Déclaration de M. François Bayrou, Premier ministre, sur la feuille de route du Gouvernement dans l'hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, Paris le 1er avril 2025.

Prononcé le 1er avril 2025

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,


Ne croyez pas que je sois devant vous par hasard.

Je n'ignore pas que votre Conseil, comme bien d'autres institutions de notre démocratie, est aujourd'hui discuté, mis en cause dans sa magistrature et son utilité.

Ma présence devant vous, devant le Conseil économique, social et environnemental, troisième chambre de notre constitution, n'est ni fortuite ni accidentelle.

J'étais venu devant vous il y a cinq ans, en tant que Haut-commissaire au Plan, lors du premier rapport publié par cette mission, pour montrer la voie de l'association de la société civile organisée aux grandes réflexions et à la préparation des grandes décisions du pays.

J'étais venu il y a deux ans, dans le cadre des Assises du Travail.

Ma philosophie de l'action, c'est l'association de la démocratie sociale aux grandes décisions où se joue l'avenir du pays. C'est pourquoi par exemple, pas toujours très bien compris, j'ai voulu que la question fondamentale des retraites soit examinée par cette démocratie sociale.

Je pense en effet que, spécialement dans les temps troublés que nous vivons, il est crucial de partager la charge de la démocratie. Il ne serait ni bon ni équilibré de concentrer tous les pouvoirs dans les mains politiques et partisanes. La démocratie politique a sa responsabilité. Mais il est bon qu'elle soit équilibrée par la démocratie sociale. Que la société ait d'autres moyens de se faire entendre que le suffrage ou le blocage.

Et spécialement dans cette situation de crise perpétuelle dans laquelle nous sommes entrés que la société civile organisée, syndicats, associations, entreprises, puisse être un lieu d'expression, un lieu de prise de conscience, un lieu de responsabilité.

Voilà la thèse que j'ai défendue depuis les premiers engagements de ma vie politique, et voilà la thèse même que les plus grands dans notre XXe siècle ont défendue, au point que le général de Gaulle a voulu en faire une part essentielle d'un nouveau Sénat, à égalité de légitimité avec les collectivités locales.

Depuis mes dernières interventions devant vous, j'ai pour ainsi dire changé de bord : je suis passé du domaine de la prospective à celui de l'action politique. Avec votre président Thierry BEAUDET, j'ai jugé qu'il pouvait être utile que je vienne devant le CESE pour partager avec vous les orientations, les préoccupations qui sont les nôtres aujourd'hui. Une sorte de programme immédiat de gouvernement, manière explicite de rappeler la légitimité que le Gouvernement reconnaît au CESE.

Quel est notre point de vue ? Je vais dire des choses simples devant vous. Depuis la guerre, il n'y a jamais eu pour un gouvernement dans une situation aussi difficile et aussi précaire que celle que nous connaissons.

J'ose même dire que c'est parce qu'il n'y a jamais eu une situation aussi difficile et aussi précaire que je me trouve devant vous dans cette fonction de chef du Gouvernement.

Et cependant, aussi difficile et aussi précaire que soit la situation, il faut agir. Et même c'est parce que la situation est aussi difficile et aussi précaire qu'il faut à tout prix agir.

D'abord parce qu'il faut avoir une pleine conscience de ce que les orages et les tremblements de terre du monde vont avoir comme conséquences directes sur la société française. Il suffit de considérer l'appareil de production automobile, dont on découvre qu'en 2024 sa production a baissé de 11 %. Mais la même chose vaut pour les vins et spiritueux, pour l'ensemble de notre production agricole, pour la production d'énergie… Nous étions déjà, depuis les lendemains du Covid dans une stagnation, mais les menaces se précisent. La succession des trois tremblements de terre, Covid, avec l'arrêt complet du monde, de la Chine au monde occidental, Ukraine avec pour conséquence la crise énergétique et l'inflation, suites de l'élection du Président des États-Unis, avec la mise en cause du lien de protection vis-à-vis des démocraties et vis-à-vis de notre Europe, menaces directes sur des alliés membres de l'Otan, le Canada, le Danemark, de surcroît membre de l'Union européenne. Et aussi ces derniers jours, nous le vérifierons demain même, le déclenchement d'une guerre commerciale ente alliés.

