Audition de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie, dans le cadre de la commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du Centre d'expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à l'Assemblée nationale le 13 mai 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Commission d'enquête relative à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation (audition ouverte à la presse)

Texte intégral

M. le président Didier Le Gac. La commission d'enquête termine cette semaine ses travaux, entamés en 2024, interrompus à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale et repris en janvier 2025 grâce à la ténacité de la rapporteure et de son groupe. Nous avons procédé à plusieurs dizaines d'auditions et une délégation s'est rendue en Polynésie voici un mois. La rapporteure doit rendre son rapport dans trois semaines environ.

Dans ce cadre, il est apparu indispensable d'entendre M. Valls, que son portefeuille ministériel place en première ligne pour traiter de la question des conséquences des essais nucléaires en Polynésie, dont il avait déjà eu à connaître en tant que Premier ministre.

Les essais nucléaires restent évidemment un sujet très sensible en Polynésie française. Les témoignages que nous avons reçus, l'émotion avec laquelle certaines personnes nous ont parlé, l'attente suscitée par la venue d'une délégation de la commission d'enquête montrent que la période des essais nucléaires a profondément touché l'ensemble de la Polynésie, que le sujet reste un traumatisme et suscite beaucoup d'attentes à l'égard de l'État français.

Les Polynésiens ne rejettent toutefois pas les essais nucléaires en bloc. Les attitudes sur ce point divergent et ont fortement modelé la vie politique polynésienne. À l'époque, être opposé aux essais nucléaires était souvent le signe d'une opposition à la métropole et pouvait constituer une affirmation indépendantiste ou être interprété comme tel. Certains Polynésiens étaient et restent toutefois fiers d'avoir travaillé pour permettre à la France de bénéficier de la dissuasion nucléaire qui, dans le contexte géopolitique actuel, est un atout sans commune mesure.

Dans la réponse apportée en 2015 au député de Polynésie Jean-Paul Tuaiva alors que vous étiez Premier ministre, vous aviez reconnu que le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) n'avait pas eu l'efficacité escomptée et vous étiez déclaré favorable à une modification de la loi Morin.

La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Erom, a supprimé le critère du risque négligeable, ce qui a eu pour effet de faciliter considérablement l'indemnisation des demandeurs. Quel regard portez-vous sur cette évolution législative ? Pensez-vous qu'il faille de nouveau modifier le dispositif existant ?

Les dépenses de santé consécutives à la prise en charge des soins des malades reconnus victimes des essais nucléaires ou remplissant les critères pour l'être sont financées par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS). Compte tenu de la responsabilité de l'État dans les essais nucléaires pendant plus de trente ans, que répondez-vous aux nombreuses personnes qui souhaitent que l'État rembourse à la Polynésie les montants engagés ?

Mais, avant de vous entendre Monsieur le ministre d'État, je dois vous demander de prêter serment comme le font toutes les personnes entendues dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ; je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire "je le jure".


(M. Manuel Valls prête serment.)


M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des Outre-mer. Les travaux menés par votre commission (les nombreuses auditions organisées, votre déplacement en Polynésie française, les sujets que vous abordez, les questions que vous posez…) témoignent de votre ambition d'écoute et de compréhension des conséquences du fait historique d'envergure que représentent les 193 essais nucléaires effectués en Polynésie entre 1966 et 1996.

J'étais député lors de l'adoption de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Depuis la suppression du critère du risque négligeable, à laquelle j'étais favorable, les données du Civen démontrent que le dispositif fonctionne. On pourrait encore l'approfondir en étendant la liste des pathologies radio-induites ; je considère toutefois que ne doivent être indemnisés que les cancers liés aux essais nucléaires et non l'ensemble des cancers.

Depuis mon arrivée au ministère des Outre-mer, j'ai déjà obtenu trois avancées en la matière. L'article 172 de la loi de finances initiale pour 2025 a ainsi permis de reporter au 31 décembre 2027 la date limite de dépôt d'un dossier d'indemnisation au nom d'une personne décédée avant le 1er janvier 2019. La mission "aller vers" placée auprès du Haut-Commissaire porte ses fruits et l'existence de dossiers en instance rendait nécessaire le report de la date limite.

