Déclaration de M. Patrick Mignola, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement, sur les conclusions de la commission mixte paritaire, pour examen avant adoption définitive, relatives au projet de loi d'urgence pour Mayotte, au Sénat le 13 février 2025.

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Intervenant(s) : 
  • Patrick Mignola - Ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'urgence pour Mayotte (texte de la commission n° 321, rapport n° 320).

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence aujourd'hui de M. le ministre d'État, ministre des outre-mer, Manuel Valls, retenu actuellement auprès du Président de la République pour une réunion sur la Nouvelle-Calédonie.

Il y a quelques semaines, lorsqu'il présentait ce projet de loi d'urgence pour Mayotte devant la commission des affaires économiques de votre assemblée, il avait souhaité, plus largement, définir la méthode du Gouvernement, laquelle s'organise en trois temps : les urgences vitales, la reconstruction, la refondation.

Sur le premier temps – la gestion de crise –, nous pouvons dire, avec lucidité, que nous nous dirigeons progressivement vers une sortie de la phase d'urgence vitale.

Des difficultés persistent, mais l'accès à l'électricité ou à la nourriture s'est vraiment amélioré. L'objectif de rétablissement de l'électricité à 100 % au 31 janvier a été tenu.

La rentrée scolaire s'est faite, dans des conditions difficiles certes, mais l'engagement des personnels éducatifs et des renforts de sécurité civile a permis de l'organiser.

Dans le second degré, l'intégralité des établissements a rouvert. Dans le premier degré, seule une vingtaine d'écoles demeurent dans l'incapacité d'accueillir les élèves, mais des "tentes-écoles" ont été positionnées. En outre, 1 100 élèves ont pu être scolarisés hors de Mayotte, dont 400 à La Réunion.

Par ailleurs, vous le savez, nous aménageons les épreuves de fin d'année et les remplaçons en grande partie par du contrôle continu.

La reconstruction des écoles est une priorité. C'est pourquoi le projet de loi de finances pour 2025 prévoit 2,5 millions d'euros mobilisables immédiatement.

L'objectif d'achever le traitement des déchets ménagers dans un mois reste un immense défi. Nous avons commencé des brûlages selon un mode opératoire préservant l'environnement et la santé.

En matière d'accès aux soins, cinq dispensaires sur sept sont rouverts et si l'Élément de sécurité civile rapide d'intervention médicale (Escrim) a dû être démonté comme prévu, un hôpital de campagne associatif a pris le relais.

Ces avancées sont évidemment dues aux agents de l'État et, en premier lieu, au préfet François-Xavier Bieuville, aux volontaires et aux bénévoles mobilisés, mais, surtout, à l'engagement des Mahorais : la population, bien sûr, mais aussi les entrepreneurs, que l'État accompagne sans réserve.

La circulaire sur le fonds de secours outre-mer, qui prévoit notamment 15 millions d'euros d'aides pour les agriculteurs, a été signée par l'ensemble des ministres concernés.

Je tiens aussi à rendre hommage aux élus. Impliqués dans la gestion de la crise, ils seront incontournables dans la reconstruction et la refondation qui nous attendent.

C'est pourquoi le ministre d'État a signé, lors de son dernier déplacement à Mayotte, avec le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni, et le président de l'association des maires de Mayotte, Madi Souf, une convention d'intention affirmant les grands principes devant guider la refondation : durcissement des règles contre l'immigration illégale, lutte contre les bidonvilles, développement des infrastructures, convergence économique et sociale.

Nous nous éloignons donc progressivement de la phase d'urgence.

Pour autant, tout reste à faire ! La gestion de crise passée, il nous faut reconstruire, puis refonder Mayotte. De nombreux défis sont devant nous.

Sur la reconstruction – le deuxième temps que j'évoquais au début de mon propos –, nous franchissons aujourd'hui une étape décisive.

Face au chaos, nous avions collectivement, dans le cadre de ce projet de loi, une responsabilité extrêmement forte. Le Parlement s'est hissé à la hauteur de cette responsabilité. D'abord, ce projet de loi a été adopté en première lecture à la quasi-unanimité de l'Assemblée nationale et à l'unanimité du Sénat. Ensuite, la commission mixte paritaire n'a eu aucun mal à trouver un accord utile et équilibré, et nous en remercions très sincèrement ses deux rapporteurs.

Sur le fond, des compromis féconds ont été trouvés par les deux chambres.

Ainsi, à l'article 1er, la composition de l'établissement public de reconstruction a d'ores et déjà été précisée afin d'assurer une meilleure représentation des collectivités territoriales, notamment des intercommunalités ; à l'article 2, la prise en charge par l'État de la reconstruction des écoles se fera à la demande des communes concernées ; enfin, la dispense de toute formalité d'urbanisme pour les constructions démontables temporaires de l'article 3 a été davantage encadrée afin de limiter leurs utilisations possibles et de garantir clairement qu'elles ne deviendront pas pérennes.

Outre ces modifications des articles initiaux, des mesures ont également été ajoutées au cours du débat parlementaire, sur des sujets fondamentaux pour nous.

Plusieurs dispositifs de lutte contre les bidonvilles ont été intégrés, sur l'initiative ou avec le soutien du Gouvernement, comme l'extension du champ de l'ordonnance de l'article 4 ou l'encadrement de la vente de tôles aux particuliers à l'article 4 bis.

L'article 13 bis AA permettra de garantir la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction, puisqu'il prévoit la faculté de réserver jusqu'à 30 % du montant estimé d'un marché aux microentreprises, PME et artisans basés à Mayotte.

