Texte intégral
Merci beaucoup. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, en vos grades et qualités, d'abord, je tiens à remercier Monsieur le maire de Porto et la ville de Porto de nous accueillir pour cette deuxième journée de cette visite d'État. Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, pour avoir si bien organisé celle-ci.
Alors, il y a une forme de paradoxe, vous l'avez rappelé, puisque la précédente visite d'État d'un Président français, c'était il y a 26 ans, et pourtant, le dialogue et l'amitié n'ont pas attendu. Nous avons, en 2022, une saison culturelle croisée qui a été un formidable succès. Quand j'ai eu à choisir un directeur pour le Festival d'Avignon, j'ai choisi un Portugais. Je l'ai d'ailleurs dérobé à Porto avec Thiago. Et quand je regarde les chiffres, nous avons de plus en plus de Français qui viennent s'installer au Portugal. On est environ à 50 000 selon les chiffres de la police, et pas des manifestants. C'est un chiffre qui a triplé depuis 2015. Et donc ça veut dire qu'il y a une attraction qui est là, en même temps que… Il y a plus de 2 millions de luso-descendants dans notre pays. Et je rappelais hier, lors du dîner d'État, combien, je le sais, cette communauté a été touchée dans son sang, son cœur, et nous tous, lors de l'attentat de Mulhouse. Alors oui, il y avait comme une évidence à faire un traité d'amitié. Et la discussion que nous avons eue en juin dernier nous a conduit à cela.
Je veux saluer vraiment l'engagement du Premier ministre qui l'a proposé et beaucoup poussé. Mais le traité d'amitié et de coopération que nous venons de signer, au fond, reflète le lien très singulier qui est le nôtre, qui a été forgé par l'histoire de l'après la Deuxième Guerre mondiale, de l'exil de centaines de milliers, justement, de femmes et d'hommes de liberté portugais pendant la période de SALAZAR et, au-delà de cela, de votre contribution à notre reconstruction durant ces décennies. Alors, ce traité, vous l'avez dit, va permettre de renforcer la relation bilatérale dans de très nombreux domaines : la culture, la science, l'enseignement, la police, l'économie, à peu près tout ce que peut couvrir une coopération bilatérale. Et il va prévoir aussi entre nous des réunions régulières, une coordination très régulière. Et il va permettre de renforcer à la fois le lien entre nos 2 pays et la manière aussi de faire de notre travail conjoint quelque chose de plus solide et encore plus utile pour l'aventure européenne. Au fond, nous le faisons à un moment, le Premier ministre l'a rappelé, où notre Europe est bousculée. Et donc chacun des sujets que nous avons abordés aujourd'hui, je crois, est structurant pour la relation bilatérale, mais décisif aussi pour rendre notre Europe plus forte. D'abord le domaine économique : nous croyons l'un et l'autre qu'il faut une Europe beaucoup plus compétitive, plus forte sur le plan de la technologie, de l'économie, de l'industrie. Et donc oui, nous voulons aller de l'avant sur à la fois les interconnexions électriques, l'investissement dans nos réseaux, dans chaque pays, mais également, on le parlait, parce qu'il y a une grande complémentarité entre le Portugal et la France. C'est ici un très grand pays de renouvelables, nous sommes un très grand pays de nucléaires. Et donc nous sommes deux fournisseurs d'énergie décarbonée : l'une est alternative, l'autre est pilotable.
