La surveillance de la qualité des eaux entre prévention et réparation
Introduit en 1972 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le principe pollueur-payeur est officiellement reconnu par les pays de la Communauté économique européenne en 1987.
Quelques exemples permettent d’illustrer l’application de ce principe de prévention ou de réparation à la politique de l’eau :
- l’introduction par la réforme de la politique agricole commune (PAC) de 2003 de la conditionnalité des aides en fonction des bonnes conduites agroenvironnementales des agriculteurs, notamment la “protection des eaux contre la pollution par les nitrates”. La PAC 2023-2027 accroît la conditionnalité des aides en matière d'environnement et introduit la lutte contre la pollution de l'eau par les phosphates ;
- l’accent mis par les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) 2022-2027 sur le renforcement de la prévention en matière de qualité de l’eau, la promotion d’une gestion économe de la ressource et la restauration des continuités écologiques par les agences de l’eau ;
- l’inscription par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de nouveaux principes dans le code de l’environnement, comme la non-régression du droit de l’environnement et la compensation des atteintes à la biodiversité. Est inscrit également dans le code civil un régime de réparation du préjudice écologique pour renforcer et consolider les acquis de la jurisprudence en instaurant le principe du pollueur-payeur dans la loi ;
- le financement du Plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau (ou "Plan eau"), lancé en mars 2023. Il repose en partie sur des redevances pour pollution de l'eau par des activités d'élevage ou par des industriels non raccordés au réseau de collecte des eaux usées. Ces redevances financent les actions des agences de l'eau visant à préserver et restaurer le bon état de la ressource.
Pesticides, micropolluants : la surveillance des pollutions diffuses de l’eau
Les pollutions diffuses affectent la qualité des eaux souterraines et superficielles. Ces pollutions se caractérisent par leur origine non ponctuelle mais issue d’une multitude de sources dispersées dans l’espace et dans le temps, difficilement identifiables.
Des normes de qualité environnementale ont été établies par les autorités européennes et nationales pour l’évaluation des cours d’eau au titre de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000. Cette dernière fixe l’objectif d’un bon état des eaux en 2015. En cas de difficulté à respecter cette échéance, elle peut être repoussée par dérogation à 2021, voire 2027.
Les données utilisées pour la mesure des pollutions diffuses proviennent des résultats de la surveillance physico-chimique des cours d’eau et sont collectées auprès des agences de l’eau pour la France hexagonale et des offices de l’eau pour l'outre-mer. Ces données sur les pollutions diffuses permettent d’établir des bilans réguliers de la présence de pesticides et d'autres polluants dans les cours d’eau et d’apprécier leur évolution.
Les actions à réaliser dans chaque bassin hydrographique pour atteindre l'objectif de la directive-cadre sur l'eau (DCE) sont présentées dans les SDAGE et les programmes de mesures qui les accompagnent. Les SDAGE sont élaborés selon des cycles de six ans ; les premiers ont couvert les périodes 2010-2015 et 2016-2021.
La surveillance des pesticides dans les cours d’eau et les eaux souterraines
L’indice d’évolution des pesticides dans les cours d’eau est extrait du cumul des concentrations moyennes annuelles, pondérées par le seuil d’écotoxicité propre à chaque pesticide. Selon une étude du ministère en charge de l’environnement, "Eaux et milieux aquatiques : les chiffres clés - Édition 2020", l'indice pesticides (niveau de contamination chronique par les produits phytopharmaceutiques) dans les cours d'eau baisse d'environ 20% depuis 2008. Dans les eaux souterraines, sur les 760 substances phytopharmaceutiques recherchées, 46% ont été quantifiées (contre 40% des 660 étudiées en 2010). 37% d'entre elles sont des substances interdites et 9% sont des métabolites de substances interdites.
Près de 80% des 2 340 points de mesure des réseaux de surveillance de la qualité des eaux souterraines sont concernés par la présence d’au moins un pesticide.
Les bassins touchés correspondent aux zones de grandes cultures, de type céréales et assimilés (Beauce, Bassin parisien, Hauts-de-France, etc.). Les secteurs viticoles du pourtour méditerranéen et la Martinique (pollution historique au chlordécone) sont également concernés.
