La politique commerciale de l’Union européenne (UE) suscite de nombreux débats qui se sont renforcés depuis la pandémie du Covid-19 et la remise en cause de la mondialisation qu'elle a entraînée. La Commission européenne défend les accords de libre-échange qu'elle a négociés en mettant en avant leurs bénéfices économiques et leur contribution au développement économique et politique de l’UE. Cependant, le contexte international évolue, la mondialisation cède peu à peu la place à une régionalisation des flux commerciaux, le recours à l'unilatéralisme s'accroît et la défense de la sécurité économique devient un défi. L'UE a adopté, début 2021, une nouvelle stratégie pour sa politique commerciale et a défini en 2023 une stratégie européenne en matière de sécurité économique.
L'UE, une puissance commerciale
L'Union européenne est l'un des principaux acteurs mondiaux du commerce international avec la Chine et les États-Unis. En 2022, elle se place avec un volume d’échanges de biens (exportations et importations) de 5 575 milliards d'euros entre la Chine (environ 400 milliards d'euros de plus) et les États-Unis (environ 400 milliards de moins).
Pour l'UE, la prospérité repose sur le commerce international et l'économie européenne est l'une des plus ouvertes au monde. Au-delà de ses avantages économiques, l'Union européenne considère que sa politique commerciale joue un rôle majeur dans la promotion de ses valeurs (soft power).
En 2022, l'UE des 27 a représenté 15,3% des importations mondiales de biens, à la deuxième place au niveau mondial (derrière les États-Unis, 16,3%, et devant la Chine, 13,2%). Pour les exportations, l'UE est également deuxième, mais derrière la Chine (18,2%) .
Selon les données d’Eurostat publiées en janvier 2021, la crise sanitaire liée au Covid-19 a eu un impact sur le commerce extérieur de l'UE. Les exportations de biens de la zone euro en 2020 ont baissé de 9,2% par rapport à 2019. Les importations ont également baissé de 10,8% par rapport à 2019. L'UE a néanmoins maintenu ses excédents commerciaux à un niveau proche de 200 milliards d'euros. Mais le nouveau choc induit par l'invasion de la Russie en Ukraine ainsi que la crise énergétique et inflationniste ont changé la donne. En 2022, l'UE a accusé un déficit de sa balance commerciale de 435 milliards d'euros. En 2023, elle a dégagé un léger excédent de 41 milliards d'euros.
En 2023, les États-Unis sont redevenus le premier partenaire commercial de l'UE devant la Chine et le Royaume-Uni. En 20 ans, l'UE a diversifié ses exportations, les trois premières destinations ne couvrant plus que 42% des exportations (contre 50 en 2022). Du côté de ses importations, on constate une dépendance croissante vis-à-vis de la Chine qui en représente à elle seule plus de 20%, loin devant des États-Unis (14%). Compte tenu de la relative faiblesse des exportations vers la Chine, le déficit commercial se creuse. Il atteint près de 300 milliards d'euros en 2023. Vis-à-vis des États-Unis, c'est l'inverse, l'UE est en excédent : le surplus atteint 155 milliards d'euros en 2023.
| Pays | 2002 | 2023 |
|---|---|---|
| États-Unis | 20,4 | 19,6 |
| Royaume-Uni | 22,8 | 13,1 |
| Chine | 3,3 | 8,7 |
| Suisse | 6,8 | 7,4 |
| Turquie | 2,4 | 4,4 |
| Japon | 3,8 | 2,5 |
| Norvège | 2,5 | 2,4 |
| Reste du Monde | 37,9 | 41,9 |
| Pays | 2002 | 2023 |
|---|---|---|
| Chine | 7,8 | 20,5 |
| États-Unis | 14,7 | 13,8 |
| Royaume-Uni | 17,9 | 7,1 |
| Suisse | 6,0 | 5,5 |
| Norvège | 4,2 | 4,7 |
| Turquie | 2,2 | 3,8 |
| Corée du Sud | 2,1 | 2,9 |
| Reste du Monde | 45,0 | 41,7 |
Source: Eurostat.
Selon les données de la Commission européenne, le commerce international contribue fortement à la création d’emplois : 38 millions d’emplois européens en dépendent, ce qui représente un travailleur sur sept (2021). Au sein de l’UE, l’Allemagne est le pays qui commerce le plus avec les États tiers (19% des importations européennes et 28% des exportations européennes en 2023).
La politique commerciale, compétence exclusive de l'UE...
La politique commerciale est l’une des politiques communes de l’Union européenne, ce qui lui permet de défendre ses intérêts d’une seule voix. L’Union européenne est attachée à un système commercial multilatéral solide reposant sur des règles. Selon l'article 3 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'UE possède la compétence exclusive pour :
- légiférer sur toutes les questions commerciales ;
- parler d’une seule voix dans les négociations commerciales internationales ;
- conclure des accords commerciaux internationaux.