C'est une chance formidable si on arrive à interconnecter. Et c'est un socle pour ce marché européen de l'énergie dans lequel nous croyons, où, en fait, on veut une énergie la moins chère possible, la plus décarbonée possible et qui puisse circuler entre nous. C'est en cela que la stratégie que nous adoptons, je crois, est la bonne. Plusieurs accords économiques importants sont signés, et je veux ici dire combien le gouvernement portugais est très volontariste, et vous saluer sur ces projets d'infrastructure du nouvel aéroport de Lisbonne, LGV Porto-Lisbonne et Lisbonne-Madrid. Et je pense aux investissements d'ANA Aeroportos et Vinci, de notre filière ferroviaire, tout ce qui est fait avec Alstom, de ce qui est fait dans ce domaine des infrastructures entre nos grandes entreprises. Et en effet, Vinci et Alstom sont là. On a aussi Air France qui a des grands projets ici que nous soutenons. Et puis, on a des projets très structurants où, ensemble, on va aller conquérir des parts de marché dans le domaine de la sécurité des titres ou beaucoup d'autres. Nous avons aussi en matière économique une intimité très forte en matière de technologie. J'étais hier au Beato à Lisbonne. C'est un travail formidable qui est fait. On a un écosystème franco-portugais qui est extrêmement vibrant. Et donc là aussi, nous avons plusieurs projets qui permettent de faire encore davantage et de nous appuyer sur nos forces réciproques. Et je dois dire à cet égard que le forum que nous conclurons cet après-midi permettra à l'un et à l'autre de marquer encore davantage notre ambition économique en la matière.
Tout cela vient servir à un agenda, en effet, de souveraineté technologique, économique, industrielle européenne, qui est plus indispensable que jamais. Au moment où on le voit, où il y a une bataille qui est économique, mais géopolitique sur l'intelligence artificielle, au moment où on le voit, on n'a pas attendu cette administration, d'ailleurs. Il y a aussi une bataille qui est lancée sur les technologies vertes, et où il faut que l'Europe puisse produire ces technologies vertes pour ne pas dépendre, et l'Inflation Reduction Act qui date de la fin 2022 avait commencé, si je puis dire, cette tension, et où, en fait, on veut avoir nos solutions comme Européens, parce qu'on ne veut pas désindustrialiser notre continent. Au contraire, on a besoin de créer de la valeur et créer de la souveraineté technologique. Et alors même que l'ombre de tarifs sur l'économie européenne revient, de la part de notre allié transatlantique, il est nécessaire, en effet, d'être plus fort sur ce volet-là. C'est la même observation et la même volonté qui est la nôtre en matière de défense et de sécurité.
Nous signons un accord qui est important sur les canons CAESAR, sur les drones, et je salue la décision du Portugal de se porter acquéreur de 12 canons et jusqu'à 36. Nous sommes aussi volontaires pour travailler avec les solutions technologiques qu'apportent le Portugal et les drones et sa capacité d'innovation. C'était moins présent dans l'histoire de notre relation, il faut bien le dire. Et on renforce ce pilier. C'est une très bonne chose, parce que là aussi, il nous faut avoir une Europe qui investit davantage sur sa défense et sa sécurité. C'est ce que nous a fait acter dès mars 2022 l'agenda dit de Versailles. Mais pour ça, il faut une Europe qui dépense davantage, mais qui dépense davantage en Européens, et c'est-à-dire qui produisent davantage de solutions de défense, de capacité sur le sol européen. Et l'accord que nous signons vient servir cet objectif. Nous aurons ensemble le 6 mars prochain un Conseil extraordinaire à Bruxelles qui est un rendez-vous important dans lequel nous allons promouvoir justement cette volonté d'aller beaucoup plus vite et plus fort, de dégager des financements nationaux et européens supplémentaires, d'aller vers des solutions très innovantes pour investir beaucoup plus sur notre défense et notre sécurité, mais de le faire pour produire en Européens. Et donc d'identifier les capacités dont nous avons besoin davantage, défense solaire, justement les drones et les systèmes anti-drones, l'intelligence artificielle, certaines capacités maritimes, les tirs de longue portée, où il nous faut bâtir des solutions européennes et donc investir dans la durée et avoir une préférence européenne.
