Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à RMC Info le 19 novembre 2025, sur les critiques concernant l'Union européenne.

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Média : RMC Info

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 7h44 sur RMC et sur RMC Story. Est-ce que l'Europe, finalement, est en train en quelque sorte de manger la France ? Évidemment, ma question est provocatrice. Benjamin HADDAD, vous êtes le ministre délégué à l'Europe. Merci d'être dans ce studio ce matin.

BENJAMIN HADDAD
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez vu cette très grande réaction sur les réseaux sociaux après le lancement par Patrick SÉBASTIEN, l'idée peut-être de sortir de l'Union européenne. On l'écoute.

PATRICK SÉBASTIEN, CHANTEUR ET ANIMATEUR
Il y a l'Europe. Est-ce qu'on doit en sortir ou est-ce qu'on doit y rester ?

APOLLINE DE MALHERBE
Vous en pensez quoi, vous, Patrick SÉBASTIEN ?

PATRICK SÉBASTIEN
Moi, j'en pense que soit on doit en sortir complètement, soit on ne doit plus être inféodé à toutes les normes et à toutes les commissions. Parce que ça nous bouffe.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que c'est du populisme de dire ça ? Est-ce qu'on est inféodé à l'Union européenne, Benjamin HADDAD ?

BENJAMIN HADDAD
Moi, quand j'ai vu, j'ai écouté Patrick SÉBASTIEN à l'antenne, j'ai vu qu'il y a eu beaucoup de réactions, d'ailleurs un peu méprisantes, sur les réseaux sociaux. Moi, quand je vois quelqu'un qui est populaire et qui parle aux Français, qui s'exprime, j'écoute, je respecte. Et au fond, non, on ne doit pas sortir de l'Europe, regarder ceux qui s'y sont essayés comme le Royaume-Uni. Est-ce qu'ils sont plus riches ? Non. Est-ce qu'ils sont même plus libres de leur destin ? Non. Parce que sur des sujets aussi complexes comme la lutte contre l'immigration illégale, la maîtrise des frontières extérieures, on a besoin de coopération. Il y a plus d'immigration illégale aujourd'hui au Royaume-Uni. Et parce qu'on a accès au marché intérieur, parce qu'on peut se protéger. Vous savez, hier, l'Union européenne, sous l'impulsion de la France, a adopté des mesures de protection pour ce qu'on appelle les ferro-alliages, c'est des métaux qu'on utilise dans l'industrie. Parce qu'on a des surcapacités chinoises qui sont subventionnées, c'est de la concurrence déloyale, qui sont déversées dans nos marchés à des prix plus faibles, et donc, qui peuvent mettre en danger nos usines, les jobs dans nos industries. Eh bien, on a mis ce qu'on appelle une clause de sauvegarde pour se protéger.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais on s'est réveillés un peu tard, vous le reconnaîtrez…

BENJAMIN HADDAD
Mais vous avez raison. Je le dis parce que les pays européens qui ne sont pas membres de l'Union européenne, Royaume-Uni, Norvège, Suisse, ils demandent à faire partie de ces dispositifs. Ils demandent à être protégés. Mais en revanche, ce que j'ai entendu aussi dans l'interview de Patrick SÉBASTIEN, c'est qu'il parle des normes. Et là, moi, là-dessus, je lui donne le point. Parce qu'effectivement, c'est pour ça que nous on se bat aussi…

APOLLINE DE MALHERBE
Là-dessus, vous êtes, vous, ministre de l'Europe, d'accord avec Patrick SÉBASTIEN.

BENJAMIN HADDAD
Mais parce que nous-mêmes, on se bat pour réduire la bureaucratie, pour simplifier les règles de l'Union européenne. Quand je parle à nos agriculteurs ou aux patrons de PME, trop souvent, alors que pourtant, ils sont exportateurs en Europe, ils profitent aussi du marché intérieur, mais ils nous disent : " C'est trop de bureaucratie, c'est trop de contraintes. C'est pour ça qu'on s'est battus pour simplifier ". Par exemple, hier, le président de la République en parlait à Berlin avec le Chancelier MERZ, des règles comme la CSRD ou le devoir de vigilance. On a réduit drastiquement le nombre d'indicateurs. On a exclu un grand nombre de PME de l'application de ces normes. Parce que le but, ce n'est pas de rajouter de la contrainte.

