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© JC Hanché pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)

Prisons, centres de rétention... : le défi de l'intimité dans les lieux de privation de liberté

Temps de lecture  3 minutes

Par : La Rédaction

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) enquête, outre sur les prisons, sur l'hospitalisation sous contrainte en psychiatrie, les commissariats, les centres de rétention administrative (CRA), les centres éducatifs fermés... Dans ces différents lieux de privation de liberté, se pose la question du maintien de l'intimité.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité administrative indépendante (AAI). Il est doté du pouvoir d’enquête sur la situation des personnes privées de liberté et de visite des établissements.

À ce titre, il est amené à formuler des recommandations. Il consacre cette année son rapport, paru le 7 juillet 2022, à la question de l'intimité.

  • En quoi consiste votre activité ?

    Alors le contrôle général des lieux de privation de liberté a un statut d'autorité administrative indépendante et ça repose sur mon mandat qui est de 6 ans irrévocable.

    Nous faisons 150 visites par an.

    Tous les mois les équipes partent les quinze premiers jours du mois.

    Restent sur place cinq jours, six jours, dix jours s'il le faut et à la suite de quoi nous rendons des rapports concernant les lieux qu'on a visités.

    Mais avant nous effectuons ce qu'on appelle une restitution devant toute l'équipe du lieu visité.

    Nous visitons une immense variété de lieux, puisque ça va de la prison au centre éducatif fermé pour enfants et adolescents, en passant par les hôpitaux psychiatriques, dans les services fermés de soins sans consentement, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention pour étrangers, les points à la frontière où passent les exilés.

    Nous avons en tout à visiter environ 5 000, un peu plus de 5 000 lieux de privation de liberté en France.

    Je préfère que nos visites soient inopinées, c'est-à-dire qu'on ne prévienne pas avant.

    Mais il y a des lieux dans lesquels on prévient, par exemple quand on sait qu'il y a, pendant la pandémie, quand on savait qu'il y avait un cluster dans un hôpital ou dans une prison, on prévenait.

    Dans les prisons, nous sommes accueillis, en raison d'une surpopulation carcérale honteuse, eh bien, l'administration pénitentiaire n'est pas mécontente que nous venions constater ce qui se passe.

    Ce n'est pas eux qui sont responsables de la surpopulation carcérale.

    Ils ne peuvent pas afficher complet.

    Ils ne peuvent pas mettre complet, on ne prend plus personne, au fronton des prisons.

    Donc ils subissent eux aussi les condamnés ou les détenus provisoires que leur envoient les magistrats.

    On en est à 71 000 détenus.

    Il y a 1 800 matelas au sol.

    Un matelas au sol, je l'ai vu dans les prisons, cela veut dire dans des conditions d'hygiène déplorables, avec des rats dans la cour.

    Oui, beaucoup de rats.

    Et dans les cellules, ce que les détenus nous décrivent, et ce que j'ai vu, des cafards, des punaises de lit.

    Qu'est-ce qu'ils font les détenus ?

    Ils s'enroulent très serrés dans leurs draps pour pas que, pendant la nuit, les cafards leur courent dessus, et ils dorment avec du papier toilette dans les oreilles et dans le nez pour pas que les cafards rentrent dedans.

    Ça n'a pas empêché, à la prison de Toulouse-Seysses, un détenu de voir son conduit auditif infecté.

    Et pourquoi ?

    Parce qu'on a retrouvé un cafard mort au fond.

  • Comment êtes-vous alertée sur les situations les plus critiques ?

    Nous recevons environ 3 500 à 4 000 lettres par an.

    Beaucoup d'appels téléphoniques, principalement de la part des détenus qui ont maintenant le téléphone en cellule.

    Bien qu'il coûte extrêmement cher, mais c'est un autre sujet.

    Et puis, aussi de gens enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, dans des services de soins sans consentement.

    Ces appels téléphoniques et ces lettres nous guident dans nos visites parce qu'ils nous signalent des endroits où on devrait bien aller mettre notre nez, si j'ose dire.

    C'est-à-dire que, on se dit : « Tiens, dans tel endroit, on reçoit trop de lettres.

    Ce n'est pas normal.

    Trop de signalements, trop d'appels téléphoniques. »

    Des associations nous saisissent également.

    On prend tous les signalements qu'on peut.

    Par exemple à la prison de Toulouse-Seysses, surpeuplée à 187 %, quand la prison s'est ouverte, il y avait 1 surveillant pour 53 détenus.

    Aujourd'hui, on en est à 1 surveillant pour 150 détenus.

    Je voudrais savoir quel corps de métier pourrait supporter de voir sa tâche triplée.