C'est une petite révolution. Et lorsqu'on poussait ces idées il y a 7 ans, elles étaient vues avec suspicion. Et je crois qu'à la fois la guerre d'agression russe en Ukraine en 2022 a été un premier réveil stratégique, et le trouble que nous partageons tous depuis quelques semaines en est un supplémentaire. Et maintenant, il faut passer à une nouvelle phase d'action. Et à ce titre, notre coopération, vous le voyez, sert cette ambition. Enfin, sur les grands sujets internationaux, nous avons pu évoquer notre agenda commun et nous servons les mêmes objectifs. Et je veux dire ici combien le passage de témoins était une étape importante hier à Lisbonne, de Lisbonne à Nice pour le deuxième Sommet des Nations Unies sur les océans, qui s'est tenu en 2022 dans votre pays, jusqu'au troisième que nous organiserons en juin prochain, en lien avec le Costa Rica, où nous voulons poursuivre le travail et les efforts qui ont été conduits sur un sujet absolument décisif. Je ne serai pas plus long. Le Premier ministre a parfaitement détaillé le reste des sujets et je partage totalement, nous parlons d'une même voie.
Mais je veux remercier ici l'ensemble des Portugaises et des Portugais, et Monsieur le président de la République, le Premier ministre, les maires de Lisbonne et de Porto, ainsi que tous les représentants que nous avons pu croiser lors de cette visite d'État pour la qualité de leur accueil, pour la chaleur de celui-ci, et surtout pour l'ambition de la feuille de route que nous portons, qui a été consacrée par ce traité d'amitié. Nous nous sentons chez vous comme chez nous, c'est- à-dire avec une forme de liberté, d'amitié, de bienveillance, et cette hospitalité nous a beaucoup touchés pendant ces deux jours. Donc merci infiniment, Monsieur le Premier ministre.
Journaliste
Bonjour Monsieur le Président, bonjour Monsieur le Premier ministre. Je vais rester assis pour mes collègues caméramans derrière et ne pas les déranger à l'image. Je vais rebondir, Monsieur le Président, sur ce que vous venez de dire. L'ombre, vous le disiez il y a quelques instants,
l'ombre, le potentiel tarif supplémentaire de la part de nos alliés américains. Donald TRUMP, justement, qui deux jours après votre voyage à Washington a annoncé que les produits européens feront bientôt l'objet de droits de douane à 25 %. Qu'est-ce que concrètement la France et les Européens en général sont prêts à faire en conséquence à ça ? Est-ce qu'on a déjà une idée sur les produits que vous pourriez peut-être taxer de manière réciproque ou pas ? Et puis plus généralement, qu'est-ce que vous répondez à Donald TRUMP quand il dit que l'Europe a été conçue, je cite : " pour emmerder les Européens ". Votre prédécesseur, François HOLLANDE, dit ce matin que l'administration TRUMP n'est plus notre alliée. Et même dans votre propre camp, ces dernières heures, Valéry HAYER, cheffe de délégation Renew au Parlement européen, disait que les États-Unis n'étaient plus nos alliés. Eux aussi, les termes sont très forts. Quel est votre avis sur ça ?
Emmanuel MACRON
Écoutez, j'avais moi-même évoqué le sujet des tarifs pendant et après ce voyage pour dire que la discussion avait été difficile et que j'en partais avec très peu d'espoir. Pourquoi ? Parce qu'il y a, je crois, des incompréhensions, des problèmes de conception dans l'approche commerciale qui est aujourd'hui proposée par cette administration. Et le cœur du raisonnement est que nos taxes sur la consommation, en particulier la taxe sur la valeur ajoutée, serait un tarif ; ce qui est factuellement faux. Et donc je l'ai plaidé, j'ai expliqué, on a échangé des papiers avec le président TRUMP et son équipe. Et je pense qu'il faut que le travail soit fait jusqu'au bout en lien avec nos partenaires. Je sais que Keir STARMER a fait pareil hier et que la Commission a fait la même chose.
