Texte intégral
THOMAS SCHNELL
Aujourd'hui, nous recevons le ministre en charge de la Santé et de l'Accès aux soins, Yannick NEUDER. Bonjour.
YANNICK NEUDER
Bonjour.
THOMAS SCHNELL
Nous allons parler du budget de la santé, nous allons parler des pénuries de médicaments, nous allons parler des noyades, mais d'abord revenons sur les déclarations récentes de Bruno RETAILLEAU, le ministre de l'Intérieur qui prédit la fin du macronisme avec la fin du mandat d'Emmanuel MACRON. Le ministre de l'Intérieur devait d'ailleurs rencontrer le Président de la République pour aborder les relations avec l'Algérie aujourd'hui ; rendez-vous reporté. Yannick NEUDER, le macronisme n'aura-t-il été qu'une parenthèse, finalement, dans la vie politique française ?
YANNICK NEUDER
Je crois que ce n'est pas à moi, ce matin, de commenter ce type d'actualité. Je trouve déjà que c'est tout à fait normal et c'est de tradition que le Président de la République rencontre les ministres, notamment avant une période estivale, donc voilà. Après, c'est un non-secret que le Président de la République terminera son mandat et c'est l'évolution des choses qui montrera si les choses ont bougé ou pas en termes de rapports politiques. Ce qui est indéniable, c'est qu'on peut quand même constater que, actuellement, il y a trois blocs. Le bloc de l'extrême droite, le bloc d'une gauche qui est plus ou moins unie avec un parti socialiste qui a un pied dehors, un pied dedans, et puis un bloc central qui, au départ, n'a pas complètement le même ADN, donc qu'effectivement, dans ce socle commun et dans cette composition gouvernementale qui n'est pas issue des mêmes partis, qu'il y ait des différences d'appréciation, c'est normal. Après, c'est l'intérêt suprême du pays, l'intérêt des Français qui doit sublimer ces discussions plus politiques.
THOMAS SCHNELL
Alors, vous faites partie des Républicains, disons-le. Où est-ce que vous vous situez dans ces trois blocs et est-ce que, comme le dit Bruno RETAILLEAU, vous faites partie d'un Gouvernement d'utilité publique ?
YANNICK NEUDER
Je crois que moi, je fais partie d'une famille politique qui a toujours une vocation d'être partie de Gouvernement, d'être en responsabilité. Je crois qu'il y a eu une succession d'événements et le premier a été la nomination de Michel BARNIER au Gouvernement qui fait revenir, finalement, ma famille politique dans un rose décisionnaire. Il faut savoir que la droite républicaine est plutôt décisionnaire dans les collectivités locales, que ce soient les mairies, les départements, les régions. Donc, dans la situation très particulière de la France avec une instabilité politique, je trouve qu'il est normal que la droite républicaine prenne toute sa part de responsabilité dans les différents secteurs et dans les différents portefeuilles qui nous ont été confiés dans le cadre de cet accord, dans l'intérêt des Français surtout.
THOMAS SCHNELL
Et sa part de différence politique. Le patron de votre parti, Les Républicains, a tenu sa casquette hier en annonçant que le macronisme, en prédisant que le macronisme ne survivrait pas à Emmanuel MACRON. Jusqu'où on peut aller dans la liberté de parole quand on est membre de ce Gouvernement ?
YANNICK NEUDER
Je crois que la position de Bruno RETAILLEAU est par ailleurs singulière, puisqu'il est également président des Républicains. Donc, il y a une parole de ministre d'un Gouvernement avec la solidarité gouvernementale. Et puis, quand on préside un parti et que c'est un parti qui veut pouvoir aussi être entendu, écouté à la présidentielle, on peut entendre que l'exercice peut être compliqué. Moi, je crois surtout que ce qu'il faut, c'est travailler dans l'intérêt des Français. Parce que je crois que pour bien l'avoir ressenti, avant que je sois engagé à ce niveau-là, à la politique, ce sont souvent des sujets qui sont loin des préoccupations des Français. Et je pense que ce n'est pas ce que les Français souhaitent entendre. Il y a beaucoup de difficultés quand même dans ce pays, on en parlera, l'accès aux soins, des difficultés économiques, de pouvoir d'achat. Donc, je crois que les Français veulent surtout des hommes et des femmes politiques qui s'engagent pour régler leurs problèmes. Je crois que c'est ça, vraiment, le message essentiel.
