Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France Info le 6 novembre 2025, sur la libération conditionnelle de deux Français emprisonnés en Iran, le débat autour de la boutique SHEIN au BHV, les relations avec l'Algérie, la lutte contre le narcotrafic, le rapatriement de Syrie de familles de djihadistes et le nouveau maire de New-York.

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Média : France Info

Texte intégral

AGATHE LAMBRET
Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour.

AGATHE LAMBRET
Merci beaucoup d'avoir accepté l'invitation de France Info. Beaucoup de sujets à aborder avec vous aujourd'hui : la plateforme SHEIN menacée d'être suspendue en France, la relation avec l'Algérie, la coopération en matière de narcotrafic. Mais d'abord, Emmanuel MACRON appelle à la libération pleine et entière de Cécile KOHLER et Jacques PARIS, sorties de prison mardi, après plus de trois ans de détention en Iran. On écoute l'émotion de Noémie, la soeur de Cécile, hier soir, aux 20 heures de France 2.

NOEMIE, SOEUR DE CECILE KOHLER
Je l'ai vu hier soir. Donc, c'était la première fois depuis trois ans et demi que je la voyais sans voile, que je voyais ses cheveux, que je voyais son visage. Elle a été très éprouvée par cette détention, mais elle était soulagée, heureuse, de pouvoir être à l'ambassade avec Jacques, et de pouvoir nous contacter sans contrainte.

AGATHE LAMBRET
Cécile KOHLER et Jacques PARIS sont toujours retenus à l'ambassade de France à Téhéran. Pourquoi est-ce qu'ils sont toujours un peu otages du régime iranien ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, la très bonne nouvelle, c'est qu'ils sont désormais en sécurité, à l'ambassade de France, sous la protection de la France. Et leurs familles sont soulagées. Le pays tout entier, je crois, est soulagé. Lorsque je me suis entretenu avec eux hier, ils ont exprimé, d'ailleurs…

AGATHE LAMBRET
Et on ne peut pas y revenir, Jean-Noël BARROT, mais d'ailleurs…

JEAN-NOËL BARROT
Ils ont exprimé leur remerciement à l'égard de toutes celles et ceux qui les ont portés pendant l'épreuve, depuis trois ans. Mais ça n'est qu'une étape qui doit les conduire jusqu'à la libération définitive.

AGATHE LAMBRET
Exactement. Ils sont toujours retenus en Iran.

JEAN-NOËL BARROT
La libération définitive, la rémission totale après une épreuve indicible. Et nous allons continuer à nous mobiliser comme nous le faisons, parfois discrètement, parfois dans l'ombre. Ce qui nous a permis d'obtenir ce résultat, jusqu'à parvenir à leur retour en France.

PAUL LARROUTUROU
On va prendre le temps de partager toutes les informations dont vous disposez. Mais quand Emmanuel MACRON appelle son homologue iranien, Massoud PEZECHKIAN, et lance cet appel, à ce qu'il soit libéré le plus rapidement possible. On est d'accord, c'est aussi une solution qui peut s'envisager. Ça peut durer des semaines ou des mois. C'est quand le plus rapidement possible ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, c'est la troisième fois cette année, grâce à la mobilisation du Quai d'Orsay, sous l'autorité du Président de la République, nous obtenons la libération de compatriotes retenus en Iran. C'était Olivier GRONDEAU au mois de mars, Lennart MONTERLOS au mois d'octobre, et désormais Cécile KOHLER et Jacques PARIS. Lorsque nous travaillons sans relâche, dans l'ombre, comme je le disais, nous n'avons aucune certitude sur le résultat ou sur le calendrier. Mais nous le faisons avec beaucoup de concentration, beaucoup de détermination, en lien étroit avec les familles, évidemment, que nous tenons informées. Et ça marche. Et ça fonctionne.

AGATHE LAMBRET
Aucune idée du calendrier, aujourd'hui, encore ?

JEAN-NOËL BARROT
Il faut laisser les diplomates faire leur travail, ça fonctionne.