C'est très simple, parce que la TVA que nous avons dans nos pays, elle taxe ce que nous produisons comme ce que nous importons. Donc on voit bien que ce n'est pas un tarif. Il n'y a pas de différence entre ce qui est importé et produit localement. Donc j'ai essayé de plaider ce qui me paraissait relevé de l'évidence. J'espère que nous arriverons à convaincre de cette évidence. Ensuite, je pense que les tarifs, c'est mauvais pour tout le monde, parce que c'est inflationniste pour tout le monde et que les États-Unis n'ont pas à y gagner et que d'ailleurs, ce n'est pas la bonne manière de corriger un déséquilibre commercial qui est beaucoup plus réduit que tel qu'il est présenté par l'administration américaine. L'économie américaine et l'économie européenne, ce sont 1 500 milliards d'euros d'échanges chaque année : de biens, de produits, de services numériques. Il n'y a pas deux zones économiques qui sont autant liées. Et le déséquilibre économique à la défaveur des États-Unis d'Amérique, c'est 50 milliards. Donc vous voyez qu'il est très marginal. Donc je pense que personne n'a à gagner à lancer cela. Qui plus est, je considère que le faire au moment où les Européens repartent pour s'investir sur des efforts de défense est une erreur de tempo. Donc je pense qu'il y a une erreur de principe et qu'il y a une erreur de tempo.
Bon, ensuite, une fois qu'on a dit ça, il y a des premiers tarifs qui ont été mis, lato sensu, pas que sur les Européens, sur l'aluminium et l'acier. S'ils sont confirmés, les Européens répondront. Et donc, il y aura des tarifs réciproques, parce qu'il faut qu'on se protège et qu'on se défende. Et si, début avril, comme cela a été annoncé, des tarifs étaient mis sur les produits européens, à cette hauteur-là, les Européens auront à répondre, parce que nous n'avons pas à répondre…nous n'avons pas, en quelque sorte, à être faibles face à ces mesures. Et donc ce qu'il faut réussir à faire dans les prochaines semaines, c'est convaincre que ce n'est pas une bonne décision de manière générale pour nos intérêts géopolitiques partagés entre les États-Unis d'Amérique et les Européens, et que ce serait mauvais pour tout le monde. Mais si ça advenait, alors nous devrons répondre et nous l'assumerons. Plus largement, je me garderai d'avoir les grandes formules, je pense qu'il y a une incertitude. Mais j'ai plusieurs fois dit, et ça n'a pas commencé il y a quelques semaines, il y a beaucoup de naïveté ou de réveil tardif chez beaucoup de gens qui s'expriment si durement, mais les Européens laissés seuls en Syrie, le retrait unilatéral de l'Afghanistan, toutes les décisions des 10, 15 dernières années, c'était déjà le fait que l'Europe n'était plus au cœur de la pensée géostratégique et géopolitique américaine. Je crois qu'il faut être lucide là-dessus. Et je le plaide depuis plusieurs années. C'est pour ça que vous m'entendez depuis 7 ans parler de souveraineté européenne et d'autonomie stratégique européenne. Beaucoup de collègues s'y sont remis et nous ont rejoints, en particulier après le début de 2022. Mais il y avait toujours cet espoir qu'au fond... Il y a toujours cet espoir : « ça passera ». C'est stratégique, c'est profond, c'est bipartisan.