La stratégie Écophyto 2030, publiée en mai 2024, fixe l'objectif de réduire de 50% l'utilisation et les risques globaux des produits phytopharmaceutiques d'ici 2030 par rapport à la moyenne de la période 2011-2013. Elle prévoit l'adoption d'un arrêté interministériel définissant la notion de captages "prioritaires et sensibles", l'actualisation de la liste de ces captages et l'élaboration d'un "guide de gestion des risques" destiné aux collectivités locales.
Pesticides et métabolites dans l'eau
Le 22 novembre 2024, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) alerte sur des concentrations en pesticides et en métabolites, observées à des taux supérieurs aux limites de qualité réglementaire dans certains départements. Les analyses disponibles révèlent que "la qualité des eaux brutes est dégradée voire très dégradée dans plusieurs départements et pourrait impacter à court terme l'alimentation en eau potable". Par exemple, la concentration de chloridazone desphényl, un métabolite de pesticide, dépasse 3 µg/l sur certains captages (pour une valeur seuil prise en compte de 0,1 µg/l). Près de 15% des captages dépassent la valeur seuil. Les zones concernées correspondent en grande partie aux zones de culture de la betterave industrielle (Aisne, Oise, Somme, Pas-de-Calais, Marne, Calvados, Cher, Loiret, Seine-et-Marne, Aube).
La surveillance de la concentration en nitrates d’origine agricole
La délimitation des zones atteintes ou menacées par la pollution de nitrates d’origine agricole résulte de l’application de la directive européenne 91/676/CEE du 12 décembre 1991, communément appelée “directive nitrates”. L’application nationale de cette directive se concrétise par la désignation de zones vulnérables où les concentrations en nitrates approchent ou dépassent le seuil de 50 milligrammes par litre.
Elle impose une désignation de zones atteintes, l’élaboration et la mise en œuvre de programmes d’action par les agriculteurs ainsi qu’une surveillance des concentrations en nitrates et apports azotés dans les eaux de surface et souterraines. Sont considérées comme zones vulnérables les zones dans lesquelles :
- les eaux souterraines et les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées aux captages d'eau pour la consommation humaine, ont une teneur en nitrates supérieure à 50 milligrammes par litre ;
- les eaux des estuaires, les eaux côtières et marines ainsi que les eaux douces superficielles subissent une eutrophisation à laquelle contribue l'enrichissement de l'eau en composés azotés provenant de sources agricoles.
Les zones vulnérables sont désignées par les préfets coordonnateurs de bassin. Elles sont révisées au moins tous les quatre ans, sur la base des résultats des campagnes de surveillance de la teneur des eaux en nitrates. Elles l'ont été en 2020-2021 à partir des analyses des eaux souterraines et superficielles réalisées en 2018-2019. À l'issue de cette révision, 73% de la surface agricole utile nationale est classée en zones vulnérables (+10% par rapport à 2016).
En application de la directive "nitrates, le programme d'actions nitrates (PAN) définit les mesures applicables dans les zones vulnérables. Le PAN est un arrêté interministériel des ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture. Il précise les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre les pollutions des eaux par les nitrates, c'est-à-dire les mesures de bonne gestion des fertilisants et les mesures visant à limiter les fuites de nitrates au niveau des parcelles agricoles. Conformément à la directive "nitrates", le programme d'actions doit être révisé tous les quatre ans. Le PAN peut être complété par des plans d'actions régionaux (PAR) adaptés aux spécificités locales. Le respect des mesures du PAN par les agriculteurs conditionne le versement des aides issues de la PAC.
Le septième PAN, publié le 10 février 2023, s'applique depuis le 1er janvier 2024. Il met l'accent sur la protection des captages et des bassins touchés par des échouages massifs d'algues vertes.
Le Plan eau, lancé à la suite de la sécheresse de l'été 2022, vise notamment à prévenir les pollutions diffuses et, en particulier, à mieux protéger les aires d'alimentation de captage. Il prévoit de limiter l'usage des produits phytopharmaceutiques et de favoriser l'agriculture biologique sur ces zones.