Un avenant de prolongation jusqu'au 31 décembre 2025 de la convention État-Pays en matière de santé a par ailleurs été finalisé. En 2025, le ministère mobilise dans ce cadre 4 millions d'euros en appui à la politique de santé de la Polynésie française. Cette enveloppe est complétée par les moyens du ministère de la santé et de l'accès aux soins, apportant ainsi aux politiques de santé publique déployées en Polynésie un soutien non négligeable. La Polynésie exerce la compétence en matière de santé depuis un décret du 22 juillet 1957. La loi organique statutaire de 2004 conforte le caractère exclusif de cette compétence. L'État souhaite néanmoins continuer à soutenir ces politiques ; j'y suis moi-même très attaché.

L'article 7 de la loi du 5 janvier 2010 prévoyait au moins deux réunions de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) par an. Or cette dernière ne s'était pas réunie depuis le 23 février 2021. La loi a enfin été respectée et la séance de travail de près de quatre heures qui s'est tenue le 1er avril dernier a montré à quel point cette instance était précieuse. Je me suis par ailleurs engagé avec Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins (que vous avez auditionné par ailleurs), à ce qu'une nouvelle réunion se déroule à l'automne, en Polynésie française. Comme je dois normalement me rendre sur place cet été, ce sera l'occasion d'y revenir, si le Président de la République, le Parlement et Dieu le veulent ! Plus sérieusement, il importe que cet engagement soit tenu.

L'ambition qui a présidé à l'installation du ministère d'État dont j'ai l'honneur d'être aujourd'hui responsable était de créer les conditions d'une mobilisation interministérielle effective en faveur des outre-mer. Dans le dossier qui nous intéresse, les mois écoulés ont déjà permis d'obtenir de premiers résultats. Ce n'est qu'un début.

Votre commission d'enquête ayant déjà auditionné les ministres chargés des Armées et de la Santé, je vais centrer mon intervention sur des éléments complémentaires relevant de ma compétence.

J'entends ainsi évoquer la France, la Polynésie française, les choix historiques et leurs implications actuelles. Le choix historique fondateur est la décision prise par le général de Gaulle de réaliser des essais nucléaires en Polynésie, notamment dans les sous-sols et sous les lagons des atolls de Moruroa et Fangataufa, à la suite des accords d'Évian du 18 mars 1962. Ce choix stratégique du Pacifique et de la Polynésie, qui émanait du plus haut niveau de l'État, la Polynésie et les Polynésiens l'ont subi, même s'il a évidemment eu aussi des retombées positives en matière d'emploi.

Le 9 septembre 1966, le général de Gaulle déclarait à Papeete : "La France estime et aime la Polynésie." Oui, la France estime et aime la Polynésie. Je peux faire mienne cette phrase. Il avait poursuivi : "La Polynésie française est en ce moment le siège d'une grande organisation où nous mettons sur pied une puissance moderne qui doit nous donner la capacité de dissuader les autres de nous attaquer jamais. Toutes les dispositions sont prises pour que cela n'ait aucun inconvénient pour les chères populations de la Polynésie. Cette organisation est en quelque sorte le départ pour un grand et nouveau progrès pour vos archipels."

Effectivement, la France est devenue une puissance moderne à la suite du choix stratégique du Pacifique, même si le choix du nucléaire avait commencé sous la IVe République. La Polynésie a ainsi incontestablement participé à la puissance de la France. J'ai écouté avec intérêt ce que vous disiez, monsieur le Président, quant au sentiment de nos compatriotes polynésiens. Il faut le dire très clairement : la France doit notamment sa puissance aux Polynésiens et à la Polynésie française. L'objectif de 1966 a été atteint. Comme ancien Premier ministre, je sais l'importance de la dissuasion nucléaire pour nos intérêts vitaux et stratégiques. On peut en débattre, mais dans le monde actuel, cette capacité est vitale.

En revanche, l'engagement pris envers les populations n'a pas été tenu ; nul ne pourrait le nier. Les essais nucléaires ont eu plusieurs conséquences tragiques pour les populations de la Polynésie. En particulier, ils ont été synonymes de cancers, c'est-à-dire de souffrances, de drames et de disparitions. Il importe de le dire (ce n'est pas nouveau) et de l'assumer. Les choix du passé nous obligent. D'une manière générale, le rapport que je souhaite créer entre l'Hexagone, entre Paris et l'ensemble des territoires ultramarins comporte une part de reconnaissance du passé. Je ne veux pas mélanger les sujets, nombreux et différents, mais la sensibilité que vous avez notée en Polynésie existe dans d'autres domaines ; on pourrait parler de l'esclavage, des processus de décolonisation, des problèmes de vie chère, de certaines questions économiques, du chlordécone. Le poids de l'histoire et des relations entre la puissance française et ses territoires se fait encore sentir, au-delà même de l'attachement profond qui les lie.

