

Mme Pauline Martin. Dans le droit-fil de la question de Catherine Morin-Desailly, je souhaite rappeler que la commission des finances du Sénat a présenté en juillet 2023 un rapport d'information portant sur la question suivante : "Le pass Culture répond-il au défi de la diversification des pratiques culturelles ?"

Les rapporteurs, au-delà de leurs conclusions positives, s'interrogeaient sur ce risque induit par la part individuelle du pass : confirmer les habitudes culturelles des jeunes et produire un simple effet d'aubaine, au point de s'apparenter à une billetterie classique.

Le rapport de la Cour des comptes confirme cette intuition. La conséquence en est la grande discrétion de certains secteurs, comme le spectacle vivant ou le patrimoine – je le relève à mon tour.

Par ailleurs, nous nous sommes émus auprès du président de la SAS pass Culture que la pluralité, notamment dans l'offre de presse, soit si difficile à atteindre.

Comment peut-on, au travers du pass Culture, orienter les jeunes vers des offres diversifiées, avec une réelle volonté d'ouverture et de découverte culturelles, sans que l'ombre d'un doute persiste sur d'éventuelles dérives mercantiles, voire idéologiques ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Comme je l'ai dit, madame la sénatrice, nous allons rendre la presse éligible au dispositif.

Vous m'interrogez au sujet de la diversification de l'offre : la nouvelle réforme vise justement à diversifier les pratiques.

Enfin, la tranche d'âge éligible et les dotations ayant été quelque peu modifiées, nous commençons à observer une évolution des pratiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Vous avez en partie répondu à ma question, madame le ministre, ce qui n'est guère étonnant puisque je suis le quatorzième orateur à intervenir dans ce débat…

La Cour des comptes relève dans son rapport que, hormis la contribution des offreurs de la plateforme, laquelle représente environ 6 % du volume d'affaires global, le pass Culture est financé par l'État. Nous sommes loin de l'objectif initial d'un financement à hauteur de 20 % par l'État et de 80 % par d'autres biais !

En parallèle, les dépenses liées au pass Culture n'ont cessé d'augmenter, bondissant de 93 millions d'euros en 2021 à 244 millions en 2024.

Le cumul des dépenses de la part individuelle et de la part collective du pass Culture a augmenté de près de 50 % au cours des deux dernières années. Surtout, on constate que le coût de la part individuelle du pass est systématiquement supérieur aux dotations initiales. Selon la Cour des comptes, des arbitrages doivent être pris afin de mettre un terme à cette croissance non maîtrisée des dépenses.

La Cour a présenté trois pistes d'économies : réduire le montant du crédit alloué aux jeunes de 18 ans ; le soumettre à des conditions de ressources ; et cibler les bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux.

Par ailleurs, il semble souhaitable de transformer la SAS en opérateur public afin qu'un contrôle plus étroit de son action puisse être exercé par le ministère et par le Parlement. Que pensez-vous de ces options ?

Enfin, je rappelle que notre assemblée a acté le besoin d'économies du dispositif en opérant une ponction de 65 millions d'euros sur ses crédits lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Cette décision appelle des ajustements.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Vous aurez remarqué, monsieur le sénateur, que les dépenses ici considérées sont figées pour 2025. (M. Olivier Paccaud le concède.) Nous nous y tiendrons.

La SAS – je l'ai dit – deviendra un opérateur public directement placé sous la tutelle du ministère, afin que le contrôle sur le dispositif et dès lors la transparence soient renforcés.

En février 2024, lors de ma prise de fonctions, j'ai eu l'idée de créer un fonds de dotation à même d'accueillir les soutiens financiers issus du mécénat, ainsi que d'éventuels crédits de la Caisse des dépôts ou d'autres financeurs.

J'ai aussi commencé à chercher le bon véhicule juridique pour ce faire. Mais puisque la SAS va devenir un opérateur public, nous pourrons, sans passer par ce biais, ouvrir le dispositif au mécénat. Je pense notamment au mécénat d'entreprise, qui se développe de plus en plus, pour l'insertion ou la réinsertion des jeunes.

Cette année, en revanche, du fait de la coupe budgétaire quelque peu brutale à laquelle nous avons dû procéder, il faudra mieux cibler les nouveaux bénéficiaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Je tenais à ajouter ces mots : vive le Puy du Fou,… (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. Et la fête de L'Humanité ! (Nouveaux sourires.)

M. Olivier Paccaud. … cet admirable écrin de spectacles vivants puisant aux sources du roman national, qui, en outre, exporte son concept mémoriel fédérateur.

Bravo, madame la ministre, d'avoir rendu sa cinéscénie éligible au pass Culture ! Mais les animations du Puy du Fou, qui ne sont pas des manèges – M. Ziane l'a très bien dit –, mériteraient aussi d'être incluses dans ce dispositif.

