Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à France 2 le 9 juillet 2025, sur la politique de la famille, les plateformes de réseaux sociaux et la modération de leurs contenus et la préparation du budget 2026.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Jean-Baptiste Marteau - Journaliste

Média : France 2

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Soyez la bienvenue dans les 4V. Justement, avant de parler de votre actualité, une question sur cette étude de la démographie dont on vient de parler, les Français et les Françaises qui font de moins en moins d'enfants : est-ce que c'est peut-être aujourd'hui le prix à payer, justement, pour une vraie égalité entre les hommes et les femmes ?

AURORE BERGE
Ce qui est sûr, c'est que le prix de l'inégalité, l'inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes, accentue le fait qu'on craint avoir des enfants, parce qu'on craint pour sa carrière. Si on se dit qu'avoir un enfant, c'est sa mort professionnelle ou c'est sa mort sociale, ben, en effet, on renonce ou on diffère la volonté d'avoir un enfant. Ce qu'il faut, c'est garantir aux femmes une totale liberté. Avoir ou ne pas avoir un enfant. Ne pas, non plus, juger sévèrement ceux qui ne veulent pas avoir un enfant et leur permettre de la cueillir dans les meilleures conditions possibles. C'est la question des congés parentaux. Ça fait deux ans que je porte l'idée d'un congé de naissance pour, justement, remettre à égalité, entre les deux parents, à l'arrivée d'un enfant, pour que les deux parents puissent s'arrêter plusieurs mois et s'en occuper. C'est la question du combat sur l'égalité salariale et professionnelle, parce que la parentalité, en effet, ce n'est pas que la maternité, c'est bien les deux parents.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et la politique familiale qu'il faut aussi peut-être adapter au contexte de 2025.

AURORE BERGE
Exactement.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Comment lutter contre la haine en ligne, sur Internet ? Plus précisément, c'est votre dossier principal en ce moment. Vous recevez plusieurs associations tout à l'heure pour lancer une sorte de coalition inédite avec ces associations. Pourquoi ? Concrètement, qu'est-ce que ça change, aujourd'hui, dans votre stratégie pour lutter contre la haine en ligne ?

AURORE BERGE
Parce que je crois que c'est un enjeu démocratique majeur. C'est un enjeu de santé, de santé publique : pour nos enfants, pour nos adolescents. C'est un enjeu de santé démocratique aussi, parce qu'aujourd'hui, on voit bien à quel point les plateformes, les réseaux sociaux, ont une influence absolument énorme sur nos vies. Sauf que cette influence, elle est placée au service de quoi ? Quand elle est placée au service du complotisme, de la désinformation massive, de l'homophobie, du racisme, de l'antisémitisme, de la violence à l'encontre des femmes. On parle quand même d'un attentat, il y a une semaine, qui a été déjoué. Un jeune homme qui avait dans son sac à dos deux couteaux avec l'ambition de tuer des femmes, parce qu'elles étaient des femmes, et parce qu'il avait été alimenté par les réseaux sociaux. Donc il faut faire cause commune. Il faut avoir cette coalition. C'est la raison pour laquelle, à la fois…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc ça sert à quoi ces associations ?

AURORE BERGE
Moi, j'ai fait en deux temps. D'abord, j'ai convoqué les plateformes, je les ai revue lundi avec la maîtrise du numérique.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Lundi, à Bercy, ouais.

AURORE BERGE
Parce que c'était une nécessité de leur rappeler leurs obligations, et de leur dire que nous, nous n'allions pas abdiquer, et que si elles ne se conforment pas à leurs obligations, alors, ça voulait dire qu'évidemment, la France engagerait avec l'Union européenne toutes les sanctions nécessaires. Et puis coalition et cause commune, parce que nous allons renforcer les moyens budgétaires des associations, de manière à ce qu'elles puissent, de manière systématique, signaler tous les contenus qui sont aujourd'hui des contenus haineux. Relancer l'Observatoire de la haine en ligne sous l'égide de l'Arcom qui est l'autorité qui régule la question des contenus en ligne, la question des contenus numériques. Et puis faire cause commune, parce qu'il n'y a pas d'un côté le racisme, de l'autre l'antisémitisme. Il y a, ensemble, la lutte contre la haine.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et concrètement, Aurore BERGE, ça veut dire que ces associations, ces douze associations, quand elles vont signaler des contenus haineux qu'elles ont trouvé en ligne, elles vont tout de suite être regardé de près par les plateformes ? Comment ça va se passer ?