La France est redevable à la Polynésie et aux Polynésiens. C'est de cet impératif historique, politique, moral et de ses implications que je suis venu vous parler. Il se traduit avant tout par un devoir de mémoire : reconnaître les faits et en transmettre la mémoire, c'est honorer les victimes. La reconnaissance suppose la mémoire. Mémoire et histoire se complètent et je suis viscéralement attaché à ces deux dimensions. La compréhension des faits objectifs se nourrit des vécus subjectifs des individus. Je souhaite donc que l'État apporte toute sa contribution au devoir de mémoire concernant les essais nucléaires dans le Pacifique ; je salue donc le travail mené sous votre égide par l'Assemblée nationale.

J'entends préciser la nature de cette contribution. La mémoire appelle une forme de délicatesse, d'affable distance vis-à-vis du ressenti de chacun. Le rôle de l'État n'est pas de piloter cette ambition mémorielle ; d'aucuns estimeraient légitimement qu'il n'a pas vocation à être juge et partie. Il doit en revanche se tenir à disposition.

Les élus du territoire ont ainsi le beau projet de créer un Centre de mémoire et d'histoire des expérimentations nucléaires françaises dans le Pacifique, Pu Mahara ; un conseil scientifique a été installé et ma volonté est d'en faciliter la concrétisation. Nous le devons à la Polynésie française et aux Polynésiens. Je vous annonce par conséquent que l'État mettra à disposition de la Polynésie française tous les biens et documents utiles au projet scientifique du site, ainsi que l'abri de protection des populations construit à Tureia. Celui-ci a pour vocation de devenir un lieu de mémoire, à la fois objet matériel et carrefour des souvenirs individuels et collectifs qui entretiennent une conscience commune. Il doit aussi faciliter la transmission aux jeunes générations. L'État procédera même à des travaux de sécurisation de l'abri en amont de la cession de la propriété des bâtiments à la Polynésie française.

Nous ne devons pas avoir peur de ces sujets ; si nous donnons le sentiment d'avoir peur, de vouloir cacher des choses ou de nous réfugier derrière je ne sais quelle histoire, nous risquons d'alimenter de nouveaux mouvements de séparation vis-à-vis de la France.

Après la mémoire, la seconde notion essentielle pour aborder les conséquences des essais nucléaires est celle de science. La déférence vis-à-vis de la science est la condition d'une action publique pertinente. Nous savons depuis Max Weber que le politique n'a pas vocation à se substituer au savant. L'humilité de la décision publique est la condition de sa crédibilité.

Je reçois les témoignages de personnes qui retracent le parcours de leur maladie et mettent en évidence des chronologies explicites. J'y suis évidemment sensible et je suis impatient de pouvoir leur apporter une réponse adéquate. Je sais que ces sujets sont délicats. Je suis convaincu du fait que la révision de la liste des pathologies radio-induites représente un chantier prioritaire.

En revanche, il ne m'appartient pas de déterminer quelles pathologies peuvent avoir un lien avec les 193 essais nucléaires. La liste, fixée par le décret en Conseil d'État du 15 septembre 2014, modifié depuis, était composée de dix-huit, puis de vingt et une pathologies. Elle en comporte aujourd'hui vingt-trois, dont les cancers des os et du tissu conjonctif, de l'intestin grêle et de la vésicule biliaire. J'entends les demandes visant à y inclure notamment les cancers du pharynx et du pancréas. Il ne s'agit pas de gagner du temps, mais il importe d'être très transparents, de nous appuyer sur des bases scientifiques et médicales et d'asseoir un éventuel allongement de la liste sur des travaux scientifiques, de préférence internationaux afin d'éviter toute remise en cause.

Un groupe de travail du comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear) prépare pour 2026 un rapport d'actualisation des connaissances sur les cancers radio-induits. L'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l'Inca (Institut national du cancer) et le Civen recommandent unanimement d'attendre la publication de ce rapport avant de prendre une décision. La méthode et le calendrier, présentés lors de la réunion de la CCSCEN du 1er avril 2025, ont recueilli l'assentiment du gouvernement de Polynésie française par l'intermédiaire de son ministre de la santé, Cédric Mercadal. Attendons !