La réduction des micropolluants
Pesticides, métaux lourds, hydrocarbures, polychlorobiphényles (PCB), médicaments... En France, près de 56% des rivières et 29% des nappes souterraines sont en mauvais état chimique en 2019, selon les paramètres définis par la DCE. La diversité des micropolluants, leur présence en faible concentration et leurs possibles interactions soulèvent de nombreuses questions quant à leurs effets potentiels sur la vie aquatique et la santé humaine.
La DCE (2000) et les plans de lutte contre les micropolluants 2010-2013 et 2016-2021 imposent de connaître et de réduire, voire de supprimer, les émissions de substances dangereuses vers les milieux récepteurs pour préserver la qualité des milieux aquatiques et la santé des personnes.
Le plan national de lutte contre les micropolluants 2010-2013 a permis la mise en œuvre de campagnes exploratoires afin d’établir la présence ou non de molécules jusque-là peu ou pas recherchées dans les milieux aquatiques comme les parabènes, le bisphénol A, l’aspirine ou encore la caféine.
Le plan de lutte contre les micropolluants 2016-2021 est construit à partir des plans nationaux de lutte contre les PCB, les micropolluants et les résidus de médicaments parvenus à leur terme. Ce plan a vocation à intégrer toutes les molécules susceptibles de polluer les ressources en eau. Il fait suite à la publication en mai 2014 de la première Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et est intégré au troisième Plan national santé environnement (PNSE), lancé en décembre 2014.
Dès les années 1990, des cas de contamination de l'environnement par les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) sont identifiés aux États-Unis puis dans plusieurs pays européens, dont l'Italie, la Belgique et la Suède. Les analyses s'affinent et se multiplient dans le monde, accélérant la prise de conscience de leur toxicité. Ces molécules issues de l'industrie chimique, très persistantes dans l'environnement, sont dénommées "polluants éternels". La population y est de plus en plus exposée, principalement par la consommation d'eau.
Le gouvernement adopte, en janvier 2023, un plan d'action ministériel sur les PFAS. Un arrêté du 20 juin 2023 vise à surveiller les rejets aqueux de quelque 5 000 installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) susceptibles de produire ou d'utiliser des PFAS.
En avril 2023, un rapport de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) analyse les risques de présence de PFAS dans l'environnement. Il souligne que ces substances sont largement méconnues et que la France n'en réglemente aucune dans le contrôle des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation. La réglementation des émissions industrielles encadre très peu les rejets en PFAS, et leur suivi est lacunaire. Concernant le contrôle de la contamination des milieux aquatiques, un seul PFAS, l'acide perfluorooctanesulfonique (PFOS), fait l'objet d'une norme de qualité environnementale (NQE) européenne. Le rapport recommande de mettre en place un réseau scientifique et un programme dédiés, ainsi qu'une feuille de route listant les actions à mener pour mieux maîtriser les contaminations par les PFAS.
En janvier 2024, le député Cyrille Isaac-Sibille remet au Premier ministre un rapport intitulé "PFAS : comment faire marche arrière ?". Il propose la feuille de route suivante :
- interdire les rejets industriels de PFAS et compléter en ce sens l'arrêté du 20 juin 2023 en fixant des échéances (trois, six ou neuf mois) ;
- recenser les sites pollués et abaisser les valeurs toxicologiques de référence ;
- détruire les stocks de produits renfermant des PFAS (mousses anti-incendie...) ;
- faire adopter une définition et une réglementation européennes des PFAS ;
- restreindre de plus en plus leur production et leur utilisation et encourager le développement d'alternatives ;
- dépolluer en créant une filière de traitement dédiée et soutenir la recherche de moyens moins coûteux de destruction des PFAS. Cela suppose d'instituer une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) et un fonds PFAS financé par les producteurs et permettant aux collectivités de dépolluer les eaux destinées à la consommation humaine.