THOMAS SCHNELL
Eh bien, allons-y. Yannick NEUDER, ministre de la Santé sur Europe 1. La santé, première priorité des Français, avec la sécurité, avec le pouvoir d'achat. Vous allez devoir composer un ministère avec 5 milliards d'Euros en moins. Est-ce que, finalement, il faut, au bout d'un moment, mettre un terme, enterrer le modèle de santé à la française ?
YANNICK NEUDER
Alors, si vous me permettez, je corrige ce chiffre de 5 milliards. Parce qu'en fait, les dépenses spontanées de santé, d'une année sur l'autre, et là, de 2026, si on garde les mêmes organisations, seront de plus de 10 milliards. Spontanément, les dépenses de santé, du fait du vieillissement de la population, des maladies chroniques, du grade vieillesse technicité des professionnels de santé, en fait, enclenchent une dépense supplémentaire de 10 milliards. Et là, en fait, on est dans un mécanisme de freination de dépenses, parce que nous avons moins de recettes. Et là, l'arbitrage qui a été rendu par le premier ministre François BAYROU, c'est de dire, sur ce secteur-là, on ne souhaite pas voir les 10 milliards arriver, mais ça sera donc bien 5 milliards, plus 5 milliards, au lieu de plus 10. Mais les dépenses de santé vont augmenter.
THOMAS SCHNELL
Il faudra faire avec moins ?
YANNICK NEUDER
Il faudra faire avec moins
THOMAS SCHNELL
Et ce modèle à la française, dont beaucoup de Français sont fiers, mais se demandent s'il va tenir, finalement. Est-ce qu'on doit tourner la page à un moment ?
YANNICK NEUDER
Mais regardez, vous avez dit quelque chose, je vous écoutais tout à l'heure avant de rentrer sur le plateau, vous avez dit quelque chose de très intéressant. Vous avez vu que la bascule démographique est arrivée dix ans plus tôt. C'est-à-dire que, globalement, on va avoir plus de personnes âgées que de jeunesse. Et on a un système social qui a été bâti en 46, aux sorties de la guerre, de la seconde guerre mondiale. Je pense que c'est important de rappeler à vos auditeurs l'existence du système social et de sa genèse. En fait, ce système des 80 ans de la sécurité sociale que l'on fêtera est constitué en 46, avec, globalement, trois actifs pour un bénéficiaire, avec un âge… Il y a 80 ans, on commençait à travailler à 16 ans, on travaillait beaucoup plus tard. Là, maintenant, nous avons, en gros, trois bénéficiaires pour un actif. Un âge d'entrée dans la vie professionnelle qui a reculé, et c'est quelque part tant mieux avec les études, les formations, et un départ en retraite. Je ne vais pas rouvrir le sujet des retraites qui baissent. Donc, mathématiquement, on voit bien que le modèle n'est plus soutenable.
THOMAS SCHNELL
Et c'est cette année, effectivement, que la bascule démographique a été enclenchée. Vous vous attaquez aux arrêts maladie. Le Gouvernement veut serrer la vis, puisqu'en quatre ans, les arrêts maladie ont bondi de 30 % aujourd'hui, et l'exécutif voudrait limiter la multiplication des arrêts courts ou des arrêts dits de complaisance. Est-ce que ça veut dire que les Français exagèrent les arrêts maladie, ou bien est-ce que les médecins ne sont pas trop généreux ?
YANNICK NEUDER
Alors, je crois que c'est plus compliqué que ça, et c'est l'affaire de tous. Moi, j'aime rappeler qu'un arrêt maladie, ce n'est pas soi-même qui le décrétons. On a tous entendu dans notre entourage "Bon, puisque c'est comme ça, je vais me mettre en arrêt". Et moi, je rappelle quand même à tout le monde, je le rappelle aux Français, je le rappelle aux patients, je le rappelle aux médecins, je le rappelle aux entreprises ; en fait, si vous avez un état de mal-être, vous consultez votre médecin traitant, et c'est en fonction de votre état de mal-être qui peut être organique, qui peut être psychique, qui va effectivement évaluer si vous êtes en état de poursuivre ou pas votre activité professionnelle. Et s'il juge que vous n'êtes pas apte, il vous fera un arrêt de travail avec une durée. C'est un acte médical.