    Je peux vous citer par exemple un centre éducatif fermé qu'on a visité il y a un an, c'est-à-dire pour les enfants, où la situation était épouvantable.

    Les éducateurs, c'étaient des anciens tenanciers de boîte de nuit qui s'étaient fait engager là parce que leur boîte de nuit avait fermé pendant le Covid.

    L'équipe n'était pas pérenne.

    Il y avait peu d'heures d'enseignement.

    Tout allait à vau-l'eau et bien là, la directrice nous a appelés et la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse aussi pour nous dire : « Écoutez, venez voir. On s'est démenés pendant un an pour se conformer à ce que vous nous aviez dit. »

    Et là, on a passé une journée absolument, je ne peux pas dire enchanteresse, parce que c'est un lieu d'enfermement, mais à voir à quel point tout avait été transformé.

    C'est ainsi qu'on récolte sur place pas mal de résultats.

  • Quelle appréciation portez-vous sur la situation générale de la détention en France ?

    J'ai vu les conditions se dégrader et se dégrader en raison de la surpopulation carcérale.

    Cette surpopulation carcérale, c'est pour moi une honte.

    On ne peut pas laisser vivre des gens dans des conditions pareilles.

    Je regrette d'autant plus cette situation qu'en 2018, il y avait eu un espoir, un très fort espoir suscité par le président de la République lui-même, qui avait dans un discours à l'École de l'administration pénitentiaire, dit qu'il était pour l'expérimentation de la régulation carcérale, à savoir quand la prison atteint un certain degré de suroccupation, eh bien, on arrête d'incarcérer.

    Et quand un détenu rentre un autre sort le plus proche de sa fin de peine.

    Pourquoi ? Pourquoi ça n'a pas été fait ?

Privation de liberté et atteintes à l’intimité

Le CGLPL met en lumière les "multiples atteintes à l'intimité que chaque personne enfermée subit quotidiennement, en prison, à l'hôpital et dans tous les lieux de privation de liberté."

Est intime ce qui relève du for intérieur : conscience, sentiments, pensées intimes

Au sens étendu, l’intimité de la vie privée (maintenir un lien avec l’extérieur, recevoir des visites…) peut être entravée par une surveillance excessive.

La surpopulation carcérale représente le plus grand obstacle au respect de l’intimité individuelle : au 1er juin 2022, on comptait 71 678 détenus, soit un taux d’occupation de 118%.

Dans des cellules petites et suroccupées, 1 885 détenus dorment sur des matelas ; sanitaires ou lavabos sont visibles de tous, avec "l'humiliation de devoir uriner ou déféquer sous le regard, le nez et à l'oreille d'une autre personne." 

La question ne se pose pas qu’en prison : on trouve parfois quatre personnes par chambre en centre de rétention administrative (CRA), et les chambres individuelles restent rares en psychiatrie.

Des logiques de surveillance qui dévoilent l’intimité

En situation de privation de liberté, outre la promiscuité, nombre de pratiques nuisent à l’intimité : mesures de contraintes, fouilles, lecture des correspondances, absence de téléphone mobile…

De l’œilleton des prisons servant lors des rondes, aux lucarnes vitrées des établissements psychiatriques, la conception même des cellules ou des chambres garantit la visibilité constante des personnes par des professionnels qui peuvent entrer et fouiller jour et nuit.

L’intimité passe, par exemple, par le droit de prendre des médicaments sans qu’ils soient portés à la connaissance du personnel ou des autres personnes privées de liberté. Or, ni la confidentialité des soins, ni la visite des proches, ni, encore moins, le droit à la sexualité, ne sont assurés. 

Des dispositifs de surveillance à distance sont utilisés, comme des caméras ou des systèmes acoustiques. Le CGLPL relève qu’on peut même trouver des micros dans les parloirs ou les chambres en psychiatrie.

Les fouilles, source d'abus potentiels

En chambre d’isolement, en psychiatrie, où la contention par des sangles est encore pratiquée, et dans toute situation (menottes, chaîne de conduite…) visant à établir une forme de contrainte, voire de soumission.

Mais ce sont les fouilles qui constituent, par excellence, le domaine où un équilibre doit être recherché entre surveillance et protection de l’intimité.

Le CGLPL consacre d’importants développements aux fouilles dont l'usage doit être, rappelle-t-il, nécessaire et proportionné. 

La simple palpation du corps à travers les vêtements empiète déjà sur l’intimité. Or, elle peut être pratiquée plusieurs fois par jour, sans nécessité particulière.

Les fouilles à nu et les fouilles intégrales, légales dans le seul cadre carcéral, y sont bien plus attentatoires : être fouillé sous les yeux de plusieurs professionnels est humiliant.