La Commission européenne se charge de représenter l’UE face aux États tiers et aux organisations internationales. Elle ne peut mener plusieurs stratégies commerciales différentes, elle en expose une seule sur la scène internationale. Cependant, le Conseil de l’UE, qui représente les gouvernements des États membres, est consulté par la Commission tout au long des négociations d’accords. Le Conseil vote la signature de l'accord et le Parlement européen possède un droit de veto lors de la ratification de ces accords. Si un accord concerne différents domaines avec une compétence mixte alors tous les États membres doivent le ratifier. Dans ce cas, il s'agit d'un accord dans lequel les parties sont autant l'UE que ses États membres. Les États membres et l'UE ont alors l'obligation de coopérer lors de la négociation, de la conclusion et de l'application de l'accord.
Cette compétence exclusive est encadrée par les traités. L'article 206 du TFUE (puis l’article 207) définissent les objectifs de la politique commerciale menée par l'UE: "l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres".
... en faveur du libre-échange
L'UE défend l'ouverture du commerce mondial comme principal objectif de sa politique commerciale et concentre ses efforts à la réduction des obstacles aux échanges. Ce principe de libre-échange, elle l'applique à l'intérieur - marché commun (devenu marché unique) et union douanière - et vers l'extérieur. L'Europe a rapidement adopté des règles communes envers les pays tiers. Dès 1968, un tarif douanier commun a été mis en place pour toutes les importations extérieures à l’UE.
Pour réaliser son objectif de libéralisation du commerce mondial, l’UE a misé sur le développement des échanges bilatéraux avec les pays hors UE. Des accords commerciaux de différents types ont été conclus :
- les accords de partenariat économique (APE) soutiennent le développement économique des partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ;
- les accords de libre-échange (ALE) ont pour but l'ouverture réciproque des marchés avec les pays développés et les pays émergents ;
- les accords d'association (AA) favorisent, quant à eux, des accords politiques plus larges.
Les négociations commerciales de l'UE avec les pays tiers
L'UE est actuellement engagée dans des négociations commerciales avec les pays tiers et entités suivants :
- Japon (JEFTA) : un accord de libre-échange (ALE) est entré en vigueur le 1er février 2019 ;
- Singapour : un accord de libre-échange et un accord de protection des investissements ont été négociés. L'ALE est entré en vigueur le 21 novembre 2019. L'accord de protection des investissements doit, en revanche, être ratifié par tous les États membres de l'UE ;
- Viêt Nam : un ALE entré en vigueur en août 2020 ;
- Mexique : un nouvel accord a été conclu en avril 2018 (pour les marchés publics en avril 2020). Ce nouvel accord, une fois ratifié, remplacera l'accord global UE-Mexique qui était entré en vigueur en 2000 ;
- CETA : un ALE avec le Canada qui est entré en vigueur en septembre 2017. 17 des 27 pays membres de l'UE l'ont ratifié, la France fait partie des pays qui ne l'ont pas ratifié ;
- Mercosur : négociations conclues le 28 juin 2019 concernant un accord commercial, dans le cadre de l'accord d'association, avec l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay ; des directives de négociation ont été adoptées en 1999. En mars 2023, l'UE a adressé au Mercosur un protocole annexe à l'accord, contenant de nouvelles exigences environnementales et commerciales. mais jugé inacceptable et asymétriques par le Brésil et l'Argentine en décembre 2023 ;
- Chili : négociations en cours en vue de moderniser l'actuel ALE. Un accord a été conclu le 9 décembre 2022, l'accord cadre a été signé par le Parlement européen le 21 février 2024 ;
- Australie et Nouvelle-Zélande : les négociations ont commencé en 2018 avec l'adoption de directives de négociation. L'Australie a mis fin aux négociation en octobre 2023. L'ALE avec la Nouvelle Zélande, signé en 2023, est entré en vigueur le 1er mai 2024 ;
- Royaume-Uni : l’UE et le Royaume-Uni sont parvenus à un accord sur l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni, qui s’applique à titre provisoire à partir du 1er janvier 2021 et est entré en vigueur le 1er mai 2021.
Certaines négociations ont du mal à aboutir, voire sont abandonnées. L'accord entre l’UE et le Mercosur signé en 2019 est dans l'impasse (crainte d'effets négatifs sur des filières agricoles ou alimentaires, sur l'environnement et la santé). Une situation similaire existe avec les États-Unis. Après l’élection de l’ancien président Donald Trump, l’accord entre l’UE et les États-Unis (TAFTA) a été abandonné en 2016.
L'UE souhaite promouvoir ses principes et ses valeurs. Les négociations commerciales en cours, par exemple avec le Mercosur, sont également utilisées comme vecteur de promotion. Cette approche est par exemple illustrée par le règlement de l'UE relatif aux minerais provenant de zones de conflit. Adopté en 2017, il s'applique depuis le 1er janvier 2021. Il garantit que les entreprises de l'UE n'importent des minerais qu'en provenance de sources sûres et responsables.
