Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin, Marc FERRACCI, ministre de l'Industrie. Marc FERRACCI, bonjour.
MARC FERRACCI
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. " Le glaçant réchauffement entre les Etats-Unis et la Russie " titre ce matin le journal Les Échos. Nous nous sommes entendus, a dit Sergueï LAVROV, le ministre russe des Affaires étrangères. " Nous nous sommes entendus " sur le dos de l'Ukraine et de l'Europe, Marc FERRACCI ?
MARC FERRACCI
Ce qui est certain, c'est que la discussion entre les Etats-Unis et la Russie ne pourra pas aboutir à quoi que ce soit concernant la situation de l'Ukraine, concernant l'intégrité territoriale de l'Ukraine, sans associer les Ukrainiens et les Européens. Ça, c'est un élément très clair qui a été posé, notamment par le Président de la République quand il a accueilli à l'Elysée l'ensemble des dirigeants européens et la Commission européenne. Pourquoi ? Parce que d'abord, l'Ukraine est un État souverain et l'exclure des discussions, c'est évidemment absurde. Et ensuite parce que les Européens sont partie prenante de la résolution du problème. Les Européens - parce que l'Ukraine est à nos portes, parce que depuis maintenant presque trois ans, la guerre est à nos portes - ont besoin d'être associés aux discussions et notamment ont besoin d'être associées à ce que l'on appelle les garanties de sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardon, Marc FERRACCI, je vous interromps, mais TRUMP et POUTINE n'en ont rien à faire de tout cela. TRUMP et POUTINE ne risquent-ils pas de se partager le gâteau, si je puis dire ? Aux Russes, les territoires annexés, un pouvoir à Kiev qui est très compatible avec ce que veut POUTINE, c'est-à-dire ZELENSKY s'en va ; et aux Américains les ressources minières de l'Ukraine. " Et vous, Européens, passez votre chemin, vous n'avez rien à voir là-dedans. "
MARC FERRACCI
Mais c'est précisément la raison pour laquelle il fallait agir, il fallait réagir, il fallait se réunir, et il fallait le faire extrêmement vite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais que peut-on faire après ? Le stade suivant ?
MARC FERRACCI
D'abord, mettre autour de la table tout le monde. Vous savez, quand vous avez un État souverain dont tout le territoire aujourd'hui est menacé par la Russie… C'est le cas de l'Ukraine, parce qu'il n'y a pas que les territoires occupés qui sont menacés par la Russie. Il faut se souvenir qu'au début de la guerre, POUTINE avait l'ambition d'aller prendre Kiev.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il a toujours l'ambition de chasser ZELENSKY.
MARC FERRACCI
Très probablement, évidemment. Donc ça, ça suppose de réagir en Européens. J'insiste parce que tout ce qui est en train de se passer aujourd'hui valide la vision qu'avait posée le Président de la République en 2017. Vous vous souvenez quand il parlait d'autonomie stratégique, de défense européenne ? Tout cela, aujourd'hui, se concrétise. Nous avons besoin de renforcer la défense européenne. Nous avons besoin, et vous voyez que le débat existe aujourd'hui, de réfléchir à la manière dont nous soutenons militairement l'Ukraine. Et la question des troupes au sol finit par se poser parce que les lignes bougent, précisément du fait de ce dialogue entre POUTINE et TRUMP. Donc, moi je pense qu'aujourd'hui, nous avons à la fois un risque de déstabilisation profonde, mais nous avons aussi une opportunité pour agir et pour consolider les liens qui nous unissent entre Européens et en particulier pour aller plus vite vers une défense qui soit véritablement européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour la première fois depuis 1945, une guerre est possible en Europe ?
MARC FERRACCI
D'abord, la guerre a eu lieu en Europe, je vous le rappelle, en ex-Yougoslavie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est vrai.
MARC FERRACCI
Donc malheureusement, ce n'est pas quelque chose de profondément nouveau. Mais la situation n'a pas changé. C'est une situation dangereuse. Et moi, j'étais à Varsovie il y a quelques jours pour un conseil européen, je comprends l'inquiétude des pays qui sont limitrophes de l'Ukraine. Je comprends l'inquiétude des pays baltes, je comprends l'inquiétude de la Pologne. Et je pense que c'est ici que la solidarité européenne doit jouer. Précisément pour affirmer des garanties de sécurité pour l'ensemble des pays, en particulier ceux qui sont membres de l'Union Européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors pourquoi, alors que des sanctions touchent la Russie, pourquoi est-ce qu'un tiers des importations de gaz naturel liquide, pourquoi ces importations viennent de Russie ? Et premier endroit où l'on importe ce gaz, c'est en France.
