En 2024, alors que près de 2 ,93 millions d'étudiants devaient faire leur rentrée dans l'enseignement supérieur, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), syndicat étudiant, chiffre le coût de la rentrée en licence à 3 157 euros, un montant "considérable", source de difficultés financières et "facteur d'échec académique".
Si la crise sanitaire provoquée par le coronavirus a mis en lumière la situation précaire de certains étudiants, cette précarité touche une proportion constante de la population étudiante, de l'ordre de 25%, au fil des enquêtes menées par l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE) depuis 2016 : "la crise sanitaire les a révélées plus qu’elle ne les a exacerbées."
Qu'est-ce que l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE) ?
L’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) est un organisme public d’études et de recherche créé en 1989 par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. Il a pour mission de donner une information aussi complète et objective que possible sur les conditions de vie des étudiants et sur leur rapport aux études, de manière à éclairer la réflexion politique et sociale.
Source : site de l'OVE.
Le financement des études
Selon l'étude de l'OVE sur les conditions de vie des étudiants en 2023, publiée en mars 2024, le budget étudiant est composé majoritairement comme suit :
- aides de la famille (41%) ;
- revenus d'activités pendant l'année scolaire (27%) ;
- aides publiques (25%).
L'OVE note qu'entre 2020 et 2023, les montants des aides familiales (+20%) et des aides publiques (+ 31%) sont ceux qui ont le plus augmenté.
Des étudiants qui travaillent
Le pourcentage d'étudiants qui déclarent être en activité rémunérée pendant l'année universitaire est de 44%. Parmi eux, ils sont :
- 60% à juger cette activité "indispensable pour vivre" et subvenir à leurs besoins primaires (alimentation, logement, transport, etc.) ;
- un tiers qui estiment qu'il leur serait impossible de mener des études sans travailler ;
- 19% qui considèrent que leur activité a un impact négatif sur leurs résultats scolaires.
Les activités les plus fréquentes sont le métier de vendeur ou caissier dans le commerce ou la distribution (21%), mais aussi ceux de serveur, cuisinier, réceptionniste ou concierge (19%), ainsi que le baby-sitting et la garde d’enfants (18%).
Les emplois liés aux études ont un effet positif sur la réussite. À l'inverse, les étudiants occupant des emplois non liés aux études, à mi-temps ou plus, ont en moyenne quatre heures de cours et quatre heures de travail personnel de moins que ceux qui n'ont pas d'activité rémunérée.
Au-delà d'un mi-temps, une activité professionnelle est jugée comme possiblement concurrente à la réussite scolaire, notamment si elle n'a aucun lien avec les études (6% des étudiants). L'emploi exercé peut être source de stress et de fatigue, et avoir un impact sur la santé, physique et psychologique. Cependant, ceux qui exercent une activité très concurrente des études sont plus nombreux à déclarer qu'elle leur est indispensable pour vivre (86 %).
Dans le même temps et paradoxalement, 73% des étudiants exerçant une activité rémunérée déclarent que celle-ci leur permet d'acquérir une expérience professionnelle.
À partir des résultats d'enquête de l'OVE, en 2020, un rapport de l'Inspection générale de l'administration, de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) relève la diversité des situations face à l'emploi étudiant. Étirement des parcours en cas de concurrence emploi-études, effets favorables sur le projet personnel des étudiants en cas de conciliation, les conséquences sont fonction du type d'activité rémunérée exercée pendant l'année universitaire.
Accompagner les étudiants salariés ?
Un rapport sénatorial de 2021 (L'accompagnement des étudiants. Un enjeu d'avenir) souligne "la nécessité d'un suivi spécifique des étudiants dont l'activité salariée risque d'affecter les chances de réussite qui passe par deux actions :
- une information systématique des étudiants sur les difficultés posées, en termes de réussite universitaire, par un travail concurrent des études en raison d'un nombre d'heures problématique ;
- la mise en place par les établissements d'enseignement supérieur, d'un accompagnement personnalisé des étudiants qui exercent une activité salariée pour éviter que ce travail compromette leur parcours."
La question des aides sociales
Les aides sociales constituent une ressource déterminante des étudiants. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche y consacre plus de 2,5 milliards d'euros en 2024. Pendant l'année universitaire 2022-2023, "dernière année avant la mise en œuvre de la réforme des bourses de la rentrée 2023", 665 000 étudiants ont perçu une bourse sur critères sociaux (BCS). Cela représente une baisse de 7,6% en un an, liée à la diminution du nombre d'étudiants éligibles.
