Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes très heureux d'accueillir la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard. À titre personnel, je me réjouis qu'elle ait été reconduite dans cette fonction. Le monde agricole, qui attendait de la stabilité et de la visibilité, et qui a vu le courage avec lequel la ministre a porté un certain nombre de sujets, souhaitait également qu'elle puisse continuer à exercer ses responsabilités.
D'année en année, l'équation agricole semble de plus en plus compliquée du fait de la multiplication des crises sanitaires en élevage. Après la fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie hémorragique épizootique (MHE), une nouvelle venue, la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), met à risque toute l'économie de notre filière bovine et provoque des situations humaines extrêmement difficiles. C'est la raison pour laquelle notre commission a lancé une mission flash transpartisane sur ce sujet, menée par notre collègue de Savoie Martine Berthet - avec nos collègues Annick Jaquemet, Christian Redon-Sarrazy et Gérard Lahellec.
La situation est également complexe pour les grandes cultures, qui alternent entre chute des rendements en 2024 et chute des prix en 2025, si bien que la pérennité de certaines exploitations est désormais mise à risque.
Enfin, comment ne pas évoquer la triple crise de la viticulture française, pour reprendre le constat dressé par nos collègues Daniel Laurent, Henri Cabanel et Sébastien Pla dans un récent rapport qui connu un fort retentissement ? La filière a plus que jamais besoin d'unité en son sein et d'un soutien exigeant des pouvoirs publics. ? Madame la ministre, nos trois collègues vous présenteront leur rapport la semaine prochaine.
Cette équation agricole pourrait aussi se résumer à un chiffre : 123 millions d'euros. Il s'agit du déficit de la balance commerciale française agroalimentaire en septembre 2025, témoignant de la poursuite de la dynamique baissière de la puissance agricole française, si bien documentée par notre commission en 2018 puis en 2022.
J'en viens plus précisément aux crédits de la mission «"Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales " (AAFAR). Le PLF pour 2026 prévoit une baisse de 11,59% des crédits en autorisations d'engagement (AE) et de 4,98 % en crédits de paiement (CP). Il faut cependant noter un respect global des engagements de l'État vis-à-vis du monde agricole, qui se matérialise, en première partie du PLF, par la prolongation de dispositifs fiscaux indispensables pour nos agriculteurs. ; Ces dispositifs ont été complétés par nos collègues députés : quelle est votre position sur leurs ajouts ?
L'engagement du Gouvernement pour notre agriculture se matérialise aussi, en seconde partie, par la poursuite du financement de certaines orientations fondamentales, par exemple le Plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures, dit " Parsada ", indispensable pour anticiper les nombreux retraits de molécules qui sont devant nous.
Je m'interroge cependant, à l'instar d'autres acteurs de l'écosystème agricole, sur la répartition de l'effort demandé à l'agriculture. S'il est nécessaire pour l'agriculture de prendre sa juste part à l'effort national en faveur du redressement de nos comptes publics, je me demande pourquoi l'essentiel de la ponction porte sur le programme 149 " Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ", alors que les moyens dédiés au ministère ou encore à l'enseignement technique agricole augmentent.
Un dernier mot concernant la forêt, qui intéresse bon nombre de nos collègues. Ce sujet stratégique a été placé dans le giron du ministère de la transition écologique en janvier dernier ; nous nous en étions émus. Je suis donc fort déçue de voir que l'appel des parlementaires, à l'initiative de notre collègue Anne-Catherine Loisier, n'a pas été entendu car, au vu des décrets d'attribution, vous n'êtes qu'associée à la politique de gestion durable des forêts et de la filière bois. On peut se demander en quoi consiste cette compétence.
Madame la Ministre, je vous cède sans plus tarder la parole pour répondre à ces premières questions et présenter votre budget, puis ce sera au tour de mes collègues de vous poser les leurs, à commencer par Laurent Duplomb, Franck Menonville et Jean-Claude Tissot, qui sont les corapporteurs pour avis de notre commission pour les crédits de la mission " Agriculture ".
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. - Merci pour vos mots aimables, je suis très heureuse de continuer cette belle fonction de ministre de l'agriculture, passionnante et particulièrement exigeante face aux crises qui surviennent et au défi écologique.
Un mot sur mes attributions : je n'ai pas retrouvé la forêt. Cette compétence, qui faisait historiquement partie du ministère de l'Agriculture, a été dévolue au ministère de la Transition écologique sous le Gouvernement de François Bayrou. La situation n'a pas changé sous ce Gouvernement. Je le regrette, mais je m'incline, c'est la décision de notre Premier ministre et je ne la contesterai pas. Néanmoins, l'agroalimentaire est entrée dans mon giron, c'est très important puisque l'agroalimentaire et l'agriculture vont de pair - car là où vous avez de la production, mais pas de transformation, la production initiale s'en trouve nécessairement affaiblie.
Alors que notre agriculture traverse une période agitée et se trouve à l'orée d'échéances européennes majeures, votre invitation en amont de l'examen du budget agricole nous donne l'occasion d'un échange franc et utile. Depuis un peu plus d'un an, à la tête du ministère de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et désormais de l'agroalimentaire, j'ai orienté toute mon action vers un objectif unique : reconquérir les pans perdus de notre souveraineté alimentaire.
Vous avez raison de souligner que les résultats du commerce extérieur sont alarmants : l'agriculture était encore il y a quelques années un fleuron de notre économie, le troisième contributeur à la balance commerciale - elle a perdu en quelques années 10 milliards d'euros de performance. C'est une alerte à un niveau maximal : la France, première puissance agricole de l'Union européenne (UE), s'affaiblit très gravement, ce chiffre en est le témoin.
L'objectif de reconquête de la souveraineté alimentaire, qui va de pair avec celui de renforcer notre puissance exportatrice, a inspiré ce projet de loi de finances pour 2026. Nous l'avons bâti pour soutenir nos filières, affronter les crises sanitaires, répondre aux aléas climatiques et engager une transition environnementale ordonnée. Cet objectif a aussi structuré la refonte de notre cadre sanitaire et soutenu la réhabilitation de l'acte de produire, avec 500 millions d'euros d'allègements de charges et à une simplification administrative visant à redonner de l'air aux agriculteurs. Cet engagement a trouvé son horizon dans la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (LOA), qui amorce le renouvellement des générations et renforce l'enseignement agricole. Je salue votre mobilisation exemplaire, en particulier celle de MM. Duplomb, Menonville et Cuypers, qui ont été les artisans de ce travail de reconquête. Les filières les plus fragiles mesurent l'ampleur de votre engagement pour lever les entraves qui pèsent sur le quotidien des agriculteurs.
Cette ambition seule ne suffit toutefois pas à dissiper les défis qui demeurent, et notamment au niveau sanitaire. L'apparition de la DNC a exigé, conformément au cadre européen, des mesures douloureuses mais objectivement efficaces. En moins de quatre mois, les zones touchées cet été sont sorties du périmètre réglementé, ce qui est un record. Je me réjouis de la mission confiée à Mmes Berthet et Jacquemet et MM. Redon-Sarrazy et Lahellec. Éclairé par les travaux de votre mission, le retour d'expérience sur cette crise sera crucial pour consolider notre stratégie sanitaire. D'autres menaces persistent : l'influenza aviaire, le nématode du pin et des difficultés pour les filières végétales en impasse de production, comme la noisette, confrontée à la punaise diabolique et au balanin - l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a d'ailleurs confirmé cette notion d'impasse sanitaire pour plusieurs filières.
S'ajoutent les défis économiques. Certaines filières, comme la viticulture, font face à des surproductions structurelles. J'ai bien reçu le rapport de MM. Laurent, Pla et Cabanel, dont le diagnostic éclaire les réponses durables à construire. Pour sortir nos viticulteurs de l'étau économique où ils se trouvent, nous travaillons déjà étroitement avec les filières. D'autres secteurs, comme le blé, subissent un effet ciseaux sévère entre la hausse des coûts, qui pourrait s'accentuer avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), et la baisse des prix, réduisant implacablement les marges, au point de menacer la pérennité même des filières.
S'ajoutent des défis géopolitiques. Les protectionnismes américain et chinois pénalisent fortement les vins, les spiritueux, le porc et le lait. La guerre en Ukraine entraine une hausse du coût des intrants qui pénalise l'ensemble du secteur. Ces éléments expliquent en partie, mais en partie seulement, le déficit commercial que nous pourrions connaître pour la première fois depuis cinquante ans.
Il y a, enfin, des défis climatiques, avec des pertes de récolte récurrentes et la nécessité de repenser notre stratégie de souveraineté à l'aune d'une carte de production adaptée. Nous ouvrirons ce chantier dès le 8 décembre, lors du lancement des conférences de la souveraineté alimentaire. Ces réalités nationales croisent deux échéances européennes déterminantes : la réforme de la PAC, dont la première version proposée est inadmissible en l'absence d'une politique financée à la hauteur des enjeux ; et le projet d'accord de l'UE avec le Mercosur. Vous connaissez ma position : sans clause de sauvegarde robuste, sans mesure miroir effective, sans contrôle réel, cet accord demeure inacceptable. Le Président de la République et le Gouvernement l'ont rappelé. Je me félicite de cette clarté, mais le combat reste entier et j'aurai besoin de vous.
C'est dans ce contexte difficile que vous examinerez prochainement le projet de loi de finances pour 2026. Il s'agit d'un budget responsable, structuré autour d'une ambition claire : consolider la compétitivité de la " ferme France ", l'armer face aux aléas climatiques et géopolitiques, et préparer la relève agricole dans un cadre budgétaire contraint mais assumé. Il dote le ministère de 6,1 milliards d'euros en AE et en CP, auxquels s'ajoutent la fiscalité affectée et le compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (Casdar), pour un total d'environ 6,8 milliards d'euros de concours nationaux.
En incluant les crédits européens de la PAC et les dispositifs sociaux et fiscaux qui concernent les agriculteurs, ce sont plus de 25 milliards d'euros qui, l'an prochain, irrigueront l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Le budget progresse ainsi de 165 millions d'euros en CP et de 33 millions d'euros en AE par rapport à 2023, exercice de référence hors investissement exceptionnel et temporaire de la planification écologique sur 2024 et 2025.
Ce budget d'investissement et de continuité est organisé autour de trois priorités. La première est la compétitivité. Pour armer nos producteurs face à la compétition mondiale, nous maintenons des dispositifs essentiels : l'exonération des cotisations patronales pour l'embauche de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE), financée à hauteur de 600 millions d'euros, le tarif réduit sur le gazole non routier (GNR) pour 1,1 milliard d'euros et des dispositifs fiscaux structurants tels que la déduction pour épargne de précaution, l'exonération des indemnités d'abattage, la provision pour variation de stock des éleveurs laitiers, le pacte Dutreil agricole et le crédit d'impôt bio - du reste, les moyens dédiés au bio ne baissent pas. Cette ambition de soutien de la compétitivité des exploitations concerne tous les territoires. C'est pourquoi les aides ultramarines à la filière sucrière demeurent stables, à 143 millions d'euros, malgré le contexte budgétaire tendu. Notre objectif est simple : préserver la compétitivité française face à une concurrence trop souvent déloyale.