AGATHE LAMBRET
Jean-Noël BARROT, aujourd'hui, vous dites : " Je n'ai aucune idée du calendrier ". Vous ne savez pas si ça va prendre des semaines, des mois ?

JEAN-NOËL BARROT
Je n'ai aucune certitude, mais je suis bien obligé de constater avec vous que nous avons obtenu un premier résultat qui est majeur, pour Cécile KOHLER et Jacques PARIS, dont les proches s'inquiétaient, lorsqu'ils les ont vus ou eus au téléphone ces derniers mois, de la dégradation de leur état de santé.

PAUL LARROUTUROU
Justement, vous avez aussi envoyé un médecin du centre de crise du Quai d'Orsay pour les accompagner sur place et vous les avez eus au téléphone, les deux, hier matin. Que vous ont-ils dit exactement ? Comment vont-ils ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, je leur ai fait part de l'immense élan de solidarité qui, à travers le pays, les a soutenus dans l'épreuve depuis trois ans. Ils ont exprimé leur soulagement, leur gratitude à l'égard des agents du ministère des Affaires étrangères, des agents de l'ambassade, qui les ont soutenus, qui ont été à leur côté pendant les visites consulaires, notamment, les visites à la prison. Gratitude à l'égard des services de l'État. Gratitude aussi à l'égard de tous les comités de soutien qui, sur le territoire national, se sont exprimés pendant trois ans et demi, les parlementaires aussi. J'ai évidemment dépêché sur place une équipe de renfort, puisque chacun le sait : le calvaire de ceux qui reviennent de la captivité ne s'arrête pas au jour de leur libération. Il est très difficile ensuite de pouvoir se reconstruire. Et ça suppose d'avoir tout le soutien nécessaire. Et c'est pourquoi l'équipe de l'ambassade et cette équipe de renfort va les accompagner dans les premiers jours et les premières semaines, et qu'ensuite, nous resterons à leur côté pendant toutes les étapes de ce chemin vers la rémission.

AGATHE LAMBRET
Jean-Noël BARROT, il y a l'après : comment se reconstruire. Et puis, il y a ce qu'ils ont vécu aussi. Benjamin BRIERE, ex-otage en Iran, a été frappé, lui, quand il était détenu. Et il disait sur France Info « Et pourtant, ce qu'ont vécu Cécile et Jacques, même moi, je ne peux pas l'imaginer. La violence dans laquelle ils ont été détenus est inouïe ». On sait qu'ils ont subi des mauvais traitements. Écoutez Anne-Laure PARIS, la fille de Jacques PARIS, hier soir, sur France 2.

ANNE-LAURE PARIS, FILLE DE JACQUES PARIS
Mon père était à l'isolement, donc, non ils ne pouvaient pas se voir. C'était une toute petite cellule. Donc, en fait, en effet, mon père a trouvé les ressources pour tenir. Et il me le disait à l'époque, quand on l'avait au téléphone, il disait : " ce n'est pas par plaisir mais par nécessité que je fais du sport, je fais six heures de sport par jour pour me fatiguer, pour réussir à dormir ".

AGATHE LAMBRE
Qu'est-ce qu'ils ont subi en détention ? Comment vous qualifier la manière dont ils ont été traités ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est impossible à imaginer, je l'ai qualifié à de nombreuses reprises. Et j'ai eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises au Quai d'Orsay avec les familles dont je salue le courage et la persévérance. C'est un isolement absolu. C'est des conditions les plus spartiates qu'on puisse imaginer. C'est l'incapacité de pouvoir contacter ses proches. Et donc, c'est sans doute toutes celles et ceux qui ont été détenus en Iran ces dernières années, Jacques et Cécile, qui ont subi les conditions les plus difficiles, les plus éprouvantes, les plus inhumaines.

AGATHE LAMBRET
Vous dites " impossible à imaginer ". C'est vous aussi qui avez appris à la mère de Cécile KOHLER que sa fille était libérée. C'était mardi, vers 19h. On imagine un appel bouleversant.