Ces séismes du monde vont connaître chez nous des répliques d'autant plus dangereuses que notre société depuis des décennies se fragilise continuellement. C'est évidemment vrai en économie, mais c'est vrai aussi dans l'organisation de l'information, dans les attaques cyber, dans les fake, dans les orages sociétaux, dans les risques que fait courir l'intelligence artificielle.

Dans bien des domaines, elle constitue naturellement un atout inimaginable, par exemple en médecine, mais elle est en même temps une incroyable capacité à déstabiliser en créant de fausses informations, images, vidéos auxquelles – j'en parlerai dans une minute – l'affaiblissement de notre système d'éducation donne carrière. Les lignes de défense ont craqué, la principale étant la culture générale, la confiance dans la science dans le progrès de l'esprit humain, la connaissance même approximative de ce qu'ont été les grands mouvements de l'histoire et la maîtrise de la langue et des idées.

Mais dans un univers aussi tourmenté, la nécessité d'agir, d'agir tout de suite, est un devoir moral. Nous ne pouvons pas nous laisser arrêter, ni ralentir par l'incroyable difficulté des temps ! Bien sûr, nous serions plus rassurés, plus sereins, si nous avions des années devant nous. Mais nous n'avons pas le temps de ce répit, pas le temps de prendre le temps. Car nos concitoyens sont découragés pas l'impuissance publique. Là est le plus grand danger : les voir se détourner du débat et des institutions, de la démocratie elle-même.

Quel est le plan du Gouvernement pour agir ?

Il a d'abord été de restaurer les outils élémentaires de la vie du pays. Nous n'avions pas de budget, pas de perspective de faire adopter le budget de l'action publique, État et collectivités locales, pas plus que le budget social de la nation, le tout près de 1 700 milliards d'euros. Aucune possibilité d'obtenir l'un de ces deux budgets parce qu'il n'y avait pas de majorité, et au contraire même tous les jours des oukases réciproques, "lignes rouges" comme chacun disait, lignes rouges multipliées, "si vous faites ça, je vous renverse".

Et nous avons cependant réussi, en surmontant six motions de censure successives (!), à obtenir avant la fin du mois de février, comme je m'y étais engagé, un budget pour l'action publique et un budget pour notre action sociale.

À partir de ce camp de base, nous pouvons aborder avec une volonté de réponse rapide et concrète, tous les problèmes identifiés de notre action publique.

Il est frappant de voir l'unanimité des Français pour constater ou affirmer que l'action publique ne marche pas. Le soir de ma nomination, j'ai été interpellé sur France 2 par Madame Sophie BINET, secrétaire générale de la CGT, à peu près en ces termes : "c'est simple, Monsieur le Premier ministre, en France il n'y a rien qui marche : l'éducation ne marche pas, la santé ne marche pas, les services publics ne marchent pas". Elle a énuméré tous les secteurs de l'impuissance publique. Et je crois qu'elle traduisait le sentiment profond d'un très grand nombre de Français. Je lui ai répondu que, devant ce paysage de l'action publique dévastée, il faut mettre en face cet autre constat : nous sommes le pays du monde qui pour cette action au service de nos concitoyens dépense le plus d'argent public, prélève le plus d'impôts, de taxes diverses et de cotisations, et crée le déficit le plus important.

À l'énoncé de ce constat, il n'y a qu'une conclusion possible : c'est que nous avons un problème général d'organisation de chacun des domaines de notre action publique.

Mais les problèmes d'organisation requièrent beaucoup de temps pour les repenser, or nous sommes obligés d'aller vite pour trois raisons au moins.

La première, c'est que les événements nous pressent. Lorsque nous sommes menacés d'être relégués hors de l'histoire, c'est-à-dire hors de la maîtrise de notre propre destin, hors de la souveraineté, alors c'est d'urgence qu'il faut parler et agir.

Deuxième raison : les dégâts commis chaque jour sont irréversibles. Et vous verrez que dans tous les champs que nous allons examiner, les dégâts d'aujourd'hui ont des conséquences en réalité le plus souvent irrémédiables.

Troisième raison : il faut agir parce que le fatalisme et la résignation sont une remise en cause, aux yeux de chacun des citoyens, de la démocratie elle-même. "À quoi bon vous élire, puisque rien ne change jamais ?"