La deuxième priorité de ce budget est la résilience face au changement climatique et sanitaire. Ces aléas autrefois exceptionnels sont devenus structurels. C'est pourquoi le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), aux côtés des fonds européens dédiés, continuera de soutenir l'assurance récolte pour un montant total de 600 millions d'euros. J'insiste sur ces montants, car on ne mesure pas toujours leur ampleur. Par exemple, les allègements fiscaux représentent un demi-milliard d'euros.
La planification écologique se poursuivra, notamment via la recherche d'alternatives aux substances phytosanitaires retirées avec le Parsada, comme vous l'avez rappelé Madame la Présidente, et l'appel à manifestation d'intérêt " Prise de risque amont aval et massification de pratiques visant à réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques sur les exploitations agricoles " dit " Praam ". J'ai obtenu de mobiliser le " bas de laine " du Casdar car il était incompréhensible que l'argent des agriculteurs dorme. Nous finançons également l'adaptation climatique avec un fonds hydraulique agricole doté de 20 millions d'euros en 2026. C'était ma ligne rouge : sans eau, pas d'agriculture. C'est un fonds d'amorçage, il faudra aller bien au-delà avec l'aide européenne et celle des régions.
Nous poursuivons aussi la refondation de notre cadre sanitaire dans une logique " une seule santé " - ou " One Health " -, avec 40 millions d'euros consacrés aux Assises du sanitaire.
Troisième priorité : la transmission et la formation, les deux jambes du renouvellement des générations. Le budget prévoit des moyens nouveaux pour l'enseignement technique et supérieur agricole, dont 40 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, nous en avions perdu l'an passé. Ces emplois aideront à déployer la loi d'orientation agricole, à ouvrir le bachelor agro et à accompagner la relève. J'ajoute la modernisation du lycée de Mayotte pour 17 millions d'euros, étape essentielle pour garantir l'égalité d'accès à la formation en outre-mer.
Enfin, je présenterai un plan en faveur des femmes en agriculture. Une première mesure, adoptée à l'Assemblée nationale et dont je souhaite le maintien, consacre la dégressivité des cotisations lorsque la conjointe devient cheffe d'exploitation après avoir quitté son statut de conjoint collaborateur.
Voilà les grandes lignes d'un budget pensé pour durer, répondre aux défis et soutenir nos filières. Je veux mentionner un dernier chantier : celui des lois Égalim, dont l'objectif est de redonner de la valeur à la production agricole en construisant le prix en marche avant et en sanctuarisant la matière première agricole dans les négociations commerciales.
Nous sommes le seul pays à avoir des relations commerciales aussi violentes, ce n'est pas normal ni acceptable. Je l'ai dit aux acteurs de la négociation commerciale, j'espère que nous pourrons revenir à des comportements décents. Je salue l'engagement constant de Mme Loisier et de M. Gremillet ; je partage largement les conclusions de leur rapport de l'an dernier - et si la configuration parlementaire complique la tâche, comme l'ont illustré les débats de mars sur la loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire - dite loi SRP -, je forme le voeu que nous avancions sereinement. Tant que l'affectation des 10% promis en 2018 ne sera pas garantie, le pacte de confiance restera fragile.
Si l'attention médiatique se porte aujourd'hui sur l'Assemblée nationale, je sais combien vos travaux orienteront le contenu final des textes. Votre connaissance profonde des territoires, de la ruralité et de l'agriculture sera déterminante. Je serai attentive à ce que vos propositions sur le budget deviennent force de loi dès lors qu'elles respectent notre cadre budgétaire - car nous sommes bien en face de défis communs.
M. Laurent Duplomb. - Je vous félicite, Madame la ministre, pour votre action au sein du ministère de l'agriculture. Nous allons vous aider dans ce budget, même si notre analyse est différente de la vôtre sur son évolution puisque nous ne prenons pas les mêmes années de référence - ce que nous voyons, c'est qu'il passe de 4,2 milliards d'euros à 4 milliards d'euros par rapport à l'année dernière, soit une diminution de 200 millions d'euros en crédits de paiement. Nous acceptons de travailler dans cette enveloppe, mais nous ne nous satisfaisons cependant pas de l'augmentation de ce que j'appelle les " frais administratifs " de cette mission : ils augmentent de 117 millions d'euros, ce n'est pas raisonnable ; si nous acceptons, sur ce montant, de vous accorder 40 millions d'euros qui concernent les refus d'apurement communautaires liés à des pénalités appliquées par la Commission européenne, nous proposerons de reventiler les 77 autres millions de cette enveloppe que votre budget accorde à ces frais administratifs. Je vous présenterai nos propositions détaillées en séance publique. En 1980, la France comptait environ 16 000 fonctionnaires qui se consacraient à l'agriculture pour 1,2 million d'agriculteurs. En 2025, nous en sommes à 400 000 agriculteurs... et 32 000 fonctionnaires : nous ne pouvons pas continuer comme cela, il faut aider l'agriculture, plutôt que ceux qui font que l'agriculture est parfois difficile à vivre...
En 2018 déjà, avec le groupe d'études " Agriculture, élevage et alimentation ", j'alertais sur le risque d'un déficit de la balance commerciale agricole, que je redoutais... pour 2025. La cause en est très simple : c'est la perte de notre compétitivité. La loi du 11 août 2025 visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ne changera pas les choses, tant que perdureront les différences flagrantes entre l'application des règles européennes et françaises.
Et un sujet risque fort de nous enfoncer davantage : l'accord de libre-échange de l'Union européenne avec les pays du Mercosur. Ma question est simple : quelle est la voix de la France ? Nous avons la fâcheuse impression qu'elle change chaque jour, au gré d'une communication présidentielle tous azimuts. Jugez plutôt : le 28 juin 2019, M. Emmanuel Macron déclarait : " Je considère que cet accord, à ce stade, est bon. " ; deux mois plus tard, volte-face, alors que les termes de l'accord n'ont guère changé : M. Macron lance une véritable fronde contre l'accord, utilisant un vocable technocratique qui n'a pas changé pendant cinq ans - et, au Salon de l'agriculture en 2020, il dit très clairement que l'accord est inacceptable, posant même trois conditions pour qu'il le devienne : le respect des engagements climatiques de l'Accord de Paris, l'engagement de ne pas aggraver la déforestation dans les pays du Mercosur et le respect de nos normes sanitaires et environnementales pour les denrées alimentaires qui en proviendraient. Aujourd'hui, aucune de ces trois conditions n'est remplie, le président argentin multiplie les déclarations contre l'Accord de Paris, la déforestation importée ne figure pas dans les accords avec l'Europe, pas plus que le respect de nos normes environnementales - et la semaine dernière, 40 tonnes de boeuf brésilien traité avec des médicaments interdits en Europe ont été arrêtées à la frontière européenne, non pas par nos propres contrôles, mais parce que les autorités brésiliennes ont fait elles-mêmes un signalement. Nous dépendons des fautifs pour connaître la réalité de ce que nous mangeons et qui ne respecte pas nos normes sanitaires. Or, le 23 octobre dernier, nouveau revirement : M. Emmanuel Macron, devant les journalistes du monde entier à Bruxelles, déclare que tout va dans le bon sens au sujet de l'accord avec le Mercosur. Mais c'était ignorer la capacité de volte-face de ce président qui m'évoque la chauve-souris de la fable de La Fontaine, qui dit qu'elle est oiseau parce qu'elle a des ailes, mais qui reste chauve-souris. Et voici que mercredi dernier à Toulouse, devant 250 agriculteurs, ce président chauve-souris nous dit que l'accord ne saurait être signé en l'état. Madame la ministre, quelle est donc la voix de la France ?
On nous rabâche les oreilles avec la clause de sauvegarde, mais personne ne nous parle du mécanisme de rééquilibrage, introduit pour la première fois dans un accord de ce type. Ce mécanisme obligera les pays qui voudront déclencher une clause de sauvegarde - pour éviter que des produits importés ne perturbent leur économie - à verser des indemnités importantes aux pays signataires. En clair, le jour où vous mettrez une clause de sauvegarde pour éviter que les agriculteurs français ne disparaissent, c'est le contribuable français qui paiera les Brésiliens ! Et je signale que M. Pascal Canfin, un écolo rabiboché au macronisme, est prêt à porter devant les tribunaux une attaque en règle contre le mécanisme de rééquilibrage...
En réalité, tant que nous n'aurons pas une capacité de contrôle sur place des méthodes d'élevage et d'utilisation des produits, les clauses miroirs ne seront que des clauses de miroir aux alouettes. Or, il y avait encore un espoir : la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne par 145 eurodéputés - hélas, la Conférence des présidents du Parlement européen a jugé cette demande irrecevable, pour des raisons de forme...
Nous avons donc un président chauve-souris qui dit " blanc " à Paris et " noir " à Bruxelles : la version du « en même temps » du macronisme finissant... Dans ces conditions, les tergiversations présidentielles empêchent un discours clair d'une ministre de l'agriculture qui, par son courage, pourrait s'opposer à cet accord. Comment comptez-vous le suivre puisque, à chaque fois que vous faites un pas derrière lui, il est capable de faire trois pas en marche arrière ? Il est impossible de suivre un tel président - et les Allemands, eux, ont un boulevard pour imposer ce qu'ils veulent depuis le début : une signature la plus rapide possible avec le Mercosur pour favoriser leur activité.
Madame la ministre, comment faites-vous pour, d'un côté, respecter la parole de la France qui change tous les quatre matins et, de l'autre, avoir un message clair vis-à-vis des agriculteurs ?
M. Franck Menonville. - Comme notre présidente, je me réjouis de vous revoir au ministère de l'agriculture, car dans ces temps difficiles et tourmentés, nous avons besoin de stabilité - j'espère que nous pourrons faire un travail utile, même dans ce cadre budgétaire contraint de 4 milliards d'euros. Comme notre présidente également, je déplore le fait que la compétence forêt vous ait été retirée ; nous avons été nombreux à nous associer au courrier d'Anne-Catherine Loisier : il faut maintenir la pression. Les enjeux économiques et sanitaires auxquels la forêt est confrontée nécessitent un partage de compétences clair et logique.
Permettez-moi de revenir sur la loi d'orientation agricole et plus particulièrement sur son volet lié à l'installation. Ma première question est d'ordre général : où en sommes-nous ? Ma deuxième question porte sur les aides de passage de relais, un dispositif d'origine sénatoriale et auquel nous tenons beaucoup : quand deviendra-t-il effectif et quelles en seront les modalités ? C'est un levier d'installation et de renouvellement des générations à ne pas négliger.
Ensuite, je m'interroge sur les moyens accordés aux chambres d'agriculture pour mettre en place le réseau France Services Agriculture qui vous est cher. En effet, le programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission (AITA) ne pourra pas supporter l'ensemble des coûts de mise en place. Les chambres d'agriculture demandent, à juste titre, une indexation sur l'inflation du plafond de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB), soit une hausse de 1,1%. Cette taxe représente plus du tiers de leurs ressources : quels seront les crédits affectés à l'AITA, et quelle est votre position sur l'indexation ?
