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Budget de la défense : quelles étapes pour le porter à 5% du PIB en 2035 ?

Temps de lecture  14 minutes

Par : La Rédaction

Deuxième poste de dépenses de l’État, le budget de la défense a été porté à 2% du PIB en 2025. Une loi de programmation militaire (LPM) prévoit cette montée en puissance. Mais cette LPM ne prend pas en compte l'adhésion de la France aux nouveaux objectifs de l'OTAN de porter ces dépenses à 5% du PIB d'ici à 2035. Quelles seront les étapes ?

Les objectifs de la loi de programmation militaire

La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 s'inscrivait dans l'Ambition 2030 pour construire un modèle d'armée "complet et équilibré" à la hauteur des enjeux stratégiques. Il a ainsi été décidé de porter l'effort national de défense à 2% du PIB à l'horizon 2025. La LPM 2024-2030 ajuste cet effort sur la période 2025-2027, dans le contexte d'une économie de guerre.

La LPM 2024-2030 vise à assurer la crédibilité dans la durée de la dissuasion nucléaire française, entre autres avec la construction d'un porte-avions nucléaire destiné à remplacer le Charles-de-Gaulle. Elle vise aussi à transformer les armées dans un contexte géopolitique dégradé, qui a vu pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale le retour d'une guerre de haute intensité sur le sol européen, comme l'illustre la guerre en Ukraine. Cette nouvelle LPM prend en compte un environnement stratégique menaçant :

  • terrorisme, notamment en Afrique ;
  • prolifération nucléaire (Iran, Corée du Nord) ;
  • nouveaux champs de conflictualité (cyber, espace, fonds marins…) favorisés par des sauts technologiques rapides, le plus souvent sous une forme hybride.

L’effort financier prévu par la LPM 2019-2025 était de 295 milliards d’euros. Cela représentait une augmentation de 23% par rapport à la période 2014-2018. La LPM 2024-2030 prévoit un effort budgétaire en faveur des armées de 413 milliards d'euros d'ici à 2030, pour porter le budget annuel à 68 milliards d'euros (+3 milliards par an).

Entre 2024 et 2030, la LPM répartit ainsi le budget de la défense en ce qui concerne les fondamentaux, l'adaptation à l'évolution des menaces et les sauts technologiques :

  • renseignement et contre-ingérence (5 milliards d’euros) ;
  • forces spéciales (2 milliards d’euros) ;
  • outre-mer (13 milliards d’euros) ;
  • drones (5 milliards d’euros) ;
  • défense sol et surface-air (DSA) (5 milliards d’euros) ;
  • munitions (16 milliards d’euros) ;
  • maintien en condition opérationnelle (MCO) (49 milliards d’euros) ;
  • innovation et ruptures technologiques (10 milliards d’euros) ;
  • action de la France dans l'espace (6 milliards d’euros) ;
  • cyberdéfense (4 milliards d’euros).

D'ici à 2030, le ministère des armées s'appuiera sur 355 000 militaires et civils ainsi répartis :

  • 275 000 militaires et civils ;
  • 80 000 réservistes opérationnels.

Toutefois, la LPM 2024-2030 pourrait déjà ne plus être adaptée à un contexte géopolitique extrêmement dégradé, notamment avec la guerre en Ukraine. L'objectif des alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) de consentir un effort en défense équivalent à 2% de PIB, objectif des LPM, est désormais obsolète.

Les lois de finances, étapes de la loi de programmation militaire

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) décline le budget de l’État en grands ensembles de politiques publiques, les missions. Le ministère des armées est habituellement concerné par les missions "Défense" et "Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation". D’autres missions peuvent s'y ajouter selon les années. Les missions sont subdivisées en programmes, par exemple, pour la mission "Défense" :

  • environnement et prospective de la politique de défense ;
  • préparation et emploi des forces ;
  • soutien de la politique de la défense ;
  • équipement des forces.

Chaque année, une loi de finances initiale (LFI) affecte des ressources aux différentes missions, en conformité avec la LPM. Depuis 2019, sept LFI (et des lois de finances rectificatives) ont ainsi déterminé le budget du ministère des armées, dans le prolongement des LPM 2019-2025 et 2024-2030.