Donc, sachant très bien que dans un monde idéal il nous faudrait des années pour repenser et remettre en ordre les choses, je nous appelle à une action immédiate. Et je propose de commencer cette action immédiate par les domaines les plus identifiables de notre déficit d'efficacité. À chacun de ces domaines d'action je propose d'associer le Conseil économique, social et environnemental comme expert du terrain, comme expert des usagers.

Comprenez-moi bien : je sais très bien que le temps du CESE est un temps long. Cependant, je vais vous appeler à l'action rapide, à participer autant que vous le souhaiterez, autant que vous jugerez le pouvoir.

Le premier domaine, auquel nous nous sommes attaqués au lendemain du vote du budget, c'est le domaine de notre administration. J'ai réuni tous les ministres et tous les directeurs d'administration centrale, en y associant des responsables préfectoraux, pour leur demander un exercice inédit qui est de traduire dans une langue compréhensible par tout le monde les missions dont leur département ministériel est chargé.

Le 14 mars, ces comptes-rendus m'ont été remis et le Gouvernement est en train de les étudier.

Je les transmettrai bientôt aux commissions parlementaires chargées de l'évaluation de l'action publique ainsi qu'à votre Conseil.

Je mettrai en ligne cette compilation de manière que les Français qui s'intéresseraient à ce sujet et les agents publics puissent participer à cette évaluation. Les questions que nous nous poserons seront simples : est-ce que ces missions sont pertinentes ? Est-ce que ces missions sont remplies ? Est-ce que l'allocation des moyens est adéquate ? Nous reviendrons avant la fin du mois d'avril vers les ministères et les administrations centrales pour confronter les observations avec les rédactions initiales.

J'ai ensuite décidé, avec les membres du Gouvernement, que nous allions nous attaquer prioritairement, dans un plan d'urgence, à quatre grands domaines de l'action publique.

Je commencerai par la mère de toutes les batailles c'est-à-dire l'éducation. Non pas en pensant une grande loi de réorganisation : j'ai trop vu de ces grandes lois pour savoir qu'en vérité elles ne changent rien au réel, ou très peu.

Mon état d'esprit est simple : pendant quatre années, il y a longtemps, avant 1997, j'ai exercé la responsabilité du ministère de l'Éducation nationale. Depuis cette date, en à peine 25 ans, les résultats mesurés par les enquêtes internationales ont reculé en moyenne de plus d'une année scolaire. Je ne mets en cause personne, je ne cherche pas de coupable, mais je ne peux pas l'accepter : non seulement en tant que chef du Gouvernement, mais comme citoyen.

Je ne peux pas accepter que la France, qui était le premier pays du monde et reconnu comme tel en matière éducative, soit aujourd'hui 28e sur 40 en matière de maîtrise de la langue, en capacité de traduire par écrit correctement une pensée ou une description. Le recul en orthographe élémentaire est abyssal et c'est hélas la même situation pour ce qui est du domaine mathématique ou des sciences de l'observation. Nous sommes 36e en mathématiques, nous qui avons la juste réputation d'être le premier pays au monde dans ce domaine essentiel et qui le montrons par les médailles Fields que nous recevons, par les résultats incroyables que nous obtenons en algorithmique ou dans le domaine spatial.

Cette situation, en tant que citoyen, je ne peux pas l'accepter. Si, étant dans cette responsabilité, je ne faisais rien dès aujourd'hui, je me rendrais coupable de non-assistance à un pays en danger et à des jeunes concitoyens qui le sont davantage encore.

Car ne nous trompons pas ! Nos jeunes qui ne suivent pas, qui n'atteignent pas le niveau nécessaire, ce sont d'abord les plus fragiles socialement, ceux dont la famille, les parents, sont en insécurité sociale et en insécurité culturelle. C'est une relégation par la naissance, et mon devoir, ma mission est de la combattre.

Il nous faut isoler des causes et face à ces causes proposer des stratégies de reconstruction.

À nos yeux, une des causes indiscutables est celle de l'effondrement de l'écrit. Sans maîtrise de l'écrit, aucune chance de réussir dans un cursus et plus grave encore aucune chance d'affronter sereinement les défis de la vie professionnelle. Quelque 30 % des élèves au niveau du baccalauréat sont en grande difficulté devant l'écrit. Nous ne pouvons pas demeurer spectateurs navrés ou commentateurs indifférents devant de telles difficultés. Ce n'est pas une option, pas une préférence. C'est une obligation nationale et j'ajoute une obligation morale.