Enfin, le Gouvernement veut augmenter la fiscalité sur les biocarburants au risque de les fragiliser, alors que cette filière est devenue indispensable aux revenus de l'agriculture, à notre souveraineté agricole et énergétique et qu'elle concourt à la décarbonation. L'Assemblée nationale a rejeté ces hausses ; quelle est votre position ?
Je voudrais également vous entendre sur les effets désastreux du MACF sur notre agriculture. Nous devons travailler à une filière souveraine européenne, il faut du temps et des moyens. Or, le MACF provoquerait un surcoût compris entre 40 et 70 euros la tonne d'engrais que les filières agricoles seraient dans l'impossibilité d'absorber, alors même que nombre d'exploitations agricoles françaises, en particulier céréalières, sont déjà en difficulté. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Claude Tissot. - Ce budget agricole multiple les coupes budgétaires, au point de faire diminuer de 500 millions d'euros les autorisations d'engagement, c'est 11,5% de moins que l'an passé - et, en deux ans, le recul atteint 1,4 milliard d'euros, soit 27%. C'est inédit, stratosphérique même : pas la peine de chercher à l'atténuer en jonglant entre les exercices de référence.
Parmi les nombreuses coupes, deux abandons principaux. Le premier est la planification écologique ; à sa création en 2023, l'action 29 était dotée d'un milliard d'euros ; pour 2026, vous proposez 118 millions d'euros - en deux ans, elle aura baissé de 88 % ! Une enveloppe à ce format est dérisoire face aux enjeux, c'est ahurissant.
Le deuxième abandon est la stratégie de lutte contre les pesticides : l'action relative à la " stratégie de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires " est passée en deux ans de 250 millions d'euros à 25 millions d'euros, soit une baisse de 90%, c'est inacceptable.
Voilà pour le constat : votre budget manque cruellement d'ambition à moyen et long terme. Quelques questions, cependant. Quelle est votre position sur le crédit d'impôt bio ? Je me réjouis qu'il ait été augmenté et allongé dans le temps lors des débats à l'Assemblée nationale. Comment comptez-vous accompagner la filière biologique ? L'année dernière, vous aviez émis un avis de sagesse sur l'amendement de Laurent Duplomb qui proposait de supprimer les crédits au fonctionnement de l'Agence bio : êtes-vous encore sur cette ligne ?
Où en sont, ensuite, les Assises du sanitaire animal ? Ce projet de budget anticipe-t-il des mesures que ces Assises pourraient proposer ? Nous avons posé ces questions lors de nos différentes auditions budgétaires, sans obtenir de réponses claires.
Comment se prépare l'expérimentation France Services Agriculture, qui doit débuter au début de l'année prochaine - sur quelle ligne budgétaire sera-t-elle financée ?
Enfin, vous aurez tout notre soutien contre l'accord entre l'UE et le Mercosur. Les socialistes y ont toujours été opposés - et je souscris, une fois n'est pas coutume, aux propos de mon collègue Laurent Duplomb, même si je n'ai pas son talent de théâtralité, je suis plutôt dans la sincérité...
Enfin, je tiens à saluer la manière dont vous avez géré la crise sanitaire de la DNC depuis cet été. Vous nous avez appelés les uns après les autres - les rapporteurs, tout au moins - et je voulais vous en féliciter publiquement : il est très agréable que vous nous consultiez ou nous informiez directement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Merci de dire que vous respectez l'épure de 4 milliards d'euros, c'est effectivement dans ce cadre budgétaire que nous pouvons travailler. Les " frais administratifs " de l'agriculture seraient trop importants ? Les 40 millions d'euros pour les pénalités européennes sont incompressibles, vous l'avez dit ; quant aux autres 77 millions, je dois vous dire qu'une erreur technique s'est produite l'an dernier à l'Assemblée nationale : des amendements du programme 149, adoptés, ont été gagés sur la mauvaise ligne budgétaire, le programme 215. L'augmentation de cette année résulte donc de cette erreur que nous avons dû corriger. Enfin, les 40 ETP que nous prévoyons sont indispensables puisqu'ils visent à répondre à la hausse des effectifs dans les établissements agricoles.
Sur la perte de compétitivité, plusieurs éléments sont à considérer. Nous importons plus et nous exportons moins, notamment moins de produits laitiers, de vins et de spiritueux, en raison des barrières douanières. Tout cela explique objectivement notre perte de compétitivité. Mais il y a des raisons plus structurelles, je vous en donne acte, et il faudra s'attaquer au sujet.
Il est important que nous parlions de l'accord entre l'UE et le Mercosur. Il y a un an, Ursula von der Leyen a signé un projet d'accord avec les pays du Mercosur, que je qualifierais de contestable sur la forme et sur le fond. Sur la forme, le Gouvernement français était alors en position de fragilité, en affaires courantes, après la motion de censure. Sur le fond, cet accord n'est pas acceptable par son ampleur même : c'est l'accord de libre-échange le plus important jamais conclu, les volumes sont considérables pour le boeuf, la volaille, le sucre et l'éthanol - l'accord aurait par exemple pour conséquence de faire rentrer sur le sol européen l'équivalent de 12 % de la production européenne d'éthanol, c'est considérable et donc inacceptable. Je ne commenterai pas les expressions successives du Président de la République ; ce n'est pas mon rôle. Je retiens ces mots qu'il a prononcés la semaine dernière à Toulouse, devant les agriculteurs : " Ce projet d'accord est inacceptable tel qu'il a été signé " par Ursula von der Leyen.
Au début de l'année 2025, le Président de la République m'a demandé de voir s'il était possible de réunir une minorité de blocage. Nous nous y efforçons avec Laurent Saint-Martin et Benjamin Haddad en parcourant les capitales européennes ; pour s'opposer à l'accord du Mercosur, il faut réunir au moins quatre pays représentant 35% de la population européenne. À ce jour, nous avons avec nous la Pologne, la Hongrie, l'Autriche, possiblement la Roumanie, la Belgique et peut-être l'Irlande, mais très probablement pas l'Italie, qui est un pays clé. Il faut donc obtenir des votes contre ou des abstentions, une abstention équivalant à un vote contre. Cette semaine, la défection des Pays-Bas, un pays représentant 3,8% de la population européenne, est cruelle. En revanche, la Roumanie, qui représente 4,4% de la population, pourrait nous rejoindre, sa secrétaire d'État à l'agriculture m'assure que son pays suit la France, mais dans ce concert des nations, il faut toujours se méfier : les engagements d'un jour ne sont pas toujours ceux du lendemain.
Partons du constat qu'il est possible, voire probable, qu'une majorité de pays valide l'accord. Que faire ? Il faut essayer d'en limiter les effets négatifs. S'il est adopté malgré la France, nous devrons en corriger les effets, qui sont de trois ordres.
D'abord, les perturbations de marché - la parade est dans la clause de sauvegarde, qui doit être robuste et activable. Nous avons posé des questions dans ce sens à la Commission, mais nous n'avons pas encore toutes les réponses.
Le deuxième point, auquel les agriculteurs sont le plus attentifs, est la question des mesures miroirs. Celles qui sont présentes dans l'accord ne suffisent pas. Pour le végétal, il faut les faire porter sur les produits phytosanitaires interdits depuis longtemps dans l'Union européenne et toujours autorisés dans certains pays tiers. Elles doivent aussi concerner les produits médicamenteux administrés aux animaux sur le vif et dans l'alimentation, en particulier les antimicrobiens et les hormones de croissance, qui sont désormais interdits chez nous.
Vous avez raison de rappeler l'épisode des 40 tonnes de viande de boeuf brésilien ; j'ai posé exactement la même question : que se serait-il passé si les Brésiliens n'avaient pas signalé cet arrivage ? Ils nous l'ont peut-être dit en gage de bonne foi et ils prétendent que cet arrivage était une erreur ; dont acte. Il y a quelques semaines, nous avons par nous-mêmes détecté aux frontières et retenu de la volaille brésilienne impropre à la consommation car atteinte par l'influenza aviaire, il faut donc faire attention en toutes circonstances. La question des mesures miroirs est essentielle. Il y a quelques mois, j'ai porté au nom de la France une demande de limite maximale de résidus (LMR) à zéro, c'est-à-dire à la limite de détection. Cette mesure d'ordre général s'appliquerait à tous les accords de libre-échange et à toutes les importations. Le commissaire à la santé, Oliver Varhelyi, m'a dit qu'il proposerait cette mesure dans l'omnibus présenté avant la fin de l'année ; si nous l'obtenons, ce sera une avancée considérable. Cela touchera le flux, mais non le stock, que nous apurons progressivement. Je comprends donc les agriculteurs, qui ne peuvent accepter que l'on tolère des substances interdites sur notre territoire, créant une concurrence déloyale insupportable.
Enfin, il faut des contrôles dans les pays d'émission et aux frontières de l'Europe, en particulier dans les ports de Rotterdam et d'Anvers, par où transite la quasi-totalité des productions et où les contrôles sont très faibles. Je réfléchis à convertir une partie des forces douanières mobilisées pour le Brexit et qui ne sont plus nécessaires, comme le fait déjà la Belgique.
M. Jean-Claude Tissot. - Ils sont peu nombreux !
Mme Annie Genevard, ministre. - Peut-être, mais ils sont à ma main.
Voilà où nous en sommes. Le Président de la République a dit clairement que, faute d'avoir des assurances dans ces trois domaines, l'accord UE-Mercosur ne pourrait pas recevoir notre aval. À ce jour, la décision n'est pas prise parce qu'elle n'est pas complètement éclairée. On ne s'intéresse pas suffisamment au cumul des concessions ; sur le poulet, par exemple, on a fait des concessions avec l'Ukraine, il en arrive avec le Mercosur et bien d'autres pays - et en tout, un poulet sur deux que nous consommons, n'a pas été produit en France. Il faut donc produire davantage de poulet chez nous, y compris d'entrée et de coeur de gamme. Nous savons faire de l'entrée de gamme de qualité en France ; on a voulu monter en gamme, c'est très bien, mais tout le monde ne peut pas acheter un poulet de Bresse, qui est un produit d'exception.
