Interview de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, à RTL le 3 avril 2025, sur les droits de douane supplémentaires entre l'Union européenne et les États-Unis et le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire des assistants parlementaires européens du Front national.

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Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Sophie PRIMAS.

SOPHIE PRIMAS
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Ce sera donc plus 20 %, 20 % de droits de douane pour une Europe accusée d'arnaquer les États-Unis, pour reprendre le verbe employé par Donald TRUMP hier soir. Que répond la France ce matin à ce coup de sang américain ?

SOPHIE PRIMAS
La France répond avec l'Europe, parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité que de répondre avec l'Europe. Madame la présidente VON DER LEYEN, cette nuit ou ce matin très tôt, a fait une déclaration.

THOMAS SOTTO
Elle a parlé d'un coup dur porté à l'économie mondiale.

SOPHIE PRIMAS
Oui, bien sûr. D'ailleurs, François LENGLET a parfaitement analysé. C'est un coup dur porté à l'économie mondiale, à l'économie européenne et singulièrement à l'économie française. Donc nous allons continuer d'essayer de négocier avec les États-Unis, car nous ne sommes pas à l'origine de cette attaque commerciale.

THOMAS SOTTO
Donc le canal, c'est la discussion ?

SOPHIE PRIMAS
La discussion et ensuite la riposte. Vous savez qu'il y a deux ripostes qui sont préparées. Avec le Président TRUMP, il faut rentrer dans un rapport de force. Évidemment, il n'y a pas d'autre chose que le rapport de force pour décider monsieur TRUMP. Et donc, il y a deux ripostes qui sont prévues. Une première riposte qui sera efficiente à peu près à la mi-avril, qui va correspondre à sa première attaque sur l'aluminium et l'acier, qui est déjà en cours. Et puis, il y a un deuxième jeu de riposte qui sera probablement prêt à la fin du mois d'avril sur l'ensemble des produits et des services. Et j'insiste bien sur "services", avec des nouveaux outils.

THOMAS SOTTO
Trois douanes sur les produits et les services américains, ça sera la riposte ?

SOPHIE PRIMAS
Ça sera la riposte.

THOMAS SOTTO
À hauteur de 20 % aussi, plus 20 % ?

SOPHIE PRIMAS
Alors, le mécanisme aujourd'hui et les produits qui seront considérés ne sont pas encore décidés. C'est une discussion qui a lieu entre les pays membres de l'Union européenne. L'Union doit être forte, elle doit être unie pour cela. Et donc, nous sommes en cours de négociation. Mais on va attaquer aussi les services.

THOMAS SOTTO
C'est quoi les services exactement ?

SOPHIE PRIMAS
Les services, ce sont par exemple les services numériques, qui aujourd'hui ne sont pas taxés et qui pourraient l'être.

THOMAS SOTTO
Google, les GAFAM, tout ça ?

SOPHIE PRIMAS
Les GAFAM, par exemple. Nous avons de nouveaux outils. Nous nous sommes dotés en Europe de nouveaux outils, qu'on appelle des outils anti-coercition. Et par exemple, c'est aussi l'accès à nos marchés publics. Donc nous avons aujourd'hui toute une batterie d'outils. Et nous sommes prêts à cette guerre commerciale.

THOMAS SOTTO
On sait qu'Emmanuel MACRON va recevoir, tout à l'heure, les représentants des secteurs touchés. Il y aura des annonces dans la journée ?

SOPHIE PRIMAS
Non, je pense que la première chose, c'est que nous fassions un bilan et prévisionnel de ce que seront les attaques et leurs effets sur l'ensemble des filières. Je pense qu'ensuite, nous regarderons comment nous pouvons soutenir nos industries de production.

THOMAS SOTTO
Il est allé trop loin, Donald TRUMP ? François LENGLET parlait d'un État voyou pour les États-Unis. Il va trop loin, il dépasse les bornes ?