Le choix américain aujourd'hui est d'abord une préférence américaine et il faut la respecter. Et c'est ensuite, la confirmation du fait que la priorité est la Chine, et en tout cas cette région. Et donc quelle est la réponse à ça ? Ce n'est pas de faire des commentaires, ce n'est pas de se lamenter, ce n'est pas de juger. C'est d'abord d'essayer au maximum d'engager les Américains à nos côtés, parce que nous avons besoin d'eux, parce que nous avons contracté, la France moins que d'autres, sur le plan militaire. Mais les Européens ont contracté, oui, des dépendances à travers les décennies, et donc il faut d'abord les engager, parce que face aux défis qui sont les nôtres, on a besoin pour le moment des Américains. Mais en même temps qu'on essaie de les garder au plus près de nous, c'était le sens de mon voyage lundi dernier, eh bien, il nous faut agir beaucoup plus fortement pour être plus indépendants. Et donc les indignations de dernière minute ne servent pas à grand-chose. Il faut avoir une pensée stratégique et surtout une action stratégique, et nous, être beaucoup moins dépendants des autres. Et on est à un moment où l'Europe découvre, et je m'en félicite, qu'elle n'est plus simplement un marché, qu'elle doit être une puissance, et donc qu'elle doit produire son savoir, qu'elle doit produire sa technologie, qu'elle doit produire ses solutions économiques, qu'elle doit produire ses solutions climatiques et qu'elle doit produire ses solutions de défense et de sécurité. C'est une opportunité pour nous, simplement, ce seront des choix profonds. Voilà. Moi, je ne suis pas commentateur, je suis acteur. Et nous devons tous l'être, dirigeants européens. C'est le sens du sommet qui arrive sur les sujets de défense et de sécurité dans quelques jours. C'est le sens aussi du sommet qu'on aura à la fin du mois de mars sur les questions de compétitivité. Il faut qu'on se réveille et il faut qu'on agisse pour être plus forts. Être plus forts, c'est la seule réponse.
Journaliste
I've been in Ukraine several times. I watched the suffering of those people with my own eyes. What else needs to happen to Ukraine for Europe to deploy troops on the ground and what exactly is deterring France to take the lead and to do so ?
Emmanuel MACRON
Je me permets une remarque dans la continuité de ce que disait Monsieur le Premier ministre, je le dis pour parfois éclairer nos débats français. Il y a beaucoup de papiers européens admirant le modèle espagnol ou portugais pour dire que c'est quand même formidable, ils ont réussi à réduire le sujet de finances publiques et regardez, il y a de la croissance. C'est vrai. Ce sont des réformes qui ont été faites, il y a 15 ans et qui n'ont pas été détricotées par les majorités successives, en particulier des réformes de retraite beaucoup plus ambitieuses que celles que nous portons dans notre pays. Le dividende, on le touche 15 ans après. Mais je le dis juste parce qu'on ne peut pas toujours déplorer les conséquences dont on chérit les causes, pour reprendre les grands auteurs. Si on en vient maintenant au sujet de votre question, je partage vraiment l'émotion que vous venez de témoigner, et j'ai vu les mêmes scènes que vous, et les mêmes scènes de guerre terribles. Et donc, l'Europe, depuis la première minute, d'abord, a tout fait pour empêcher ce conflit. Vous savez que la France était engagée avec l'Allemagne dans le format dit de Normandie s'assurer des accords de Minsk, ce qui est jusqu'aux dernières heures pour empêcher la guerre d'agression. Ça a été un choix grave, profond, à mon avis, gravissime devant l'histoire et en termes humanitaires, qu'a fait le président POUTINE.
Depuis la première minute, nous avons sanctionné la Russie en restant unis, toujours, avec un paquet de sanctions qui vient de sortir, ce que beaucoup pensaient impossible. Nous avons soutenu l'Ukraine massivement et nous avons toujours eu un principe qui était de ne pas faire d'escalade. Donc devenir belligérant, c'est faire une escalade. Donc, tous les Européens sont restés sur une ligne depuis le début qui était de dire, nous devons soutenir l'Ukraine. On l'a fait avec des montants, et je l'ai dit, les Européens représentent 60% de l'effort qui est fait depuis le début de cette guerre, 60%. C'est plus de 135 milliards d'euros, financiers et en aide militaire. Et donc, ce que nous devons faire aujourd'hui, c'est, à mes yeux, deux choses : c'est de nous assurer que si, en quelque sorte, l'Ukraine était sous pression, les Européens pourraient lui fournir ce qu'il faut pour se défendre. Pour moi, c'est l'un des objectifs, d'ailleurs, de la réunion que nous tiendrons à Londres dimanche, puis du Conseil européen du 6. Et la deuxième, c'est que si une paix était négociée par les Ukrainiens, parce qu'il n'y a pas de pays qui peut toucher l'Ukraine sans les Ukrainiens, que nous apportions des garanties de sécurité durable. Et dans ce contexte-là, les Français et les Britanniques ont travaillé sur des solutions très concrètes pour maintenir et apporter des garanties de sécurité sur le terrain.