Vous évoquez la planification écologique, c'est un sujet d'importance. Pourquoi est-ce que je prends 2023 comme année de référence ? En 2024, mon prédécesseur a disposé d'autorisations d'engagement d'1,2 milliard d'euros sur le volet agriculture et forêt - il faut comparer ce qui est comparable - et de 745 millions d'euros de crédits de paiement. Durant l'année 2024, seuls 401 millions d'euros de CP ont été effectivement versés : il y avait eu un engagement politique puissant sur la planification écologique, mais il n'avait pas été bien calibré dans son affectation. En 2025, compte tenu de la faible utilisation de ces crédits, la loi de finances initiale prévoit 297 millions d'euros d'AE et 193 millions d'euros de CP pour la partie agricole de la planification écologique, soit 60 % de moins que l'an passé. Cela résulte bien sûr des économies que l'on fait pour diminuer la charge de la dette, c'est nécessaire quand elle devient le premier poste du budget de l'État, mais il faut prendre aussi en compte les rabots successifs : en réalité, j'ai disposé de 90 millions d'euros de CP en 2025, et je maintiens la même somme pour l'an prochain, c'est la réalité budgétaire. J'ai aussi préservé 50 millions d'euros du Parsada, car il est fondamental de se préparer au retrait des substances. En fait, les années 2024 et 2025, avant les rabots, étaient atypiques sur le plan budgétaire. Il y a eu l'intention louable de créer un effet d'entraînement avec plus d'un milliard d'euros d'AE, mais seulement 400 millions d'euros de CP, puis il y a eu les rabots. Nous avons préservé en 2025 10 millions d'euros pour les haies, le plan agriculture climat Méditerranée, la rénovation des vergers, le Parsada et le Praam - tout cela était dans la planification écologique et le demeurera.
J'aurais aimé conserver la réserve de crise, Bercy a fait le choix d'abonder les crises au fil de l'eau, si je puis dire, mais l'action est la même. Sur la DNC, l'influenza aviaire ou le nématode du pin, l'État répond présent.
Le renouvellement des générations et la transmission des exploitations sont pour moi une priorité de premier ordre. Sans renouvellement, pas de souveraineté alimentaire. Nous avons défendu ce sujet de toutes nos forces, particulièrement au sein de la loi d'orientation agricole, et nous avons souhaité mettre en place France Services Agriculture. Ce service sera déployé partout sur le territoire en 2027, avec une préfiguration prévue dès l'an prochain dans chaque région. Les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) seront dotées d'un budget ad hoc pour financer les projets d'expérimentation par voie de subvention ; deux départements par région pourront être concernés, l'objectif étant que les directions régionales établissent une convention avec les chambres régionales d'agriculture avant la fin de l'année. Pour 2026, il n'y a pas de sujet particulier de financement, car la phase de préfiguration sera couverte par les crédits de l'AITA. Le financement de France Services Agriculture sera donc un sujet pour le PLF 2027, pas avant - des travaux sont en cours avec Chambres d'agriculture France et tous les acteurs de l'installation-transmission pour en chiffrer le coût en 2027. Je sais que les Jeunes agriculteurs sont arc-boutés sur une AITA à 20 millions d'euros et non à 13 millions, mais l'engagement de 13 millions d'euros suffira à couvrir les besoins l'an prochain. J'ai appris à me méfier des reports - et quand je me bats pour 20 millions, ce n'est pas pour que je doive perdre ensuite 7 millions que je n'aurai pas dépensés...
Je suis très attachée à l'aide au passage de relais pour accompagner les agriculteurs dont la fin de carrière est difficile. Il s'agit d'une aide transitoire entre activité et retraite, qui prendra la forme d'une allocation financière et d'une prise en charge des cotisations sociales, versée aux agriculteurs âgés d'au moins 59 ans, s'ils cessent définitivement leur activité agricole, à condition de l'avoir exercée pendant une durée minimale. J'ai demandé au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) d'évaluer les modalités de mise en oeuvre concrètes de cette aide. Cette évaluation, qui rendra ses conclusions début février, porte notamment sur le montant de l'allocation, sa durée et son financement. En tout état de cause, l'aide ne pourra pas être mise en place avant la fin de l'année 2026, en raison des dispositions réglementaires à prendre, d'une éventuelle négociation d'un régime d'aides d'État avec la Commission européenne et de la création d'un système d'information dédié.
Les crédits pour les chambres d'agriculture étaient annoncés en recul de 25 millions d'euros, je me suis battue pour qu'elles conservent leur niveau de crédits et j'ai obtenu qu'ils ne reculent pas ; cependant, il y a peu d'espoir que nous obtenions gain de cause sur l'indexation sur l'inflation du plafond de TATFNB. Le Gouvernement a accepté de ne pas diminuer les crédits des chambres d'agriculture à condition qu'une restructuration soit conduite ; le contrat d'objectifs et de performance avec l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture - un établissement public agissant pour le compte de l'État - est renouvelé l'an prochain, c'est l'occasion de passer en revue leur action et de gagner en efficacité dans leurs dépenses.
S'agissant des biocarburants, leur fiscalité est évidemment là pour soutenir l'amont agricole, mais également l'investissement dans ce secteur stratégique. Nous nous sommes beaucoup battus sur ce dossier, les députés ont pris position, il faudra voir ce que le Gouvernement et le ministère des finances en feront.
Concernant le MACF, le niveau d'alerte est maximal. Les cours mondiaux sont faibles, à 150 euros la tonne de blé - alors que les coûts de production, avec ce mécanisme, pourraient atteindre 300 euros. Cela pose un problème vital, au-delà de la simple question de l'équilibre économique. Le pronostic vital serait engagé.
La France porte donc plusieurs demandes : retirer le malus de 30% qu'impose le MACF à tout engrais importé ; baisser les droits de douane de certaines destinations clés comme les États-Unis, l'Égypte ou Trinité-et-Tobago ; et revoir les secteurs concernés par le soutien à l'export pour y inclure les céréales. Nous travaillons ardemment sur ces mesures qui permettraient de réduire l'impact du MACF. Nous sommes assez sceptiques sur les chances de réussite de ce mécanisme que la France a porté. Le deuxième front sera de renforcer notre autonomie en matière d'engrais, car c'est un intrant stratégique : l'Union européenne doit parvenir à en produire. De très belles expériences sont conduites, comme celle d'InVivo qui travaille à un engrais vert - mais il coûte 7 000 euros la tonne.
M. Jean-Claude Tissot. - Il faut encourager la filière bio !
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous le faisons, mais toute l'agriculture française ne peut pas pour autant devenir bio et nous aurons toujours besoin d'engrais. Il faut donc une filière européenne de production, un plan " engrais " pour financer nos capacités de production industrielle et rendre abordable l'usage d'engrais décarbonés, ainsi qu'un plan " protéines " afin d'inciter aux transitions vers des cultures moins gourmandes en azote et qui enrichissent les sols.
Vous m'avez interrogée sur le crédit d'impôt bio, c'est l'occasion pour moi de redire que nous n'avons aucune intention de diminuer l'engagement en matière d'agriculture biologique. Peu de crédits d'impôt ont été sauvés cette année - j'aurais aimé sauver le crédit d'impôt pour les entreprises certifiées de haute valeur environnementale (HVE). Celui pour le bio l'a été, à 4 500 euros ; les députés ont souhaité le porter à 6 000 euros et pour trois ans. Cela représente un surcoût budgétaire de 60 millions d'euros pour un dispositif qui coûte, aujourd'hui, 146 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
M. Jean-Claude Tissot. - C'est le surcoût jusqu'en 2030...
Mme Annie Genevard, ministre. - Non, il s'agit du surcoût annuel.
M. Jean-Claude Tissot. - Vraiment ? À 1 500 euros supplémentaires par agriculteur, cela fait beaucoup de paysans bio !
Mme Annie Genevard, ministre. - Les critères en ont été élargis.
M. Jean-Claude Tissot. - Pas dans l'amendement voté par les députés...
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous y reviendrons en séance publique. En cumulant toute l'aide publique pour le bio - l'Agence Bio, l'éco-régime, la conversion, le crédit d'impôt bio, les aides de crise, les aides européennes - nous étions à 694 millions d'euros pour 2025 et nous passons à 791 millions d'euros en 2026. Loin de moi, donc, l'idée de réduire ces aides : j'ai augmenté l'éco-régime en le portant à 110 euros l'hectare, j'ai créé un programme opérationnel pour le lait bio, comme je m'y étais engagée auprès de la profession, j'ai préservé le crédit d'impôt bio, ce qui n'allait pas de soi, et j'ai augmenté le budget de 10 %, le faisant passer de 8 millions à 8,8 millions d'euros.
M. Jean-Claude Tissot. - Vous avez proposé de revenir au plafond de 4 500 euros pour le crédit d'impôt, contre les députés qui l'ont porté à 6 000 euros...
Mme Annie Genevard, ministre. - Le Gouvernement a émis un avis défavorable à ce relèvement, en raison de son coût budgétaire ; je n'étais pas au banc, je ne sais pas ce qu'il en sera dans la suite de l'examen budgétaire - la question n'est pas définitivement tranchée au sein du Gouvernement.
S'agissant de l'Agence bio, je vous renvoie à la commission d'enquête que le Sénat a consacrée aux agences publiques ; le débat sur le rôle des agences n'a pas été mené avec ni au sein du Gouvernement et je ne sais pas ce qu'il en sera de la politique générale vis-à-vis des agences de l'État - mais je tiens à dire qu'il ne saurait y avoir d'exception pour cette agence par rapport aux autres. Cette année, nous l'avons dotée d'un million d'euros supplémentaire ; je profite de l'occasion pour dire que j'aimerais que cette agence soit un peu plus coopérative, car je crois aux vertus du dialogue.
Nous consacrons 40 millions d'euros au sanitaire animal. Plus de 60% des maladies humaines infectieuses sont d'origine animale. Les vétérinaires jouent par conséquent un rôle de sentinelle incontournable dans la préservation de la santé humaine, au-delà de la santé animale ; c'est pour cela qu'on parle de " One Health ". Je veux à nouveau remercier les vétérinaires, ils occupent une place essentielle dans la prospérité de notre agriculture. Cependant, leur nombre ne cesse de diminuer : en cinq ans, la baisse atteint 18 % pour les vétérinaires ruraux. Mon ministère s'est engagé depuis 2016 à suivre une feuille de route pour le maintien des vétérinaires en production animale et en territoires ruraux, afin d'anticiper les évolutions démographiques. Le Gouvernement a initié un plan de renforcement des quatre écoles nationales vétérinaires, avec une augmentation du nombre d'étudiants, j'y suis très attachée. En complément, la loi d'orientation agricole a permis de sécuriser les stages tutorés en cabinets vétérinaires ruraux dans le cursus. Depuis 2023, le ministère soutient financièrement le Conseil national de l'ordre des vétérinaires (CNOV) et Chambres d'agriculture France pour le développement d'un dispositif national de veille et de suivi du maillage vétérinaire. En janvier dernier, j'ai également lancé les Assises du sanitaire animal, elles seront l'occasion de réviser le système sanitaire français pour le rendre plus résilient, tout en renforçant le positionnement clé des vétérinaires français. Elles ouvrent la voie pour conforter le vétérinaire sanitaire et maintenir un maillage territorial vétérinaire pérenne au service de l'élevage.