Une nouvelle stratégie commerciale plus volontariste ?
Transition écologique et numérique, multilatéralisme et commerce loyal
Face au nouveau contexte international marqué par la montée des nationalismes économiques et à une évolution des opinions publiques de moins en moins favorables à la mondialisation mais de plus en plus soucieuses de la protection de l'environnement, la Commission européenne a défini une nouvelle stratégie pour la politique commerciale de l'UE.
Fermeté, environnement et ouverture sont les principes fondamentaux de la nouvelle stratégie commerciale européenne présentée le 18 février 2021. La Commission européenne remodèle sa politique commerciale, axée désormais sur la transition écologique et numérique ainsi que sur le multilatéralisme. L'UE entend rester une économie ouverte mais elle veut veiller au rôle moteur de ses engagements internationaux dans le changement mondial et se défendra contre les pratiques commerciales déloyales (notion "d'autonomie stratégique ouverte").
Les objectifs annoncés par l'Union sont les suivants :
- favoriser la reprise économique post-Covid ;
- conditionner les futurs accords commerciaux au respect de l’accord de Paris ;
- améliorer la capacité de l’UE à défendre ses intérêts ;
- réformer les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
L’UE dit aussi vouloir s’assurer du respect de la concurrence en développant des instruments de défense commerciale contre les pratiques de concurrence déloyale. L'objectif de l’Union est d’établir un commerce loyal et équitable avec les pays hors de l’Union. C’est dans cette optique que l’UE réforme les différentes règlementations en matière commerciale. La législation européenne encadre notamment les investissements directs étrangers (IDE), la lutte antidumping et la défense commerciale.
Le régime des IDE dans l'Union européenne est le plus ouvert au monde si bien que l'UE a pu être taxée de "naïveté" en l'absence de réciprocité de la part de pays investisseurs comme la Chine, par exemple. Aussi, un nouveau règlement est entré en vigueur le 11 octobre 2020. Le règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers vise en particulier les investissements dans les sociétés européennes par des sociétés publiques étrangères. Il prévoit que la Commission peut émettre des avis, à l’adresse d'un État, lorsqu’elle estime qu’un investissement est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de plus d’un État membre. Néanmoins, ce sont les États qui sont les seuls compétents pour définir ce qu’ils entendent par sécurité nationale et ordre public.
L'UE se montre également plus préoccupée des cas de concurrence déloyale. Il y a dix ans, l'absence de fermeté européenne dans le cas de l'industrie photovoltaïque a été pénalisante. Plus récemment, la loi américaine sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act - IRA) de 2022, prévoyant des allègements et subventions pour des entreprises produisant aux États-Unis et favorisant la logique d'acheter américain, ou les subventions chinoises en faveur de la production de véhicules électriques, qui affluent sur le marché européen, mettent les producteurs européens en difficulté.
Depuis 2018, l'UE a ambition d'exiger plus de réciprocité dans les échanges commerciaux et de mobiliser davantage une politique de défense commerciale, telle qu'elle est définie par l'OMC :
- mesures antidumping (lutter contre la pratique consistant, pour une entreprise étrangère, d'exporter un produit à un prix inférieur à celui qu'elle pratique normalement sur son propre marché intérieur) ;
- mesures antisubventions (corriger les effets d'une contribution financières publiques d'un pays tiers conférant un avantage commercial) ;
- mesures de sauvegarde (lorsqu'une industrie est touchée par une augmentation imprévue, brutale et soudaine des importations d'un pays tiers).
Dans ce cadre, en juin 2024, après près de neuf mois d’enquête, la Commission européenne a conclu provisoirement que des droits de douane supplémentaires sur les importations de voitures électriques venant de Chine doivent être appliqués.
Une stratégie pour la sécurité économique
L'UE, comme les pays membres, font face à de nouveau risques. Certains viennent des évolutions technologiques et concernent la souveraineté numérique, d'autres proviennent des récentes évolutions géopolitiques (crise sanitaire, invasion de l'Ukraine par la Russie) montrant l'importance de la sécurité économique. En juin 2023, la Commission européenne et le Haut représentant pour les affaires étrangères ont publié une communication conjointe appelée la "stratégie européenne en matière de sécurité économique".
Elle fait état de l'insuffisante préparation des Européens aux bouleversement géopolitiques impactant les nouvelles technologies critiques, les importations énergétiques ou les terres rares. Quatre risques émanent de ces bouleversements:
- pour la sécurité des chaînes d’approvisionnement ;
- pour la sécurité physique et la cybersécurité des infrastructures critiques ;
- pour la sécurité des technologies et les fuites de technologies ;
- pour les risques d’instrumentalisation des dépendances économiques ou de coercition économique.
Afin de contenir ces risques, l'UE souhaite davantage promouvoir sa base économique et industrielle, renforcer sa compétitivité, être plus vigilante en matière de défense commerciale et développer des partenariats pour la sécurité économique dans une logique multilatérale.