MARC FERRACCI
Alors, vous savez que le gaz rentre par la France. Parce que la France est le portail par lequel les importations de gaz, qu'elles viennent de Russie ou d'ailleurs, rentrent en Europe, parce que les terminaux méthaniers sont en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dunkerque ou autres, oui.
MARC FERRACCI
Mais ça ne signifie pas que nous consommons le gaz russe. Ça c'est un point très important. Le deuxième point que je veux souligner, c'est qu'il y a trois ans, le gaz russe représentait 45% des importations. Aujourd'hui, ça représente seulement 18%. Ça veut dire que les sanctions fonctionnent…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais dites-moi…
MARC FERRACCI
Pardonnez-moi, je vais jusqu'au bout du raisonnement… La stratégie consistant à se dérisquer - c'est le terme qu'on utilise, c'est-à-dire à être moins dépendant du gaz russe - c'est une stratégie qui fonctionne et c'est une stratégie que nous allons poursuivre. L'objectif, c'est à l'horizon 2027, de ne plus être du tout dépendant du gaz russe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez poursuivre, je ne sais pas, mais je vois plus 81% d'importations en 2024 par rapport à 2023. C'est ce que je vois.
MARC FERRACCI
Encore une fois, moi ce que je regarde, c'est en valeur absolue.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Europe a versé à la Russie 2,7 milliards d'euros pour ce gaz. Combien d'Ukrainiens civils et militaires tués avec cet argent ?
MARC FERRACCI
Quand vous avez des entreprises qui ont des contrats, des contrats avec des producteurs de gaz ou avec des producteurs de pétrole, ces contrats sont honorés. Sans quo, qu'est-ce qui se passe ? Les entreprises sont obligées de payer des pénalités qui peuvent les mettre à genoux. On est dans la continuité de l'exécution de ces contrats. Mais ces contrats, à un moment ou à un autre, vont se voir substituer d'autres contrats, avec d'autres importateurs ou d'autres exportateurs de gaz, en particulier provenant du Golfe, avec lesquels les relations sont meilleures et avec lesquels les valeurs ne sont pas les mêmes qu'avec la Russie. La stratégie est très claire, elle est progressivement de se désengager, de devenir moins dépendant du gaz russe et c'est une stratégie qui fonctionne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi en 2024, la France a-t-elle perdu plus d'usines qu'elle n'en a ouvertes ?
MARC FERRACCI
D'abord, ces chiffres, ça ne correspond pas à ce que le baromètre industriel de l'Etat nous fournit. Il y a un cabinet de conseil qui produit ces chiffres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En janvier, 20 fermetures d'usines en France.
MARC FERRACCI
Je ne vais pas entrer dans la méthodologie des chiffres. Ce que je veux dire, c'est que depuis 2017, l'emploi industriel a progressé en France. Depuis 2017, plus d'usines ont ouvert que d'usines n'ont formées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais la tendance est inversée.
MARC FERRACCI
Non, justement, au premier semestre 2024, il y avait toujours plus d'usines qui ouvraient en France que d'usines qui fermaient.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et aujourd'hui ?
MARC FERRACCI
Mais maintenant, qu'est-ce qu'il se passe dans notre pays ? Qu'est-ce qu'il se passe pour notre industrie, Jean-Jacques BOURDIN ? Il se passe qu'il y a des filières qui vont bien et des usines qui ouvrent. Il y a aussi des emplois qui se créent. Puis il y a des filières qui sont en difficulté. C'est une situation contrastée. C'est une situation contrastée parce que vous avez l'automobile, vous avez la chimie, vous avez la sidérurgie qui sont des filières confrontées à une concurrence internationale qui est extrêmement féroce, qui est parfois déloyale et qui d'ailleurs nécessite qu'on agisse au niveau européen pour mettre plus de protection. Et moi, j'y prends ma part en proposant et en essayant de convaincre mes interlocuteurs européens et la Commission de Bruxelles d'être moins naïfs dans notre approche commerciale et d'associer la politique industrielle et la politique commerciale. C'est ce que je défendais notamment à Varsovie. Je vous en parlais il y a quelques instants, il y a quelques jours. Donc, on a besoin d'agir pour les filières en difficulté. Mais on ne doit pas faire comme si tout allait mal. Parce que moi, je vais dans les territoires. Il y a des entreprises qui vont bien, qui investissent. Il y a des usines qui ouvrent. Il y a des entreprises qu'on sauve aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, et il y en a qui ferme.