THOMAS SCHNELL
Vous-même, vous êtes médecin, et donc c'est la responsabilité de vos confrères aujourd'hui de…
YANNICK NEUDER
C'est tout le monde, c'est une responsabilité collective, c'est-à-dire que quand on est un patient et quand on est citoyen, et si on veut avoir la soutenance de son modèle social, eh bien, on ne va pas demander un arrêt de travail de complaisance… Et on sait très bien que ça existe le vendredi, le lundi, ces sujets-là. Après, ne stigmatisons pas non plus les patients. On ne choisit pas d'être malade. Quand on a une grippe, l'idée, ce n'est pas de contaminer tout le monde, et donc l'arrêt de travail est justifié, c'est un progrès social ; aux professionnels de santé et les médecins qui sont prescripteurs de ne pas être trop restrictifs, mais vous l'avez bien compris, de ne pas mettre un arrêt de travail systématique. Donc moi j'en appelle aussi à mes confrères médecins d'être raisonnable par rapport à la situation aussi médicale du patient et la soutenabilité de notre système. Et puis aux entreprises, c'est très étonnant, quand vous regardez les entreprises, la qualité de vie au travail, la santé au travail, on voit qu'à entreprises identiques, vous avez parfois un taux d'absentéisme qui est fois deux d'une entreprise à l'autre pour globalement des activités identiques. Donc le management, la qualité de vie au travail joue.
THOMAS SCHNELL
On va y venir, justement, à la vie en entreprise, mais tout d'abord je voudrais parler de problèmes qui concernent des milliers de malades aujourd'hui qui ont des difficultés à trouver leurs médicaments, puisque les taux de pénurie se sont un peu améliorés, mais restent à des niveaux tout de même élevés. Est-ce qu'aujourd'hui il faudrait améliorer un système de transparence entre les industriels, les pharmaciens et les grossistes pour ne plus se retrouver en tension aujourd'hui sur des médicaments dont la vie de beaucoup de français dépend ?
YANNICK NEUDER
Alors, le problème est très complexe et il ne trouve pas sa solution au niveau français. En fait, il y a un vrai questionnement sur la souveraineté sanitaire et la souveraineté du médicament. En fait, la France et particulièrement l'Europe est très dépendante de marchés extérieurs, notamment l'Asie, les États-Unis, pour les substances actives. Et nous avons mis des réglementations au niveau européen qui ne permettent plus de produire ces substances actives. Donc, nous sommes très dépendants du principe actif. Ensuite, un médicament, ça se fait dans une entreprise, donc nous avons intérêt à relocaliser les entreprises et être un terrain très attractif. La France, au sein de l'Europe, pour pouvoir avoir des industries pharmaceutiques, des big pharma qui s'installent, qui puissent produire dans ma circonscription, par exemple en Isère.
THOMAS SCHNELL
C'est une question de compétitivité alors ?
YANNICK NEUDER
C'est une question de compétitivité, c'est une question d'attractivité, c'est une question de souveraineté. Par exemple, dans ma circonscription, on est en train de peaufiner et de finir la construction de l'usine qui va produire le paracétamol et qui fournira 60 % des besoins européens. Donc, il faut être souverain sur la production. Ensuite, il y a un prix de médicament. Il faut avoir le juste prix du médicament par rapport à la soutenabilité de notre système social et par rapport au prix que vendent les médicaments. Puis après, il y a tout le système de délivrance avec les répartiteurs, les pharmacies. Et le maintien des pharmacies de proximité est un des sujets actuels sur lequel je suis très attentif parce qu'il faut aussi assurer cette proximité et le sujet est très difficile en ce moment.
THOMAS SCHNELL
Yannick NEUDER, je voudrais évoquer un chiffre avec vous. 109, c'est le nombre de noyades ces dernières semaines en France. On ne sait pas nager ou bien on n'a pas conscience du risque ?
YANNICK NEUDER
C'est peut-être un peu les deux. Je pense qu'il faut toujours, en lien avec la ministre des Sports… Et je pense qu'il faut poursuivre que dans le cursus scolaire à l'école, on apprenne aux enfants à nager avec des séjours en piscine. C'est un des principaux accidents domestiques, notamment à domicile quand les parents ont une piscine ou chez des amis ou les grands-parents. Après, si on regarde les chiffres avec attention, on se rend compte qu'il n'y a pas eu que des jeunes qui se sont noyés. Il y a aussi des personnes plus âgées qui se sont retrouvées dans un milieu hostile, un lac, un étang, la mer, l'océan, des piscines et qui ont fait des malaises et qui ont été dans un milieu hostile et se noient. Donc je pense que c'est le rôle de rappeler les règles de sécurité, de surveiller ses enfants, naturellement, ça paraît incroyable, et surtout de ne pas se baigner quand la baignade est interdite. Ça paraît fou, mais c'est quand même la principale des choses à rappeler.