Voilà comment je vois les choses et ce sur quoi nous allons travailler, en particulier dimanche, avec les quelques pays que rassemblera Keir STARMER, qui sont ceux que j'avais rassemblés à Paris et quelques autres.
Journaliste
But if it's not working, as you know. We see meetings and meetings and Europe...
Emmanuel MACRON
I think we should not say, it's not working, because 3 years ago...
Journaliste
My question was, was it possible? What is exactly deterring France to do?
Emmanuel MACRON
No, what I did one year ago is I reintroduced strategic ambiguity, which was a necessity. I think the main mistake, which was main at the very beginning, was no boots on the ground forever. So, we had to re-install strategic ambiguity. The point is, triggering any escalation would be a big mistake. But I think you should not underestimate the fact that 3 years ago, everybody thought that a landslide victory of Russia was certain. Three years ago, what was presented by Russia was a special operation for 3 weeks. Three years later, they took some territories. But we cannot present it as a victory for Russia. And we cannot say that it doesn't work. I disagree, and especially after some strategic defeats for Russia, with Sweden and Finland joining NATO. So, this is why we have to resist. This is why we have to help the Ukrainians to put themselves in the best possible situation to negotiate a solid and long-standing peace. And the question today is much more how to try to get this peace and to avoid all these losses and casualties. So, there is no deterrence from my point of view as far as I'm concerned. I'll try to accompany Ukraine as far as I can in the permanent dialogue with President ZELENSKY.
Journaliste
Monsieur le Président. Au sujet de votre domaine réservé, le Premier ministre François BAYROU a annoncé qu'il va demander au gouvernement algérien que la totalité des accords soit réexaminée, y compris le traité de 1968 qui prévoit, qui facilite la circulation des Algériens en France. Est-ce que vous êtes prêt à aller aussi loin ? Par ailleurs, François BAYROU envisage un référendum sur les retraites s'il n'y a pas d'accord entre les partenaires sociaux. Là aussi, ce sont vos prérogatives. Est-ce que vous réfléchissez à cela ? Est-ce qu'on peut réformer les retraites par un référendum ?
Emmanuel MACRON
Alors, sur le deuxième point, comme vous l'avez rappelé, la Constitution est claire dans ses termes, et j'aurai à m'exprimer au bon moment. Je pense qu'il faut faire les choses dans le bon ordre. Il y a aujourd'hui, et c'est une bonne chose, sur la base d'un cadrage qui a été fait par la Cour des comptes, un dialogue qui a été relancé. Je pense que c'est une très bonne chose. Donc le moment est le moment de dialogue entre les partenaires sociaux. Et il faut leur donner le maximum de chances de réussir et leur permettre de le faire dans un cadre apaisé et exigeant. Et donc, je ne me prononcerai pas sur d'autres initiatives. Il y a déjà eu un texte de loi, il n'est pas si vieux. Là, la question, c'est est-ce qu'il peut y avoir une meilleure réforme, et c'est aux partenaires sociaux d'en débattre et, je l'espère, de trouver un accord. Et donc, les choses se feront étape par étape.
Ensuite, pour ce qui est de la relation entre la France et l'Algérie, ce qui s'est passé à Mulhouse a heurté tout le monde, et je le dis ici très clairement, rien ne peut prévaloir sur la sécurité de nos compatriotes. Et donc, quand elle est menacée par des procédures ou des engagements qui ne sont pas respectés, le Gouvernement a raison de s'en saisir. Et je pense que c'est important en particulier que les accords que nous avons signés en 1994 —pas l'accord de 68— reprise automatique sur les ressortissants qui ont des papiers d'identité ou des passeports, ce sont des accords qu'on a signés en 94, il faut qu'ils soient pleinement respectés.