SOPHIE PRIMAS
Bon, il n'a pas de limite. En réalité, il se prend pour effectivement le maître du monde. On le voit bien, à la fois dans les efforts qu'il fait pour travailler à la fois le Moyen-Orient, l'Ukraine, la Russie, maintenant le commerce. C'est une posture impérialiste qu'on avait un peu oubliée, mais qui revient avec grande force et grande détermination.

THOMAS SOTTO
Parmi les secteurs qui seront très impactés déjà, il y a l'industrie du vin et des spiritueux. Ils envisagent une chute de 20 % de leur vente à l'export. Ils parlent d'une perte qui pourrait atteindre un milliard d'euros. Est-ce que l'État et le Gouvernement pourraient les aider, les subventionner comme le fait d'ailleurs les États-Unis ? Est-ce que c'est envisageable ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, encore une fois, c'est une décision qui sera une décision européenne. Bien sûr, nous sommes très marqués en France sur l'univers des vins, des spiritueux. Nous avons déjà des difficultés aujourd'hui avec la Chine. Heureusement, Jean-Noël BARROT, dans la continuité de ce qui avait été fait sous le Gouvernement BARNIER, le ministre des Affaires étrangères a, par son travail en Chine la semaine dernière, obtenu un deuxième report de la taxation en Chine. Mais on voit bien que tous les marchés d'exportation, notamment des vins et spiritueux, sont en train de se fermer. Il va falloir donc supporter notre production européenne.

THOMAS SOTTO
Rien n'est exclu ?

SOPHIE PRIMAS
Rien n'est exclu.

THOMAS SOTTO
Vous craignez un réveil de l'inflation ? On parlait d'une baisse de la croissance qui a déjà été anticipée. Je crois que c'est Astrid PANOSYAN qui l'a annoncé hier. On n'est plus à 0,9 mais à 0,7. Vous redoutez un impact sur notre économie ici en France ?

SOPHIE PRIMAS
Bien sûr, évidemment ça va avoir un impact.

THOMAS SOTTO
Vous avez chiffré déjà ?

SOPHIE PRIMAS
Non, on ne s'est pas chiffré encore aujourd'hui. C'est pour ça que ce droit d'inventaire est en train d'être fait. Mais nous sommes à peu près sûrs qu'effectivement, nous allons avoir des effets récessifs sur la production, sur les exportations naturellement.

THOMAS SOTTO
Et sur les prix, sur l'inflation ?

SOPHIE PRIMAS
Et tout ça, ça n'est pas très bon. On n'estime pas encore sur les prix. Et ce qui est sûr, c'est que c'est très mauvais pour l'économie américaine. François LENGLET l'a dit tout à l'heure. À court terme, c'est très mauvais. D'ailleurs, les bourses ont décroché. Et vous savez, la bourse aux États-Unis, c'est très important parce que les Américains ont des retraites qui sont sur les fonds de pension. Donc plus que les Français ou que les Européens, ils regardent la bourse avec beaucoup d'attention. Donc est-ce que cette situation sera tenable dans le temps pour Donald TRUMP ? Nous le verrons.

THOMAS SOTTO
Donc vous misez aussi sur les marchés financiers pour le ramener à la raison en quelque sorte ?

SOPHIE PRIMAS
Bien sûr, bien sûr.

THOMAS SOTTO
L'autre actualité reste très politique. Trois jours après le jugement de Marine Le PEN, le sujet continue d'occuper une bonne partie de l'espace politique. Sophie PRIMAS, madame la porte-parole du Gouvernement, Marine Le PEN est-elle une victime ?

SOPHIE PRIMAS
Je veux rappeler d'abord que Marine Le PEN a été condamnée par la Cour en première instance. Aujourd'hui, elle a fait appel. Donc elle est de nouveau présumée innocente. Mais je veux dire qu'elle a été condamnée pour des faits qui sont des faits graves et que la Cour de première instance a considéré comme avérés.

THOMAS SOTTO
Donc elle n'est pas une victime.

SOPHIE PRIMAS
Elle est d'abord quelqu'un qui a fait un détournement de fond selon la Cour en première instance, donc à l'origine, était la faute quand même.

THOMAS SOTTO
Est-ce que ce jugement vous a troublé comme le Premier ministre qui a été troublé ?