MARC FERRACCI
Vous savez, on parle souvent d'entreprises qui ferment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous voulez qu'on parle des entreprises qui ouvrent ?
MARC FERRACCI
Il y a quelques jours, j'étais… Et puis, il y a des entreprises qu'on sauve. Et ça, c'est important de le dire aussi. J'étais à Arques, dans le Pas-de-Calais, visiter le plus grand site verrier au monde que nous avons sauvé. 4 000 emplois que nous avons sauvés avec l'État, les collectivités territoriales, avec les actionnaires et les créanciers. Tout le monde s'est mis autour de la table. Et ça, c'est un élément qu'il faut arriver à raconter. Mais aussi parce que tout ne va pas mal dans notre industrie. Nous avons aussi des atouts. Et ces atouts, nous devons capitaliser dessus et les consolider.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, j'aimerais savoir où en est le programme de construction nucléaire, par exemple ? Où en sont les financements ? Dites-nous, où est-ce qu'on en est ? Les fameux EPR, petits EPR, promis par le Président de la République.
MARC FERRACCI
Tout à fait. Alors, ce ne sont pas les petits EPR. Les EPR, ce sont les gros réacteurs. A côté, vous avez les SMR. Les EPR, ce sont les gros réacteurs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais c'est un peu sur le…
MARC FERRACCI
C'est ce qu'on appelle le nouveau nucléaire français. C'est ce que le Président de la République a annoncé à Belfort en 2022…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on est en 2025.
MARC FERRACCI
L'idée qu'on allait construire 6 réacteurs nucléaires de type EPR. Ces réacteurs, nous sommes aujourd'hui en train d'en finaliser le schéma de financement. Je discute quasiment chaque semaine avec EDF, avec les services de l'État. Et nous allons annoncer d'ici quelques semaines que le schéma de financement est désormais bouclé. Ce schéma de financement est compliqué parce que c'est un schéma qui engage…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Où seront-ils implantés ?
MARC FERRACCI
Alors, ils sont implantés à trois endroits différents : à Penly, à Gravelines et au Bugey. Trois paires de réacteurs qui vont sortir de terre dans les prochaines années.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quand ?
MARC FERRACCI
C'est à la fin de la décennie 2030. C'est là que les premières tranches de réacteurs seront opérationnelles. Parce que ça prend du temps de construire des réacteurs. Et c'est aussi la raison pour laquelle on a besoin, dans l'intervalle, j'en discutais hier à l'Assemblée nationale avec les députés, on a besoin d'un intervalle des énergies renouvelables pour assumer cette transition, parce que les réacteurs nucléaires mettent du temps à sortir de terre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir. Le coût ?
MARC FERRACCI
Alors, le coût, il est aujourd'hui en dizaines de milliards d'euros. Nous sommes en discussion pour voir si…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi ? Ce n'est pas très précis, ça, dizaines de milliards d'euros, ça veut dire quoi ?
MARC FERRACCI
Moins de 100 milliards d'euros.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Entre 80 et 80 milliards, quoi.
MARC FERRACCI
Ce sont les ordres de grandeur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
80 milliards.
MARC FERRACCI
Mais nous discutons pour faire en sorte que le plan de financement s'appuie aussi sur une réflexion opérationnelle. C'est comment on fait pour baisser le coût des réacteurs. C'est la raison pour laquelle je ne vous réponds pas de manière si précise que ça. On a besoin, au fond, de regarder toutes les options pour que les réacteurs coûtent le moins cher possible. Vous savez, le premier réacteur que vous construisez, il coûte très cher. D'ailleurs, ce sont les réacteurs de Flamanville qui a coûté très cher parce qu'il y a eu des délais, il y a eu des retards. Bon, on a l'ambition qu'au fur et à mesure qu'on en construit, il coûte de moins en moins cher. C'est la raison pour laquelle le sixième réacteur coûtera moins cher que le premier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une question un peu régionale. Quand est-ce que la première usine européenne de paracétamol verra le jour et ouvrira à Toulouse ?