C'est pourquoi dès la rentrée prochaine nous l'avons décidé avec la ministre d'État chargée de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous aurons un plan complet de reconquête de l'écrit.

Il faut mesurer à quelle montagne nous nous attaquons. L'écrit est aujourd'hui le mal-aimé. C'est l'écrit qui a le plus souffert, qui a reculé le plus dans la transmission d'information et de connaissance. L'image depuis des décennies a progressivement pris le pas.

Or le mécanisme psychique et cognitif qui, par le truchement de l'écrit, transmet des informations d'un cerveau à un autre, ce mécanisme psychique n'a pas la même efficacité quand il s'agit d'image. Devant l'écran, notre cerveau est passif.

Devant l'écriture, devant la lecture, il est actif pour aller chercher des informations. Et devant l'écriture il est deux fois actif pour élaborer un message.

J'ajoute que la maîtrise de l'écrit, lecture et écriture, est étroitement corrélée à la créativité.

Si ces faits sont avérés, et je crois qu'ils le sont, la reconquête de l'écrit est pour nous une priorité absolue.

Reconquérir l'écrit, c'est reconquérir les savoirs fondamentaux, puisque l'on sait aujourd'hui que l'écrit est mobilisé dans la résolution de problèmes mathématiques ou scientifiques. L'assiduité dans la pratique de la lecture et de l'écriture n'appartient pas seulement aux cours de français : elle relève de toutes les disciplines.

La deuxième question que nous allons immédiatement traiter est celle de la formation des enseignants. Il y a de toute évidence un lien entre la formation des enseignants telle qu'elle s'est mise en place sur les dernières décennies et les résultats de notre école. Beaucoup d'enseignants suggèrent que leur formation ne leur a pas permis de répondre aux défis de transmission des fondamentaux, particulièrement en arithmétique, porte d'entrée vers les mathématiques, en calcul mental, aussi bien qu'en maîtrise du français.

Si tel est bien le cas, il nous faut reconstruire. Nous avons donc décidé de prendre à bras le corps les deux questions essentielles que sont la formation initiale et la formation continue des enseignants.

Pour la formation initiale, nous allons retrouver les principes qui faisaient la réussite des anciennes écoles normales : un recrutement précoce (à l'entrée d'une licence à vocation professionnelle), avec tout au cours de cette formation un approfondissement et une vérification des capacités, une maîtrise des pratiques pédagogiques notamment en matière de compétences écrites, d'orthographe et même de graphie. Et un travail assidu en pédagogie arithmétique, mathématique et scientifique, pour limiter la fuite des élèves, particulièrement des filles, devant les matières scientifiques. Quand on essaie de comprendre les raisons qui font qu'il y a beaucoup moins de filles qui choisissent la voie scientifique, on découvre, c'est notamment une réflexion des commissions parlementaires, que l'une des causes dominantes est que les maîtresses sont moins portées vers les sciences, et le modèle que représente l'enseignante est donc moins engageant.

La formation continue sera organisée à partir de la détection des pratiques pédagogiques qui font le plus progresser les classes et de la proposition de leur généralisation.

J'ai une autre question que nous traiterons sans retard, c'est la question de l'orientation. Je suis très interrogatif sur Parcoursup, parce que l'orientation précoce est en réalité une orientation sociale. C'est parce que les parents connaissent la carte et les codes, parce qu'ils savent à l'avance, que leurs enfants peuvent faire des choix. Mais qui en seconde, même en première et en terminale, peut dire ce qu'il va faire plus tard ? Quelques vocations certaines, peut-être 10 % des élèves tout au plus.

Nous sommes devenus un pays cruel, parce qu'il ne ménage plus vraiment de deuxième ou de troisième chance, de chance supplémentaire pour ceux qui sont mûrs plus tard que les autres, ou qui manquent une marche dans leur parcours scolaire ou professionnel. Ma détermination c'est de garantir à chacun qu'il pourra tôt ou tard courir sa chance. Ce qui pose la question de la nécessité d'une propédeutique qui permette de donner à chacun la maîtrise des outils nécessaires pour entrer dans l'autonomie d'acquisition de la connaissance, qui est la vocation propre de l'université.

La question de la santé est notre deuxième champ d'action d'urgence.