Le troisième mot essentiel est celui d'accompagnement, à commencer par celui proposé par le Civen, dont le dernier rapport d'activité montre que, entre la promulgation de la loi du 5 janvier 2010 et le 31 décembre 2023, 2 846 dossiers ont été enregistrés et 79,6 millions d'euros versés aux victimes. Cet accompagnement, ce soutien et ces indemnisations ont vocation à se poursuivre.

L'accompagnement proposé par la mission "aller vers" constitue un complément essentiel. Cette dernière effectue depuis le 1er janvier 2022 un travail remarquable ; le Haut-Commissaire me l'a confirmé à plusieurs reprises. Ce travail repose sur deux agents parlant le reo Tahiti et le français. L'équipe se déplace dans toute la Polynésie française. Après avoir annoncé leur venue quelques jours à l'avance sur les réseaux sociaux et dans les mairies concernées, les agents informent les habitants sur leurs droits et les aident dans la constitution de leurs dossiers de demande d'indemnisation. Votre point de vue sur cette action m'intéresse.

La mission a été prolongée et je compte beaucoup sur elle. Bien souvent, les plus grands desseins reposent sur l'engagement de quelques personnes passionnées ; c'est le cas ici et je souhaite profiter de cette audition pour les en remercier.

Le sujet des conséquences des essais nucléaires appelle une double exigence : d'une part, l'affirmation profonde et sincère d'un impératif moral vis-à-vis de la Polynésie française, dans le cadre d'une histoire transparente, avec ses aspects positifs et négatifs ; d'autre part, une très grande sollicitude à l'égard de chaque victime.

Mon ambition générale en faveur des Outre-mer est de toujours essayer d'apporter une réponse concrète, effective et efficace aux besoins des habitants et de valoriser la contribution collective d'un territoire donné au rayonnement de la France et, surtout, à son propre rayonnement. Il importe de pourvoir à la fois aux besoins individuels et collectifs : c'est là le sens de la politique et de l'action publique.

J'ai juré de dire toute la vérité. J'espère tenir cette promesse en vous faisant part, au-delà de la vérité froide et parfois douloureuse des faits et des chiffres, de ma vérité, de ce à quoi je crois profondément.

M. le président Didier Le Gac. "Mémoire", "science", "accompagnement". Merci, monsieur le ministre d'État, pour ces propos très clairs.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. "Mémoire", "science", "accompagnement" : je retiens moi aussi ces trois mots et je leur ajoute celui de reconnaissance, que vous avez également prononcé.

À l'occasion des auditions et de nos rencontres avec des responsables politiques, des témoins de la période d'activité du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), mais aussi de jeunes Polynésiens, nous avons constaté que beaucoup réclament que la France demande pardon. Quel est le chemin menant de la reconnaissance au pardon ? L'État pourrait-il selon vous présenter des excuses officielles aux populations polynésiennes affectées par les essais nucléaires ? Quelles seraient les bonnes raisons de ne pas le faire ?

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. À titre personnel, je n'y vois aucun problème. Mais l'État, ce n'est pas moi ! Sur un dossier aussi sensible, seul le Président de la République pourrait, au nom de la continuité de l'État et compte tenu des choix effectués par ses prédécesseurs, décider d'accomplir un tel geste.

À titre personnel, je trouve que la France se grandit, devient plus belle et plus grande quand elle est juste et reconnaît ses responsabilités.

Est-ce une contradiction ? Je l'ignore, mais le Président Le Gac a, lui aussi, évoqué ce double phénomène. D'un côté, lors des choix stratégiques faits par le général de Gaulle après la perte de l'Algérie, l'idée était de parvenir, grâce aux essais nucléaires, à prolonger la grandeur et la puissance de la France sur un autre continent, dans un autre océan, à assurer son rayonnement en y associant la Polynésie. Mais cela s'est également fait au détriment des populations, au prix de conséquences sanitaires graves, de cancers, de maladies, de souffrances.

Demander pardon grandirait sans doute notre pays. Cela conférerait une dimension supplémentaire à nos relations avec nos compatriotes polynésiens. J'ai toutefois conscience qu'il s'agit d'un débat sans fin, et ce n'est qu'un modeste ministre d'État qui vous parle.