MARC FERRACCI
Alors, d'abord, il y a du paracétamol qui est produit à Toulouse, qui sera produit à Toulouse dans le courant de l'année 2025 et aussi en Isère dans l'usine de SEQENS, toujours courant d'année 2025. C'est ça le calendrier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est promis, ce sera fait. Ce sera tenu.
MARC FERRACCI
Tout à fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, 25% de plus sur l'importation de l'acier et de l'aluminium. C'est ce que veut et ce que va imposer Donald TRUMP à partir du 12 mars. Que va faire l'Europe ? Est-ce que nous allons répliquer ?
MARC FERRACCI
Alors, d'abord, se dire que la France, vis-à-vis des Etats-Unis, n'est pas une grande exportatrice d'acier et d'aluminium.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais l'Europe l'est.
MARC FERRACCI
Mais effectivement, nous devons réagir en européen. C'est aussi le Canada qui est un grand exportateur. Nous avons besoin de réagir en européen là-dessus. Effectivement, Donald TRUMP a une approche très agressive de la politique commerciale. Nous, nous devons, dans un premier temps, riposter. Avant de négocier, il faut riposter. Ça, c'est un élément très important.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, vous allez riposter comment ?
MARC FERRACCI
Avec des tarifs douaniers qui vont s'appliquer à un certain nombre de produits.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur quoi ?
MARC FERRACCI
Justement, la question, c'est de savoir qu'est-ce qui fait mal à l'économie américaine ? Et donc, on a, aujourd'hui, la Commission européenne, puisque c'est au niveau européen que se prennent les décisions, a des listes de produits sur lesquels les Américains sont exportateurs en Europe. Et l'idée, c'est d'avoir des sanctions qui correspondent en valeur aux sanctions qui sont appliquées par les Etats-Unis sur les produits européens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Europe va donc riposter et imposer des droits de douane sur un certain nombre de produits américains. On est bien d'accord ?
MARC FERRACCI
Tout à fait. C'est exactement cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et d'ailleurs, la présidente de la Commission européenne l'a réaffirmé. Moi, je souhaite que cette riposte soit claire. Ce qui ne fait pas obstacle à ce que, dans un second temps, on négocie avec les Américains. Parce qu'au fond, la guerre commerciale, ça ne sert personne, Jean-Jacques BOURDIN. Ça ne sert personne. Ça va détruire des emplois aux Etats-Unis, ça va détruire des emplois en Europe. Donc, nous avons besoin - et on le sait - de discuter avec TRUMP. TRUMP, c'est quelqu'un qui est très transactionnel, qui aime bien faire des deals, on le sait. C'est probablement ça, d'ailleurs, qu'il cherche en menaçant d'appliquer les tarifs douaniers. Mais, moi, ce que je dis, et je l'ai encore dit en Europe, c'est qu'il ne faut pas rentrer dans la discussion avec TRUMP en faisant des concessions préalables, en disant « regardez, nous avons une offre à vous proposer. Nous allons vous acheter, par exemple, plus de gaz. Nous allons faire ci et cela. » Nous devons d'abord affirmer la force de l'Europe. L'Europe, c'est 450 millions de consommateurs. C'est un marché dont les Etats-Unis ne peuvent pas se passer. Et donc, il faut affirmer ce rapport de force. Il faut être, je le disais tout à l'heure, moins naïf. Et ensuite, on négocie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'Europe engage un rapport de force.
MARC FERRACCI
Exactement. Il faut assumer ce rapport de force. Je le dis et je le redis. Et je sais qu'un certain nombre de pays européens sont parfois un peu réticents à cela parce qu'ils ont une tradition de proximité avec les Etats-Unis aussi sur des questions qui peuvent être liées à la défense, à autre chose. Mais là, les lignes bougent. On le voit. Les Etats-Unis sont un allié qui est plus incertain qu'il ne l'était il y a encore quelques mois. Et donc, il faut que ça nous amène à réagir en Europe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, les énergies renouvelables dont vous me parliez, la transition… Il faut cette transition parce que j'ai vu ce qu'a décidé l'Europe. Le nucléaire n'est pas une énergie verte alors ?