Les difficultés de l'accès aux soins sont un cauchemar pour de nombreux Français. En ville comme à la campagne, les déserts médicaux sont une réalité quotidienne et décourageante. L'impossibilité de trouver un rendez-vous médical, à plus forte raison un médecin traitant, désespèrent des millions de nos compatriotes. L'accès au soin, l'accès au médecin, sont devenus un impossible parcours d'obstacles.

Cette situation ne peut pas être acceptée.

Comme le système éducatif, l'organisation de santé de notre pays faisait autrefois notre fierté mais certaines décisions, comme le numerus clausus mais ce n'est pas la seule, ont eu des effets dramatiques sur l'offre de soin. Même si des efforts ont été accomplis ces dernières années, les inégalités territoriales se creusent toujours.

J'engage la parole du Gouvernement sur l'obtention de réponses immédiates et concrètes pour mettre un terme aux déserts médicaux.

On ne peut pas accepter, on ne peut pas tolérer la situation des déserts médicaux. Il est donc de notre devoir d'entrer dans l'action.

C'est une question naturellement délicate et il est nécessaire de la regarder dans sa complexité. Le Gouvernement est attentif aux initiatives de parlementaires et d'élus locaux et il est également soucieux de construire une solution incluant l'ensemble des acteurs.

Un plan de solutions concrètes sera présenté avant la fin du mois.

La première étape de ce plan doit être le repérage précis et complet des territoires en souffrance, une cartographie du devoir de prise en charge de nos compatriotes réduits à l'abandon dans ce domaine si sensible, si vital au sens propre du mot.

Bien des efforts ont été conduits. On a décidé d'efforts financiers qui ne sont pas négligeables. Nous avons ouvert le numerus clausus, cette aberration décidée il y a plusieurs décennies, j'ose le dire dans la complicité générale. Nous avons permis la délégation de tâches. Il demeure que la situation sur le terrain est désespérante et bouleversante pour des millions de concitoyens.

Il faut donc sortir de l'enlisement et de l'impasse. Il faut une régulation, comme l'ont décidé, conscientes de la difficulté, nombre de professions de santé. C'est par exemple le cas, depuis janvier de cette année, des chirurgiens-dentistes qui ont décidé de prendre eux-mêmes en main cet impératif.

Je le répète et je veux le marteler devant vous : ce gouvernement ne sera pas celui qui par atermoiement acceptera que plus de six millions de nos compatriotes ne puissent pas trouver de médecins traitants, que des cantons entiers, soient sans solution, et qu'on les lanterne perpétuellement en leur promettant que tout cela va s'arranger.

Je vais donc inviter toutes les parties prenantes dès la semaine prochaine, avec les ministres concernés, pour que nous examinions ensemble les solutions pratiques, concrètes.

Je ferai tout pour que ces solutions soient adoptées. Sinon le Gouvernement interviendra, comme je considère que c'est son devoir.

Je le dis pour tous ceux qui voudraient toujours reporter à demain, procrastiner comme on en a trop l'habitude. Les solutions qu'après tant et tant d'années de négociations et de palabres, nous ne trouverons pas, nous ne les trouverons jamais. Ce Gouvernement a pour mission d'agir, et d'autant plus mission d'agir que la situation est plus difficile. L'urgence est un devoir. Je dédie cette notion d'urgence aux patients abandonnés et aux élus désespérés.

Je veux ajouter qu'une partie de la solution passe par un maillage nouveau de notre territoire par les unités de formation médicale. C'est la concentration de la formation médicale dans les métropoles qui explique en partie la désertification médicale du reste du territoire.

L'aménagement du territoire, c'est aussi le maillage des formations supérieures à proximité des populations. C'est un changement majeur et c'est un changement à vocation sociale : ceux de nos compatriotes qui n'ont pas les moyens ne peuvent pas payer à leurs enfants une installation dans une métropole à loyers forcément cher, à transport forcément éloigné, sans compter le déracinement auquel ne sont pas soumis les familles des centres-villes et des grandes unités urbaines.

Je viendrai un jour vous parler, si vous le souhaitez, de la question de l'aménagement du territoire, qui a été depuis si longtemps sous-estimé ou abandonné.

Une dernière conviction que je vous confie : je considère que l'architecture de notre système de santé n'est plus adaptée à un certain nombre de nos difficultés. Mais je sais qu'il s'agit d'une œuvre de longue haleine qui demande un investissement patient et ne relève donc pas du court terme et est impossible à traiter dans le cadre d'une action d'urgence. Mais je n'abandonne pas cette préoccupation.