SOPHIE PRIMAS
Non, le jugement ne m'a pas troublé à titre personnel. D'ailleurs, il n'a pas troublé non plus le Premier ministre. Le Premier ministre est troublé…

THOMAS SOTTO
Alors vous êtes tout simplement schizo en ce moment… Pardon, schizophrène, ce n'est pas la bonne expression. C'est-à-dire qu'à titre de fonction, le Premier ministre ou la porte-parole n'est pas troublé et à titre personnel, vous l'êtes. C'est un peu compliqué quand même.

SOPHIE PRIMAS
Alors, ce n'est pas du tout ça. En fait, c'est l'objet de notre trouble. En tout cas, du trouble du Premier ministre. Moi, je n'ai pas de trouble, mais c'est l'objet du trouble du Premier ministre. Le Premier ministre n'est pas troublé par le jugement. La Justice est indépendante. C'est un des piliers de notre démocratie.

THOMAS SOTTO
Il est jugé par l'exécution provisoire de l'inéligibilité.

SOPHIE PRIMAS
Il est troublé par le mécanisme qui ne concerne pas que madame Le PEN. Il concerne aussi d'autres personnes qui ont subi ce mécanisme de l'exécution provisoire et il s'interroge…

THOMAS SOTTO
Qui fait partie du jugement.

SOPHIE PRIMAS
Voilà, qui fait partie du jugement. Il s'interroge sur ce mécanisme-là.

THOMAS SOTTO
Donc, il est un peu troublé par le jugement quand même.

SOPHIE PRIMAS
Non, il n'est pas troublé par le jugement. Il est troublé par le mécanisme de l'exécution provisoire.

THOMAS SOTTO
Justement, ce mécanisme, Éric CIOTTI veut qu'il change. Il va déposer une proposition de loi pour faire disparaître, pour supprimer cette exécution provisoire des peines d'inéligibilité en cas de condamnation d'élu. Est-ce que le Gouvernement va soutenir cette proposition de loi ?

SOPHIE PRIMAS
Je suis un peu comme le président LARCHER qui s'exprime aujourd'hui. Il faut faire très attention à la surréaction. En fait, cette exécution provisoire a été décidée dans la loi SAPIN II après l'affaire CAHUZAC. Après des affaires qui, pour le coup, troublent l'opinion à juste titre comme celle-ci, dont l'ampleur trouble l'opinion, on lave plus blanc que le blanc. On prend des décisions, et on n'en mesure pas toujours l'effet réel dans le temps. Aujourd'hui, on a un peu de temps depuis l'affaire SAPIN II, on regarde les effets de cette loi, et on peut imaginer repartir dans une discussion parlementaire. C'est le rôle du Parlement. Le Parlement est un démentant également.

THOMAS SOTTO
Il y a un moment, il faut se positionner. Vous soutiendrez ou vous ne soutiendrez pas ?

SOPHIE PRIMAS
Je n'ai pas vu le texte que monsieur CIOTTI a mis sur le tapis.

THOMAS SOTTO
De nature, on connait, supprimer la peine d'inéligibilité avec l'exécution provisoire…

SOPHIE PRIMAS
On verra. C'est la responsabilité et l'indépendance du Parlement, du législatif, que d'examiner des textes. On verra les termes de ce texte. On verra l'analyse qui est faite, l'étude d'impact qui est faite. Vous savez, cette exécution provisoire a été mise pour des bonnes raisons, à l'origine par le Parlement. Il faut regarder si son application n'a pas des effets délétères, ou pas, et puis avoir la discussion parlementaire.

THOMAS SOTTO
Hier matin, Xavier BERTRAND faisait un petit peu moins l'anguille que vous, si je peux me permettre. Il disait voter la loi CIOTTI-LE PEN, et puis quoi encore ? Ce serait impensable. Ce serait une loi pour contourner la Justice. Vous êtes d'accord avec ça ?