Encore une fois, vive le Puy du Fou (Mme la ministre rit.), cette merveilleuse réussite française ! (M. Francis Szpiner applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.

Mme Béatrice Gosselin. Puisque j'interviens en quinzième position, mes propos, je le crains, manqueront un peu d'originalité…

Le pass Culture suit un objectif ambitieux de démocratisation culturelle, mais il présente aussi certaines limites, notamment en milieu rural.

Il convient de souligner que l'offre collective est un véritable atout du pass Culture : elle permet à des scolaires de faire des expériences culturelles à moindre coût.

J'ai récemment reçu au Sénat un groupe d'élèves d'un lycée de la Manche, qui, grâce à ce dispositif, ont pu organiser un voyage de deux jours à Paris, incluant notamment une sortie au théâtre et la visite du Panthéon. Je ne suis pas certaine qu'ils se seraient permis de le faire sans le pass Culture…

Ce type d'initiative, essentiel pour nos jeunes, doit être soutenu et encouragé. Mais le problème du financement demeure.

J'ai bien compris, madame le ministre, que vous entendiez mettre en place une coordination avec les collectivités pour le renforcer.

Même s'il peut exister des doublons, il est certain que l'économie de nos territoires a profité de la part individuelle du pass. À cet égard, je tiens à remercier M. Ouzoulias : comme il l'a souligné, le prix unique du livre est primordial pour nos librairies.

Je souhaite soulever un point plus problématique : l'opacité de l'attribution des agréments, dont souffrent les structures de spectacle vivant. Il faudra ouvrir largement cette offre, afin que tous les spectacles puissent en bénéficier. La culture ne se limite pas à la lecture ou au cinéma ; elle peut prendre bien d'autres formes.

Ma question, je vous le disais, n'est guère originale : quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre pour assouplir et clarifier le processus d'agrément ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Au sujet de la mobilité, madame la sénatrice, vous avez raison. Comme je l'ai indiqué, nous allons généraliser en 2025, en concertation avec les collectivités territoriales, les dispositifs relatifs à la mobilité que nous avons expérimentés en 2024.

Quant aux critères d'éligibilité, ils vont devenir plus transparents. Comme ils seront connus de tous, il sera plus facile de postuler et, éventuellement, de former des recours.

Souvent, et cela m'a également frappée, l'on retrouve les mêmes offres de spectacles. Mais la géolocalisation permettra d'en dénicher de nouvelles, et elle incitera les uns et les autres à rejoindre le champ du pass Culture. Cela favorisera le spectacle vivant dans son ensemble et les activités culturelles implantées localement.

Je citerai l'exemple du plan Fanfare, que je suis très fière d'avoir lancé. Ce plan a très bien fonctionné en 2024 et marchera encore mieux en 2025. Dans ce cas précis, le soutien territorial a permis une intégration dans le pass Culture.

De même, le plan Cabaret permet de soutenir 200 établissements en France. Nous parlons, en l'occurrence, d'une véritable activité culturelle et d'une spécificité française.

Les activités que je viens de citer, et qui restaient largement à l'écart du pass Culture, pourront désormais y trouver leur place. Bien sûr, il ne s'agit pas d'envoyer des gamins de 14 ans au cabaret… Mais je rappelle qu'à cette activité sont attachés de véritables métiers d'art, lesquels peuvent donner accès à la culture. (M. Patrick Chaize et Mme Béatrice Gosselin opinent.)

La géolocalisation ainsi qu'une concertation de proximité avec les élus locaux permettront de proposer une offre culturelle plus fine, aussi riche que la France l'est de sa culture.

Enfin, il faut évidemment maintenir le prix unique du livre, cette exception culturelle française.

(…)

Conclusion du débat

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je vous remercie de vos propos souvent imagés, qui résument très bien notre discussion de cette après-midi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat dont la demande faisait l'unanimité, ainsi que des échanges très constructifs que nous avons eus.

Je me réjouis de vous avoir convaincus de la nécessité de maintenir la part individuelle du pass Culture. Il ne faut pas oublier le nombre de jeunes concernés. Dans un pays en proie au repli, au rejet de l'autre, voire parfois au séparatisme, il est capital de maintenir cet accès à la culture pour les jeunes les plus vulnérables et les plus fragiles, pour ceux qui sont les plus éloignés d'elle.

J'espère que notre volonté de réduire la diminution des crédits attribués à la part individuelle sera entendue lors des ultimes arbitrages budgétaires. La part individuelle est très utile pour de nombreux jeunes, qui ont réellement besoin d'être accompagnés. Il ne faut pas les lâcher : pour eux, la culture est la voie d'accès aux droits fondamentaux, à l'émancipation et à la liberté.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : "Quel avenir pour le pass Culture ?"


Source https://www.senat.fr, le 10 février 2025