S'ajoute l'aide personnalisée au logement (APL), une prestation sous condition de ressources visant à couvrir une partie des frais de loyer, qui concerne quelque 780 000 étudiants (chiffres 2022).
À la rentrée universitaire 2023, une revalorisation des bourses est intervenue : en moyenne, les bourses dispensées sur critères sociaux ont été augmentées de 37 euros par mois – une hausse jugée insuffisante par plusieurs fédérations et syndicats étudiants par rapport à l'inflation des coûts de la vie étudiante. En outre, la réforme des BCS conduit, selon le ministère, à ce que "35 000 étudiants, issus des classes moyennes, vont devenir boursiers, alors qu’ils n’auraient pas bénéficié de cet accompagnement si les paramètres demeuraient inchangés".
La question des APL s'ajoute aux préoccupations étudiantes. Après l'annonce d'une diminution de cinq euros par mois en 2017, une nouvelle réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2021 : le calcul du montant d’APL est actualisé chaque trimestre, sur la base des revenus des douze mois précédents, au lieu des revenus de l'année N-2 ("contemporanéisation"). Selon une enquête de l’Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ), durant l'année scolaire 2020-2021 :
- 39% des jeunes ont connu une baisse des APL pour un montant moyen de 118 euros mensuels, quand 15% ont connu une hausse (montant moyen de 49 euros) ;
- pour l’ensemble des jeunes, la baisse moyenne est de 38,50 euros par mois.
Des logements de moins en moins accessibles
La plupart des grandes villes françaises enregistrent une hausse continue des loyers depuis plusieurs années.
Pour la rentrée 2024, selon les chiffres de la FAGE, le seul loyer représente en moyenne 45% des frais de vie courante d’un étudiant (à 563 euros soit +2,51% en un an), et près de 50% en Île-de-France (688 euros). De forts écarts subsistent entre les villes. Selon l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (OLAP), entre 2010 et 2020, les loyers (secteur libre, non meublé) ont connu une augmentation de 19% à Paris et 15% en petite et grande couronnes.
Pour sa part, le Cnous a décidé le gel des loyers des logements administrés par les différents Crous en 2020. Une mesure reconduite jusqu'à la rentrée 2023. Le "dégel", à la rentrée 2024, se traduirait selon l'UNEF, syndicat étudiant par une hausse de 3,5% des loyers des résidences Crous.
Résidences Crous : des capacités insuffisantes
Les Crous font face à une forte demande de logements sans avoir les capacités de loger l'ensemble des demandeurs. Au niveau national, ils ne peuvent héberger qu'un quart des 675 000 étudiants boursiers. Une situation qui s'observe dans la plupart des grandes villes étudiantes françaises, même si certaines académies sont plus en tension que d'autres.
Selon une table ronde du Sénat, en 2021, au niveau national, seulement 6% des étudiants bénéficient d'un logement Crous. De façon globale, environ 13% des étudiants sont logés dans des résidences dédiées (375 000 places) : 175 000 relèvent du Crous, 60 000 du parc social (2%) et 140 000 du parc privé (5%).
Afin d'améliorer les conditions de vie des étudiants (vétusté du parc, notamment) et de compléter l'offre de logements, pour être en mesure de faire face aux besoins, des plans de construction ont été engagés. Un premier plan lancé en 2013 avait permis la construction de 40 000 logements étudiants. En 2017, un second plan visant la construction de 60 000 logements étudiants d'ici à 2022 (20 000 devant être gérés par le Crous) n'a pas atteint son objectif, pour partie en raison de la crise Covid.
Une "décohabitation" plus tardive
La "décohabitation" désigne le fait de quitter le domicile parental. Après une hausse de 36% en dix ans, pour atteindre 69% d'étudiants décohabitant en 2016, la situation s'inverse et la décohabitation a lieu de plus en plus tard. Elle augmente avec l’âge des étudiants : si à 18 ans ou moins, en 2023, 47% des étudiants vivent encore chez leur(s) parent(s), dès l’âge de 21 ans, ils ne sont plus que 31% à être dans cette situation (chiffres : OVE).
L'étude sur les 16-25 ans à Paris (portrait social et démographique) de l'atelier parisien d'urbanisme (APUR), en 2019, montrait qu'en Île-de-France, 46% des jeunes âgés de 25 ans et nés à Paris vivaient encore chez leurs parents en 2018 contre 32% en 1999.