Troisième grand domaine : celui de la simplification.

Dans ce domaine, comme dans les autres, je veux partir de l'expérience vécue des Français. Or les Français n'en peuvent plus de la paperasse, de la bureaucratie, des normes qui n'ont pas d'utilité. Je ne peux plus entendre des parents d'enfants handicapés me dire qu'ils sont contraints chaque année de remplir les mêmes formulaires absurdes pour obtenir les aides auxquelles ils ont droit. Ou bien encore entendre un paysan me dire qu'il est empêché de construire une petite maison sur son terrain isolé, en raison d'un plan d'urbanisme rigide et hors-sol.

Désormais, il faut inverser la charge : à l'administration de s'expliquer sur l'utilité des formulaires, et de les remplir, puisqu'elle dispose de toutes les informations croisées sur chacun de nous. Aux usagers de contrôler dans un second temps le travail de l'administration.

Ce sont donc les usagers, entreprises, artisans, PME, associations, familles, que je veux mettre en première ligne pour devenir eux-mêmes les maîtres d'œuvre de la simplification. C'est eux qui auront le pouvoir de demander des explications aux administrations, de faire apparaître les absurdités des labyrinthes administratifs, puisque ce sont eux qui les vivent ! Et c'est à eux que l'on devra apporter la preuve que ces exigences sont justifiées.

Certains d'entre vous se disent peut-être en m'écoutant : "Oui sur le principe, mais en pratique c'est impossible."

J'ai déjà entendu cela, il y a quelques années, lors des débats autour du prélèvement à la source, que je défendais. On me disait : c'est impossible, certains même affirmaient que ce n'était pas constitutionnel. Et pourtant un gouvernement courageux a pris ce risque et il n'y a pas eu même une ride à la surface de l'étang. Aujourd'hui, le prélèvement à la source existe et qui oserait prétendre revenir en arrière.

Tout est possible, à condition qu'on se dégage de la maxime "Ça n'a jamais été fait, c'est donc que c'est impossible".

S'il n'y avait que les chapitres développés jusqu'à maintenant, j'oserais vous dire que contre toute attente et contre tout pronostic, je suis optimiste.

Mais il y a un quatrième domaine d'action essentiel, qui est comme une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. Ce sujet d'inquiétude, c'est le surendettement.

Quand la zone euro a été créée, à la fin des années 90, l'Allemagne et la France avaient une dette similaire, autour de 60 % du produit intérieur. Et puis les trajectoires ont gravement divergé : aujourd'hui, la dette de l'Allemagne se trouve toujours aux environs de 60 % du PIB, alors qu'en France elle a dépassé les 110 %. Lors de ma déclaration de politique générale, j'ai affirmé que tous les partis, au Gouvernement et dans l'opposition, depuis plus de 30 ans, ont dansé le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice.

C'est un sujet dont j'estime avoir la légitimité historique pour l'aborder avec la gravité nécessaire devant notre pays. J'ai en effet eu l'audace, ou l'imprudence diront beaucoup, d'en faire dès 2007 le sujet d'une campagne présidentielle. J'étais seul, mais ce n'est pas parce qu'on est seul qu'on a forcément tort. Ou plutôt on peut avoir tort électoralement et raison nationalement et même moralement.

Je développerai dans un instant le problème financier que cette situation implique. Mais je veux dire ici qu'elle est aussi pour moi, et j'ose le dire d'abord, un scandale moral, car elle revient à nous débarrasser de nos charges courantes, de nos dépenses de tous les jours, et d'en faire volontairement et consciemment porter la charge, une charge de plus en plus lourde, une charge terrible sur les futures générations.

C'est pourquoi elle est inacceptable.

Car dans une famille, quand l'héritage qui vous échoit est grevé de dettes, vous avez toujours le droit de le refuser ! Ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit d'une nation. Vous recevez les dettes avec le patrimoine et vous ne pouvez pas le dénoncer. Ce sera votre charge, aussi injuste que cette situation paraisse.

Je rougis, au nom des vingt-cinq ou trente années passées que tant de responsables aient accepté une telle dérive. Et si les jeunes parmi nous, les adultes valides, nos enfants et nos enfants à naître étaient conscients de la situation, ils auraient motif à se rebeller contre ceux qui les ont condamnés par désinvolture ou par inconscience à porter une telle charge.