Je rends hommage aux vétérinaires de France, qu'ils soient de l'État ou privés : ils ont fait un travail admirable dans la crise de la DNC, ils ont dû faire des dépeuplements, ce qui est toujours une épreuve - ce n'est pas leur vocation et l'aide psychologique que nous apportons aux agriculteurs, nous l'apportons également aux vétérinaires. Ils ont vacciné dans des délais exceptionnels et des conditions de travail terriblement exigeantes : sous la pluie, dans le froid, parfois sous la neige, dans des pentes très abruptes où il a fallu acheminer les doses vaccinales, parfois par hélicoptère. Ils ont dû se rendre dans les estives par des chemins difficiles. Je leur rends hommage et je pense en particulier au premier vétérinaire qui, sollicité par un éleveur attentif, a décelé des nodules et a eu la clairvoyance de saisir immédiatement le laboratoire. C'est grâce à ces deux hommes que nous avons pu agir à une vitesse remarquable pour contenir l'épidémie.
Pour préparer les Assises du sanitaire animal, il faut procéder à l'état des lieux, toujours en cours, améliorer la gouvernance et rénover le financement, tout en préservant évidemment la souveraineté alimentaire. C'est un engagement collectif, je compte sur vous pour y participer.
Mme Martine Berthet. - Madame la ministre, je vous sais très impliquée dans la gestion de la crise de la DNC qui frappe de plein fouet le cheptel bovin français depuis cet été, en premier lieu dans mon département de la Savoie, où vous vous êtes très rapidement rendue, et je vous en remercie. Le Sénat est particulièrement attentif à la situation des agriculteurs français, et notamment à celle des éleveurs qui font face à la multiplication des crises sanitaires.
J'ai l'honneur d'être corapporteure de la mission d'information sur les enseignements à tirer de la gestion de la crise sanitaire de la DNC. Notre démarche se veut constructive ; nous souhaitons apporter un regard extérieur et objectif sur la gestion d'une crise que l'on sait dévastatrice pour le moral et l'activité de nos éleveurs.
Dans cette optique, je me réjouis de constater que les crédits dédiés à la lutte contre les maladies animales, à la protection et au bien-être animal augmentent de près d'un tiers dans le projet de loi de finances pour 2026. Ces moyens seront-ils suffisants pour gérer la crise de la DNC, qui n'est malheureusement pas encore derrière nous, en même temps que les autres épizooties qui sévissent ? Quel a été l'impact budgétaire des mesures mises en oeuvre jusqu'ici - achat de vaccins, intervention des vétérinaires, indemnisation des éleveurs... - et comment ces mesures ont-elles été financées ?
Enfin, je me joins à l'hommage que vous rendez aux vétérinaires, ils ont été exemplaires.
M. Daniel Laurent. - Un mot sur les conséquences du dossier anti-dumping chinois pour la filière du cognac et de l'armagnac. La filière propose des mesures urgentes : un dispositif d'arrachage complémentaire, un volume complémentaire individuel de crise financé par l'État et par la filière, une distillation de crise pour absorber les volumes excédentaires et des mesures de portage des stocks pour redonner visibilité et souplesse aux opérateurs. Nous comptons sur vous, Madame la ministre, et sur le Gouvernement pour défendre ces orientations à Bruxelles et garantir leur financement dès 2026.
Ensuite, nous nous opposons à plusieurs amendements déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale : le déplafonnement de la hausse annuelle des taxes sur l'alcool, l'instauration d'une taxe sur la publicité pour les boissons alcoolisées, les prix minimaux. La filière est déjà fortement taxée, avec 4 à 5 milliards d'euros contribuant chaque année à la sécurité sociale. Une taxation supplémentaire n'aurait pas d'impact sur la santé publique ni aucun bénéfice économique, alors qu'elle fragiliserait nos producteurs et encouragerait les achats transfrontaliers.
Une alerte sur le statut des bailleurs à métayage en Champagne, qui existe depuis un siècle et permet à de nombreux propriétaires retraités de cumuler revenus de métayage et pensions : vous engagerez-vous à tenter de maintenir ce système séculaire ? Je me suis associé à un amendement dans ce sens, proposé par les collègues de Champagne.
Enfin, le renouvellement des générations reste une question structurelle. Il faut faciliter la transmission, sécuriser les baux à long terme et permettre la continuité des exploitations pour préserver la qualité et la diversité de nos vignobles. De même, la sanctuarisation du budget et des moyens de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) est indispensable. Cette institution, garante de la politique des appellations d'origine contrôlée (AOC) et des indications géographiques protégées (IGP), constitue un maillon essentiel de notre identité agricole. La perspective d'un plan filière visant à adapter la viticulture aux nouveaux défis climatiques et économiques est aussi une démarche attendue et bienvenue.
Le moral des professionnels reste au plus bas. Nous comptons sur vous, Madame la ministre, pour défendre une position française équilibrée, lucide, ambitieuse, qui protège notre viticulture en accompagnant ces transitions.
M. Patrick Chaize. - Le département de l'Ain a été particulièrement touché par des foyers de DNC situés en périphérie, mais aussi sur son territoire. Par le jeu des superpositions des zones réglementées, plus de 70 communes sont en zone de protection depuis la fin du mois de juin. Les éleveurs ont joué le jeu malgré ces lourdes contraintes et la question se pose de leur indemnisation, notamment liée aux pertes d'exploitation et aux coûts supplémentaires engendrés par l'obligation de conserver les veaux sur leurs exploitations. Quel est le cadre de leur indemnisation - les aides qu'ils recevront seront-elles défiscalisées ? Les éleveurs, comme les autres agriculteurs, demandent aussi de la simplification, plus de confiance de l'État envers eux et la fin des contraintes liées aux surtranspositions qui entravent chaque jour leur travail : seront-ils entendus ?
Mme Annie Genevard, ministre. - La stratégie que j'ai décidé de mettre en place face à la DNC résulte des travaux conduits dans le cadre du Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), le Parlement de l'élevage, qui réunit l'ensemble des professionnels, les syndicats et les chercheurs. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), en bons connaisseurs de cette maladie tropicale, nous ont très clairement indiqué les modalités de lutte pour l'éradiquer. J'insiste sur ce point : on ne peut pas vivre avec cette maladie, il faut l'éradiquer, faute de quoi elle peut toucher l'intégralité du cheptel bovin français, compte tenu de son extrême contagiosité.
Le dépeuplement a été la décision la plus difficile à prendre. Venant d'une région d'élevage, je connais l'amour que les éleveurs portent à leurs animaux et cette mesure a été traumatisante. J'ai rencontré ces éleveurs et j'essaie de les suivre. J'ai eu au téléphone cette semaine l'un d'entre eux, M. Prud'homme, qui a fait une publication sur les réseaux sociaux pour dire son bonheur de voir son exploitation repeuplée. Nous avons sauvé 99% du cheptel savoyard et haut-savoyard ; sur 350 000 têtes de bétail, nous en avons abattu 1 700 - cela a été très douloureux, mais nous avons sauvé le reste du cheptel.
Comment est-on intervenu ? Le principe est le suivant : quand un foyer de DNC est identifié, on établit autour une zone de protection et une zone de surveillance d'un rayon total de 50 kilomètres et les animaux ne peuvent pas en sortir tant qu'ils n'ont pas été vaccinés pendant au moins 28 jours, et 45 jours après le dernier dépeuplement. Les règles européennes sont très strictes. On s'interroge parfois sur la légitimité de l'Union européenne à définir les règles en la matière, mais c'est très important parce que les maladies ne s'arrêtent pas aux frontières ; nous devons pouvoir compter sur les règles observées par nos voisins, comme eux sur les nôtres. Face à la DNC, nous avons donc été très offensifs, mais nous avons levé la zone réglementée en Savoie, en Haute-Savoie et dans le Rhône.
Nous allons bientôt lever la zone réglementée dans l'Ain. Ce département a joué de malchance, car il y a eu une contamination par le Jura due à une bête qui a voyagé légalement et dont l'éleveur ne savait pas qu'elle était malade. L'Ain s'est trouvé à la convergence de trois zones réglementées : celle de la Savoie et de la Haute-Savoie, celle du Rhône et celle du Jura. Tant que la dernière de ces zones n'est pas levée, je ne peux pas lever celle de l'Ain alors que les bêtes y sont vaccinées depuis la fin du mois de juin, mais la règle européenne est intraitable. Nous avons posé la question à la Commission européenne : ce qui est dans une zone réglementée ne doit pas en sortir.
L'État prend tout en charge : l'indemnisation et la défiscalisation des bêtes abattues, le nettoyage des écuries, la pension des estives - car les bêtes en estive ne pouvaient pas regagner leur élevage d'origine en dehors des zones réglementées -, les pertes d'exploitation, les vaccins et l'acte vétérinaire. Le vaccin coûte 1,40 euro par animal...
M. Jean-Claude Tissot. - Y compris l'acte vétérinaire ? Nous n'avons pas les mêmes chiffres...
Mme Annie Genevard, ministre. - Non, je crois que ce prix ne comprend pas l'acte vétérinaire, même s'il me semble qu'on m'ait dit le contraire - en tout état de cause, l'ensemble des coûts liés à la vaccination en zones réglementées s'élève à 8 millions d'euros et 4 millions d'euros ont été versés à ce jour pour l'indemnisation sanitaire des éleveurs touchés par la maladie.
La filière vitivinicole subit des pressions liées à des désaccords désormais clairs de la France et l'Europe avec la Chine ; le Président de la République envisage de s'y rendre au mois de décembre, j'espère que la position de la Chine évoluera - les autorités françaises se sont mobilisées au plus haut niveau pour trouver des solutions. Le 4 juillet dernier, le ministre du Commerce chinois a conclu son enquête en reconnaissant l'existence d'un dumping et en imposant un droit de douane compensateur moyen de 32,2% à partir du 5 juillet. En pratique, ce qui s'appliquera, c'est l'engagement de prix de vente des exportateurs qui ont accepté, le 26 mai, d'augmenter ce prix de 12% à 16% en lieu et place de la hausse des droits de douane. Cet accord concernera trente-quatre entreprises françaises, représentant plus de 90% des volumes exportés. Les échanges visant à y inclure une vingtaine d'autres, de petites entreprises, n'ont malheureusement pas abouti à ce stade. Les autorités chinoises vont aussi restituer aux exportateurs les garanties bancaires qu'elles avaient prélevées au titre des droits de douane provisoires, pour un montant de 50 à 80 millions d'euros. Un accord aurait été trouvé sur le retour des spiritueux français dans les magasins de duty-free, qui sont devenus une voie majeure d'écoulement de ces produits. Ces mesures pragmatiques devraient donc permettre de relancer les exportations françaises de cognac et d'armagnac en Chine.