L'article 17 bis AA, intégré au texte sur l'initiative du Gouvernement, met en place un prêt à taux zéro ouvert à toutes les familles mahoraises pour reconstruire leur maison, même lorsque leur habitation n'était pas assurée. Il permettra d'emprunter jusqu'à 50 000 euros, pour une durée maximale pouvant atteindre trente ans, avec un différé d'amortissement de cinq ans. Le Gouvernement s'engage à ce que ce prêt soit distribué le plus rapidement possible, avec les banques et Action Logement.

Enfin, l'article 17 ter exonère le territoire de taxe générale sur les activités polluantes sur les déchets pendant deux ans.

Tous ces ajouts témoignent de la richesse du débat parlementaire.

La reconstruction nécessitera des engagements financiers considérables. La mission interinspections chargée d'évaluer les dégâts achève ses travaux. Le coût des destructions se situera entre 3 et 3,5 milliards d'euros.

L'État sera au rendez-vous, en octroyant des aides directes et en mobilisant des fonds européens, et ce sur plusieurs années. Les assurances et l'Agence française de développement auront aussi un rôle à jouer. Et je l'ai dit, ce projet de loi garantit aussi la participation des entreprises mahoraises à la reconstruction de leur territoire.

Le Gouvernement tout entier est mobilisé pour faciliter cette reconstruction.

Le ministre d'État Manuel Valls et le ministre des armées, Sébastien Lecornu, ont décidé de créer un bataillon temporaire de reconstruction, doté de plusieurs compagnies de génie, d'infanterie, de commandement et de logistique. Ce sont entre 350 et 400 soldats qui iront ainsi s'installer à Mayotte.

Ce projet de loi, que vous vous apprêtez à adopter définitivement, n'est qu'une première réponse, car, après le temps de l'urgence et celui de la reconstruction, viendra celui de la refondation.

D'ici à quelques semaines, le ministre d'État, ministre des outre-mer, présentera un second texte : un projet de loi de programmation pour Mayotte visant à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases. Il s'appuiera sur le plan stratégique que va élaborer le général Facon, préfigurateur de l'établissement public et, surtout, chef de la mission interministérielle de reconstruction de Mayotte installée auprès du ministre d'État. Celui-ci est de nouveau sur place, avec une partie de son équipe.

Le Gouvernement sera notamment particulièrement attentif à ce que nous portions un véritable projet d'avenir, dirigé vers la jeunesse. Le régiment du service militaire adapté (RSMA) effectue déjà un travail remarquable. Des jeunes sont d'ores et déjà formés, dans ce cadre, aux métiers du raccordement à la fibre, par exemple.

Si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des calamités qui existaient déjà : un sous-développement des infrastructures économiques et des services publics, entretenu par deux fléaux qui rongent l'île depuis des années : l'habitat illégal et l'immigration clandestine.

Dans le domaine de l'eau, par exemple, à défaut de changement structurel, nous reviendrons, au mieux, à la situation très insatisfaisante de l'avant-Chido.

C'est pourquoi, parmi les priorités du plan Mayotte debout figurent la construction d'une deuxième usine de dessalement et l'accélération de la création d'une troisième retenue collinaire. Nous avançons sur ces deux projets. Nous devons être très attentifs, car le risque d'une nouvelle crise de l'eau, semblable à celle de 2023, existe bel et bien.

En matière de reconstruction de logements, d'infrastructures, d'entreprises ou de services publics, la zone franche globale sera bien entendu bénéfique. Cependant, les maires et les entrepreneurs le disent tous : leurs projets sont empêchés par les bidonvilles. Soyons clairs : le Gouvernement ne laissera pas Mayotte redevenir une île-bidonville.

Au-delà des mesures que comprend ce projet de loi, c'est sur le terrain que la lutte contre les bidonvilles prend tout son sens. Les décasages reprennent, c'est une bonne nouvelle.

Il faut aussi s'attaquer très sérieusement à l'immigration illégale, qui pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes, nourrit l'ultraviolence et alimente des réseaux de trafiquants d'êtres humains.

Nous agissons déjà, et je salue les unités engagées dans cette lutte, sur terre et en mer. Je pense en particulier à la mise en œuvre de nouvelles capacités radar. Sébastien Lecornu a également annoncé que les soldats continueront d'assumer cette mission et que la présence militaire serait renforcée de manière pérenne dans cette région stratégique.

Toutefois, nous devrons aussi prendre des mesures fermes pour renforcer juridiquement nos moyens de lutte. Bruno Retailleau et Manuel Valls travaillent d'ores et déjà sur ce volet primordial du second projet de loi. Parmi les mesures envisagées figurent l'allongement de la durée de résidence régulière des parents pour permettre l'accès des enfants à la nationalité française, l'amélioration des outils pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité ou l'encore l'extension de l'aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d'origine.

Nous devons porter le nombre d'éloignements de clandestins de 25 000 aujourd'hui à 35 000 demain. Cela suppose un rapport très ferme avec les autorités des Comores.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en adoptant ce projet de loi, vous prouverez aux Mahorais que la Nation est à leurs côtés ; que nous ne laisserons pas tomber Mayotte ; que nous ne lâcherons rien pour aider leur territoire à se relever.

Vous prouverez aux Mahorais que nous ne transigerons sur rien pour reconstruire l'île sur des bases plus saines, pour changer son visage et, à travers elle, leur vie tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions. – M. Saïd Omar Oili applaudit également.)


Source https://www.senat.fr, le 24 février 2025