Cette situation tient notamment, d'une part, à l’allongement du temps passé en études, d'où une entrée plus tardive sur le marché de l’emploi, et d'autre part à la précarisation de l’emploi. À cela s'ajoute le prix élevé des loyers.
Cette tendance d'une décohabitation de plus en plus tardive touche principalement les grandes villes. Les jeunes nés dans les petites et moyennes villes doivent le plus souvent partir de leur lieu de résidence pour étudier.
Projection des effectifs dans l'enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031
Selon les projections 2022-2031 du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (étude parue en 2023), les inscriptions lors de la rentrée 2022 auraient augmenté de 0,5% en un an, ce qui représentait 14 000 étudiants supplémentaires. À la rentrée 2023 elles devaient encore progresser (+ 14 800 étudiants).
Si les tendances actuelles en termes d’orientation et de poursuite d’études des bacheliers se prolongent, on attend 3,03 millions d'étudiants en 2026, soit 55 000 étudiants de plus qu'en 2021. Puis du fait de la démographie, l'effectif reviendrait en 2031 à 3,02 millions.
Le ministère souligne que cette croissance est portée notamment par la forte croissance en apprentissage en STS.
Une santé qui se dégrade ?
À l'heure où les études supérieures se démocratisent et où la population étudiante augmente d'année en année, la santé devient un enjeu social primordial.
La question de l'alimentation
Dans l'enquête de l'OVE, en 2023, 22% des étudiants déclarent "sauter souvent" des repas. Les raisons sont multiples :
- 13% de l’ensemble des étudiants le font pour économiser du temps ;
- 9% par manque d’organisation ;
- 8% pour des raisons financières.
Des inégalités face à l'alimentation
Seuls 52% des étudiants déclarent avoir suffisamment de tous les aliments qu'ils souhaitent manger. 13% indiquent ne pas avoir assez à manger (dont 3% régulièrement).
28% des étudiants déclarent avoir eu besoin de l'aide alimentaire (bons d’achat CROUS, Restos du cœur, banque alimentaire, épicerie solidaire, etc.) durant l'année 2023.
Pour permettre aux étudiants boursiers d'accéder à un repas complet à un tarif réduit, le repas à 1 euro a été institué dans les restaurants universitaires du Crous à la rentrée 2020. Fin janvier 2021, durant le Covid, le dispositif a été étendu aux non-boursiers. Entre cette date et avril 2021, près de 5,5 millions de repas ont été distribués. Le dispositif n'a pas été reconduit à la rentrée 2021 pour les non-boursiers.
Un renoncement aux soins
Les étudiants sont aussi davantage concernés par le phénomène du renoncement aux soins. Selon l'enquête réalisée pour l'année 2023 par l'OVE, 34% des étudiants affirment avoir déjà renoncé au moins une fois à des soins au cours des douze derniers mois pour des raisons financières.
Cependant les raisons du renoncement aux soins ne sont pas toutes liées à des contraintes financières, le manque de temps et "l'attente que cela passe" sont également cités. Pour tous les types de soins, les étudiantes renoncent plus souvent que les étudiants.
Les étudiants étrangers sont également touchés. Ceux ne parlant pas ou peu la langue et ne connaissant pas le système de santé français sont confrontés à des difficultés pour trouver un médecin.
Un état psychologique qui se détériore ?
La santé mentale des étudiants est devenue un enjeu social important, que la période du Covid et l'isolement qu'elle a imposé a mis en évidence. L'enquête 2016 de l'OVE pointait "le non-recours aux soins des étudiants souffrant d'un épisode dépressif majeur". 8% des étudiants souffrent de troubles psychiques. Il est estimé que 75% des pathologies psychiatriques débutent avant l'âge de 24 ans. Les études correspondent à une période de changement dans la vie de l'individu et les étudiants sont susceptibles d'être soumis à plusieurs formes de pressions : réussite académique, difficultés financières, intégration sociale...
Une prise en charge des troubles psychologiques
Le site Santé Psy Étudiants présente les démarches à suivre pour consulter gratuitement un psychologue, pour un total de douze séances prises en charge par les universités, renouvelables chaque année. À la rentrée 2024, plus de 60 000 étudiants ont bénéficié de ce dispositif depuis son lancement en février 2021.