Vous m'avez interrogé sur le dispositif d'arrachage. Nous évaluons qu'il faudrait arracher entre 35 000 et 50 000 hectares de vignes pour rapprocher la production viticole des capacités d'écoulement sur les marchés. L'an dernier, nous avons conduit une opération d'arrachage pour 110 millions d'euros sur les 120 millions d'euros de crédits qui avaient été autorisés. J'ai entendu que les exploitants viticoles qui ont manifesté à Béziers demandaient des mesures de distillation, notamment pour les caves coopératives. La distillation est nécessaire, mais elle ne résout pas les difficultés structurelles de la filière. Nous allons demander de mobiliser la réserve de crise européenne pour financer la distillation, mais celle-ci s'apparente en réalité à une mesure sociale et il faut sans doute la conditionner - je vous rejoins en cela -, mais pour résoudre le problème posé, il faut en passer par l'arrachage et une adaptation aux demandes du marché. Si nous ne prenons pas de mesures structurelles - comme le rappelle votre rapport sénatorial -, nous serons contraints de prendre chaque année des mesures conjoncturelles, sans jamais traiter le fond du problème, alors que nous sommes déjà à plus d'un milliard d'euros d'interventions ces dernières années et que les disponibilités budgétaires se réduisent. Il y a une situation de détresse et d'urgence, j'y suis très sensible pour l'avoir constatée sur le terrain, en particulier celle des jeunes viticulteurs qui viennent de racheter, qui n'ont plus de produits pour traiter, plus de marchés pour écouler, ni de quoi vivre.
M. Daniel Laurent. - Et qui sont endettés !
Mme Annie Genevard, ministre. - Effectivement. Je reçois la filière régulièrement, c'est un dossier prioritaire et croyez bien que j'y apporte une attention très particulière. Le salon international des filières viticole, vinicole, arboricole et oléicole (SITEVI) a lieu bientôt. J'espère pouvoir annoncer rapidement des nouvelles rassurantes, mais il faut convaincre l'Europe de débloquer une réserve de crise et Bercy d'apporter des moyens supplémentaires. Or les amendements adoptés par les députés au projet de loi de finances, tout compris, portent le déficit de la France à 5,1%, tout ne pourra donc pas être maintenu - mais j'espère convaincre Bercy sur la viticulture.
Les baux champenois à métayage sont une particularité de cette région, ils font partie de son histoire. Mon cabinet est en lien étroit avec les parlementaires de la Champagne, nous examinons comment parvenir à une solution viable juridiquement ; ce n'est pas facile, mais nous n'avons pas renoncé.
M. Daniel Salmon. - Bertrand Venteau, le nouveau président de la Coordination rurale, a fait cette déclaration : « Les écolos, nous devons leur faire la peau ». Ces propos sont intolérables et j'attends une réaction au plus haut niveau de l'État - plus claire que celle qui a suivi les attaques contre l'Office français de la biodiversité (OFB) : il ne faut pas tolérer de tels comportements violents dans notre pays.
Ce projet de loi de finances manque de lisibilité pour certaines actions. L'an passé, l'action 29 était présentée en détail, nous savions quelle part serait attribuée au plan Protéines, au plan Haies, à la décarbonation ou au diagnostic carbone. Cette année, nous ne savons pas où ira l'argent, alors que les agriculteurs ont besoin de clarté.
Vous dites votre regret de ne plus avoir la compétence forêt, mais il vous reste une forêt linéaire : la haie bocagère. Il faut la soutenir ; or le plan Haies, qui avait été doté de 110 millions d'euros pour 2024, a vu son montant divisé par deux pour 2025, et, au bout du compte, très peu de ces crédits ont été dépensés et l'enveloppe est réduite entre 7 et 10 millions d'euros pour l'an prochain : nous n'atteindrons jamais les ambitions inscrites dans la loi d'orientation agricole de 50 000 kilomètres supplémentaires de haies d'ici à 2030.
Vous dites que des lignes budgétaires ne sont pas assez consommées, mais, en général, cela se produit quand la volonté politique fait défaut : quand on veut agir et qu'on en a les moyens, les dossiers avancent. Ces crédits correspondent à un besoin réel.
Votre budget, ensuite, ne présente aucune mesure d'ampleur pour la filière bio. Vous dites que l'Agence bio est confortée, ce n'est pas ce que j'ai lu, mais je veux bien vous croire, nous avons besoin d'avancer pour atteindre 18% de la surface agricole utile en bio en 2030. Ce n'est pas la tendance, puisque le soutien public est en pleine régression, alors que la consommation de produits biologiques repart - à ce rythme, nous devrons demain importer davantage de produits bio, est-ce que c'est ce que nous voulons ? Même chose, tout aussi regrettable, pour le soutien à la diminution des produits phytosanitaires : les crédits reculent de 84 % ! Cela devient de plus en plus problématique pour la santé humaine elle-même, il y a des liens à faire avec les épizooties et les zoonoses...
L'enseignement agricole, ensuite. Ici aussi, la loi d'orientation agricole a fixé des objectifs : nous devons former 30% de personnes en plus pour répondre aux défis de l'installation et de la transmission. L'année dernière, l'enseignement public a perdu 45 ETP, il en regagne 40 cette année : qu'est-ce à dire ? Avouez que c'est peu lisible... En revanche, les aides pour l'enseignement agricole privé sont stables, avec 11,5 millions d'euros supplémentaires pour les maisons familiales rurales (MFR) ; je salue leur travail, mais il faut bien poser la question de l'allocation des fonds publics. Dans mon département, il y a The Land, un établissement privé qui était présenté comme le campus le plus moderne de France ; aujourd'hui, il connaît un énorme déficit. Le privé ne fait donc pas tout bien et il faut continuer à soutenir l'enseignement public.
Enfin, nous avons besoin d'y voir plus clair sur les Assises sanitaires. Les épizooties et les zoonoses se succèdent à un rythme inédit, il va falloir anticiper encore davantage. Je sais que vous le faites - je ne veux pas noircir le tableau -, mais si nous continuons ainsi, je ne sais pas ce qu'il restera de l'élevage en France dans quelques années.
M. Yves Bleunven. - Madame la ministre, comme mes collègues, je me réjouis de vous voir confirmée dans votre poste, car nous avons besoin de stabilité et de fermeté sur les dossiers agricoles, qui sont nombreux.
Ma première question porte sur la flambée du prix des engrais. Nous n'avons plus d'activité d'engrais minéral depuis l'embargo sur le gaz russe : nous sommes donc devenus structurellement très déficitaires, cela peut devenir dangereux. Le MACF pourrait servir à limiter l'impact des céréales étrangères qui vont inonder notre marché et dont la production a nécessité l'utilisation de carbone transformé. Les réglementations nous contraignent pour développer les engrais organiques - au premier chef celle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Nous nous sommes tous réjouis des avancées claires de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur dans ce domaine. Mais nous nous sommes faits berner par des considérations juridiques, comme souvent, puisque les experts nous disent que la directive relative aux émissions industrielles (IED) s'oppose au relèvement des seuils des ICPE. Cet été, vous avez fait une déclaration concernant la possibilité de définir une réglementation permettant la mise en oeuvre de cette mesure, c'est très important pour le maintien de nos élevages, avec un effet vertueux sur la production d'engrais organiques. Qu'en est-il à ce jour ?
En début d'année, je vous ai alertée sur l'augmentation du prix de l'eau et sur la redevance de l'agence de l'eau. Nous avions parlé d'un bouclier tarifaire pour protéger notre secteur agroalimentaire, j'ai lu ce matin qu'un décret devait être publié : nous l'attendons depuis des mois, les industriels de l'agroalimentaire ont l'impression d'être pris pour des jambons - où en est ce bouclier tarifaire pour l'eau ?
S'agissant de l'accord UE-Mercosur, je vous alerte sur la réintroduction de la pré-liste brésilienne des établissements potentiellement capables d'exporter de la volaille en Europe. Cette décision prise la semaine dernière est dangereuse ; l'établissement de cette liste des industriels habilités à exporter vers l'UE avait été suspendu en 2018, puisque nous savons que la plupart d'entre eux ne produisent pas dans les mêmes conditions que les nôtres, il faut y faire très attention.
Enfin, les industriels nous alertent depuis quelques mois sur l'arrivée massive de viande de volaille chinoise, issue d'élevage de poulets en cage, ce qui n'est pas autorisé, même au Brésil : qu'en est-il ?
M. Henri Cabanel. - La semaine dernière chez moi dans l'Hérault, à Béziers, s'est tenue une grande manifestation réunissant 5 000 viticulteurs, soutenus par de nombreux élus locaux qui savent bien que l'économie viticole est indispensable à leur territoire. Pour y avoir assisté, j'ai constaté un grand désespoir parmi les viticulteurs - ce que nous signalons dans le rapport que nous vous présenterons très prochainement, Madame la ministre : dans le Languedoc, sur 460 agriculteurs évalués, 46% sont en situation d'épuisement professionnel, c'est très inquiétant. Je sais que vous devez les recevoir lundi prochain ; le Sitevi s'ouvrira mardi à Montpellier, il aurait été utile que vous preniez connaissance de notre rapport avant de rencontrer les viticulteurs.
Vous mentionnez l'aide aux caves coopératives. L'année dernière, elles ont obtenu une enveloppe de 10 millions d'euros pour leur restructuration, elles demandent 25 millions supplémentaires. Beaucoup d'entre elles ont investi dans de nouveaux matériels et procédés de vinification pour répondre au marché, des investissements qui s'amortissent sur dix à quinze ans. Or, depuis cinq ans, les rendements baissent, notamment à cause du réchauffement climatique, ce qui augmente mécaniquement le prix du vin - donc la nécessité d'une restructuration de la production, ce qui exige des investissements.
Vous dites, ensuite, que le soutien à l'agriculture biologique se renforce pour éviter les déconversions, mais ce que nous voyons, c'est que la prorogation du crédit d'impôt est limitée pour deux ans, ou encore que les crédits alloués au fonds Avenir bio sont divisés par deux, passant de 18 millions à 8,8 millions d'euros dans ce projet de loi de finances pour 2026. J'avoue avoir du mal à comprendre - qu'en est-il ?
Un autre sujet qui m'est cher : la souveraineté alimentaire. Elle passe par la maîtrise du foncier : sans foncier, pas de souveraineté. Je déposerai un amendement pour créer un livret d'épargne dédié exclusivement au foncier agricole : qu'en pensez-vous ?
Enfin, en cette semaine du salon des maires, j'évoquerai la situation des agriculteurs qui sont maires, souvent de petites communes rurales. Ils éprouvent de grandes difficultés à assumer leur mandat tout en continuant leur activité. Je suis passé par là et je puis vous dire que la rentabilité des exploitations diminue au fur et à mesure de nos mandats. Serait-il possible d'ouvrir le droit à l'aide au répit pour les maires de très petites communes qui sont agriculteurs sans salariés, pour les soulager quelque peu dans leur fonction ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Je plaide pour un dialogue respectueux et républicain et je condamne les propos menaçants que vous citez, tenus par le nouveau président de la Coordination rurale - je les condamne pour leur violence, et aussi parce qu'ils opposent des modes d'agriculture, c'est une erreur profonde. Que ce soit dans l'agriculture conventionnelle, l'agriculture raisonnée, l'agriculture biologique, le label HVE, dans tous ces systèmes agricoles il y a de la passion, du travail, et j'appelle au respect de tous. Ces premières déclarations sont préoccupantes.