JEAN-NOËL BARROT
J'ai appelé les deux familles au moment où Jacques et Cécile sont entrées dans la résidence de France et se sont trouvées sous la protection de la France. Une immense émotion m'a gagnée dans ce moment-là, qui est sans doute le moment le plus fort que j'ai vécu dans les fonctions que j'exerce aujourd'hui. Et j'ai été très heureux de pouvoir partager ce moment avec des familles qui, je le disais, ont fait preuve d'un courage inouï.

PAUL LARROUTUROU
Et vous avez attendu qu'ils soient en sécurité à l'ambassade, c'est ça ? Donc 19 h ?

JEAN-NOËL BARROT
Evidemment. On ne prend pas le risque de donner une information aux familles avant que nos compatriotes, lorsqu'ils reviennent de détention, soient en sécurité à 100%.

PAUL LARROUTUROU
Nous, à ce moment-là, nous étions donc avec le Français Benjamin BRIERE à France Info. On a vécu un très grand moment, parce qu'on l'a appris avec lui, Benjamin BRIERE dont parlait Agathe. Mais Benjamin BRIERE est aussi assez critique contre vous, contre le Quai d'Orsay. Il considère que certaines familles d'otages reçoivent trop de pression. On l'écoute.

BENJAMIN BRIERE, EX-OTAGE EN IRAN
Je le conseille à tous les malheureux futurs otages et à leurs familles. C'est ce qui se passe encore. Le Gouvernement va mettre une pression sur les familles d'otages pour qu'ils se taisent. Mais l'agenda, il n'est pas à 100% pour les otages, ni leurs familles. L'agenda, il est avant tout pour les postes et les carrières de ceux qui sont en place.

PAUL LARROUTUROU
Alors, je vous vois faire la mouche. Je précise que Benjamin BRIERE est très critique. Il a été libéré par vos services. C'est important de le dire aussi. Il en est conscient. Mais c'est très intéressant, ce débat. Je l'ai entendu dans de nombreuses familles d'otages. D'un côté, vous, vous dites : " Ok, ne dites surtout rien à la presse. On s'en occupe discrètement ". Et eux, ils vous répondent, déjà, je finis ma question : " Le temps est trop long. Et puis, si nous, on ne parle pas, il n'y a pas de pression internationale. Donc, on vous aide ".

JEAN-NOËL BARROT
Mais c'est complètement faux. Et je vous invite à vous documenter.

PAUL LARROUTUROU
C'est ce qu'on fait.

JEAN-NOËL BARROT
Non, puisque apparemment, vous n'avez pas suivi ce qui s'est passé dans l'affaire de Cécile KOHLER et Jacques Paris.

PAUL LARROUTUROU
C'est-à-dire ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est-à-dire que c'est faux. Nous ne demandons pas systématiquement aux familles de se taire. C'est rigoureusement faux. Il y a des moments, parce que les processus de discussion et de négociation l'exigent, nous demandons une discrétion. Et puis, il y a des moments, comme ça a été le cas au printemps, où là, au contraire, nous invitons les familles, si elles le souhaitent, à s'exprimer parfois avec beaucoup de force pour faire entendre leur détresse et leur attente. C'est ce qui s'est passé au printemps dernier. Et c'est dans la coordination étroite avec les familles que nous fixons les lignes de la communication qui est celle de l'État. Autrement dit, le Quai d'Orsay…

PAUL LARROUTUROU
D'accord, mais ça vous aide ? Ça vous aide de sentir la pression internationale ou pas ?

JEAN-NOËL BARROT
Non, non, non. Excusez-moi. Les familles d'otages traversent elles-mêmes des épreuves qui sont très difficiles. Et c'est pourquoi, elles ont un référent, une personne contact en permanence au Quai d'Orsay. Cette personne contact va les prévenir systématiquement lorsque le Quai d'Orsay va prendre une position, lorsque le ministre va s'exprimer, pour qu'il n'y ait pas de surprise, pour que tout soit toujours coordonné au mieux. Alors, bien sûr qu'il y a des frustrations.