M. le président Didier Le Gac. Le Président de la République a parlé de "dette".

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. On s'approche ; la langue française est subtile…

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Vous avez fait référence à la science. Le 19 février 2025, durant l'audition de représentants de l'ASNR (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection), j'ai demandé à M. Philippe Renaud, chargé de mission auprès du directeur de cette instance, s'il était scientifiquement possible de démontrer que la dose annuelle de radiations reçues par une personne à la suite d'un essai nucléaire ne pouvait être supérieure à 1 millisievert. Sa réponse était catégorique : "La réponse est clairement non. Les incertitudes sont telles que nos calculs n'ont pu aboutir qu'à des ordres de grandeur, autour du 1 mSv. Les doses estimées sont de l'ordre du millisievert, oscillant entre un peu moins et quelques millisieverts. Les incertitudes sont si importantes qu'il est impossible de discriminer ou d'individualiser cette dose. Nous ne pouvons pas distinguer les personnes ayant reçu plus ou moins de radiations."

Ce seuil du millisievert, fixé dans la loi Morin, détermine le statut de victime d'une personne malade ayant déposé une demande d'indemnisation.

Faire appel à la science, notamment pour allonger la liste des maladies radio-induites, nous y sommes favorables ; mais elle ne permet pas d'apporter une réponse précise à la question de savoir si une personne a reçu plus ou moins de 1 mSv. Quand les scientifiques ne savent pas ou ne sont pas sûrs, ils le disent. Sachant que le seuil de 1 mSv est le principal critère de rejet des demandes d'indemnisation, quel est votre avis à ce sujet ?

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Ces questions sont complexes. J'essaie de m'abriter derrière la science. Il existe une présomption de causalité entre les essais nucléaires et la maladie ; le Civen pourrait donc renverser la présomption si les éléments que vous évoquez peuvent être démontrés. Lancer ce débat ne me pose aucune difficulté, sous réserve néanmoins de cette démonstration préalable.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Je rappelle que selon la loi Morin, la présomption de causalité repose sur trois critères : les dates et les lieux de la présence en Polynésie et la nature de la maladie. Le Civen a la possibilité de renverser cette présomption en s'appuyant sur le seuil de 1 mSv. Est-il judicieux de continuer de recourir à celui-ci après que l'audition de l'ASNR, entre autres, nous a appris qu'il n'était pas fondé scientifiquement ?

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Je suppose que vous formulerez des recommandations à ce sujet, afin de faire évoluer l'examen des demandes d'indemnisation… Le ministre de la Santé aura à se prononcer ; si un blocage survenait, il faudrait alors sans doute aller plus loin.

À titre personnel, je n'ai aucune opposition de principe ; j'attends vos propositions. Il appartient au Civen de démontrer la pertinence de ce seuil ; s'il ne le peut pas, la loi devra évoluer, afin qu'une exposition inférieure soit prise en considération. Pour vous répondre aussi précisément que possible, nous devons disposer de tous les éléments existants.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Au cours de notre enquête, nous avons constaté que le régime d'indemnisation suscite une insatisfaction manifeste, malgré de nombreux efforts consentis par l'État. Afin de le faire évoluer d'une manière qui soit acceptée par ce dernier et comprise par la population polynésienne, que pensez-vous d'un changement de perspective ? Il s'agirait de créer un régime qui n'indemniserait pas une maladie parce qu'il reconnaît un lien de causalité avec les essais nucléaires, mais qui indemniserait le risque induit par la conduite des essais en Polynésie dans les conditions que nous connaissons.

La science ne peut prouver cette causalité à l'échelle individuelle. Plutôt que de continuer de modifier arbitrairement et régulièrement les critères d'éligibilité, ce nouveau régime serait de nature à concilier les exigences de la science et la dimension résolument humaine de l'indemnisation.

Autrement, ceux qui contestent scientifiquement le lien de causalité entre les maladies et les essais nucléaires continueront de le faire, tandis que ceux qui se considèrent comme des victimes ressentiront toujours de l'injustice.

M. le président Didier Le Gac. C'est ce que nous appelons le "caractère irréfragable de la contamination" : toutes les personnes ayant été exposées doivent être prises en charge dès lors qu'elles satisfont aux trois critères prévus dans la loi Morin, sans plus désormais prendre en considération le seuil de 1 mSv.

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Permettez-moi d'exprimer deux objections. Premièrement, nous devons nous appuyer sur la science, en particulier dans un moment où son autorité est remise en cause. Ma deuxième objection porte sur l'objet et les motivations profondes de l'indemnisation : en droit, on n'indemnise pas un risque, mais un préjudice, si sa cause est identifiée.