La répartition des crédits au sein de l'action 29 du programme 149 n'est pas arbitrée. Concernant le Parsada : j'aurais préféré disposer de 100 millions d'euros, plutôt que des 50 millions que j'ai réussi à préserver. Cela étant, nous avons parfois du mal à obtenir des dossiers ; nous ne croulons pas sous les demandes de plans d'action. Vous me dites que quand une politique est portée, les demandes abondent : je peux vous assurer que nous sommes très actifs en la matière. Il y a une tendance de fond à diminuer le recours aux produits phytosanitaires, les intrants chimiques - même si nos concitoyens ne sont pas toujours cohérents en la matière, à réclamer moins d'intrants chimiques pour l'agriculture française, tout en achetant plus de produits étrangers qui en contiennent, mais c'est une autre affaire... -, mais il y a aussi ce qu'on appelle des impasses de traitement : l'Inrae, à qui j'ai demandé d'examiner les alternatives aux intrants chimiques, a conclu dans son rapport que des filières ne trouvent pas de solution dans d'autres modes de culture. Il y a le cas emblématique de la noisette, mais cela concerne d'autres cultures aussi - la semaine dernière dans le Rhône où je rencontrais des arboriculteurs qui produisent des pommes, des poires, des abricots, des cerises, j'ai vu les ravages provoqués sur les pommes par le puceron cendré : partout où il passe, le fruit ne sera jamais acheté par le consommateur, l'arboriculteur qui m'en parlait était au bord des larmes, c'est une réalité cruelle. Et il faudra des années avant qu'on puisse utiliser des techniques comme l'insecte stérile ou d'autres alternatives, l'Inrae le dit très clairement dans son rapport remis le 28 octobre dernier. Chaque fois que l'on parvient à trouver des alternatives, je m'en réjouis profondément.
La mission Afaar porte également des crédits pour les haies, pour le fonds hydraulique agricole et pour la rénovation des vergers. M. Salmon, je sais que le sujet vous est très cher puisque vous y avez consacré une proposition de loi. Je regrette avec vous de ne pas disposer d'1,2 milliard d'euros comme mon prédécesseur pour lancer la planification écologique, mais il s'agissait d'une période d'amorçage et, aujourd'hui, la France est dans une situation budgétaire terrible. Cependant, nous avons triplé le bonus « haies » à l'éco-régime de la PAC, qui est passé de 7 à 20 euros l'hectare cette année : ce n'est pas indifférent. Nous avons mis en place le guichet unique en lien avec la simplification normative et nous avons simplifié l'arrachage pour la replantation, puisqu'il y a des haies qui le nécessitent. Nous poursuivons la mise en place de l'Observatoire de la haie, avec un investissement d'un million d'euros. Nous avons lancé un appel à projets spécifique à Mayotte pour la gestion de la haie, ainsi qu'un autre relatif à la gestion durable et à la valorisation aval du bois bocager pour un peu plus de 9 millions d'euros. Des outils pédagogiques ont été produits pour les lycées agricoles, et les actions CAP'Haies représentent 380 000 euros en 2025. Nous avons également financé des dossiers de plantation de haies : 10 millions d'euros sont prévus en 2026, contre 8 millions d'euros en exécution en 2025. Nous avons également, dans la loi d'orientation agricole, simplifié le régime de la haie, qui était extrêmement compliqué. Nous ne sommes donc pas inactifs sur le sujet des haies...
Sur le fonds Avenir bio, je dois préciser les chiffres pour qu'il n'y ait pas de malentendu. M. Cabanel, vous évoquez les 18 millions d'euros qui figuraient dans la loi de finances initiale pour 2025. Ce fonds a subi un rabot de 10 millions d'euros, un montant qui correspondait à une aide exceptionnelle ; son rythme de croisière était donc de 8 millions d'euros, je l'ai porté à 8,8 millions d'euros, soit une augmentation de 10 %. Entre-temps, j'ai créé un programme opérationnel sur le lait bio, j'ai pérennisé le crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique et j'ai porté l'écorégime à 110 euros l'hectare. Le bio est donc bien dans mon viseur.
Des emplois avaient été supprimés l'an dernier dans la formation agricole, nous en retrouvons cette année : cela va dans le bon sens et cela n'a pas été facile.
Votre proposition sur le livret d'épargne dédié au foncier agricole est intéressante. Je me suis beaucoup intéressée à ce sujet lorsque j'étais députée ; je me souviens d'avoir déposé des amendements sur le foncier agricole dans la loi d'avenir agricole défendue par le ministre Le Foll. C'est une mesure compliquée à mettre en place, comme tout ce qui touche à la propriété foncière, mais il faut s'y intéresser. Sans accès au foncier, il n'y a pas de renouvellement des générations, pas de souveraineté alimentaire : c'est la base. Il faut conserver le foncier agricole comme la prunelle de nos yeux. La création d'un livret d'épargne exclusivement pour le foncier agricole avec un taux garanti serait intéressante pour l'acquisition foncière par les jeunes agriculteurs et le renouvellement des générations. Toutefois, j'ai été surprise d'apprendre par le rapport du CGAER sur l'installation et la transmission, que la part du foncier agricole dans l'actif agricole n'est pas si importante. Cette année, j'ai obtenu plusieurs mesures fiscales qui facilitent la transmission des exploitations aux jeunes agriculteurs, ainsi que l'extension du pacte Dutreil. Le portage foncier est possible aussi via le volet foncier du Fonds entrepreneur du vivant, qui permet de différer la charge d'acquisition pour que les jeunes agriculteurs puissent asseoir leur activité. Il faut évaluer ces outils, et aussi votre proposition d'un livret d'épargne dédié : je m'engage à y travailler.
Enfin, les difficultés sont majeures pour la viticulture. J'ai pris un ensemble de mesures en 2025 : des prêts de trésorerie conjoncturelle bonifiée, des prêts de consolidation à long terme sur douze ans garantis à 70%, une aide d'urgence de 9 millions d'euros aux jeunes vignerons touchés par la répétition des aléas climatiques et une aide d'1 million d'euros aux pépiniéristes viticoles. Quand on arrache, le marché des pépiniéristes se retrouve en panne. S'y ajoutent une enveloppe d'allègement des charges sociales MSA de 5 millions d'euros dédiée à la viticulture, et 110 millions d'euros pour l'arrachage, engagés en 2024 et reportés en 2025. La manifestation de Béziers a été puissante et témoigne du très grand mal-être viticole : c'est probablement l'un des secteurs agricoles les plus en difficulté aujourd'hui et il requiert toute notre attention et notre solidarité. J'ai réuni la filière le 6 novembre et lui ai fixé un nouveau rendez-vous le 24 novembre pour proposer des réponses aux difficultés sévères que rencontrent de nombreux vignobles. Mais là encore, il faut convaincre, ce n'est pas facile. Au-delà de ces mesures d'urgence, nous devons impérativement préparer l'avenir pour une viticulture conquérante et pas uniquement défensive. C'est tout le sens de l'action que j'envisage de conduire. J'espère vous recevoir très prochainement pour la remise de votre rapport, auquel je porte une grande attention.
Enfin, l'aide au répit est destinée aux agriculteurs en grand malaise, en burn-out, qu'il faut épauler pour qu'ils reprennent leur souffle, du courage et du recul ; pour les maires agriculteurs, il faudrait plutôt regarder du côté du service de remplacement, qui aide les maires à consacrer du temps à l'exercice de leur mandat.
J'ai déjà répondu sur le MACF, aussi bien que sur notre dépendance aux engrais. Il faut absolument retirer le malus ou faire baisser les droits de douane de certaines destinations comme le Nigéria. Trinité-et-Tobago constituait une piste mais le pays est soumis au régime des droits de douane des États-Unis. Il est clair que le fait que nous ne nous fournissions plus en Russie est un vrai problème. Nous avons effectivement un problème structurel d'autonomie sur la production d'engrais. M. Bleunven, je vous rejoins quand vous dites que les céréales importées, dès lors qu'elles sont traitées avec des engrais carbonés, doivent être concernées par ce MACF. Je pense qu'elles le seront ; sinon, je ne comprends pas le fonctionnement de ce mécanisme...
Un mot sur le bouclier tarifaire pour l'eau utilisée dans l'agriculture. L'eau étant un sujet qui relève du ministère de la transition écologique, je me suis rapprochée de ma collègue Agnès Pannier-Runacher. Des entreprises agroalimentaires font de grands efforts pour économiser l'eau, elles innovent - j'ai visité une serre biotech en Île-de-France, autonome en eau, qui produit beaucoup ; c'est fabuleux. Tout le système agricole et agroalimentaire tente de s'adapter à la rareté de la ressource et à la nécessité de l'économiser. Ces efforts sont assez peu reconnus, parce que la question de l'eau agricole et agroalimentaire est injustement résumée à celle, idéologique, des bassines : quand on parle de l'eau agricole, on ne parle que des bassines, comme si c'était le seul sujet. La loi Duplomb-Menonville a consacré la légitimité du stockage de l'eau. Cela ne veut pas dire que les projets ne peuvent pas être attaqués ; nous sommes dans un pays démocratique. Mais que les projets soient systématiquement attaqués est une honte. Le systématisme est scandaleux, car sans eau, il n'y a pas de production agricole, pas de souveraineté alimentaire - et alors, nous serions complètement dépendants des importations, et impuissants face à l'effondrement de notre commerce extérieur.
La question de l'eau est donc fondamentale, et il faut examiner la piste d'un bouclier tarifaire. Un amendement a été présenté à l'Assemblée nationale, il a été rejeté à deux voix près. Il faut aussi faire en sorte que quand on taxe davantage l'eau, on tienne compte des efforts déjà réalisés par les agriculteurs, ou bien on décourage les économies. Il faut plus de cohérence dans les taxes, nous raisonnons trop en silo ; voyez ce qui se passe pour les sucreries : pour des raisons de santé publique, on dit à raison qu'il faut consommer moins de sucre, mais on ne reconnaît pas les efforts de l'agroalimentaire dans ce sens, ni ses efforts pour consommer moins d'eau, et les taxes comportementales aboutissent à surtaxer les filières qui n'ont plus les moyens de réaliser les investissements pour diminuer leur consommation d'eau. Le bouclier tarifaire pour l'eau, tel qu'il est prévu, est trop restrictif, nous en avons conscience. À ce stade, les 200 entreprises les plus touchées bénéficieront du bouclier dès que leurs factures dépasseront un certain montant. C'est pourquoi les agences de l'eau doivent aussi mobiliser leur budget pour accompagner les industries agroalimentaires vers la modernisation de leurs outils, afin qu'elles consomment moins. Il faudra également rouvrir le sujet de la réutilisation de l'eau, qui permet de développer des pratiques plus économes afin de limiter les prélèvements sur le réseau. Je sais que votre présidente y est sensible ; elle m'a interrogée sur cette question lors d'une séance de questions orales sans débat.
M. Gérard Lahellec. - Je partage votre souci de promouvoir l'acte de produire. Je viens de Bretagne, une région d'élevage. Si l'élevage ne constitue pas toute l'agriculture, il en est un bon dénominateur commun. Or, les indicateurs de production ne sont pas bons : la filière lait, en particulier, subit un recul très net de la production - et je ne sais pas si notre balance commerciale est encore excédentaire pour le lait. En Bretagne, l'agroalimentaire représente 65 000 actifs : l'agriculture et l'agroalimentaire sont à la Bretagne ce que la sidérurgie fut à la Lorraine - et si nous ne les défendons pas, nous aurons de grands soucis à nous faire.