AURORE BERGE
C'est-à-dire que... En fait, elles vont être en lien direct avec l'Arcom, l'autorité de régulation, de manière à ce qu'elles soient prioritaires. C'est-à-dire que quand vous avez des associations qui sont des associations clés, des associations sur l'ensemble des champs : antisémitisme, qui explose, malheureusement, racisme qui ne recule pas, haine antimusulmans, homophobie, violences à l'encontre des femmes, prostitution, eh bien, ces associations, elles vont pouvoir signaler des contenus de manière à ce que ces contenus soient retirés de manière beaucoup plus rapide. Parce que justement, ce n'est pas n'importe qui qui signale. Ce sont des associations clé. Et moi, mon engagement, c'est de renforcer leurs moyens budgétaires pour qu'elles puissent…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Elles vont être aidées, justement, par l'État ?

AURORE BERGE
Elles sont déjà aidées, mais elles vont l'être encore plus pour qu'elles puissent recruter des gens qui vont être dédiées à la lutte contre l'aide en ligne.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
À hauteur de combien ? Vous avez une idée du budget que ça nécessite ?

AURORE BERGE
Là, l'objectif, c'est qu'elles puissent recruter au moins une ou deux personnes dédiées sur cet enjeu-là. Et donc on va regarder précisément avec elles. Et c'est la première fois qu'on fait, et qu'on fait ensemble, avec vraiment ces deux jambes, à la fois la régulation des plateformes et la manière avec laquelle elles doivent respecter le cadre que nous avons défini. Sinon, les sanctions tomberont, parce que c'est une urgence. Observatoire de lutte contre la haine en ligne, Coalition, faire cause commune de manière à lutter ensemble.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Justement, ces plateformes, vous les avez reçues plusieurs fois. Est-ce qu'on peut agir seul pour faire plier Meta, X, ex-tweeter, par exemple, ou est-ce que ça doit être une alliance européenne pour contraindre ces plateformes à agir ?

AURORE BERGE
C'est une alliance européenne. La réglementation européenne, elle a changé. Maintenant, les plateformes doivent s'y conformer. Et nous, c'est comment on garantit justement qu'elles se conforment à leurs obligations. Et leurs obligations, elles sont très claires sur la manière avec laquelle ces contenus, encore une fois, ne doivent plus pouvoir se répandre. Le sujet, il n'est pas moral. On peut tous avoir des représentations morales qui sont différentes. Le sujet, c'est que quand vous êtes dans l'illégalité, l'illégalité, elle existe hors-ligne, dans notre vie, dans l'espace public, et elle existe en ligne également.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ce n'est pas la liberté qu'on va brider un peu plus, comme le disent certains ? Ce sont légales ?

AURORE BERGE
Moi, tout de suite, sur votre plateau, je tiens des propos antisémites, racistes, homophobes, que j'appelle à la haine ou la violence, vous allez m'interrompre, parce que si vous ne le faites pas, c'est votre responsabilité qui sera mise en cause. C'est celle de la chaîne qui sera mise en cause. Il n'y a pas de raison que ce qui est interdit de dire sur un plateau, parce que c'est illégal, parce que c'est de la haine, on puisse la voir par millions de contenus sur les réseaux sociaux, avec l'influence que ça a ensuite sur nos enfants, sur nos adolescents et sur la société toute entière.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
D'après vous, est-ce qu'il faudrait aller plus loin, notamment sur la question de l'anonymat en ligne ?

AURORE BERGE
Oui. Moi, je pense que c'est un vrai combat. Je pense qu'il y a la question de la majorité numérique, mais que le vrai combat, c'est la question de l'anonymat. Parce que sous couvert d'anonymat, on peut tout dire, on peut tout faire, on peut assumer, justement, plus facilement de déverser sa haine, alors que demain, si vous rompez la question de l'anonymat, vous verrez que la question de la haine en ligne, ce sera du passé. Quand vous faites n'importe quel achat en ligne, on ne dit pas que c'est attentatoire à votre liberté de savoir qui vous êtes, de vérifier votre identité. Pourquoi ce serait attentatoire aux libertés de se dire que oui, on doit assumer les propos qui sont les nôtres quand on crée un compte sur un réseau social.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
La politique au Gouvernement, Aurore BERGE, en ce moment, c'est un peu agité. Vous êtes plutôt Team RETAILLEAU, Team PANNIER-RUNACHER ? Je m'explique. D'un côté, le ministre de l'intérieur qui souhaite supprimer les aides publiques sur certaines énergies renouvelables comme les éoliennes, et de l'autre la ministre de la Transition écologique qui trouve cela populiste. Vous avez vu ce débat.

AURORE BERGE
Mais il y a une seule ligne, parce qu'on appartient à un Gouvernement et qu'on porte un projet politique depuis 2007.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C'est laquelle, la ligne du Gouvernement ?

AURORE BERGE
Et le projet politique qu'on porte avec le Président de la République depuis 2017, il repose sur deux jambes : le nucléaire, le réarmement nucléaire de notre pays, parce que c'est une nécessité, une nécessité de pouvoir d'achat, une nécessité d'indépendance, et la question des énergies renouvelables. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bruno RETAILLEAU, lui, veut arrêter le financement public pour les énergies renouvelables comme les éoliens.

