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© Romain Longieras - Hans Lucas/AFP

Aides publiques aux entreprises : un état des lieux

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

Une commission d'enquête du Sénat a publié, le 1er juillet 2025, un rapport sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants. La question du coût et de l'efficacité de plus de 2 300 dispositifs publics pour les entreprises en France fait l'objet de débat. Quels sont leurs effets ?

Aides à l'embauche, aides à la création d'entreprise, prêts garantis... Le soutien de l’État et des collectivités locales aux entreprises prend de multiples formes. Les aides publiques sont en forte haute depuis les années 2000 et elles se sont encore accrues depuis 2020.

Si le soutien massif de l'État lors de la crise sanitaire puis de la crise de l'énergie a été unanimement salué, des voix se sont élevées contre des dérives dans l'application du "quoi qu'il en coûte". 

Plus récemment, la multiplication des plans sociaux dans des entreprises bénéficiant d'aides publiques tout en continuant de verser des "dividendes généreux" a relancé le débat sur l'utilisation des dispositifs publics en soutien aux grandes entreprises. Eu égard à l'effort produit par la collectivité publique, les entreprises se sont-elles suffisamment mobilisées en faveur de l'emploi ou de l'innovation ? Plus largement, faut-il exiger des contreparties en échange d'aides publiques ?

Un foisonnement de dispositifs

Les aides publiques aux entreprises se répartissent entre quatre types principaux : subvention, garantie financière, prise de participation, exonérations fiscales et sociales. Créés par l’État ou des collectivités territoriales, des dispositifs existent pour chaque étape de la vie d’une entreprise : création et reprise, développement et difficultés. La base de données aides-entreprises.fr gérée par les chambres de métiers et de l'artisanat recense plus de 2300 aides publiques financières en 2025. Les dispositifs interviennent d’abord en soutien des créateurs ou repreneurs d’entreprises, notamment : 

Certains dispositifs sont réservés à des entreprises innovantes, dont :

Le Plan France 2030, lancé en octobre 2021, vise à transformer les secteurs clés de l’économie par l’innovation, l’industrialisation et la recherche. 54 milliards d'euros sont mobilisés pour soutenir financièrement les projets innovants pour l’environnement et la décarbonation de l’économie.

D'autres aides s'adressent à des secteurs spécifiques : librairie, agriculture, filière bois, etc. ou sont liés au développement de territoires : exonérations fiscales dans certaines zones en difficultés comme les zones de revitalisation rurale (ZRR), les quartiers prioritaires de la ville (QPPV) ou les zones franches urbaines (ZFU).

En cours d’activité, les entreprises peuvent également bénéficier d’aides pour se développer, notamment : 

Les entreprises en difficulté peuvent également bénéficier de dispositifs de soutien : délais de paiement de dettes fiscales ou sociales, prêts de restructuration et financements.

D'autres aides ont été conçues pour répondre à des circonstances exceptionnelles.

Par exemple, lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, des mesures urgentes ont été prises pour la prise en charge du chômage partiel et pour assurer la survie des entreprises (notamment par le prêt garanti par l’État - PGE, qui a pris fin en 2022).

Pour faire face à l’impact de la pandémie et redresser durablement l’économie, le plan d'investissements France relance (2020) a mobilisé 100 milliards d’euros, en partie pour renforcer la compétitivité et la souveraineté économique, baisser les impôts de production (10 milliards d'euros), financer en fonds propres des entreprises (notamment des TPE et PME) et soutenir l'investissement dans l'innovation et l'industrie.

Le Plan de résilience qui a suivi en mars 2022 a augmenté les dépenses d’intervention de l’État pour contrer les conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine. Les mesures concernent essentiellement la hausse des prix de l'énergie et de l'essence. Certaines mesures liées au plan d'urgence sont prolongées : l'activité partielle et le PGE "résilience" (supprimé le 31 décembre 2023), notamment.

Que dit le droit européen ?

Les aides publiques aux entreprises sont en principe interdites par le droit européen car elles "faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions" (article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Cependant, de nombreuses exceptions sont prévues. Par exemple, les aides dites de mimimis (d'un montant maximum de 200 000 euros sur trois exercices fiscaux) sont exclues du champ des aides d'État.

Quel coût pour quelle efficacité ?

Le montant global des aides publiques aux entreprises n’est pas précisément évalué. Il varie selon les sources et selon la période examinée - avant, pendant ou après la crise sanitaire.