Les statistiques sont là, d'ailleurs, qui montrent qu'il y a un travail, une coopération qui existe. Vous vous souvenez peut-être que ces dernières années, Gérald DARMANIN, alors ministre de l'Intérieur, avait mis en place un système pour favoriser, justement, le retour de certaines catégories de personnes en situation irrégulière identifiées comme les plus dangereuses. Et donc, il faut que ces accords soient pleinement respectés. Pour ce qui est des accords de 68, nous avions, avec le Président TEBBOUNE, nous-mêmes envisagé, à l'été 2022, de les rouvrir pour les moderniser, parce qu'il y a beaucoup de choses qui doivent être faites de part et d'autre sur ces accords, sur lesquels il y a beaucoup de commentaires, parfois, d'ailleurs, factuellement faux. Et les Premiers ministres, ensuite, à l'automne 2022, je parle de mémoire, ce serait à vérifier, mais je crois que c'est ça, avaient eux-mêmes poursuivi cette déclaration que nous avions faite pour ouvrir ce travail. Donc, en résumé, 1) rien au-dessus de la sécurité des Français. 2) un engagement, une volonté, une exigence que les textes qui ont été signés soient respectés, en particulier les accords de 94, au service de cette sécurité. 3) ensuite, il faut qu'un travail soit repris parce que nous n'avancerons pas s'il n'y a pas un travail. On ne peut pas se parler par voie de presse. C'est ridicule. Ça ne marche jamais comme ça.
Donc j'ai bien entendu les mots de Président TEBBOUNE et je souhaite qu'il y ait maintenant un travail de fond qui soit réengagé au service de nos intérêts les uns et les autres, avec exigence, respect, engagement. Et je le dis aussi parce qu'on a des millions de Françaises et de Français qui sont nés de parents algériens, qui sont parfois binationaux, qui n'ont rien à voir avec ces débats, qui sont des gens qui vivent en paix, adhérant aux valeurs de la République, et je ne voudrais pas qu'ils soient maintenant pris dans ces débats parce qu'ils ont le droit à la vie tranquille aussi.
Donc je vous dis, les accords de 68, on avait lancé ce processus, on ne va pas les dénoncer de manière unilatérale, ça n'a aucun sens. Le problème, à mon avis, dont on parle est beaucoup plus les accords de 94, et nous avions lancé avec le Président TEBBOUNE un mouvement pour les moderniser, et on le fera en bon ordre. Et je pense que les choses se font bien quand elles se font avec exigence, avec engagement, mais il ne faut pas qu'elles fassent l'objet de jeu politique où qu'il soit. Il faut qu'elle soit faite avec ce que notre pays mérite quand on parle de sa sécurité, c'est-à-dire un sens du réel et simplement une culture de résultat et de l'efficacité, et ensuite ce que le lien qu'il y a entre nos pays exige. Donc, nous, on veut être respectés, et on le fera aussi avec respect. Une fois que j'ai dit ça, dans l'ensemble évidemment, de ce que nous avons à faire et de ce que le Gouvernement a lancé, et je pense qu'ils ont eu raison de lancer ce débat et de mettre sur la table plusieurs de ces sujets. Il y a évidemment aussi la grande attention que nous portons à plusieurs dossiers plus spécifiques, et en particulier notre compatriote Boualem SANSAL. Et aujourd'hui, sa détention arbitraire, ajoutée à sa situation de santé nous préoccupent beaucoup. Et je considère que c'est aussi un des éléments qu'il faut régler pour que la confiance soit pleinement rétablie.
Journaliste
Alors, je ne vais pas vous parler à nouveau de l'Ukraine, mais on vous voit en tant que porte- parole d'une Europe que vous défendez plus forte, autant qu'économique, autant que de la défense. Et ce que je vous demande, c'est que pendant la Covid, on a vu que l'Europe, elle dépendait beaucoup de la Chine et des États-Unis aussi, est-ce qu'il y a une espèce de cassure après et que chacun s'est retranché dans son pays ? Même question pour le Premier ministre.