APOLLINE DE MALHERBE
Parce que sinon on se tire une balle dans le pied.

BENJAMIN HADDAD
L'Europe doit être un espace de protection, aussi de liberté, d'innovation, de croissance, et non pas de règles.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que c'est vraiment encore un espace de liberté ? Si je vous pose la question, c'est que, par exemple, l'industrie automobile française, qui est en très très grande difficulté, elle dit : " Certes, on est menacé par les voitures chinoises, mais on est d'abord menacé par les normes de l'Union européenne ". Ils disent que c'est aussi les très lourdes contraintes imposées par Bruxelles qui, en quelque sorte, ont fait le jeu de la Chine qui a profité de nos failles.

BENJAMIN HADDAD
Non, mais sur l'automobile, par exemple, c'est un bon exemple. On s'est doté d'objectifs qui est la fin de vente de véhicules thermiques neufs d'ici 2035. Ça, c'est de notre intérêt. C'est de notre intérêt aussi pour réduire nos dépendances aux hydrocarbures étrangers.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais dans le même temps, on n'a pas fait en sorte que l'industrie se développe autant qu'elle pouvait.

BENJAMIN HADDAD
Mais en revanche, on doit mettre du pragmatisme et du bon sens dans la façon dont on atteint ces objectifs. C'est pour ça, par exemple, que la France, avec ses partenaires, a demandé la suspension des amendes qui s'appliquaient aux constructeurs automobiles simplement parce que la demande pour les véhicules électriques avait chuté. Alors que ces constructeurs ont fait les investissements. Et ils nous demandent d'ailleurs de continuer dans cette trajectoire. De la même façon, on a dit : " Maintenant on fait de la préférence européenne. C'est-à-dire qu'on va favoriser le contenu fabriqué en Europe pour nos constructeurs ". Donc voyez, c'est cet équilibre où d'un côté, on a intérêt pour notre souveraineté, pour notre compétitivité à moins dépendre du monde extérieur et à soutenir nos industriels. Mais il faut le faire avec pragmatisme, les accompagner plutôt que par la contrainte. C'est ce qu'on porte aujourd'hui, par exemple. Mais ceux qui voudraient sortir de ça, quand Jordan BARDELLA dit ; " Il faut sortir du green deal, il faut remettre en cause l'horizon 2035 ". Mais fondamentalement, qu'est-ce qu'il nous dit ? Il nous dit : " Il faut se remettre à importer du gaz et du pétrole russe. Il faut se remettre dans la main d'acteurs extérieurs qui sont souvent des prédateurs, qui ont utilisé aussi ces relations comme des leviers d'influence, comme des moyens de pression géopolitiques ". Et ça, on ne le souhaite pas.

APOLLINE DE MALHERBE
Benjamin HADDAD, il y a une question aussi qui est la question de notre contribution à l'Union européenne. Est-ce qu'on paye trop ? C'est quand même la question que certains se posent. Vous disiez le RN, Patrick SÉBASTIEN s'en est fait d'ailleurs en quelque sorte, de ce point de vue-là, un peu le porte-parole. 2026, j'ai regardé les chiffres, c'est 28,8 milliards d'euros qu'on est censé donner à l'Union européenne. C'est près de six milliards de plus que 2025. Mais franchement, dans un moment où on est censé tous faire des efforts, on va donner six milliards de plus à l'Europe ?

BENJAMIN HADDAD
Alors, c'est une augmentation qui touche tous les pays européens. Et je le dis parce que, je vais expliquer déjà comment ça se passe. Tous les sept ans, les États membres de l'Union européenne se mettent d'accord sur un budget de sept ans qu'on appelle le cadre financier pluriannuel, qui est le budget de l'Union européenne et puis qui est aussi d'ailleurs validé par les parlements nationaux. C'était le cas en France en 2021.

APOLLINE DE MALHERBE
En 2021, on ne savait peut-être pas qu'on aurait tant d'efforts à faire ces années-ci.

BENJAMIN HADDAD
Oui, mais c'est intéressant ce que vous dites parce qu'en fait, tous les ans, on envoie une contribution. Il y a des moments, elle diminue. Il y a des moments, elle augmente. Là, on est en fin de cycle et donc, on a un rattrapage sur par exemple les fonds de cohésion qui fait que ça augmente pour un certain nombre de pays européens. C'était une trajectoire qui était prévisible. Mais la France, je le dis aussi, est le premier bénéficiaire des fonds européens.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'allez pas demander une ristourne ?