LFI pour 2019 (budget défense de 35,9 milliards d'euros, hors pensions)

Le budget pour la défense en 2019 (1,82% du PIB) met l’accent sur la protection des combattants à un niveau individuel (casques de nouvelle génération, treillis ignifugés, gilets pare-balles) et sur un plan collectif (blindages et systèmes de protection des sites contre la menace de drones).

Une partie du budget est consacrée au renouvellement des capacités opérationnelles.

LFI pour 2020 (budget défense de 37,9 milliards d'euros, hors pensions)

Les grandes lignes du budget défense 2020 (1,86% du PIB) consistent à combler les capacités déficitaires, à moderniser les matériels et adapter les capacités aux nouveaux espaces de conflictualité.

LFI pour 2021 (budget défense de 39,2 milliards d'euros, hors pensions)

Le budget de la défense croît de 4,5% par rapport à 2020.

Afin de lutter contre la pandémie de Covid-19, le budget prévoit un point "Résilience Covid" consistant en un effort spécifique en faveur du service de santé des armées (+27%).

La montée en puissance des équipements se poursuit (157 blindés Griffon, 20 Jaguar, une frégate multi-missions, trois avions MRTT Phénix).

LFI pour 2022 (budget défense de 41 milliards d'euros, hors pensions)

Le budget des armées augmente en 2022 de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2021 (+9 milliards d'euros par rapport à 2017). Les crédits dégagés permettent des investissements en matière de recrutement (près de 26 000, dont 376 nouveaux postes dans le domaine cyber), d'innovation, dans le cyberespace et le domaine spatial.

Près de 36 milliards d'euros de commandes militaires soutiennent l'économie française.

L'effort de modernisation se poursuit.

LFI pour 2023 (budget défense de 43,9 milliards d'euros, hors pensions)

Les crédits alloués à la mission "Défense" sont en augmentation de 3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023. Dans un contexte international dégradé, les priorités sont données à l'investissement dans :

  • les équipements des forces ;
  • l'espace ;
  • le renseignement ;
  • le cyber ;
  • l'entretien des matériels.

Le renforcement des capacités des armées se poursuit avec la livraison de :

  • 13 Rafale ;
  • 1 sous-marin nucléaire d'attaque ;
  • 3 Airbus MRTT Phénix ;
  • 280 véhicules du programme Scorpion ;
  • 18 chars de combat Leclerc rénovés ;
  • 2 avions de transport militaire A400M ;
  • 1 satellite de télécommunication Syracuse IV.

Les effectifs du ministère des armées sont renforcés de 1 547 équivalents temps plein. 

LFI pour 2024 (budget défense de 47,2 milliards d'euros, hors pensions)

L'augmentation de crédits de 3,3 milliards d'euros représente une hausse de 8% par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 et de 46% depuis 2017. Le contexte stratégique est marqué par le retour de la guerre de haute intensité et des crises majeures.

Le budget est en cohérence avec les objectifs de la Revue nationale stratégique de novembre 2022 (économie concourant à l'esprit de défense, résilience cyber, autonomie stratégique européenne, champs hybrides…) et la nouvelle LPM.

La loi de finances pour 2024 fixe des priorités suivantes :

  • le renforcement de :
    • la préparation opérationnelle ;
    • des capacités de soutien ;
    • des systèmes de défense sol-air et la remontée globale des stocks de munitions ;
  • la modernisation :
    • des infrastructures ;
    • de la dissuasion nucléaire ;
  • la fidélisation des personnels.

L'année 2024 a vu continuer la livraison d'équipements majeurs :

  • 13 Rafale ;
  • 1 sous-marin nucléaire d'attaque ;
  • 1 frégate de défense et d'intervention ;
  • 138 véhicules blindés Griffon ;
  • 103 véhicules blindés Serval.

Un des principaux points de ce budget est la prise en compte des effets de l'inflation, conformément à la LPM 2024-2030, qui la prend en compte à hauteur de 30 milliards d'euros sur la période.

LFI pour 2025 (budget défense de 50,5 milliards d'euros, hors pensions)

Le contexte est particulier, puisque, à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024, les travaux parlementaires ont été interrompus. Une loi spéciale a été promulguée le 20 décembre 2024 afin de permettre le fonctionnement régulier de l'État. La loi de finances pour 2025 a été promulguée le 14 février 2025.