MARC FERRACCI
Absolument pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors expliquez-nous.
MARC FERRACCI
D'abord, de quoi est-ce qu'on parle ? On parle de la possibilité de financer avec des fonds européens de l'hydrogène produit à partir de l'électricité nucléaire. Vous savez que pour produire de l'hydrogène, il faut beaucoup d'électricité. Nous avons une stratégie d'indépendance énergétique qui va notamment s'appuyer sur la filière hydrogène. Et nous, ce que nous défendons en France, c'est de pouvoir produire de l'hydrogène avec de l'énergie nucléaire et de bénéficier pour cela d'un soutien financier. C'est ça qui est en jeu au niveau européen. J'ai discuté avec l'ensemble des acteurs, et en particulier avec la Commission européenne, et nous poussons, et nous allons, je l'espère, obtenir que le nucléaire puisse faire l'objet de financements européens lorsqu'il sert à produire des énergies vertes, et en particulier de l'hydrogène. Donc ça, il faut être précis là-dessus. Des annonces seront faites dans les prochains jours par la Commission européenne. Donc nous saurons ce que seront les décisions, en tout cas ce que seront les propositions de la Commission européenne sur la manière dont on finance la politique énergétique. Mais nous, nous poussons pour une politique qui affirme le nucléaire comme une industrie absolument essentielle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous, vous poussez, mais l'Europe et d'autres pays en Europe, eux, ne poussent pas, et notamment les Espagnols.
MARC FERRACCI
Non, non. Hier matin, j'étais avec une douzaine de pays européens dans une réunion en visioconférence autour de ce que l'on appelle l'alliance européenne pour le nucléaire que nous avons, France, lancée il y a déjà un peu plus de deux ans avec ma collègue de l'époque, Agnès PANNIER-RUNACHER. Qu'est-ce que c'est ? C'est une alliance de pays qui soutiennent le nucléaire. Et il y a, ici, les Pays-Bas, il y a la Pologne, il y a des pays qui sont des pays importants et qui défendent l'idée que le nucléaire doit être au coeur du mix énergétique européen et ne doit pas être traité plus mal que les énergies renouvelables.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi est-ce que dans le pacte pour une industrie propre, le déploiement de l'énergie nucléaire en Europe, n'est pas inscrit ?
MARC FERRACCI
Mais le pacte pour une industrie propre n'a pas encore été annoncé. Il le sera le 26 février. Et donc, au moment où nous nous parlons, nous mettons la pression sur la Commission européenne pour que les fonds européens financent l'intégralité des technologies propres, ce qu'on appelle les « clean technologies », qui incluent le nucléaire. Et c'est là notre combat, et je pense que nous allons le gagner.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc développer les industries renouvelables, les énergies renouvelables, on est bien d'accord. Panneaux photovoltaïques, on n'en fabrique plus en France. C'est fini.
MARC FERRACCI
Non, si, bien sûr. Il y a encore des panneaux photovoltaïques en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais on en fabrique de moins en moins.
MARC FERRACCI
Qu'est-ce qu'on a autour des panneaux photovoltaïques ? On a une filière qui s'est développée, mais qui s'est développée pendant longtemps, en important des panneaux qui étaient, pour la plupart, produits en Chine, parce que produits à moindre coût, et ainsi de suite. On a, au fond, alimenté des emplois en Chine, alors que notre ambition, c'est de créer des emplois en France. Donc sur le photovoltaïque, nous avons une position qui est constante. Ça fait partie de notre mix énergétique. Nous avons des objectifs d'augmentation de la part du photovoltaïque dans la production d'énergie et dans la consommation d'énergie, à horizon 2030, à horizon 2035. C'est ce qu'on appelle la programmation pluriannuelle de l'énergie. Les choix que nous faisons, autour de l'énergie, sont toujours guidés par un principe assez simple, c'est qu'on doit créer des emplois industriels en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien d'usines, aujourd'hui, fabriquent des panneaux photovoltaïques en France ?
MARC FERRACCI
Bon, écoutez, je n'ai pas le chiffre exact des usines qui fabriquent…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y en a de moins en moins.