PAUL LARROUTUROU
Juste ce que j'essaie de vous dire.

JEAN-NOËL BARROT
Et certaines des frustrations de Benjamin BRIERE sont légitimes et justifiées. Quand vous avez été détenu pendant plusieurs années dans un pays comme l'Iran et que vous revenez en France, c'est non seulement un moment difficile, puisque vous devez vous reconstruire. Mais ça peut être aussi un casse-tête, un labyrinthe, pour retrouver l'accès à vos droits les plus élémentaires. Et je crois que nous pourrions améliorer les conditions…

AGATHE LAMBRET
Même pour trouver un travail, parfois. Est-ce que ça peut faire peur à un employeur, quelqu'un qui a été détenu pendant trois ans ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est moins cela que, vous savez, une forme de bureaucratie qui fait qu'on vous demande " mais vous étiez où pendant ces trois ans ? ". Eh bien, j'étais en détention.

AGATHE LAMBRET
Et donc, il faut créer améliorer ? Il faut créer un statut d'otage d'État ?

JEAN-NOËL BARROT
Il faut sans doute créer des facilités pour que lorsque nos compatriotes rentrent de la captivité, le chemin vers la réintégration totale dans la société française soit facilité. Je crois que c'est important. Et j'ai déjà eu des échanges avec le garde des Sceaux sur ce sujet. Et j'espère que nous pourrons avancer rapidement.

AGATHE LAMBRET
Jean-Noël BARROT, il faut qu'on avance. Téhéran a annoncé hier que l'Iranienne Mahdieh ESFANDIARI, détenue en France depuis février pour apologie du terrorisme, avait été libérée et se trouvait désormais à l'ambassade d'Iran à Paris. Donc, une annonce au lendemain de la libération conditionnelle de nos ressortissants. Est-ce que vous nous le confirmez ? Est-ce que c'est la contrepartie de la France ?

JEAN-NOËL BARROT
Si vous avez des questions à poser à l'autorité judiciaire, je vous invite à le faire. Quant à nous, nous allons rester mobilisés, nous n'allons épargner aucun effort pour obtenir la libération immédiate et inconditionnelle définitive de Sonia KOHLER et Jacques PARIS.

AGATHE LAMBRET
Vous voulez dire que vous ne voulez pas confirmer cette information ? Vous ne voulez pas confirmer ?

PAUL LARROUTUROU
Votre homologue iranien est plus bavard que vous sur ce point, et on comprend pourquoi. Le procès de cette femme sera en janvier. Ça veut dire que ça peut être très, très, très, long pour nos deux otages d'État bloqués à l'ambassade. C'est une possibilité ?

JEAN-NOËL BARROT
Je vous l'ai dit. Malheureusement, je dirais la misère, mais aussi la grandeur du métier de diplomate, c'est que nous travaillons souvent dans l'ombre, sans certitude de succès, sans certitude sur le calendrier, mais avec à coeur d'obtenir le résultat. Et le résultat, c'est la protection et la sécurité de nos compatriotes.

AGATHE LAMBRET
Et donc, vous ne voulez pas nous confirmer aujourd'hui que cette femme est actuellement à l'ambassade iranienne en France ?

JEAN-NOËL BARROT
Mais je vous invite à interroger la justice française qui est chargée de ce dossier.

PAUL LARROUTUROU
Que dites-vous aux Français qui voudraient se rendre en Iran pour du tourisme aujourd'hui ? Surtout, n'y allez surtout pas ?

JEAN-NOËL BARROT
Je leur dis, en général, que dans le monde qui se brutalise, ils sont invités à consulter les informations mises à leur disposition par le ministère des Affaires étrangères, par le Quai d'Orsay, et la rubrique Conseils aux voyageurs, du site diplomatie.gouv.fr, qui indique très clairement les zones du monde dans lesquelles ils peuvent se mettre en danger s'ils s'y rendent.