SOPHIE PRIMAS
Non, ce n'est pas une loi pour contourner la Justice. À partir du moment où on fait la loi, la Justice s'appuie sur la loi pour déterminer ses peines. Moi, je pense qu'une loi doit être évaluée si on considère qu'elle a des effets qui vont au-delà de l'intention du législateur.

THOMAS SOTTO
Puisque Marine Le PEN va être jugée assez rapidement, faut-il aussi que la justice se hâte, s'agissant de l'affaire des assistants parlementaires du MoDem, affaire dans laquelle François BAYROU, qui avait été relaxé en première instance, doit être rejugé ?

SOPHIE PRIMAS
La cour d'appel de Paris – d'ailleurs, sa présidente s'est exprimée récemment dans la presse – a indiqué, d'une part… Parce que la cour d'appel ne méconnaît pas les effets politiques de cette décision. Elle prend sa décision en conscience et à partir de la loi, mais elle ne méconnaît pas l'environnement de la décision qu'elle prend.

THOMAS SOTTO
Il y a un petit côté justice à la carte quand même. On se hâte pour Marine Le PEN, on prend son temps pour François BAYROU ?

SOPHIE PRIMAS
Pas de justice à la carte. C'est la cour d'appel, de nouveau indépendante, qui fait son ordre du jour, qui, d'ailleurs, indique… la présidente de la cour d'appel indique dans la presse qu'elle avait prévu, en fait, que Marine Le PEN ferait appel. Elle l'avait mise dans le calendrier. Ce sont les mots de la présidente de la cour d'appel. Je vous vois dubitatif.

THOMAS SOTTO
Oui, parce que ça va très vite. Mais on ne peut pas dire qu'il y avait une petite pression politique de tous bords pour dire qu'il soit rejugé rapidement ?

SOPHIE PRIMAS
Elle est très agacée par ce commentaire. D'ailleurs, elle le dit dans la presse, en disant qu'elle est parfaitement indépendante et qu'elle avait prévu les choses. Après, l'appel dont on dit que le jugement serait rendu à l'été 2026, ça fait, en gros, 16 à 18 mois. La durée moyenne de l'appel, c'est 18 mois.

THOMAS SOTTO
Mais il faut François BAYROU récemment ou pas ?

SOPHIE PRIMAS
C'est madame la présidente de la cour d'appel qui doit décider, ce n'est pas moi.

THOMAS SOTTO
Dernière question. Le RN, en attendant, a appelé à la mobilisation, samedi à Marseille, dimanche à Paris. Il s'agit, a écrit Jordan BARDELLA, de sauver la démocratie. Et puis après, il a dit, attention, ce n'est pas un coup de force. Est-ce que cette manifestation parisienne est une manifestation qui vous inquiète ? Est-ce que c'est une manifestation à risque ? Je n'ai pas envie qu'on joue un mauvais remake du Capitole, ça qui était Xavier BERTRAND, encore, hier matin.

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, alors évidemment, on n'a pas envie du Capitole parce qu'on est dans une démocratie qui est solide et il faut la garder solide.

THOMAS SOTTO
Il y a un risque, là, pour vous ? Il y a un risque de dérapage ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, je pense que, moi, je fais confiance aux organisateurs et au Rassemblement national qui veut se montrer présidentiable pour respecter à la fois les conditions de sécurité, les bonnes conditions de la manifestation. Cette décision a amené un trouble chez les 11 millions de Français qui ont voté pour le Rassemblement national.

THOMAS SOTTO
10 millions plus 1, visiblement ?

SOPHIE PRIMAS
Oui. Qu'il y ait la volonté de montrer l'adhésion au Rassemblement national, je trouve... Bon, ils ont parfaitement le droit de le faire. Il faut que ça se passe dans le calme parce qu'une démocratie n'a rien à gagner dans la violence. Et puis, je voudrais juste dire, quand même, la chose suivante, c'est que si Marine Le PEN venait à être inéligible de façon définitive, définie par la Cour d'appel, après la peine de la Cour d'appel, le Rassemblement national compte aujourd'hui beaucoup de personnalités. Donc, le Rassemblement national ne serait pas empêché de se présenter à l'élection présidentielle.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2025