En juillet 2025, un rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les aides publiques aux grandes entreprises (au moins 5000 salariés et plus de 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires) et leurs sous-traitants estime leur montant "au sens large" à 211 milliards d'euros en 2023. Ce chiffre ne prend pas en compte les aides versées par les collectivités territoriales (régions et communes), ni celles provenant de l'Union européenne. Les rapporteurs pointent l'absence de tableau de bord sur les aides octroyées en raison d'"obligations de transparence parcellaires, de portée limitée et peu opérationnelles." De son côté, le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) évalue à 111,9 milliards d'euros en 2023 les aides accordées (hors exonérations de charges sociales) dans une note d'analyse publiée en juillet 2025.

La multiplication des dispositifs accumulés, leur nature différente et leur constante évolution rend difficile les évaluations et la lisibilité de l'action publique. D’autant plus que certaines aides interagissent entre elles et que les plans gouvernementaux peuvent être intriqués les uns dans les autres. Certains dispositifs "sont comptabilisés à la fois dans les 100 milliards de France Relance et dans les 54 milliards de France 2030, notamment pour les mesures en faveur de l’industrie" souligne le comité d’évaluation du plan France Relance (Deuxième rapport - décembre 2022).

Même constat dans les territoires : les aides financières des collectivités entre 2014 et 2020 représentent un peu plus de 8 milliards d’euros par an (1,3 milliard de subventions) a évalué un rapport de la Cour des comptes. Mais le manque de "rationalisation" et de "coordination", le contrôle "partiel et superficiel" des dépenses conduisent à "une lisibilité et une efficacité amoindries des politiques déployées".

Une revue des dépenses de l'Inspection générale des finances (IGF) évalue à 88 milliards d'euros le montant des aides versées en 2022 par l'État et la Sécurité sociale, à travers environ 380 dispositifs. Le montant des aides versées par les administrations publiques locales est évalué à 7 milliards d'euros en 2021. Les entreprises reçoivent aussi des aides de l'Union européenne (au minimum 9 à 10 milliards d'euros en moyenne par an). L'IGF met en évidence un manque de suivi et d'évaluation des aides aux entreprises. Le rapport propose notamment la création d'une cellule consacrée à l'évaluation au sein du Conseil des prélèvements obligatoires ou de l'IGF. Des pistes sont également présentées pour générer des économies à hauteur de 3 milliards d'euros d'ici 2027. Le rapport pointe notamment le coût des mesures dérogatoires au taux normal de TVA qui représentent un manque à gagner de 47 milliards d'euros.

Une note de la Cour des comptes (juillet 2023) estime à 92,4 milliards d'euros le coût des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises de 2020 et 2022. Le document porte à 260,4 milliards d'euros le soutien financier total (y compris les prêts garantis et report du paiement des cotisations sociales), soit 10% du PIB. Le bilan de ces mesures est jugé contrasté. Efficace pour soutenir la trésorerie des entreprises, préserver le tissu économique et sauvegarder l’emploi, le possible cumul des dispositifs "a augmenté le risque de versement de compensations indues au regard du préjudice subi.". La Cour pointe les difficultés de l’administration pour évaluer les besoins et la situation financière. Des aides ont été versées sans vérification des pertes subies. 

Le rapport pour l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) réalisé en 2022 par des chercheurs de l'université de Lille évalue à 157 milliards d'euros le montant global des aides publiques aux entreprises en 2019. Le ministère du budget évoque un montant de l'ordre de 140 milliards d'euros d'aides d'État en 2018 (en majorité des subventions). 

Il existe par ailleurs des évaluations sur des dispositifs ciblés, notamment :

  • le crédit d'impôt recherche (CIR), première dépense fiscale, a été plusieurs fois évalué : estimé à 146 millions d'euros en 2024, ce dispositif "doit être mieux ciblé et plus efficace", il est particulièrement "difficile à contrôler" ;
  • le crédit d'impôt CICE, dispositif fiscal en vigueur de 2013 à 2018 évalué par France Stratégie. Son effet sur l'investissement ne semble pas significatif ;
  • les PGE : en 2022, la Cour des comptes constate "la réussite indéniable" du dispositif : 700 000 entreprises en ont bénéficié à hauteur de 140 milliards d’euros. La Cour critique toutefois l'absence de contrôle des engagements pris par les grandes sociétés (rapport "Les prêts garantis par l’État") ;
  • les aides à l'innovation et recherche et développement : une évaluation globale des dispositifs (JEI, aides Bpifrance...) en 2020 révèle notamment qu'ils ont augmenté l’emploi salarié total et dédié à la R&D, ainsi que les investissements et les performances des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). "Les aides jouent un rôle notable dans l’innovation. Les énergies renouvelables, les smartphones, les nouveaux médicaments, les biotechnologies, les véhicules électriques n’auraient jamais vu le jour sans aide d’État" assure un rapport parlementaire de 2021

Toutefois, "la majorité des dépenses fiscales majeures réchappent à une évaluation régulière", souligne la commission d'enquête du Sénat, notamment le pacte Dutreil, le crédit d'impôt pour les entreprises créatrices de jeux vidéo ou encore la taxe au tonnage pour les transporteurs maritimes.