BENJAMIN HADDAD
Alors, nos agriculteurs, non mais nos agriculteurs, c'est 9,5 milliards d'euros dans la politique agricole commune par an.

APOLLINE DE MALHERBE
Qui les récupère ?

BENJAMIN HADDAD
Nos territoires, la cohésion. Mais c'est aussi l'accès au marché intérieur. C'est aussi la voie de la France et le fait de pouvoir utiliser le un levier d'influence…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, Benjamin HADDAD, vous allez quand même avoir du mal à défendre cette position-là dans un moment où on demande à tous les Français de faire des énormes efforts, où on cherche les milliards et où d'un coup, on se rend compte qu'on va leur donner six milliards de plus. Est-ce qu'au moment où on se parle, Benjamin HADDAD, vous êtes en train de tenter un bras de fer pour avoir une ristourne ?

BENJAMIN HADDAD
Mais alors, attendez. La ristourne, ce qu'on appelle le rabais, ça...

APOLLINE DE MALHERBE
L'Allemagne, on en a obtenu.

BENJAMIN HADDAD
Alors, mais ça, ça n'arrive que lorsqu'on négocie tous les sept ans le cadre financier pluriannuel.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, ben j'espère que vous négociez bien…

BENJAMIN HADDAD
Et tous les pays s'acquittent de leurs contributions. Même la Hongrie de Viktor ORBAN n'a jamais remis en question sa contribution tous les ans. C'est un engagement, c'est la voie de la France. En revanche, on se bat pour nos intérêts. C'est les intérêts de la France, c'est les intérêts de nos agriculteurs, c'est les intérêts de nos entreprises.

APOLLINE DE MALHERBE
Et les intérêts de nos agriculteurs, c'est le Mercosur, par exemple ?

BENJAMIN HADDAD
Quand on a les meilleurs retours, par exemple sur la politique agricole commune, c'est précisément parce qu'on se bat pour les intérêts de nos agriculteurs, pour nos territoires, pour nos entreprises.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais à l'inverse, ils voient que l'Union européenne est en train de signer le Mercosur, alors que vous leur avez promis…

BENJAMIN HADDAD
Mais regardez, mais précisément sur le Mercosur. Nous, on se bat tous les jours avec nos partenaires pour faire entendre la voix de nos agriculteurs. On l'a dit, l'accord qui a été signé par la Commission européenne avec le Mercosur, il est inacceptable en l'état. Précisément parce qu'il nous met face à une concurrence déloyale.

APOLLINE DE MALHERBE
En l'état, vous vous engagez à ce qu'il ne soit pas signé ?

BENJAMIN HADDAD
En l'état, oui. Parce que, si vous prenez, nous, on a demandé trois choses très claires pour protéger nos secteurs. Un, une clause de sauvegarde. C'est un frein. Si vous dites, il y a trop d'importations qui viennent déstabiliser une filière sur un produit sensible, on arrête. La Commission européenne, là-dessus, a entendu notre pression, a proposé une clause de sauvegarde qui est beaucoup plus opérante. Deuxièmement, on demande des clauses-miroirs. C'est-à-dire, on ne laisse pas rentrer en Europe des produits qui sont fabriqués avec des pesticides ou des additifs alimentaires qui sont interdits en Europe. Et troisièmement, des forces de contrôle. Pourquoi je dis ça ? Parce que les autres, il faut sortir de la naïveté, les Chinois, les Américains, quand ils font, ils font du commerce aussi, mais ils peuvent aller contrôler les produits qui sont importés, parfois même dans les pays exportateurs. Nous, c'est ce qu'on demande aujourd'hui. Nous, fondamentalement…

APOLLINE DE MALHERBE
Et si vous ne l'obtenez pas, vous le dites, vous ne le signerez pas en l'état.

BENJAMIN HADDAD
C'est ce qu'a dit le président de la République. Mais fondamentalement, c'est une Europe qui se protège, qui protège ses secteurs, qui reste ouverte, mais qui se donne les moyens d'assurer une concurrence loyale et équitable pour protéger tous ses secteurs. C'est ça, la voie que la France doit prendre en Europe.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous l'avez défendue ce matin, la voie de la France en Europe. Benjamin HADDAD, ministre délégué à l'Europe. Merci à vous.


Source : Service d'information du gouvernement, le 20 novembre 2025