MARC FERRACCI
Ce que je vous dis, c'est qu'on défend l'idée que, sur le photovoltaïque, sur l'éolien, et c'est vrai aussi sur le nucléaire, on a besoin de créer une énergie qui structure nos filières industrielles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais ça, on est bien d'accord, mais moi, je suis concret. Combien d'usines qui fabriquent des panneaux photovoltaïques en France ?
MARC FERRACCI
Ecoutez, je n'ai pas le chiffre, là, sous les yeux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas le chiffre ? Vous savez pourquoi ? Parce qu'il n'y en a pratiquement plus.
MARC FERRACCI
Mais, Jean-Jacques BOURDIN, on est en train de discuter avec des acteurs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On veut développer l'énergie solaire, et on ne fabrique pas de panneaux en France.
MARC FERRACCI
On a besoin de se doter d'une capacité de production. Mais tous les panneaux photovoltaïques qui seront installés en France ne seront pas produits en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Dommage.
MARC FERRACCI
Il ne faut pas être dans une logique. Non mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je comprends ce que vous voulez dire. Mais le problème, c'est qu'aujourd'hui, on ne fabrique pas.
MARC FERRACCI
Il ne faut pas être dans une logique jusqu'au-boutiste. Nous avons aujourd'hui des projets d'investissement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des projets, oui.
MARC FERRACCI
Oui. Ben oui. Nous avons des projets d'investissement qui demandent le concours de l'État sur le photovoltaïque. Non, mais je vais aller au bout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MARC FERRACCI
Parce que vous êtes en train de me dire qu'on n'a pas de filière sur le photovoltaïque.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ben non.
MARC FERRACCI
On a, aujourd'hui, besoin d'avoir une capacité de production. Cette capacité de production, elle ne permettra pas d'équiper l'intégralité de notre territoire en photovoltaïque. Mais nous avons besoin d'avoir une capacité de production qui nous donne un peu d'indépendance sur le photovoltaïque. Et nous allons le faire. Et je vous le dis parce que nous allons le faire y compris en aidant fiscalement d'ici la fin de l'année la production et l'achat de panneaux photovoltaïques en appliquant un taux réduit de TVA. Donc nous avons aussi une stratégie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Taux réduit de TVA sur quoi ? Sur l'achat de photovoltaïque à l'étranger ?
MARC FERRACCI
Exactement. On ne va pas rentrer dans les détails.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ou sinon la fabrication de…
MARC FERRACCI
On ne peut pas, Jean-Jacques BOURDIN, appliquer un taux réduit de TVA en fonction de l'endroit où c'est produit. Donc soyons concrets pour les gens qui nous écoutent. Nous allons continuer à soutenir le photovoltaïque et notamment en baissant la fiscalité sur les panneaux. Nous allons faire en sorte que des projets d'investissement sur le photovoltaïque sortent de terre et nous apportons un soutien et une contribution de l'État à ces projets. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des aides de l'Etat. Les tarifs de revente de l'électricité solaire vont-ils baisser ?
MARC FERRACCI
Ils vont baisser pour les petites installations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire je produis de l'électricité solaire que je revends, je produis chez moi de l'électricité solaire que je revends, ça va baisser.
MARC FERRACCI
Ils vont baisser pour les petites installations précisément.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le tarif de vente va baisser, je gagne moins.
MARC FERRACCI
Et vous l'avez bien identifié, parce que ce que nous souhaitons soutenir c'est l'autoconsommation. On a aujourd'hui des grandes installations photovoltaïques qui produisent de manière assez compétitive de l'électricité et nous avons de plus petites installations qui nécessitent évidemment d'être raccordées au réseau et c'est bien normal, qu'elles soient en autoconsommation ou pas d'ailleurs. Le choix que nous faisons dans un contexte…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour certains, c'est un complément de revenu.