PAUL LARROUTUROU
Et donc, l'Iran non ?

JEAN-NOËL BARROT
L'Iran fait partie des zones qui sont formellement déconseillées à nos compatriotes.

AGATHE LAMBRET
Est-ce que c'est irresponsable de se rendre en Iran aujourd'hui pour faire du tourisme ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que lorsque l'on voyage, il faut tenir compte de sa propre sécurité, de la sécurité de nos compatriotes. Et donc, j'invite chacun à suivre les recommandations du site Conseils aux voyageurs, qui est consulté par plusieurs dizaines de millions de Français chaque année. Donc, ça ne doit pas être si difficile à trouver en ligne. Allez-y, avant de partir.

PAUL LARROUTUROU
Est-ce que vos services ont un chiffre approximatif du nombre de Français qui sont actuellement en Iran ? Est-ce que vous êtes inquiet pour eux ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous en avons, puisque vous vous souvenez qu'au mois de juin, une guerre a opposé Israël à l'Iran et qu'à ce moment-là, nous avons veillé à la sécurité de nos compatriotes sur place et à créer les conditions de leur sortie du territoire iranien. Je ne vois pas de chiffres consolidés, mais c'est de l'ordre d'un millier de Français ou de personnes disposant de la nationalité française qui, à l'époque, étaient en Iran. Ce que j'évoquais à l'instant, c'est que, évidemment, le site Conseils Aux Voyageurs n'est pas là pour prescrire à des personnes, à des compatriotes qui ont leur vie en Iran de quitter. Ça arrive qu'on invite nos compatriotes à quitter un pays en question.

AGATHE LAMBRET
Et ce n'est pas le cas en ce moment.

JEAN-NOËL BARROT
C'est différent, moi, je parle des Français de passages…

AGATHE LAMBRET
Et ceux qui sont là-bas, qui vivent là-bas, vous ne leur dites pas de revenir ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce n'est pas, en tout cas, ce que le site Conseils Aux Voyageurs indique à ce stade.

AGATHE LAMBRET
Jean-Noël BARROT, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, vous restez avec nous dans un instant. La France est-elle vraiment décidée à sanctionner SHEIN ? Est-ce que la relation avec Alger s'est améliorée depuis le départ de Bruno RETAILLEAU ? Mais tout de suite, il est 8 h 47 et c'est l'Info en une minute avec Manon LOMBART-BRUNEL.

(…)

Avec Jean-Noël BARROT, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, l'exécutif hausse le ton contre SHEIN, Paul.

PAUL LARROUTUROU
Oui, après la vente de poupées pédopornographiques qu'on a appris donc hier que des armes comme des machettes ou des haches étaient en vente libre sur la plateforme SHEIN, Sébastien LECORNU a annoncé que le Gouvernement a engagé une procédure de suspension de la plateforme chinoise. Un délai de 48 heures leur a été accordé. Si elle ne se conforme pas, on ne pourra plus acheter sur le site en France, sur SHEIN et qu'en pense le ministre des Affaires étrangères que vous êtes ?

JEAN-NOËL BARROT
J'en pense du bien et je me félicite que le Premier ministre ait demandé à la fois l'ouverture d'une procédure de suspension, comme vous venez de la décrire, mais qu'il ait aussi demandé au ministre de l'Intérieur de demander le blocage à la justice du site. Et je vais aller plus loin. Je pense que la plateforme est de toute évidence en infraction avec les règles européennes dont nous, nous sommes dotés en 2022, sous l'impulsion française. Et je pense que la Commission européenne doit sévir. Elle ne peut plus attendre.

AGATHE LAMBRET
Parce que ça fait depuis longtemps que la Commission européenne est saisie du cas de SHEIN et il ne se passe rien.

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, mais pas que du cas de SHEIN, de toutes ces plateformes…

AGATHE LAMBRET
Mais ça fait depuis longtemps que la France est au courant des dérives et des infractions de SHEIN.