Le budget défense connaît une nouvelle augmentation de crédits de 3,3 milliards d'euros, conformément à la LPM 2024-2030, ce qui le place à 2% du PIB. Les principales caractéristiques de ce budget sont :

  • 31,3 milliards d'euros d'équipements ;
  • 508 millions d'euros pour la dissuasion (+8%) ;
  • 10,6 milliards d'euros d'investissements sur les équipements (+16%) ;
  • 300 millions d'euros pour l'intelligence artificielle, soit 100 millions de plus que ce qui était prévu par la LPM 2024-2030 ;
  • 1,9 milliard d'euros de munitions ;
  • 27 467 recrutements (dont 4 454 agents civils).
Effort national de défense rapporté au PIB (en milliards d'euros)
 2019202020212022202320242025 (provisoire)
Ressources de la mission "Défense"35,937,539,341,845,947,150,5
Autres dépenses (essentiellement pensions)8,48,68,68,7910,911,5
Total des dépenses44,246,148,950,554,95862
PIB2 425,72 302,92 500,92 639,12 822,52 6213 005
Part de l'effort national de défense dans le PIB1,82%2%1,96%1,92%1,95%1,99%2,06%

Source : Cour des comptes et ministère des armées. Les chiffres de la ligne "Ressources de la mission "Défense"" peuvent différer de ceux indiqués ci-dessus pour le budget défense hors pensions en LFI car ils prennent en compte les ajustements de gestion au cours de l'année.

Un budget de la défense suffisant ?

Régulièrement, les parlementaires pointent la nécessité que le gouvernement respecte ses engagements en ce qui concerne la LPM, notamment dans son actualisation. Les sénateurs déplorent dans un rapport de juin 2021 que le gouvernement n'ait pas respecté son engagement d'actualiser la LPM 2019-2025. La contrepartie d'un effort budgétaire important était un contrôle accru du Parlement.

Toutefois, l'entrée dans une logique d'économie de guerre et un contexte géostratégique bouleversé ont poussé le Parlement à adopter une nouvelle LPM pour la période 2024-2030, adaptée aux enjeux. La LPM 2024-2030 prévoit 118 milliards d'euros de plus que la précédente. Le Sénat met en garde sur le fait que l'entrée dans la nouvelle LPM se fait "à crédit".

Le rapport du Sénat sur le volet défense du projet de loi de finances pour 2025 souligne que, hors pensions et à périmètre constant, les crédits de paiement progressent par rapport à 2024 de 3,3 milliards d'euros, soit un strict respect de la LPM 2024-2030.

L'effort budgétaire consenti par la France correspond à 2% du PIB, soit le niveau cible de l'époque pour les membres de l'OTAN (le rapport date de fin 2024).

Toutefois, le contexte budgétaire s'est fortement détérioré. À la fin du premier trimestre 2025, la dette publique française s'établit à 3 345,8 milliards d'euros, soit 114% du PIB.

Le rapport du Sénat rappelle que "dans un contexte général d'efforts de redressement des comptes publics, la mission "Défense" est celle qui connaît la plus forte hausse de crédits en 2025".

Depuis quelques années, le report de charges de la mission "Défense" a beaucoup augmenté, passant de 3,88 milliards d'euros à la fin de l'exercice 2022 à 6,80 milliards d'euros fin 2024 (+75%). Cette augmentation de 2,9 milliards d'euros équivaut presque à l'augmentation annuelle des crédits dans le cadre de la LPM (+3,3 milliards d'euros).

Le report de charges correspond, pour un exercice donné, au montant des paiements pour lesquels le service fait est constaté mais dont la facture n’a pas encore été traitée ou payée au 31 décembre.

La Cour des comptes rappelle dans l'Analyse de l'exécution budgétaire 2022 - Mission "Défense" que des reports de charge "dans cette ampleur constituent une entorse à l'annualité budgétaire".

Trois facteurs expliquent cette augmentation du report de charges selon le Sénat :

  • la forte hausse du niveau d'inflation depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, même si son tassement en 2024 a inversé la situation (le niveau d'inflation est désormais plus faible que celui attendu par la LPM) ;
  • un niveau d'achats élevé, qui correspond au début d'une période de programmation ;
  • la volonté du gouvernement de ne pas aggraver le déficit de l'État exécuté et affiché en fin d'année.