Emmanuel MACRON
Écoutez, d'abord, vous avez raison de rappeler que, pendant la période de Covid, l'Europe a réagi vite, fort, parce que nous avons obtenu, dès juillet, un accord pour un emprunt, dès juillet 2020, pour un emprunt commun, puis on a mis en place des dispositifs. Et je rappelle d'ailleurs souvent que, dans nos pays, nous n'aurions pas été vaccinés, nous n'aurions pas eu le vaccin sans l'Europe et la capacité à acheter massivement, à nous organiser collectivement. Ça a été un très grand progrès, parce que, rappelez-vous, quelques 10 ans plus tôt, face à une crise financière inédite, nous avions été très divisés et très lents. Alors qu'est-ce qui s'est passé après le Covid ? C'est normal. On est ensuite tombé dans un temps qui a été beaucoup plus dur, où il y a eu de l'inflation, les modèles économiques ont fonctionné différemment selon les pays, les retours de la guerre en Ukraine, mais il y a eu de l'unité.
Ce moment de 2022 est un moment de très grande unité européenne, puisqu'on a pris en 48 heures des décisions inédites de sanctions et de soutien. L'agenda de Versailles est un moment inédit. Et beaucoup de gens pensaient, je crois que les Russes en faisaient plutôt le pari, que nous serions divisés. Donc, je serai moins pessimiste que vous. Maintenant, la clarification supplémentaire qui est en train de se jouer aujourd'hui, c'est-à-dire que l'Europe, en quelque sorte, sur beaucoup de sujets, est un peu laissée seule, doit nous conduire à agir avec la même force que nous avons eue pendant le Covid et la même échelle ; c'est-à-dire qu'il nous faut porter beaucoup d'ambition et très fortement. On veut nous mettre des tarifs. Levons les tarifs que nous mettons sur nous-mêmes. Par notre complexité, nos propres règles, nous mettons tous les jours des tarifs sur l'économie européenne. C'est l'agenda de simplification. On veut aujourd'hui nous contester la possibilité d'avoir une Europe, justement, plus souveraine sur le plan économique. Bâtissons une préférence européenne qui n'existe pas.
Nous sommes le seul endroit au monde où c'est comme ça. Les Chinois préfèrent les biens chinois. Ils ferment même leur capital. Les Américains ont un Buy European Act. On est les seuls au monde à penser qu'on peut acheter ce qui est fait ailleurs. Enfin, actons la préférence européenne dans nos textes et regardons les chiffres, investissons beaucoup plus dans l'intelligence artificielle, les technologies vertes et notre défense. On investit beaucoup, beaucoup moins que les Américains, de l'argent public comme de l'argent privé. Et donc, il faut évidemment la réforme des marchés de capitaux, mais un choc budgétaire public également à l'échelle européenne. Et je pense que la réponse à votre question se jouera dans les mois qui viennent, ce semestre. Ma conviction, c'est qu'il y a un consensus qui est en train de s'établir, et en tout cas, pour ma part, de là où je suis, modestement, j'essaie d'y travailler pour convaincre, c'est qu'il nous faut une Europe qui réagisse vite et fort à ce contexte économique, géopolitique nouveau. On doit, en Européen, avoir beaucoup plus d'ambition et décider maintenant, pas simplement décider, agir. Et donc, j'espère que le sommet du 6 mars prochain permettra des actions fortes en matière de défense, en donnant une mission à la Commission qui est de faire quelque chose, justement, de type Covid, pour aller chercher de l'argent sur les marchés, là où on a des besoins capacitaires en défense.
Je souhaite ensuite que, sur la compétitivité, nous ayons, 15 jours plus tard, un Conseil très ambitieux qui permette des décisions d'investissement et de simplification très fortes. Et ce semestre doit acter le retour d'une Europe puissance, plutôt, en fait, son invention. Mais ce qu'on a su faire pendant le Covid, sachons-le faire maintenant, parce que la période, au fond, n'a rien de plus simple, même si elle est très différente.
Merci beaucoup.