JEAN-NOËL BARROT
Que ce soit les places de marché, celles où on s'échange des produits, ou que ce soit les réseaux sociaux, vous voyez bien tous les abus qui posent des questions d'ordre public, de sécurité publique, et qui posent une menace sur la qualité de notre débat public. Tout cela, nous l'avons encadré par des règles qui ne sont pas respectées. Et donc la Commission européenne, ça fait trois ans que ces règles ont été adoptées, doit sévir.

PAUL LARROUTUROU
Est-ce qu'une demande spécifique de la France a été faite, en ce sens, à l'Europe ? Vous l'avez fait. C'est une annonce que vous nous faites ce matin ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui, par le ministre de l'Économie et la ministre chargée du Numérique. Je soutiens cette démarche, je vais l'appuyer de toutes mes forces. Il faut que la Commission prenne les sanctions. Elle peut aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial, ce qui n'est pas neutre.

AGATHE LAMBRET
Pardon, mais pourquoi on prend des sanctions si on autorise SHEIN à s'étendre chaque jour davantage en France ? Hier, un magasin a été ouvert au BHV. Dans les jours qui viennent, plusieurs boutiques doivent ouvrir à Grenoble, Reims, Dijon, Limoges, Angers. Vous ne découvrez pas les infractions de ces plateformes ?

JEAN-NOËL BARROT
Non. Alors, il y a deux sujets, je pense, et deux sujets de grande importance. Le premier sujet, c'est ce qui se passe en ligne. On a laissé prospérer des grandes plateformes. Les règles sont fixées par des milliardaires chinois et américains et qui viennent perturber la vie économique, sociale, démocratique de la nation. C'est inacceptable. Des règles ont été fixées. La Commission a diligenté certaines enquêtes. Elle doit maintenant les assortir de sanctions. Et ensuite, il y a le sujet que vous évoquez, c'est-à-dire la concurrence que représentent ces grandes plateformes de distribution pour le petit commerce. Si nous ne faisons rien, si nous laissons faire, nous allons voir les petits commerces disparaître de nos centres-villes et du centre de nos villages. Et ce sera la mort de nos villes et de nos villages. Et donc, il nous faut réagir. La taxe de deux euros sur les petits colis est une première réponse. Les douanes doivent aussi se mobiliser, et pas uniquement les effectifs des douanes françaises, mais les gardes-frontières européens. Parce qu'il y a dans ce flux massif de petits colis qui viennent inonder nos villes et nos villages, des produits contrefaits, des produits mauvais pour la santé ou des produits illicites. Ce n'est pas possible. On doit reprendre le contrôle de nos frontières s'agissant des produits qui rentrent sur le territoire de l'Union européenne et de la France.

AGATHE LAMBRET
C'est un débat passionnant parce que les Français continuent à l'utiliser massivement. On en reparlera sur France Info, mais on a tellement de thèmes que je vous interroge à présent sur l'Algérie. On apprend que le nouveau ministre de l'Intérieur, Laurent NUNEZ, qui on va en parler a une ligne très différente de celle de Bruno RETAILLEAU, a reçu une invitation pour se rendre en Algérie afin de renouer le dialogue et de relancer la coopération sécuritaire entre les deux pays. Qu'est-ce que vous attendez de cette visite ?

JEAN-NOËL BARROT
Le Premier ministre l'a dit cette semaine de manière très claire. Il faut arrêter de faire de l'Algérie un sujet de politique intérieure. Et il faut, dans un dialogue exigeant qui vise à protéger nos intérêts, obtenir des résultats sur la libération d'abord de nos deux compatriotes Boualem SANSAL et Christophe GLEIZE, sur la coopération en matière de sécurité, puisqu'au sud de l'Algérie se situe l'un des principaux foyers mondiaux du terrorisme islamiste, et puis la coopération migratoire, puisque nous avons besoin de coopérer avec l'Algérie pour expulser les Algériens en situation irrégulière sur le territoire national. S'ajoute à cela, une dimension qui est souvent éclipsée dans ce débat, qui est la question économique. Beaucoup d'entreprises en France, notamment des PME du secteur de l'agroalimentaire, pâtissent des tensions qui ont émaillé la relation depuis un an. Ce sont ces intérêts que nous devons défendre dans un dialogue exigeant. C'est la ligne fixée par le Premier ministre. Nous allons nous y tenir.