Le surendettement est immoral. Mais le surendettement est aussi un boulet pour notre action. Engager notre pays sur la voie du désendettement est une nécessité pour préserver notre crédit, pour renforcer notre capacité à agir, à effectuer les investissements d'avenir, à conduire les politiques de ressaisissement et de refondation dont nous avons besoin.

Je plaide pour que ce retour à l'équilibre, qui dépend avant tout de la capacité de notre pays à produire plus de richesses, s'inscrive dans une démarche planifiée, c'est-à-dire pluriannuelle, et respectueuse de nos engagements européens.

Notre objectif est le retour à un déficit de 3 % en 2029. Et cet effort commence dès maintenant : nous avons fixé le déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB, ce qui suppose des économies importantes.

Nous n'attendons pas pour agir.

Mettre un terme aux "dérapages" passés exige un suivi et une exécution rigoureuse du budget 2025. Un plan d'action visant à améliorer les prévisions budgétaires et le pilotage des finances publiques a été présenté au début du mois de mars.

Nous avons aussi besoin du puissant mouvement de réforme de l'action publique que j'ai évoqué tout à l'heure, qui implique de repenser tous nos budgets à partir des missions et de leur efficacité, et non plus, comme nous le faisons depuis des décennies, en prolongeant ce qui se faisait l'année précédente, augmenté d'un pourcentage d'inflation.

À ces quatre chantiers, j'ajoute l'impératif que j'évoquais d'aménager notre territoire de façon équilibrée et dans le cadre de la transition écologique que nous devons poursuivre.

Dans cet effort d'aménagement du territoire, la question des transports tient une place centrale. Nécessairement, compte tenu de l'histoire qui est la nôtre et du rôle central qu'a pris Paris, notre réseau de transports doit assurer la liaison entre la capitale et la province.

Mais il y a aussi des liens à créer ou à recréer entre les provinces elles-mêmes, entre les lieux de vie, d'activité et de services publics, entre les villages et les villes moyennes. Faute de développer nos réseaux de transports, nous continuerons à renforcer la métropolisation de notre territoire. Sans un réseau de transports efficace et profond, il n'y aura pas de répartition équilibrée des activités économiques, pas de réindustrialisation, pas de distribution harmonieuse des opportunités d'emploi.

À l'heure où notre pays cherche à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles, les pouvoirs publics ont la responsabilité d'organiser le développement de ces transports de façon décarbonée.

Et devant les difficultés budgétaires que nous connaissons, c'est un nouveau système de financement qu'il faut mettre en œuvre. C'est pourquoi j'ai chargé la conférence Ambitions France Transports, présidée par Dominique BUSSEREAU, de définir un modèle soutenable de financement de nos infrastructures.

La condition pour relever tous ces défis, c'est que nous ayons l'idée la plus claire possible de ce qui nous réunit, de ce que nous voulons défendre ensemble, de ce que nous voulons construire ensemble. Face aux attaques de l'extérieur, face aux assauts de l'intérieur, qui tous se déchaînent contre nous, nous ne serons forts que si nous sommes unis ; nous ne serons libres que si nous avons le désir d'être ensemble et d'avancer ensemble.

C'est pourquoi j'ai décidé que soit mené à l'échelle du pays et des régions, un débat sur ce que signifie "être français".

Ce débat, je serais heureux que votre Conseil accepte de l'organiser, en tirant parti de l'expertise qu'il a acquise grâce aux conventions citoyennes.

Les Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux seront un puissant point d'appui pour qu'il se développe partout sur le territoire de notre pays.

Je propose que ce débat parte de textes. J'en fournirai moi-même un, parmi d'autres bien sûr. Ma conviction, c'est qu'il ne s'agit pas d'une simple question d'identité. C'est une question d'adhésion à un projet national unique, puisque nous sommes le seul pays au monde qui soit fondé non pas sur la glorification d'une grandeur passée, non pas sur une origine ou une religion, mais sur le partage d'un certain nombre de vertus philosophiques et civiques, qui sont comme les leçons que nous tirons de notre histoire.

Ces vertus, nous les connaissons tous : il s'agit du triptyque qui constitue notre devise républicaine, "liberté, égalité, fraternité". J'y ajoute la laïcité, dont je crois qu'elle est au fond un visage essentiel de notre conception particulière de la fraternité.

Je vous remercie.


Source https://www.lecese.fr, le 2 avril 2025