Je suis favorable à une extension de l'indemnisation des victimes à condition qu'elle s'appuie sur la science. Je l'ai dit, afin de compléter la liste des pathologies radio-induites, nous devons attendre le rapport du comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants, prévu pour 2026.

Lors de la réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires le 1er avril dernier, le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins a annoncé que la liste des pathologies reconnues serait actualisée en 2026. À mon sens, c'est une priorité et j'appelle à la mobilisation des scientifiques en la matière.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Vous souhaitez reconnaître la responsabilité de l'État à l'égard de la population polynésienne, tout en considérant que les essais nucléaires ont été utiles et qu'il est impossible de les remettre en cause.

Pour envisager une demande de pardon qui ne soit pas circonscrite à une forme d'indemnisation, comme l'a évoqué la rapporteure, nous devons probablement pousser le raisonnement plus loin et nous interroger : ces essais devaient-ils avoir lieu ?

À cet égard, le débat que nous avons eu sur la dette et le pardon est révélateur : une dette, qu'elle soit morale ou financière, peut être remboursée ; demander pardon implique de reconnaître avoir commis une erreur.

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Je n'ai pas employé la plupart des mots que vous citez. J'ai tenté de rappeler les choix qui ont été faits par l'État, notamment par la personne du général de Gaulle. Incontestablement, les essais nucléaires ont contribué à l'élaboration de la puissance nucléaire française. Puis, au bout d'un certain nombre d'années, il s'est avéré (après les hésitations du début du premier mandat de Jacques Chirac) que d'autres méthodes pouvaient être utilisées.

Je ne peux vous suivre en considérant ces essais comme des erreurs ; j'estime, à l'inverse, que nous devons les assumer. Notre erreur a sans doute été de ne pas tenir compte de leurs conséquences, mais c'est un autre débat.

Le Président de la République a évoqué la dette de la France. En tant que successeur du général de Gaulle, c'est à lui qu'il appartient de choisir les termes exacts à employer. J'ai pour ma part évoqué le pardon au sujet des conséquences des essais, qui me semble être un impératif moral fort.

Je considère l'histoire des essais nucléaires français de façon globale : ils ont contribué à l'élaboration de la puissance de la France et en aucun cas je n'entends remettre en cause la dissuasion nucléaire française. En revanche, nous devons poursuivre nos travaux concernant l'indemnisation des malades.

Je le répète, je n'ai pas de problème avec les mots que vous avez évoqués ; simplement, il appartient à celui qui en a la charge de décider de les employer.

M. Elie Califer (SOC). Monsieur le ministre d'État, vous avez évoqué à la fois le devoir de mémoire et la science. Les populations ultramarines, dont sont issus d'éminents professeurs de médecine, ont confiance en la science, notamment dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui. Quant au devoir de mémoire, il revêt une dimension importante et doit être exercé de façon partagée.

Après toutes ces années, ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire d'entrer, de façon déterminante et déterminée, dans une phase de transparence et de réparation ? L'État ne devrait-il pas se mobiliser et mobiliser la recherche épidémiologique ? Des documentaires ont révélé les atteintes à la personne et à la santé et on en est encore à réfléchir à la question de savoir s'il faut prendre en considération telle ou telle pathologie, comme les cancers du pharynx et du pancréas (celui-ci étant particulièrement foudroyant comme on le sait).

Vous dites être favorable au pardon. En tant que ministre des Outre-mer et, auparavant, en tant que Premier ministre, vous avez suivi les débats à ce sujet et sinon la rébellion, du moins les questionnements émanant de ces territoires, notamment de la Polynésie. Pensez-vous que les essais se sont toujours accompagnés d'une volonté forte de préserver les populations ? À l'époque, les scientifiques ont-ils suffisamment alerté les pouvoirs publics ? Enfin, vous avez juré de dire toute la vérité ; avez-vous eu connaissance, comme ministre des Outre-mer ou, auparavant, comme Premier ministre, d'éléments que la commission d'enquête n'aurait pas en sa possession, et qui permettraient à la commission des affaires sociales de ne pas continuellement négocier des fonds d'indemnisation dans le cadre du budget de la Sécurité sociale ?

La vision de reportages et de documentaires sur la situation de ces territoires après les essais nucléaires me révulse et me bouleverse !

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Je ne dispose d'aucun élément particulier à vous communiquer, ni en tant que ministre des Outre-mer, ni en tant qu'ancien Premier ministre ; par ailleurs, j'ai bien conscience, je vous le confirme, d'être sous serment !