AGATHE LAMBRET
Vous avez eu des différends sur la méthode avec Bruno RETAILLEAU. Est-ce que vous êtes satisfait que cette page soit tournée ? Bruno RETAILLEAU, d'ailleurs, déplore dans Le Figaro de ne pas avoir été soutenu assez par l'Élysée, que l'Élysée n'ait pas voulu assumer sa ligne de fermeté.

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que la fermeté a été au rendez-vous, puisque nous avons, chaque fois que nos intérêts ont été en jeu, répliqué avec beaucoup de force aux mesures très brutales qui ont été prises par les autorités algériennes. Et notre message a été très clair. Nous avons des intérêts à défendre, les intérêts des Françaises et des Français. Et pour ça, nous devons coopérer. Mais pour coopérer, il faut être deux. Et il appartient aux autorités algériennes de démontrer leur volonté de coopérer. Une entrée dans ce dialogue exigeant.

PAUL LARROUTUROU
Une question, je veux donc une réponse assez concise, parce qu'il faut aussi qu'on vous parle du narcotrafic. Sur les accords de 1968, ça paraît technique, mais c'est un point imminemment politique. Le Premier ministre, Sébastien LECORNU souhaite, à cet égard, que la renégociation de 1968 démarre le plus vite possible après l'adoption à l'Assemblée d'une résolution, on s'en souvient, du Rassemblement national, pour dénoncer ces accords. En quelques mots, est-ce que vous êtes pour cette renégociation ?

JEAN-NOËL BARROT
Pour cette renégociation.

PAUL LARROUTUROU
En quelques mots, Merci. On continue, Agathe ?

AGATHE LAMBRET
Ça fait quinze ans que la France essaye de renégocier, mais il faut deux pour renégocier. Pour l'instant, l'Algérie…

JEAN-NOËL BARROT
Mais on a renégocié déjà plusieurs fois, sous des Gouvernements de gauche, sous des gouvernements de droite.

AGATHE LAMBRET
Oui, mais ça fait quinze ans qu'on essaie de renégocier. C'est issu d'un rapport fait par deux macronistes à l'Assemblée.

JEAN-NOËL BARROT
Mais quand on a un accord qui lie deux pays, souverains, il doit être renégocié dans le respect de la souveraineté des deux pays.

AGATHE LAMBRET
Est-ce que c'est normal qu'un pays qui détient toujours Boualem SANSAL et Christophe GLEIZE bénéficie d'un régime dérogatoire en France ? Et quand est-ce que vous espérez une libération de ces deux compatriotes ?

JEAN-NOËL BARROT
Je vous l'ai dit, nos deux compatriotes, les questions migratoires, les questions sécuritaires, les questions économiques, c'est l'ensemble des sujets que nous voulons aborder, de même que la renégociation de cet accord de 68.

PAUL LARROUTUROU
Vous décollez demain pour le Mexique et vous serez samedi en Colombie, notamment pour parler de coopération en matière de narcotrafic. Présentez votre feuille de route en quelques mots. Quelle est-elle ?

JEAN-NOËL BARROT
Narcotrafic, criminalité organisée, c'est un fléau qui lui aussi perturbe de manière très significative la vie de la nation. Et donc je veux aller traiter le mal à la racine en faisant monter le quai d'Orsay en première ligne. J'irai au Mexique où je retrouverai le président de la République, puis en Colombie pour signer de nouveaux accords de coopération avec les pays qui sur place bénéficient de notre coopération, de notre soutien en matière de douane, en matière de lutte contre les criminels. Je renforcerai nos effectifs sur place. Je réorienterai des financements, notamment des crédits de l'Aide Publique au Développement pour soutenir les efforts des pays sur place. Et je proposerai dans quelques jours d'une part la création avenir d'une école pour la lutte contre la criminalité organisée dans la région, comme nous en avons d'autres, animée par le Quai d'Orsay dans d'autres régions du monde. Et je présenterai dans quelques jours également un régime de sanctions européen dans la lutte contre les criminels, du narcotrafic, de la traite des êtres humains, etc.