Le 20 février 2024 est déposée au Parlement une proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS. Adoptée en première lecture par le Sénat le 30 mai 2024, elle prévoit :
- le contrôle obligatoire de la présence de PFAS dans l'eau potable par les autorités sanitaires ;
- l'actualisation des normes sanitaires pour tous les PFAS ;
- la publication annuelle d'un bilan régional de la teneur des eaux potables en PFAS par chaque ARS et d'un bilan national de la qualité de l'eau au robinet par le ministère chargé de la santé ;
- une trajectoire nationale de réduction des rejets aqueux de PFAS par les industries en vue de mettre un terme à ces rejets dans les cinq ans suivant la promulgation de la loi.
En avril 2024, le gouvernement lance un plan interministériel sur les PFAS autour de cinq axes : développer des méthodes de mesure des émissions, des contaminations environnementales et de l'imprégnation des organismes vivants ; mieux évaluer l'exposition des organismes ; renforcer les dispositifs de surveillance des émissions ; réduire les risques liés à l'exposition aux PFAS ; améliorer l'information de la population.
L’assainissement des eaux usées et la qualité de l’eau du robinet
La qualité de l’eau distribuée au robinet du consommateur est soumise à la réglementation du code de la santé publique et fait l’objet d’un contrôle réalisé par les Agences régionales de santé (ARS).
La préservation de la qualité de l’eau répond à une exigence énoncée dans l’article 7 de la directive-cadre sur l’eau visant à “réduire le degré de traitement de purification nécessaire à la production d’eau potable”. Cet objectif, inscrit dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, dite "loi Lema", a été renforcé par les mesures du Grenelle de l’environnement et confirmé par le premier Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), présenté en juillet 2011.
Le deuxième PNACC a pour but de "continuer à améliorer la qualité de l'eau et à veiller à la sécurité sanitaire de cette ressource dans un contexte climatique en évolution, et de préserver les écosystèmes aquatiques". Le troisième Pnacc (2024-2028) est en cours de préparation.
La qualité de l’eau potable dépend des traitements effectués par les services publics d’eau et d’assainissement au cours du “petit circuit de l’eau”. Celui-ci comprend le captage, la production, la distribution, la collecte et le transport des eaux usées, leur traitement et la restitution au milieu naturel. Depuis le décret “Rendement” du 27 janvier 2012, les collectivités territoriales ont l’obligation d'établir un descriptif détaillé de leur réseau et, en cas de mauvais rendement, un plan d’action pour réduire les fuites.
L'un des axes du Plan eau (2023) consiste à optimiser la disponibilité de la ressource en réduisant les fuites et en sécurisant l'approvisionnement en eau potable. 170 collectivités ont des taux de fuites supérieurs à 50%. Il prévoit que les agences de l'eau octroient chaque année 180 millions d'euros d'aides supplémentaires aux collectivités pour améliorer le petit cycle de l'eau.
Afin de rendre plus transparente la gestion des services d’eau et d'assainissement (au nombre de 24 975 en janvier 2024), un Observatoire national des services d’eau et d’assainissement est créé en 2009 au titre de la loi Lema. Depuis le 1er janvier 2016, la saisie auprès de l’observatoire (sur son portail Sispea) d’une série d’indicateurs (économiques, techniques, sociaux et environnementaux) par les communes ou groupements intercommunaux de plus de 3 500 habitants est obligatoire.
L'ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine oblige également les collectivités de moins de 3 500 habitants à publier sur Sispea leurs données de tarification et leurs performances. Cette ordonnance transpose la directive européenne du 16 décembre 2020.
Quels services d'eau potable Outre-Mer ?
Finalisée en février 2022, l'évaluation du plan d’action pour les services d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à la Réunion, Mayotte et Saint-Martin a été publiée le 6 septembre 2024. Cette évaluation dresse un bilan contrasté du plan eau Outre-Mer. Ce plan a été appliqué inégalement selon les territoires en raison de certaines défaillances locales. Son impact direct n’est ressenti nulle part comme positif. Selon le rapport, ce plan a souffert de l’absence d’objectifs clairs et d’engagement réel de l’État. Il a néanmoins permis aux responsables locaux de prendre conscience de la gravité des enjeux de l'eau.