La remise en cause de l'efficacité réelle des aides et les critiques sur l'insuffisance de contrôle prennent de l'ampleur. Parmi les critiques les plus souvent émises :

  • les aides n'auraient pas fait baisser le coût du travail et n’auraient pas augmenté la compétitivité-prix. Elles créeraient au contraire un effet d’accoutumance, les entreprises considérant ces aides comme une rentrée courante et non comme des des gains exceptionnels ;
  • le dispositif de chômage partiel aurait été "dévoyé" en bénéficiant aux entreprises du CAC 40 qui ont continué à verser des dividendes à leurs actionnaires ;
  • la répartition des aides serait inégalitaire et inefficace, les plus grandes sociétés, par exemple, bénéficiant plus que les autres des exonérations d'impôts ;
  • les subventions directes n'auraient ni garde-fous ni contrôle a posteriori et il serait très difficile de tracer leur utilisation par les entreprises qui les reversent dans leurs ressources globales. 

Plus de contrôles ou de contreparties ?

La commission d'enquête du Sénat de juillet 2025 préconise "un choc de transparence" avec la mise en place, d'ici 2027, d'un tableau "détaillé et actualisé chaque année" des aides versées, géré par l'Insee. Le rapport propose également : 

  • de simplifier les aides (guichet unique, par exemple) et de les rationnaliser en "divisant pas trois les dépenses fiscales et subventions budgétaires d'ici 2030" ;
  • de revoir la conditionnalité des aides et des dividendes ("choc de responsabilisation"), notamment en demandant le remboursement des aides perçues en cas de délocalisation ;
  • de rendre le contrôle des aides "plus strict" et les évaluations "plus poussées", notamment pour les dépenses fiscales (niches fiscales). Deux recommandations visent le CIR : encadrer "strictement la rémunération des cabinets de conseil qui assistent les entreprises pour obtenir cette aide" et engager une "réflexion sur la réduction du plafond de sous-traitance et du taux applicable".

La volonté de préserver les emplois ou de favoriser la croissance économique a conduit la France à se doter d'un système d'aides aux entreprises assez étendu. Dès 1999, un rapport de l'Assemblée nationale dénonce un dispositif "proliférant et incontrôlé" et propose la création d'un organisme qui puisse dresser un état de l'ensemble des aides aux entreprises en France. Le rapport s'interroge notamment sur la captation des aides publiques par des groupes internationaux qui délocalisent ensuite leur production.

Il n'existe "aucun cadre normatif unifié" pour le suivi des aides publiques déjà en place avant les crises, souligne le rapport parlementaire sur les conditionnalités des aides. Les contrôles existent, le contrôle général économique et financier (CGEFI) et l’Inspection générale des finances (IGF) en sont chargés, mais ils restent insuffisants. "L’organisation administrative française ne prévoit pas d’organes ministériels ou interministériels spécifiquement chargés de procéder au suivi et au contrôle des aides de l’État aux entreprises (…). Le système français d’évaluation des aides publiques est donc disparate et dépourvu d’organe de suivi et de contrôle", affirme le rapport. 

Face à ce constat, les milliards d'euros mobilisés faces aux crises puis la hausse des plans sociaux et plan de départ volontaire ont relancé le débat sur les contreparties aux aides publiques. Les opposants, parlementaires, ONG et syndicats dénoncent des "cadeaux" "sans aucun engagement en retour. Ils s'indignent en particulier devant les fermetures (usine Bridgestone dans les Hauts-de-France, par exemple) et délocalisations d’entreprises après avoir perçu les aides. Ils demandent l’interdiction de distribuer des dividendes aux actionnaires. Le groupe Michelin, par exemple, a annoncé un PSE en 2024 alors que le groupe a bénéficié de plus de 30 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales et plus de 40 millions de CIR tout en versant environ 1,4 milliard d'euros de dividendes.

Pour d'autres, au contraire, les aides aux entreprises ne sont pas des cadeaux mais elles doivent être considérées comme "des correctifs à une situation fiscale anormale en France".

Avant de pouvoir exiger des contreparties ou de soumettre les aides au respect de conditions, il faut d'abord améliorer le régime juridique des aides publiques. Pour évaluer ces aides, plusieurs rapports parlementaires proposent la création d'un organisme dédié (un office parlementaire commun d'évaluation, par exemple).