AURORE BERGE
Mais projet qu'on porte depuis 2017, c'est celui-ci. Donc nous n'allons pas arrêter le projet qui est le nôtre, ni maintenant, ni dans les deux années qui viennent, ni même après, je l'espère.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc Bruno RETAILLEAU peut rester au Gouvernement. Parlons de votre collègue Laurent SAINT-MARTIN. Lui, il est mal à l'aise avec la présence de Bruno RETAILLEAU au sein du Gouvernement.

AURORE BERGE
La question n'est pas d'être à l'aise ou pas. On est en coalition. On est en coalition. On le sait parce qu'on est dans des circonstances politiques qui sont absolument inédites. Mais ça veut dire qu'en coalition, même en coalition, à la fin, il y a une ligne. Il y a une ligne qui est tracée. Il y a une ligne qui est définie. Ce sera le cas avec les orientations budgétaires qui seront les nôtres à partir de la semaine prochaine. Et donc, soit on se conforme à cette ligne-là, soit on prend acte. Et dans ces cas-là, on fait un autre choix politique. Mais je crois, je crois qu'on va tout prendre acte...

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C'est ce que va faire Bruno RETAILLEAU, s'aligner ou choisir de partir.

AURORE BERGE
En tout cas, la question, elle nous sera posée, à chacune et à chacun d'entre nous. Vous ne pouvez pas, dans un Gouvernement, avoir chacun une ligne budgétaire qui est différente, parce qu'à la fin, on va tous devoir défendre un budget dont on doit absolument assumer qu'il soit extrêmement courageux, notamment sur la dépense publique.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Alors, justement, ce budget, effectivement, il y a l'idée d'une année blanche qui est de plus en plus évoquée. François BAYROU l'a mis sur la table, notamment avec les partenaires sociaux et les partenaires politiques qu'il a reçus. Fabien ROUSSEL nous le disait hier. C'est-à-dire, gel des prestations sociales, des retraites, des embauches de profs, par exemple. C'est une nécessité ou c'est un risque social, une année blanche ?

AURORE BERGE
Mais le risque aujourd'hui, c'est de ne pas réduire la dépense publique. Aujourd'hui, le simple fait de payer les intérêts de la dette, c'est l'équivalent du budget de la défense. Si on n'y prend pas garde, demain, ce sera l'équivalent du budget de l'Education nationale. Est-ce qu'on se rend compte de ce que ça nous empêche de faire au quotidien ? Au-delà de la charge que ça fait peser sur nos enfants et nos petits-enfants, c'est que cela nous empêche tout de suite et maintenant. Donc, tout de suite et maintenant, il faut prendre les bonnes décisions. Et les bonnes décisions…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et l'année blanche, ça peut être une décision ?

AURORE BERGE
Oui, c'est une des décisions, à mon avis, qui sera courageuse, parce qu'il n'y a pas nécessité de se dire que de manière automatique, chaque année, on raugmente toutes les prestations sociales, de manière indifférenciée. Par contre, ce que je sais, c'est que si on ne prend pas garde sur la dépense publique, si on n'assume pas de réduire les dépenses publiques, alors, à la fin, on sera plus crédible, et on en paiera tous le prix sur des conséquences économiques et financières.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Un dernier mot, le week-end dernier, devant les jeunes macronistes, Emmanuel MACRON a déclamé qu'il avait besoin de vous pour les deux, les cinq, et les dix ans qui viennent. Est-ce que vous avez compris, comme beaucoup, qu'Emmanuel MACRON voulait rester dans le jeu, ne pas prendre sa retraite en 2027 ?

AURORE BERGE
Moi, ce que je sais, c'est que le Président de la République est Président de la République jusqu'au dernier jour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et après ?

AURORE BERGE
Et ce que je sais, c'est qu'on va devoir agir jusqu'au dernier jour. Donc on a le droit, les uns et les autres, d'avoir de l'ambition. Il m'arrive moi-même d'en avoir. Pour autant, je considère que notre première responsabilité, c'est déjà d'être au travail, c'est d'avoir des résultats tout de suite, en 2025, en 2026 et jusqu'en mai 2027, quoi qu'il arrive.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous affichez vos ambitions, vous l'avez dit. Il ne faut rien s'interdire pour 2027 ?

AURORE BERGE
J'ai dit que je ne fermais pas la porte, mais j'ai dit d'abord que je voulais travailler et que je voulais obtenir des résultats et qu'on avait aussi l'urgence de se rassembler : se rassembler au sein du Gouvernement et se rassembler pour la suite.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Aurore BERGE, ministre de L'Égalité entre les femmes et les hommes, qui était l'invitée des 4V ce matin. Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juillet 2025