En matière de transparence et de réparation, l'État contribuera, je l'ai dit, à la création du Centre de mémoire et diffusera les travaux scientifiques ; je fais confiance aux chercheurs, issus des territoires concernés, qui les mènent.

Assumer cette histoire, éclairée par les historiens, les scientifiques et les populations elles-mêmes, est une chose ; les essais nucléaires ont eu lieu, c'est un fait. De retour de Nouvelle-Calédonie, je rappellerai quelques mots tirés du beau texte des accords de Nouméa qui reconnaissaient les "ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière".

L'État avait-il la volonté de préserver les populations ? Sans doute, comme en témoignent les propos du général de Gaulle que j'ai rappelés, mais je juge d'après les résultats et les faits parlent d'eux-mêmes : les essais ont entraîné des cancers, qui ont fait de nombreuses victimes. Vous avez évoqué, monsieur Califer, votre émotion à la vision de documentaires et de témoignages sur l'étendue de ces maladies ; je la partage. Nous sommes tous comptables. Je le suis en tant que ministre, puisqu'exercer le pouvoir implique d'assumer une forme de continuité ; cela implique aussi de faire valoir la transparence, de reconnaître les erreurs qui ont été commises et de les corriger.

Au-delà de la question du pardon et de la dette de la France, de savoir si demander des excuses revient à se dédouaner, au-delà de l'impératif moral, nous devons répondre très concrètement aux attentes exprimées notamment par les parlementaires et les élus du territoire polynésien. À titre personnel, je suis favorable à la conduite d'une vaste étude épidémiologique sur le territoire polynésien, mais la décision appartient au ministre de la Santé et aux autorités locales. Je n'ai aucune prévention à l'égard de ce qui pourrait aider les malades, ni à l'égard d'une démarche visant à rassembler tous les éléments scientifiques et sanitaires qui peuvent nous rapprocher de la vérité.

M. le président Didier Le Gac. Que, en tant que ministre d'État, vous établissiez un lien entre les essais nucléaires et les cancers est un progrès en soi ! En 2025, des controverses perdurent à ce sujet ; nous avons auditionné des scientifiques et des anciens du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) qui continuent de nier cette causalité, considérant qu'il n'y a pas plus de cancers en Polynésie qu'ailleurs…

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Vous les avez crus ?

M. le président Didier Le Gac. Non !

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Outre les malades qui souffrent dans leur chair des pathologies énumérées dans le décret d'application de la loi Morin, de nombreux Polynésiens souffrent aujourd'hui d'anxiété. Déjà, à l'époque des essais, certains couples, quand le mari travaillait à Moruroa ou à Fangataufa, prenaient la décision de ne pas avoir d'enfants. Aujourd'hui encore, parce qu'ils redoutent la transmission intergénérationnelle des maladies, des Polynésiens craignent d'en avoir ; c'est un véritable fait de société.

La culture du secret, très présente pendant les opérations, a perduré. Elle a contribué à alimenter cette anxiété, que partagent d'ailleurs les vétérans. Mon collègue Elie Califer a évoqué la transparence, mais elle commence à peine à poindre !

Seriez-vous prêt, monsieur le ministre d'État, à soutenir un texte de loi visant à organiser la réparation ? Le principe de l'indemnisation ne constitue pas une faveur : ce n'est que l'application du droit.

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Ces sujets sont passionnants. Je ne dispose pas de l'ensemble des éléments de réponse, certains relèvent des prérogatives de mes collègues des armées et de la santé.

Nous devons assumer l'histoire, les choix effectués il y a soixante ans et leurs conséquences, sans remettre en cause la dissuasion nucléaire et les moyens alors utilisés pour atteindre cet objectif. Si nous assumons cette histoire (ce qui n'est pas la principale qualité des dispositifs étatiques), mais aussi la force qu'a constitué la recherche scientifique, civile et militaire, nous devons également assumer la transparence et ne pas la craindre.

Parce que j'ai accompagné l'approfondissement de la réparation des dégâts causés par le chlordécone, qui a provoqué chez les victimes le même sentiment de ne pas avoir été suffisamment entendues, je pourrais soutenir, sur le principe, un texte de loi organisant la réparation.

Nous ne devons pas avoir peur de la réparation, sans pour autant nous perdre dans les détails. Ainsi, l'hypothèse des maladies transgénérationnelles a été évoquée, mais la science n'identifie pas d'effets héréditaires de l'exposition à des rayonnements ionisants. Par ailleurs, le Civen indemnise également le préjudice d'anxiété des victimes.