THOMAS SCHNELL
Vous avez bien dormi cette nuit ?
YANNICK NEUDER
Moi je dors toujours bien.
THOMAS SCHNELL
Est-ce que vous prévoyez de faire la sieste aujourd'hui ?
YANNICK NEUDER
Je fais beaucoup de micro-siestes et j'ai fait ça toute ma vie. J'ai commencé ça quand j'étais étudiant. Ça m'a beaucoup aidé quand j'étais médecin et que je faisais des nuits, et ça m'aide encore beaucoup maintenant que je suis ministre.
THOMAS SCHNELL
Vous souhaitez encourager la sieste en entreprise pour compenser un déficit de sommeil qu'auraient accumuler les entreprises ?
YANNICK NEUDER
Non, non, non, là c'est une jolie histoire qui a été complètement sortie de son contexte. J'ai animé avant-hier, pendant un colloque scientifique, et des recommandations du ministère sur le sommeil en France. Et on a posé un certain nombre de faits. Notamment, en France, nous avons perdu en 50 ans, 1h30 de sommeil. Donc je ne vais pas vous demander combien d'heures vous dormez par jour. Et notamment, on a un vrai problème du sommeil chez l'enfant, avec notamment les écrans, la durée du sommeil qui diminue. Et le médecin que je suis et ministre de la Santé n'a pas d'autre mission que de rappeler les bienfaits du sommeil. Quand vous dormez correctement, vous diminuez vos risques cardiovasculaires, vous diminuez vos risques de cancer, vous augmentez votre immunité, et naturellement, vous augmentez votre vigilance, votre concentration, et vous êtes plus performant. Ça, je ne donne aucun conseil aux entreprises. Je ne me permettrai pas, je pense que les boîtes sont suffisamment à même de gérer leur entreprise, donc ce n'est pas ça. Par contre, c'est mon rôle de ministre de la Santé, de médecin, de rappeler qu'un bon sommeil est la base d'une bonne santé. Et je crois que là justement, on parlait de la soutenabilité de notre système de santé. C'est fou de dire des choses pareilles, mais vous disiez tout à l'heure qu'il fallait faire 7 000 pas par jour… Donc je pense qu'avoir une activité physique régulière, de manger correctement fruits, légumes, et de dormir, avec ces sujets-là, eh bien déjà, c'est de la prévention, on élimine beaucoup de maladies.
Et je laisse naturellement les entreprises s'organiser, je n'ai aucun conseil, mais je crois que parfois, les micro-siestes de quelques minutes dans un lieu calme peuvent naturellement largement améliorer la productivité d'un secteur, éviter les accidents aussi au travail. Donc je pense qu'il faut travailler, mais aussi dans de bonnes conditions.
THOMAS SCHNELL
Je vous pose une dernière question. Vous vous souciez de la santé des Français ; l'acétamipride, c'est dangereux ou pas ? Vous êtes médecins.
YANNICK NEUDER
L'acétamipride, il faut un raisonnement très scientifique, et c'est un problème qui est multifactoriel. Ça touche l'environnement, ça touche l'agriculture, ça touche la santé. Actuellement, il n'y a pas d'études documentées chez l'homme qui montrent le côté cancérigène, que ce soient les agences européennes ou que ce soit l'OMS. Il y a des études en cours sur le côté neurotoxique, et sur le côté perturbateur endocrinien. Donc, les études, on les suit. Moi je réunirai le 15 septembre prochain, le comité de l'ensemble des études nationales. Nous présenterons une étude importante qui s'appelle l'étude PestiRiv. Et là, actuellement, la France est remise au niveau de précaution, de principe de précaution, comme les 26 autres pays. Il n'y a pas de spécificité particulière sur ce sujet. Après il faut dire la vérité aux Français, on n'est pas en capacité d'interdire les produits qui sont traités par ce pesticide dans les autres pays européens. Donc, interdire en France quelque chose qu'on n'est pas capable d'importer, sur lequel il n'y a pas de preuve scientifique sur le lien cancérigène, c'est remettre la France au même niveau que les autres pays européens. Et vous savez qu'avec mes collègues ministres européens, nous en parlons très régulièrement, et nous prendrons toutes les mesures dès que le fait cancérigène sera avéré.
THOMAS SCHNELL
Merci pour ces précisions sur Europe 1, Yannick NEUDER, ministre en charge de la Santé et de l'Accès aux soins. Merci d'être venu dans le studio d'Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 25 juillet 2025