MARC FERRACCI
Budgétaire que vous savez contraint, nous avons besoin de faire des choix. Nous avons besoin de faire des choix et le choix que nous faisons, c'est effectivement de privilégier l'efficacité économique pour le consommateur. Dans un contexte où nous sommes également exportateurs d'électricité, il faut le savoir, nous avons exporté près de 20% de notre production électrique l'année dernière, nous faisons le choix de privilégier l'autoconsommation, c'est le sens également de la baisse de TVA que j'évoquais tout à l'heure. Et pour cela, nous allons effectivement modifier les tarifs de revente. Il y a un décret qui est mis en consultation. Moi, j'attends la fin de cette consultation. Nous dialoguons également avec les acteurs et peut-être que des ajustements seront faits, mais fondamentalement, la stratégie c'est de privilégier des installations photovoltaïques qui ont de l'efficacité économique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Demain, le Gouvernement soutiendra la proposition de loi interdisant une partie des PFAS, ces composants chimiques, polluants éternels dit-on, utilisés partout, absolument partout. On va interdire tous les PFAS ?
MARC FERRACCI
Non, il y aura la loi qui est sortie du Sénat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que vous soutenez.
MARC FERRACCI
La loi qui est sortie du Sénat. Alors d'abord, qu'est-ce que c'est les PFAS ? C'est effectivement des composants qui rentrent dans la composition d'un certain nombre de biens, de biens d'équipement, de biens industriels, ça peut être les poêles, ça peut être les ustensiles de cuisine, il y a beaucoup de choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le textile, l'automobile, enfin bon etc.
MARC FERRACCI
Ça rentre dans beaucoup de choses. Et effectivement, certains de ces PFAS, c'est là que la complexité intervient, tous ont potentiellement... présentent des risques à long terme pour la santé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Certains mais pas tous.
MARC FERRACCI
Et on a donc besoin sur ce sujet d'être dans une approche fine, c'est-à-dire de permettre certaines dérogations pour certains composants, de permettre également d'interdire ceux qui sont attestés comme étant négatifs pour la santé. Et moi, vous savez, j'ai une approche assez simple, il faut se fonder sur la science, il faut se fonder sur des études qui ont été produites par des scientifiques indépendants, et il faut nourrir le débat avec une approche qui soit fondée là-dessus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais là, il s'agit déjà d'interdire une bonne partie des PFAS.
MARC FERRACCI
Il s'agit d'interdire. Moi, en tant que ministre de l'Industrie, je défends une approche…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous partagez ?
MARC FERRACCI
Non, je ne défends pas le principe d'une interdiction générale. Je défends l'idée que certaines de nos industries nécessitent des PFAS et pardonnez-moi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Agnès PANNIER-RUNACHER défend une interdiction générale.
MARC FERRACCI
Pardonnez-moi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas vous ?
MARC FERRACCI
L'usine SOLVAY, à Salindres, va être obligée de fermer du fait de sa production de PFAS.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Salindres dans le Gard,
MARC FERRACCI
On voit bien qu'il y a des conséquences potentielles à l'interdiction. Il faut faire attention à cela. Il faut trouver un équilibre. Moi, je serais toujours du côté de ceux qui recherchent un équilibre. L'équilibre doit être fondé sur l'analyse scientifique. Quels sont les composants, de manière précise, qui sont dangereux, qui ne sont pas dangereux ? Est-ce qu'on laisse le temps à l'industrie de s'adapter ? Il y a une loi qui est sortie du Sénat, qui est une loi, je trouve, équilibrée, qui permet certaines dérogations. Et moi, je suis en soutien de cette approche équilibrée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que le textile français risque de mourir alors qu'on importe SHEIN de Chine. Vous êtes bien d'accord avec moi. Où là, les PFAS, on ne va pas voir s'il y a utilisation ou pas ?
MARC FERRACCI
On a besoin de réciprocité dans notre politique commerciale. Lorsque l'on importe des choses qui ne respectent pas nos normes, qu'elles soient sanitaires, qu'elles soient environnementales, on doit mettre des barrières. C'est ce que nous faisons au niveau européen. C'est le contenu des traités commerciaux. Le traité du Mercosur, vous savez, dont on parle beaucoup, la France ne le signe pas parce qu'il n'y a pas cette réciprocité, parce qu'il n'y a pas cette idée qu'on doit appliquer aux exportateurs en Europe les mêmes règles que ceux qui produisent chez nous. Et donc, c'est exactement ce que nous devons appliquer, ce que nous allons appliquer au niveau européen sur l'ensemble des contraintes sanitaires ou environnementales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Marc FERRACCI d'être venu nous voir ce matin sur l'antenne de Sud Radio.
MARC FERRACCI
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2025