Merci d'avoir rappelé que votre budget ne fait pas tout. Je pense à la PAC, à l'accord UE-Mercosur... L'acte de produire appelle à produire autrement. La compétitivité ne signifie pas qu'on doive faire toujours plus vite - surtout si on avance vers un mur. Je vous dis le fond de ma pensée : l'agriculture devrait être considérée comme un bien public à défendre. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons eu la chance d'avoir été pauvres en eau avant tout le monde : nous avons dû nous adapter dès les sécheresses de 1976, nous nous sommes alors posé la question de l'eau pour tous. Et c'est pourquoi nous avons trois barrages interconnectés - un ensemble qui pourrait s'avérer insuffisant à l'échelle de la région puisqu'une étude récente indique qu'aux conditions actuelles, nous serions déficitaires de 52 millions de mètres cubes par an. Nous avons donc également besoin de réserves d'eau, ce qui ne pourra se faire que si nous partageons une ambition publique pour traiter cette question.
Plus prosaïquement, ce ne sont pas forcément les activités les plus captives qui ont besoin d'être soutenues. Je ne dis pas qu'il ne faut pas soutenir les actes de production, mais certaines choses ne se feront pas si nous n'affichons pas une véritable ambition pour qu'elles se réalisent. Je pense à la planification écologique - ce n'est pas un gros mot -, à la promotion d'une agriculture différente, aux crédits pour le bio ou encore à l'enseignement public. Nous avons besoin de cette ambition publique pour ne pas nous contenter de soutenir ce que nous savons déjà bien faire, mais pour ne pas craindre de mettre des choses nouvelles en perspective.
Enfin, s'agissant de la forêt, elle ne peut pas être seulement un sous-ensemble ou un sous-produit de la question environnementale : elle est essentielle, tout comme l'agriculture.
Mme Annick Jacquemet. - Madame la ministre, je suis très satisfaite de vous retrouver à ce ministère qui, je le sais, vous tient à coeur et dans lequel vous mettez toute votre énergie. Je vous remercie pour l'hommage appuyé que vous venez de rendre à mes confrères vétérinaires pour leur mobilisation dans la vaccination contre la DNC : cet hommage est largement mérité.
J'ai une question précise, sur les modalités d'intervention contre la DNC. Dans la zone protégée, des éleveurs qui doivent déplacer un bovin me disent qu'ils sont obligés, à chaque fois, de faire venir le vétérinaire pour une visite, que ce soit pour un vêlage, pour rentrer des vaches : est-ce qu'un dédommagement est systématiquement prévu ?
Ma deuxième question concerne les fruitières : y a-t-il un dédommagement pour compenser la rupture d'approvisionnement en lait des fruitières lorsque leurs fournisseurs ont été impactés par la crise ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - L'action 23 du programme 149, qui soutient le renouvellement et la modernisation des exploitations agricoles, recule de 10% en AE et de 20% en CP. Les aides au stage, à l'installation, à la modernisation des Cuma, à la dotation jeune agriculteur, à la cessation d'activité ou encore à la modernisation des exploitations seront donc impactées. Ces choix budgétaires sont-ils pertinents dans notre contexte de crise des vocations et de crainte sur la capacité de la France à renouveler la génération d'agriculteurs qui partira à la retraite d'ici à 2030 ? Ils sont incompréhensibles du point de vue de la démographie agricole. Quelle politique d'installation envisagez-vous ?
Lorsqu'il était Premier ministre, et que vous étiez sa ministre de l'agriculture, François Bayrou avait apporté un soutien clair à l'installation, à Limoges, d'une cinquième école vétérinaire - il a écrit dans ce sens une lettre au président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset. Où en est ce projet ? Le pensez-vous utile pour le maillage du territoire en vétérinaires, pour la promotion du concept " Une seule santé " ? La DNC n'est pas transmissible à l'homme, mais il n'est pas exclu que nous voyions apparaître, dans les prochaines années, une maladie d'origine animale susceptible d'impacter la santé humaine.
M. Daniel Gremillet. - Merci d'avoir été très claire sur la DNC : toutes les conséquences des mesures sanitaires prises pour protéger la santé animale dans nos territoires, y compris les pertes d'exploitation et les pertes indirectes, sont prises en charge par l'État. C'est important de le dire, car nous avons tous été sollicités par des éleveurs inquiets.
Sur les chambres d'agriculture, ensuite, nous ne tenons pas assez compte de la façon dont l'agriculture française s'est construite. Auparavant, les chambres d'agriculture déterminaient leur politique de développement et disposaient d'une assise de taxes sur le foncier non bâti qui leur était propre, département par département, en fonction de leur histoire. Dans certains départements, la chambre d'agriculture menait toute la politique de développement ; dans d'autres, parfois voisins, les coopératives assuraient ce rôle, ce qui explique des différences de personnel et des niveaux de taxes à l'hectare très différents. Or, les obligations que nous imposons aujourd'hui ne changent rien aux niveaux de ces taxes, sauf que les moyens n'arrivent plus de la même manière aux départements contributeurs, avec des choix de financement sous contrôle national et régional. Nous sommes face à une terrible inégalité de traitement et de fiscalisation sur le développement agricole. Il y a là un vrai sujet, Madame la ministre, que le projet de loi de finances doit avoir le courage d'aborder : les écarts peuvent aller du simple au triple d'un département à l'autre, ceci du fait de l'histoire.
Enfin, ce n'est pas le lieu donc je n'en parlerai pas, mais il faudra débattre aussi de l'organisation des marchés car je pressens des zones de turbulences à traverser en 2026. Alors que nous avons mis en place un arsenal pour maîtriser la ferme France, nous voyons qu'il y a de grandes distorsions d'un pays à l'autre dans l'Union européenne, que les prix payés aux agriculteurs sont plus élevés chez nos voisins et que, pour autant, le prix de marché dans les négociations commerciales est moins élevé qu'en France. Il faudra nous expliquer comment c'est possible... Cette démarche n'a rien à voir avec la commission d'enquête sénatoriale créée à l'initiative du groupe Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires sur les marges des industriels et de la grande distribution.
Mme Annie Genevard, ministre. - La filière lait est très importante, il faut fiabiliser les coûts de production. La dégradation de notre balance extérieure tient au fait que nous importons du lait et des produits laitiers, alors même que nous avons une magnifique filière d'élevage laitier. Cependant, une décapitalisation est à l'oeuvre - et il faut bien y voir un effet catastrophique de la mise en cause perpétuelle de l'élevage : l'élevage serait un contributeur massif à la dégradation de l'environnement, la consommation de viande serait préjudiciable à la santé humaine et les prairies seraient moins efficaces que les forêts dans la captation du carbone, ce qui est parfaitement faux... Le métier d'éleveur est dur, il faut rendre hommage à nos éleveurs et cesser de les montrer du doigt, le discours ambiant anti-élevage et anti-viande n'est plus acceptable. En Bretagne, vous êtes fiers de votre cheptel laitier et vous avez bien raison.
Produire autrement, bien sûr. Avec l'agriculture biologique, l'agriculture raisonnée, la labellisation en bio ou en HVE, les politiques européennes conditionnées pour près de la moitié d'entre elles à des considérations environnementales, les moyens que nous dédions à la production sans intrants ni produits phytosanitaires sont importants et nous n'allons pas y renoncer. Cependant, trop souvent, certains oublient que dans " transition écologique ", il y a le mot " transition " : il faut un peu de temps pour la transition - mais la France est résolument engagée sur ce chemin.
Faut-il regarder l'agriculture comme un bien public ? Oui, nous l'avons qualifiée d'intérêt général majeur, c'est une avancée. Vous avez raison de parler de l'eau - vaste sujet sur lequel le Gouvernement n'est pas inactif. Le partage de l'eau est un axe du plan méditerranéen et du fonds hydraulique, qui privilégie les démarches collectives et les associations syndicales autorisées (ASA). Il y a eu des visionnaires dans les années 1970 qui ont construit de magnifiques barrages. Ce ne serait plus possible, aujourd'hui.
L'intervention systématique du vétérinaire sur laquelle vous m'interrogez, ensuite, est effectivement obligatoire et il n'y a pas d'aide prévue dans ce cas. Nous avons essayé de répondre en facilitant les mouvements chaque fois que c'était possible et nous avons allégé nos exigences dans les zones concernées pour éviter des surcoûts en matière vétérinaire. Bien sûr, une épidémie aussi redoutable que la dermatose a des conséquences économiques, notamment sur les fruitières. Le Covid a eu aussi des incidences, la dermatose en a. J'en suis désolée, mais je vous assure que nous indemnisons et soutenons tout ce que nous pouvons. L'État ne peut pas tout, cependant, et je le regrette comme vous.
La politique visant à renouveler les générations en agriculture est probablement celle qui doit recevoir la plus grande de nos attentions. Il y a les dispositifs fiscaux, mais il y aura aussi tout ce que nous avons prévu dans loi d'orientation agricole, en particulier le dispositif France Services Agriculture. J'ai indiqué au président des chambres d'agriculture que ce guichet devait accueillir tout le monde, et pas seulement les personnes issues du monde agricole, car elles ne seraient pas assez nombreuses. Il faut encourager les personnes en deuxième partie de carrière, ainsi que les femmes qui arrivent massivement en agriculture, notamment dans les métiers de l'élevage. Ce n'est pas un hasard si elles se tournent vers ces métiers : il y a quelque chose de maternant dans cette activité. Il faut aussi encourager les jeunes qui sont attirés par ce secteur sans rien y connaître, car ils seront peut-être d'excellents producteurs ou éleveurs. Les stages, la sensibilisation dans les écoles, le droit à l'essai : tout doit être mobilisé, sans oublier, bien sûr, la formation.
Le projet d'une école vétérinaire à Limoges est intéressant, mais il n'est pas en phase opérationnelle...
M. Christian Redon-Sarrazy. - Il est déjà très avancé...
Mme Annie Genevard, ministre. - Il faut d'abord mener à leur terme les réflexions sur la sixième année d'études, puis nous pourrons discuter de l'opportunité d'ouvrir une nouvelle école, en nous assurant que le projet est bien calibré aux besoins.
Monsieur Gremillet, j'ai dit avant que vous n'arriviez à quel point il était scandaleux que les relations commerciales soient à ce point dégradées, il faut reprendre les choses. Je sais, également, que les 25 millions d'euros que nous avons maintenus pour les chambres d'agriculture vous paraissent insuffisants, mais ils n'ont pas été faciles à obtenir - et l'indexation de la TATFNB sur l'inflation, elle, n'a pas été validée. Je n'ai pas votre connaissance historique des chambres d'agriculture, mais je suis d'accord avec vous pour leur reconnaître un rôle stratégique - et je vous propose que nous continuions nos échanges ultérieurement sur ce point.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup pour votre disponibilité.
Source https://www.senat.fr, le 26 novembre 2025