Les armées achètent aujourd'hui plus qu'elles ne peuvent payer :

  • soit que le ministère ne dispose pas de crédits à hauteur du montant des achats ;
  • soit que les arbitrages gouvernementaux ne lui permettent pas de tous les consommer (par exemple, un décret d'avance du 7 avril 2022 a annulé 300 millions d'euros sur la mission "Défense", soit 0,8% des crédits pour 2022, afin de financer des dépenses urgentes pour l'Ukraine).

Le financement des surcoûts manque de lisibilité et même si les crédits sont conformes à la programmation de la LPM, les armées font face à des besoins de recomplètements importants :

  • prélèvement pour l'export de 24 Rafale (achetés par la Grèce et la Croatie), remplacés en 2027 ;
  • cession de canons Caesar et de Mirage 2000-5 afin de soutenir les forces armées ukrainiennes.

La Cour des comptes, dans l'Analyse de l'exécution budgétaire 2024 - Mission "Défense", souligne que :

  • si la LPM est respectée à l'euro près en LFI, de nombreux ajustements ont été nécessaires en gestion du fait d'une absence d'anticipation des surcoûts conjoncturels ;
  • faute d'arbitrage entre les besoins reconnus en LPM, la situation financière de la mission "Défense" s'est retrouvée particulièrement dégradée à la fin de l'exercice 2024.

La Cour des comptes recommande, entre autres :

  • de réduire de manière volontariste le report de charges affectant la mission "Défense" afin de garantir à l'horizon 2030 son retour à un niveau de 10% fixé en LPM ;
  • de faire apparaître le volume prévisionnel des crédits susceptibles de financer les surcoûts occasionnés par les missions opérationnelles sur le flanc Est de l'OTAN.

Une note du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan et de France Stratégie de du 19 mai 2025 rappelle que le contexte géopolitique extrêmement dégradé devrait pousser la France à se doter d'objectifs de dépenses militaires correspondant à 3,5% du PIB, voire à 5%.

Lors du sommet 2025 de l'OTAN à La Haye, qui s'est tenu les 24 et 25 juin 2025, les 32 pays membres, dont la France, se sont engagés, dans un contexte international de plus en plus incertain, à porter leurs dépenses pour la défense et la sécurité à 5% de leur PIB d'ici à 2035.

Pour 2024, les dépenses de défense représentent 59 milliards d'euros courants, soit 2% du PIB, selon la note du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan. Le respect strict de la LPM 2024-2030 conduirait à l'horizon 2030 à un budget défense de 80 milliards d'euros courants (2,3% du PIB). Un budget défense équivalent à :

  • 3,5% du PIB représenterait 120 milliards d'euros courants ;
  • 5% du PIB représenterait 172 milliards d'euros courants, soit plus du double de ce qui est programmé en LPM.

La Revue nationale stratégique 2025 publiée le 14 juillet, nécessaire entre autres afin de réactualiser la LPM, met à jour les objectifs stratégiques de la France tout en soulignant :

  • la permanence d'une menace russe (guerre en Ukraine) ;
  • la désinhibition du recours à la force (Gaza) ;
  • la nécessité pour les Européens de reposer sur leurs propres forces (évolution du partenariat avec les États-Unis) ;
  • la révolution technologique en cours (intelligence artificielle, guerre électronique, espace, quantique).

Publiée moins d'un mois après le sommet de l'OTAN à La Haye, elle précise que "pour faire face à la menace d’un conflit majeur sur le continent européen et à ses possibles conséquences sur le territoire national, les budgets devront être augmentés pour accélérer le réarmement de la France afin de pivoter résolument vers la haute intensité".

Toutefois, sans actualisation de la LPM 2024-2030, le Parlement ne serait pas en mesure de contrôler ni de valider les conséquences de ces changements substantiels. Pour cette raison, la veille de la publication de la Revue nationale stratégique, Emmanuel Macron dans un discours aux armées depuis l'hôtel de Brienne, apporte des précisions :

  • une actualisation de la LPM sera présentée à l'automne ;
  • 3,5 milliards d'euros en 2026 et 3 milliards d'euros en 2027 seront ajoutés par rapport à ce que prévoit l'actuelle LPM. Le budget défense sera en 2027 le double de celui de 2017, soit 64 milliards d'euros (c'était initialement prévu pour 2030 par l'actuelle LPM).

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