AGATHE LAMBRET
Jean-Noël BARROT, autre sujet. On a reçu le témoignage ce matin de cette femme, Sana. Elle revient de l'enfer de Daesh, emmenée de force en Syrie en 2014. Elle est aujourd'hui considérée comme une victime par la justice française après son rapatriement. Écoutez, elle demande la nationalité.

SANA, EX-PRISONNIERE DE DAESH
J'ai fait l'objet d'un dernier arrêté d'expulsion en 2024, et on a réussi à le faire annuler. Et pour l'instant, j'attends toujours une régularisation.

INTERVENANTE
Mais dans un pays où elle n'y est jamais allée, l'Algérie ?

AGATHE LAMBRET
Allez-vous lui accorder la nationalité française ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce n'est pas le ministère des Affaires étrangères qui traite de ce type de questions.

PAUL LARROUTUROU
Le rapatriement, c'est votre question.

JEAN-NOËL BARROT
Exactement. Ce que je peux dire, c'est que nous avons, dans des conditions très difficiles, rapatrié les femmes et les enfants qui, détenus dans les camps des prisonniers du nord-est syrien, parce qu'appartenant à des familles de combattants de Daesh, étaient en quelque sorte otages de décisions qui avaient été prises en leur nom. C'est l'honneur de la France de l'avoir fait, et je veux remercier ici tous les services de l'État, au premier rang desquels les missions du quai d'Orsay, qui se sont rendues sur place pour organiser ces rapatriements, mais ensuite tous les services de l'État qui se sont mobilisés pour que le retour de ces mères et de ces enfants issus de familles de combattants terroristes puissent être prises en charge dans des conditions qui assurent la sécurité des Françaises et des Français.

PAUL LARROUTUROU
8 h 58 sur France Info, l'heure de la question qui ? Aujourd'hui, la question qui ? MAMDANI. Toute la gauche des Insoumis, Marine TONDELIER, en passant par François RUFFIN et Clémentine AUTAIN, toute la gauche tente de surfer sur le succès du nouveau maire. Grande partie de la gauche tente de surfer sur le succès de Zorane MAMDANI, donc, que pensez-vous du médiatique nouveau maire de New York ?

JEAN-NOËL BARROT
Je suis un peu étonné de voir des élus d'une partie de la gauche essayer de s'approprier cette victoire. Je crois comprendre que certains ont même été faire campagne sur place. Je trouverais ça étrange que des parlementaires américains viennent faire campagne en France et je pense que ça choquerait un certain nombre de nos compatriotes. Ensuite, ce que je constate de cette campagne, c'est que la radicalité des uns entraîne la radicalité des autres. Et ce que je constate également, c'est que les invectives ne payent pas. Puisque le nouveau maire de New York avait fait l'objet d'une campagne massive d'invectives et d'insultes par ses adversaires qui ne leur ont pas réussi.

AGATHE LAMBRET
D'un mot, Jean-Luc MÉLENCHON déplore la différence de traitement de la gauche radicale perçue comme antidote à TRUMP aux États-Unis, mais comme un péril populiste à Paris. Qu'est-ce que vous lui répondez ?

JEAN-NOËL BARROT
J'attends de voir si c'est réellement un antidote à TRUMP, puisque je vous invite à consulter les scores de cette élection qui étaient particulières, il est vrai, mais le nouveau maire auquel je souhaite pleine réussite dans l'exercice de ses fonctions a obtenu un score qui, somme toute, est en retrait par rapport au score traditionnel des Démocrates de New York.

AGATHE LAMBRET
Merci Jean-Noël BARROT d'avoir répondu aux questions de France Info. Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 novembre 2025