Deux concepts, qui peuvent parfois paraître contradictoires, sont ici à l'œuvre : d'une part, la nécessité de tenir compte du sentiment, auquel je suis attentif, qu'on n'a pas dit la vérité, que les conséquences des choix en matière de nucléaire ont été dissimulées aux Polynésiens ; d'autre part, le besoin d'élaborer des dispositifs législatifs reposant sur la rigueur du droit et de la science. Nous devons rapprocher ces deux logiques et votre travail y contribue.

M. le président Didier Le Gac. Vous dites qu'il faut assumer l'histoire et la transparence. Dans quelques minutes, nous recevrons les auteurs du livre Toxique, par lequel la controverse est réapparue. Paru il y a quelques années, il a révélé aux Polynésiens que tout ne s'était pas passé exactement comme on le leur avait dit ; les nuages des tirs, notamment, ont été détournés par des vents contraires vers des atolls habités alors que les services de météorologie de l'époque affirmaient le contraire. Cette enquête, écrite par un journaliste et un universitaire, a remis en cause toute l'histoire qui avait été racontée à l'époque.

La transmission de la défiance de génération en génération doit prendre fin. Lors de notre déplacement en Polynésie, dans le lycée de Papeete que nous avons visité, nous avons ressenti non seulement de la méconnaissance, mais aussi de la rancœur : nous ne devons pas la laisser se transformer en colère !

Par ailleurs, monsieur le ministre d'État, pourriez-vous nous apporter une réponse au sujet de la CPS (Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française) et de la charge financière qu'elle doit assumer ?

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Nous devons aller au bout de l'approche historique : les essais ont eu des conséquences individuelles, sur la santé, et collectives suscitant ressentiment, colère et tristesse de la population.

Le manque de transparence, qui a perduré des années, a contribué à nourrir des fantasmes, en particulier dans le domaine du nucléaire. La loi de 2010 concernait d'ailleurs à la fois les essais dans le Sahara et ceux en Polynésie. À cet égard, intégrer l'histoire des essais nucléaires au programme du baccalauréat est une proposition à laquelle je suis favorable et qui doit être soumise au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour que soient déterminés à quel niveau et dans quelle matière cela serait le plus pertinent.

Plus largement, je suis attaché à ce que l'histoire de tous les Outre-mer soit connue de tous les Français ; l'école a vocation à y contribuer. Qui connaît l'histoire de la Nouvelle-Calédonie ou des Antilles ? Qui connaît véritablement celle des essais nucléaires, sinon grâce à vos travaux et à des livres ou des documentaires ? Il ne s'agit pourtant pas d'une histoire ancienne.

J'appartiens à une génération qui a vu, à la télévision, des ministres de la Défense (Charles Hernu ou Paul Quilès, je ne sais plus…) en visite officielle en Polynésie, se baigner dans le Pacifique devant les caméras pour montrer que cela ne posait aucun problème ! Les Français qui regardaient le journal télévisé comprenaient bien, cependant, qu'il s'agissait d'une opération de communication ; en la matière, le CEA disposait de moyens extraordinaires. Je referme la parenthèse pour ne pas mettre en cause cette grande maison.

Les frais de prise en charge des pathologies résultant des essais nucléaires doivent relever de la solidarité nationale, en application de l'exigence de cohérence que nous avons évoquée. La solidarité polynésienne ne peut supporter ces frais, comme elle est censée le faire aujourd'hui ; j'avais d'ailleurs eu cette discussion avec le président Édouard Fritch.

Je souhaite que l'État tienne parole et que le remboursement de ces frais intervienne rapidement, malgré le problème technique de rapprochement des données entre la CPS et le ministère de la santé. Lors de la réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires le 1er avril, une mission associant la CPS, le Civen et la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a été envisagée, afin de fiabiliser ces chiffres ; je souhaite qu'elle commence ses travaux aussi rapidement que possible.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie, monsieur le ministre d'État. Si vous allez en Polynésie cet été comme vous l'avez annoncé, j'espère que vous en profiterez tout de même pour vous baigner, mais loin des caméras !

M. Manuel Valls, ministre des Outre-mer. Compte tenu de la prolifération des petits appareils que nous connaissons tous, et que Mme Rousseau utilise très intelligemment (je plaisante !), c'est quelque chose qu'un ministre ne doit pas faire !


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 mai 2025